Samedi, 2 février 2019

  • Michpatim
Editorial

 Mérite de femmes

Certains posent parfois la question : « Et qu’en est-il du sort des femmes dans le judaïsme traditionnel ? Les prescriptions de la loi juive ne les relèguent-elles pas dans un rôle second, ne les limitent-elles pas aux préoccupations domestiques ? » En d’autres termes, la sollicitude des questionneurs fait qu’ils envisagent la femme dans le foyer juif à mi-chemin entre l’incarnation d’une servitude passéiste et l’image d’une souffrance muette au quotidien. Mais voilà que, cette semaine, tombe le 22 Chevat, l’anniversaire du décès de la Rabbanite Haya Mouchka Schneerson, la femme du Rabbi, dont chacun sait aujourd’hui qu’auprès du Rabbi, elle joua constamment un rôle essentiel par sa présence et son exemple. Voilà que cette date est aussi celle du congrès international des Chlou’hot, les déléguées du Rabbi dans tous les pays du monde. Ce congrès se déroule à New York et nous avons, sans aucun doute, besoin de son retentissement.

Voici des femmes, venues par centaines, pour dire leurs expériences et partager leurs résolutions, évoquer peut-être leurs difficultés mais surtout raconter le monde qu’elles construisent jour après jour. Ces femmes sont à la fois des mères de familles, des enseignantes, des directrices d’institution, des animatrices, des amies et des exemples pour tous, des conseillères et des guides pour beaucoup. Ainsi donc, des femmes, porteuses d’immenses responsabilités, se réunissent. C’est bien d’une histoire de femmes qu’il s’agit et, pour cette raison, nous ressentons ici toute sa puissance.

Bien loin de l’imagerie surannée et complaisante évoquée plus haut, bien loin de cette espèce de condescendance dont elle est empreinte, ces femmes ont entrepris littéralement de changer le monde qui les entoure. Elles vivent en France, aux Etats-Unis ou en Israël, au fin fond de l’Asie, en Afrique ou en Scandinavie, en Australie, en Amérique du Sud ou en Alaska mais elles partagent toutes le même rêve : être, très concrètement, les actrices de ce grand changement, être celles par qui les lignes bougent, par qui la société de demain sera meilleure, plus belle et plus harmonieuse que celle d’aujourd’hui. Elles savent le dire et leur vision porte loin. Aussi bien, elles assument totalement les choix qu’elles ont fait et leur présence au congrès, au-delà des échanges que cela permet, est également une manière d’affirmer haut et fort à destination d’un monde qui, peut-être, préfère ne pas l’entendre : « Etre une femme juive est décidément un sort enviable ». Mais il est vrai que le judaïsme le proclame de longue date : « C’est par le mérite de telles femmes que nos ancêtres furent libérés d’Egypte ». C’est aussi par lui que vient la Délivrance messianique.

Etincelles de Machiah

 L’intellect et la foi

Au temps de Machia’h, on pourra saisir intellectuellement, par la compréhension, des choses pour lesquelles on doit aujourd’hui faire appel à la foi.

Celle-ci portera alors sur des degrés beaucoup plus élevés dont on n’a à présent aucune notion, même pas au travers de la foi.

(D’après un commentaire du Rabbi de Chabbat Parachat Chemot 5723)

Vivre avec la Paracha

 Michpatim

A la suite de la révélation sinaïtique, D.ieu instaure une série de lois pour le Peuple juif. Elles incluent les lois concernant le serviteur contractuel, les compensations en cas de meurtre, d’enlèvement etc., les lois civiles pour rembourser les dommages, les prêts et les responsabilités des « quatre gardiens », enfin les lois dirigeant la conduite des cours de justice.

On y lit également les lois interdisant les mauvais traitements à l’égard des étrangers, l’observance des fêtes, les dons agricoles à apporter au Temple de Jérusalem, l’interdiction de cuire ensemble le lait et la viande et la Mitsva de la prière. La Paracha Michpatim comporte en tout 53 mitsvot : 23 commandements positifs et 30 interdictions.

