Samedi, 10 février 2024

  • Michpatim
Editorial

 Retrouvons le temps !

Cette semaine voit la fin du mois en cours, Chevat, et le début du suivant. On pourrait penser avec quelque pertinence que cette observation ne mérite guère qu’on s’y arrête plus longuement tant elle est habituelle. Il est clair qu’on peut la répéter chaque mois. Cependant, cette fois, l’occasion présente une particularité : le nouveau mois porte le nom d’Adar assorti d’un numéro : 1. Voici donc que va commencer le mois d’Adar 1 qui sera suivi, dans quelques semaines, de celui d’Adar 2 où nous célèbrerons effectivement la fête de Pourim, ainsi repoussée dans le temps. Notre année, 5784, est une année dite « embolismique », ou à treize mois au lieu des douze coutumiers.

La raison en est connue : le calendrier juif fixe ses mois selon les lunaisons alors que, globalement, l’année est solaire. Ces deux cycles n’étant pas équivalents, il est nécessaire de rattraper régulièrement le décalage qui s’installe peu à peu, faute de quoi les fêtes glisseraient constamment le long du calendrier. Un mois est donc rajouté dès que l’écart devient trop important, et c’est d’Adar qu’il s’agit afin que la fête de Pessa’h reste bien, comme la Torah le prescrit, une célébration du printemps.

Il y a ici deux traits qu’il faut noter. D’une part, on ne peut manquer de relever l’attention donnée au temps. Pour la vision juive, le calendrier n’est pas un simple et commode instrument de mesure des jours qui passent. Il est littéralement un outil du service de D.ieu et, pour cette raison, il ne peut être anodin ou simplement pris comme une convention humaine. D’autre part, une véritable technique est mise en œuvre pour que mois lunaires et année solaire ne divergent pas, comme s’il y avait un enjeu de première importance dans cette correspondance a priori impossible.

Tout cela nous fait prendre conscience de la nature réelle du temps. Dimension de la création Divine au même titre que l’espace, il est un des éléments essentiels de notre vie et, à ce titre, il prend sa pleine place dans notre conscience. Chacune de ses minutes, de ses heures ou de ses jours, exprime une lumière Divine qui donne au monde sa couleur du moment et le chemin de son perfectionnement. Quant à l’homme, il ne se contente pas de laisser le temps passer mais, par ses actes et ses choix de vie, il le fait avancer dans cette voie éternelle qui, de niveau en niveau, nous élève. Alors, ne pas perdre son temps ? Un impératif.

Etincelles de Machiah

 La Techouva et la Délivrance

Maïmonide enseigne : « Israël finira par se repentir et sera immédiatement libéré ». (Michné Torah, Hile’hot Techouva 7:5).

Maïmonide précise ainsi que la Délivrance arrive grâce au repentir, à la Techouva. Cela n’est pas simplement dû au fait qu’ainsi toutes les fautes sont effacées. C’est le processus même de la Délivrance qui nécessite l’œuvre spirituelle en question car celle-ci est, par essence, l’expression du niveau le plus élevé de l’âme appelé « Yé’hida », seul à même d’effacer toute trace d’une faute éventuelle. Or, la venue de la Délivrance est justement une manifestation du niveau Divin équivalent, qui transcende toutes les limites du monde matériel. C’est ce degré-là dont il nous faut, par nos actes, susciter la révélation.

(D’après Likoutei Si’hot, vol. IV, p. 1071)

Vivre avec la Paracha

 MICHPATIM

A la suite de la révélation sinaïtique, D.ieu légifère une série de lois pour le Peuple juif. Elles incluent les lois concernant le serviteur contractuel, les compensations en cas de meurtre, d’enlèvement, d’assaut et de vol, les lois civiles pour rembourser les dommages, les prêts et les responsabilités des « quatre gardiens », enfin les lois dirigeant la conduite des cours de justice.

On y lit également les lois interdisant les mauvais traitements à l’égard des étrangers, l’observance des fêtes saisonnières, les dons agricoles à apporter au Saint Temple de Jérusalem, l’interdiction de cuire ensemble le lait et la viande et la Mitsva de la prière. La Paracha Michpatim comporte en tout 53 mitsvot : 23 commandements positifs et 30 commandements négatifs.

D.ieu promet de conduire le Peuple d’Israël en Terre Sainte et le met en garde contre les pratiques païennes de ses habitants.

Le Peuple d’Israël proclame : « Nous ferons et nous entendrons tout ce que D.ieu nous a ordonné ». Laissant Aharon et ‘Hour en charge du camp israélite, Moché monte sur le Mont Sinaï pour recevoir la Torah de D.ieu et y reste quarante jours et quarante nuits.