D.ieu promet de conduire le Peuple d’Israël en Terre Sainte et le met en garde contre les pratiques païennes de ses habitants.

Le Peuple d’Israël proclame « Nous ferons et nous entendrons tout ce que D.ieu nous a ordonné ». Laissant Aharon et Hour en charge du camp des Juifs, Moché monte sur le mont Sinaï pour recevoir la Torah de D.ieu et y reste quarante jours et quarante nuits.

La troisième couronne

(Moché) prit le livre de l’alliance et le lut aux oreilles du peuple. Et ils dirent : « Tout ce dont D.ieu a parlé, nous le ferons et nous l’entendrons. » (Chemot 24 :7)

Comme l’atteste ce verset, notre alliance avec D.ieu n’implique pas seulement de « faire » la Volonté divine mais également de l’« entendre », c’est-à-dire de la comprendre, de s’identifier avec elle. En d’autres termes, nous ne servons pas seulement D.ieu avec nos actions mais également avec notre intellect et notre cœur, en étudiant Sa sagesse et en gagnant l’amour et la crainte de Sa vérité.

Et pourtant, comme le soulignent nos Sages, le peuple prononça « nous ferons » avant « nous entendrons ».

Cela signifie que notre observance des commandements divins ne dépend pas de la compréhension que nous en avons. D’abord vient l’engagement inconditionnel d’accomplir les commandements de D.ieu. Ce n’est qu’après cet engagement que nous promettons également d’« entendre » et de comprendre.

Les dons des anges

Un très beau passage du Talmud illustre la manière dont D.ieu apprécia cette déclaration du peuple :

« Au moment où les Enfants d’Israël exprimèrent : ‘nous ferons’ avant ‘nous entendrons’, six cent mille anges vinrent, (un) pour chaque Juif, et ils posèrent deux couronnes sur sa tête : l’une pour ‘nous ferons’ et l’autre pour ‘nous entendrons’ ». (Chabbat 88a)

Un examen plus attentif de la terminologie de ce passage révèle une apparente incohérence. Les premiers mots impliquent que les cadeaux apportés par les anges ne récompensaient pas les mots « nous ferons » et « nous entendrons » eux-mêmes mais plutôt le fait que les Enfants d’Israël aient placé « nous ferons » avant « nous entendrons ».

S’il en est ainsi, pourquoi donc reçurent-ils deux couronnes, l’une pour chaque déclaration.

Les Maîtres de la ‘Hassidout expliquent : donner la priorité à « nous ferons » sur « nous entendrons » ne constitue pas simplement une qualité en soi, signifiant un engagement inconditionnel à la Volonté divine. Cela exerce également un profond impact sur le fait d’ « agir » et celui d’ « entendre », les élevant à un niveau d’accomplissement et de compréhension tout à fait différent.

Quand notre pratique d’une Mitsva repose sur notre compréhension de sa signification, l’acte lui-même se trouve aux prises avec les limites de notre intellect et de notre cœur. Plus encore, chaque Mitsva possède sa propre série de limites et de conditions. Certaines sont plus accessibles à la compréhension, d’autres moins. Certaines nous atteignent émotionnellement plus que d’autres. La Mitsva se trouve donc réduite (pour le moins l’expérience qu’en fait celui qui l’observe) à un acte humain, sujet aux limites et aux fluctuations de la condition humaine.

Mais lorsque nous accordons la priorité à « nous ferons » sur « nous entendrons », c’est comme si nous disions : « Je vais accomplir la Volonté de D.ieu, non dans mes termes mais dans les termes de D.ieu. Je fais cela, non parce que je le comprends, et dans les limites de ma compréhension, mais parce que D.ieu me l’a commandé. »

Notre action se trouve alors élevée. D’un acte humain fini et temporel, elle passe au niveau de l’infini, de l’éternité du Divin.