Le bœuf et l’agneau

S’il advenait que quelqu’un vole un animal puis le vende ou l’abatte, la Torah, dans la Paracha de cette semaine, statue que le voleur ne devait pas seulement payer la somme équivalente à la valeur du vol mais qu’il lui était également ajouté une amende. Pour le vol d’un agneau, il devait en payer quatre fois la valeur et pour le vol d’un bœuf, cinq fois la valeur de l’animal.

Les Sages du Talmud s’interrogent sur la différence entre le vol d’un agneau et celui d’un bœuf. Il semblerait que la Torah considère le vol d’un bœuf comme un forfait plus grave que le vol d’un agneau.

L’une des explications proposées par le Talmud concerne la fonction du bœuf. C’est un délit plus grave de voler un bœuf qui, en temps normal, serait employé à un labeur, que de voler un agneau qui est inactif. Le fait d’ajouter une somme supplémentaire pour le vol du bœuf permet à la Torah de nous enseigner la valeur du travail.

Chaque loi que mentionne la Torah nous concerne tous, et pas seulement les quelques personnes qui se trouvent passer par les affres de la justice pour avoir commis un quelconque méfait.

Quelle leçon pouvons-nous donc tous tirer de la différence entre le fait de voler un bœuf et de voler un agneau ?

L’âme animale

Comme cela a été évoqué à de multiples reprises, la condition humaine n’est pas constituée d’un seul bloc. Nous tirons notre inspiration et nos perspectives d’au moins deux sources intérieures. L’une est notre âme Divine et l’autre est appelée notre « âme animale ».

Cependant, l’âme animale n’est pas synonyme de « mal ». C’est plutôt ce qui nous motive et nous donne l’énergie pour satisfaire nos besoins physiques, émotionnels et intellectuels.

Contrairement à l’idée courante que l’âme animale est intrinsèquement mauvaise et destructrice, la pensée ‘hassidique nous enseigne qu’elle contient nombre de côtés positifs. Et précisément, parce que l’âme animale peut souvent se mettre au travers du chemin et éclipser le signal qui émane de l’âme Divine, beaucoup plus profondément enfouie en nous, il est donc crucial de ne pas ignorer ou de ne pas supprimer son côté positif.

En fait, en utilisant les aspects positifs de notre nature animale, nous l’empêchons d’entraver l’âme Divine qui peut alors plus facilement s’exprimer en nous.

Nier les qualités positives de l’âme animale

Par le vol d’un animal, la Torah fait allusion à celui qui diminue, dénigre et enlève les qualités positives de l’âme animale d’autrui. Là encore, cela peut prendre deux formes, correspondant aux deux types généraux d’ « âmes animales » : le bœuf et l’agneau.

Le bœuf est un animal fort et travailleur alors que l’agneau est docile et timide. Ils représentent deux types de personnalités qui peuvent être simultanément positives et négatives.

La personnalité « bœuf » est souvent arrogante, dominatrice et parfois destructrice. En revanche, le même bœuf peut aussi représenter un individu courageux dans la besogne, qui accepte le joug auquel l’a soumis son maître et celui qui sera un agent extraordinaire de croissance et de développement.

L’agneau peut lui aussi symboliser deux caractéristiques opposées. D’une part, l’agneau est faible, introverti et exclusivement préoccupé à satisfaire ses propres désirs et besoins. L’agneau ne tire pas de charrue et ne participe pas à la culture des champs. Il ne travaille pas et n’opère aucun changement positif ou constructif dans son environnement.

Par contre, l’agneau est également le symbole de l’innocence, d’une nature aimable, d’une disposition humble et d’une soumission naturelle. L’on n’a pas besoin de mettre un joug sur son cou pour pouvoir tondre sa laine.

« Voler » l’une de ces créatures c’est utiliser les traits positifs qu’elles possèdent et nier leur potentiel. Quand l’on tente de supprimer la disposition naturelle « agneau » de son prochain, dépréciant son innocence ou son comportement humble, l’on se rend coupable de vol et l’on doit le compenser en payant quatre fois plus.

De la même façon, certains peuvent essayer de dénigrer la nature énergique et extravertie des autres plutôt que de les encourager à canaliser cette énergie dans une direction constructive. Eux aussi sont coupables de vol et doivent opérer la restitution adéquate en payant cinq fois la valeur du bœuf. Le fait d’ajouter cette amende représente l’idée que la perte de l’homme d’action est finalement une plus grande perte pour la société.

Quatre et cinq

La signification des nombres quatre et cinq dans ce contexte est que chacun représente la composition à plusieurs niveaux de l’âme Divine. Notre âme est composée de quatre niveaux : l’action, l’émotion, l’intellect et la volonté. En outre, il existe une cinquième partie, la quintessence, qui représente l’épicentre de notre être dont découlent toutes les autres facultés.

Si un agneau a été volé, c’est-à-dire que nous avons perdu notre innocence naturelle, notre humilité et notre civilité, il nous faut travailler à renforcer la nature positive de l’agneau en révélant les forces de l’âme qui se divisent en quatre. Cela peut s’accomplir en accomplissant des actions humbles, par la culture de sentiments d’humilité, une tentative de comprendre la valeur de l’humilité et la motivation de notre volonté à être humble.

Pour la personne qui a été privée du côté positif de sa personnalité de « bœuf », en cessant d’être ferme, sociable et productif, il ne suffit pas de payer quatre fois plus, c’est-à-dire de se suffire d’investir les quatre parties de sa nature avec ce trait. Il faut également aller à la quête du cinquième élément de son être. Car c’est à partir de ce niveau essentiel que l’on est motivé à aller au-delà de notre égocentrisme et de devenir un activiste altruiste, de changer et de faire des efforts constructifs pour le reste du monde.

Machia’h : l’âme quintessentielle

L’Ère messianique est associée au cinquième niveau de notre âme, le plus essentiel. La Cabale parle de cinq personnages historiques qui représentent les cinq types d’âmes :

Le Roi David possédait le niveau connu comme « Néfèch », la force de l’âme qui nous inspire l’action.

Le Prophète Elie possédait la force de l’âme qu’on appelle « Roua’h » qui génère nos émotions spirituelles.

Moché était doté du niveau de l’âme nommé « Nechama » qui nous impartit la capacité de la connaissance de D.ieu.

Adam personnifiait le niveau de « ‘Haya » qui instille en nous le pouvoir de la volonté.

Le Machia’h possède le niveau appelé « Ye’hida », l’essence et le noyau de tous les autres niveaux.

Cela ne signifie pas que ces cinq personnages ne possèdent pas les quatre autres niveaux. En réalité, nous possédons, tous, les cinq niveaux. Il s’agit juste d’une question de traits ou d’âmes prédominants. Et chacune des ces âmes grandioses avait un niveau particulier qui dominait, qu’elles ont généré et nous ont transmis.

A l’époque messianique, le niveau le plus profond de notre âme, notre « Ye’hida », sera révélé par le Machia’h. Cela signifie que nous serons compensés de la perte des qualités comme celles de l’ « agneau » et comme celles du « bœuf », durant notre séjour en exil. D.ieu nous remboursera par des paiements en quatre, voire en cinq fois, la valeur parce qu’alors tous les niveaux de notre âme brilleront avec éclat au point que même le cinquième degré de notre âme sera complètement révélé.

Le Coin de la Halacha

 Education : Comment bien utiliser son temps

- On enseigne à l’élève la valeur du temps. Quand le professeur démontre par sa conduite qu’il veille à ne pas gaspiller son temps, l’enfant le remarque et s’efforcera d’utiliser de façon constructive chaque instant de sa vie.

- Dès son plus jeune âge, même au moment de la récréation, l’enfant sera incité à progresser dans son étude ; même lors des jeux d’équipe par exemple, on lui apprendra à respecter ses camarades, à respecter les règles, à aider les autres etc.

- Le temps des autres est aussi très précieux et il convient de ne pas le gaspiller non plus !

- Le temps a été créé pour un certain but et ne peut être remplacé. Il existe une possibilité d’optimiser le temps en l’utilisant judicieusement et au maximum. Si l’élève apprend à bien gérer son temps, il acquerra aussi une bonne gestion de son cerveau, de ses affaires et tout ce qu’il entreprend. Il parviendra aussi au niveau où « le cerveau domine le cœur ».

- De même qu’on ne doit pas gaspiller ses ressources et son environnement, de même on ne gaspillera pas son temps et on stimulera les enfants pour que, d’eux-mêmes, ils sachent comment éviter l’oisiveté, les pensées futiles et même destructrices et trouvent comment s’occuper sainement.