La même chose s’applique à la compréhension dans notre service de D.ieu. En soi, l’effort humain pour comprendre le Divin reste juste ce qu’il est : un effort humain, délimité dans le champ de l’intellect humain, avec les défaillances particulières de chaque individu. Certains aspects de la Divinité sont plus compréhensibles, d’autres moins. Certaines Mitsvot rendent plus facile notre identification avec elles, alors que pour d’autres, c’est plus difficile.

Le seul moyen de gagner une visibilité sans limites de la Vérité divine est de vivre cette vérité, pleinement et sans équivoque, dans notre vie et dans nos activités quotidiennes. Ce n’est que lorsque l’on place « nous ferons » avant « nous entendrons » que notre compréhension parvient à saisir réellement le Divin.

La couronne de D.ieu

S’il en est ainsi, cependant, les anges auraient dû placer trois couronnes sur chaque membre du peuple. Car l’action et la compréhension sublimées, que nous faisaient gagner les deux couronnes, avait pour source une troisième qualité implicite : notre soumission inconditionnelle à la Volonté divine qui s’exprima par ce choix prioritaire de l’action devant la compréhension.

L’on peut répondre à cette difficulté par la parabole que propose le Midrach (Midrach Rabba, Vayikra 24: 8):

« Un jour, trois concitoyens offrirent à leur roi trois couronnes. Que fit le roi ? Il en prit une et la plaça sur sa propre tête et les deux autres, il les plaça sur la tête de ses enfants. »

Les deux couronnes apportées par les anges à chaque âme juive, l’une pour « nous ferons » et l’autre pour « nous entendrons », représentent la magnificence d’une action faite seulement pour D.ieu et la profondeur de la compréhension acquise par celui qui recherche la sagesse dans le seul but de servir le Divin.

Il existe néanmoins une troisième couronne, une couronne qui est la source et la racine des deux autres, une couronne que n’apportèrent pas les anges : la couronne de notre attachement inconditionnel à D.ieu.

Cette couronne particulière, D.ieu ne la confie à aucun ange, n’en récompense aucune âme. Au lieu de la placer sur la tête de Ses enfants, D.ieu fait quelque chose qui est une encore plus grande manifestation de Sa considération pour eux : D.ieu la porte sur Sa propre tête. « Voici Ma fierté et Ma gloire, dit la couronne de D.ieu. Le fait que Je la porte équivaut au fait que vous la portiez, car c’est ici que vous et Moi formons Un. »

Le Coin de la Halacha

 Qui doit donner la Tsedaka ?

Chacun doit donner la Tsedaka (charité) ; même un pauvre qui ne survit que grâce à la Tsedaka y est astreint et doit en reverser une partie à des causes charitables.

Le tribunal rabbinique peut forcer celui qui doit donner la Tsedaka (ou qui n’en donne pas suffisamment par rapport à ses moyens) à donner la Tsedaka ; si la loi civile le permet, il peut saisir de force les sommes ou les objets à donner à la Tsedaka.

Les collecteurs de Tsedaka n’acceptaient de la part des femmes ou des enfants que des sommes modestes ; cependant, précise le Rabbi, de nos jours on peut accepter de leur part même des sommes importantes.

On donnera au pauvre selon ce qui lui manque : nourriture, vêtement, meubles, vaisselle mais aussi selon les moyens dont on dispose. Celui qui était riche mais devient pauvre, on s’efforcera de « remplir son manque » et de lui fournir les objets qui lui paraissaient indispensables.

On donnera la Tsedaka avec joie, le cœur heureux et le sourire aux lèvres. On parlera doucement au nécessiteux et on lui adressera des paroles gentilles. « Celui qui donne une petite pièce au pauvre mérite six bénédictions ; celui qui lui parle gentiment mérite onze bénédictions » (Guemara Bera’hot 9). Si on donne de mauvais cœur, on risque de perdre le bénéfice de la Mitsva – même si on a donné une somme conséquente : « Que ton cœur ne se plaigne pas quand tu lui donnes car c’est pour cela que l’Éternel ton D.ieu te bénira dans tout ce que tu entreprends et dans toute œuvre de tes mains ». (Devarim – Deutéronome 15 : 10).