(d’après The Educator’s Handbook - Rav ‘Haïm Morde’haï Aizik Hodakov)

Le Recit de la Semaine

 Encore plus que le Kaddich

Quand nous avons commencé notre mission à Richmond (Californie), nous avons eu du mal à trouver des Juifs : chacun était persuadé d’être le seul Juif dans la ville. Nous avons initié des activités, des offices religieux et chacun qui y participait était étonné, sidéré même de constater que tant de Juifs vivaient autour d’eux, dans leur ville ! Nous les avons recherchés un par un, en frappant aux portes et en envoyant des prospectus, nous avons parfois été mal reçus mais tout ceci en valait la peine, même si nous n’avions réussi à contacter qu’une seule personne. Bien sûr, nous avons signalé notre installation dans la ville sur les groupes Facebook locaux et dans les journaux mais je suppose que la meilleure publicité était notre apparence. Quand je circule à ‘Hanouccah avec ma voiture ornée d’une grande Menorah, j’observe les réactions des passants : un sourire, un regard révèlent une identité juive bien dissimulée ; mon chapeau, ma barbe et mes Tsitsits attirent évidemment l’attention où que j’aille. Nous avons aussi établi le contact avec de nombreux coreligionnaires le vendredi après-midi, alors qu’ils faisaient leurs courses pour Chabbat et nous saluaient d’un timide Chabbat Chalom !

Le plus difficile, ce fut de réunir un Minyan (10 hommes pour la prière en commun). Quand j’ai perdu mon père, Rav Akiva Wagner de mémoire bénie, outre le chagrin bien compréhensible de la situation, j’étais angoissé à l’idée de devoir réciter trois fois par jour le Kaddich à sa mémoire pendant onze mois. Chaque Kaddich participe à l’élévation de son âme, insistent nos Sages, mais comme notre communauté n’était pas encore solidement établie, j’étais conscient qu’il faudrait un miracle pour que je puisse honorer comme il se doit la mémoire de mon père.

Ce qui me consolait un peu, c’était la réponse qu’avait donnée le Rabbi à des Chlou’him (émissaires) en pareille circonstance. Il expliquait qu’aider des Juifs à accomplir des Mitsvot apportait un grand réconfort et une grande joie à l’âme du défunt – encore davantage que la récitation du Kaddich. De plus, comme j’ai huit frères qui ont la chance de pouvoir prier avec un Minyan trois fois par jour dans leurs communautés, cela me renforça dans ma décision de rester à Richmond pendant cette année difficile.

Mais j’ai été réconforté par toutes les manifestations de soutien que j’ai reçues : non seulement de notre (petite) communauté mais aussi de mes collègues Chlou’him. En été, j’ai pu effectuer le trajet quotidien d’une heure jusqu’à San Francisco pour un Minyan quotidien. Quand les enfants ont commencé à aller à l’école, ce fut plus compliqué : j’ai néanmoins réussi à réunir un Minyan à la synagogue deux fois par semaine. Le dévouement de ces hommes, prêts à se lever une heure plus tôt le matin avant d’aller au travail ou même d’effectuer deux ou trois heures de route pour ce Minyan m’a beaucoup touché.

J’avais entendu parler de Stan mais je ne l’avais jamais rencontré personnellement. Quand il apprit que j’avais besoin d’un Minyan pour réciter Kaddich pour mon père, il s’engagea à venir et même à amener un ami. Il a tenu sa promesse, m’a même apporté une paire de Téfilines pour que je la fasse vérifier et il m’a informé qu’il prenait une nouvelle bonne résolution : réciter le Chema à l’heure chaque matin !

Quant à Mitchell, bien que marié à une femme non-juive, il tient lui aussi à m’aider pour le Minyan. Il enseigne dans une école publique et, les jours où nous n’avons pas Minyan, il apporte son Talit et ses Téfilines qu’il met dans une salle de classe vide. Parfois, il oublie d’enlever sa Kippa, ce qui intrigue ses élèves et donne lieu à des discussions animées : « Je suis toujours heureux chaque fois que je commets cette erreur ! » confesse-t-il en riant.

Les quatre ou cinq membres de la communauté qui ont fourni l’effort de participer à chaque Minyan travaillent pour diverses sociétés à San Francisco ou d’autres grandes villes ; suite à l’inflation et d’autres « réorganisation d’effectifs », ils sentaient qu’ils risquaient de perdre leurs places et, chaque matin, ils échangeaient avec angoisse les dernières nouvelles d’une économie chancelante, encore une société en faillite etc. Pourtant, dernièrement, chacun d’entre eux a reçu des offres d’emploi très alléchantes : Jeff par exemple qui sentait depuis quelques mois qu’il serait bientôt sur la liste des prochains « remerciés » a été muté dans un bureau plus proche de son domicile, avec des horaires plus faciles et un bien meilleur salaire. « Et de plus, cher rabbin, avec mon nouveau travail, je n’ai plus besoin de travailler Chabbat ! ».

Certainement de là où il se trouve maintenant, mon père, le regretté Rav Akiva Wagner, considère avec satisfaction les réalisations de ses enfants et des autres Chlou’him pour améliorer le niveau religieux de leurs communautés. Son mérite y a grandement contribué.

Rav Yits’hak Wagner - COLlive

Traduit par Feiga Lubecki