(A suivre)

(d’après Hamivtsaïm Kehil’hatam - Rav Shmuel Bistritzky)

Le Recit de la Semaine

 Qui connait qui ?

Rav Biderman, Chalia’h du Rabbi à Vienne (Autriche), raconte :

Lundi 23 Tevet 5779 (31 décembre 2018), je reçus un appel de Rav Zushe Silberstein, un Chalia’h du Rabbi au Canada mais que je ne connais pas personnellement.

« J’ai reçu aujourd’hui une lettre d’une dame qui fait partie de la communauté juive. Elle connaissait un Juif rescapé de la Shoah qui n’avait aucune famille et qui venait de succomber à une grave maladie. Je me suis donc engagé à lui procurer un enterrement juif. Malheureusement, une des infirmières qui s’était occupée de lui prétendait qu’il s’était converti au christianisme et elle insistait pour qu’il soit enterré dans un cimetière communal. Tel que la dame avait connu cet homme, elle était absolument persuadée que ce n’était pas le cas : c’était un Juif fier de son identité.

Cet homme avait deux lointaines cousines, seules habilitées à signer les papiers pour exiger un enterrement juif : l’une habite en France et l’autre en Autriche. J’ignore comment les contacter. Peut-être avez-vous une idée ? L’affaire doit être conclue avant demain soir, dernier délai ».

Rav Zushe conclut : « puisque vous êtes le Chalia’h du Rabbi à Vienne, j’ai pensé que vous pourriez m’aider ».

Bien entendu, je me suis mis immédiatement à la recherche de cette dame, âgée de plus de 80 ans. Je lui ai téléphoné plusieurs fois ce soir-là mais sans succès. Le lendemain matin, j’ai essayé à nouveau puis j’ai décidé de me rendre sur place. Je vous rappelle qu’on était le 1er janvier, jour férié où nombre de gens sont en vacances mais je me devais d’essayer.

J’ai sonné et sonné à sa porte mais aucune réponse. Pendant une heure. Et, dans cet immeuble, pas âme qui vive, qui aurait pu me renseigner. Soudain j’aperçus une femme âgée qui montait péniblement les escaliers. Je lui demandai si elle connaissait Mme Hillman et c’était elle justement ! Étonnée, elle me demanda pourquoi et je lui racontai brièvement toute l’histoire. Elle devint très pâle et se mit à trembler de tout son corps.

« Je ne sais pas pourquoi mais justement ce matin je pensai à ce cousin en me demandant s’il était encore en vie. Puis je suis sortie pour la journée ; je suis revenue parce que j’avais oublié mon parapluie. (Entre parenthèses, ce jour-là pas une goutte de pluie n’est tombée à Vienne…). C’est alors que je vous rencontre et que vous m’expliquez avoir besoin de ma signature pour qu’il soit enterré dans un cimetière juif. »

Une fois qu’elle se fut remise, elle m’accompagna au Beth ‘Habad et, pendant deux heures, nous avons rempli les papiers. Ce n’est qu’une fois qu’elle fut rassurée que tout était en ordre et qu’il n’y aurait plus de problème qu’elle repartit chez elle en me faisant promettre de la tenir au courant. Je ne sais pour quelle raison l’enterrement fut retardé de quelques jours mais elle me téléphona chaque jour. Finalement, elle soupira : « en tous cas, nous avons accompli notre devoir ! »

Je lui fis alors gentiment remarquer qu’elle pouvait encore agir pour l’âme de son cousin : elle pouvait allumer les bougies de Chabbat. « Avec plaisir, dit-elle, mais je ne sais pas trop comment : dois-je les éteindre avant de partir à la synagogue ou les laisser allumées ? »

Vous vous rendez compte ? Cette dame qui ne pratiquait rien du judaïsme jusqu’à présent ressentait maintenant le besoin d’aller à la synagogue ! Bien sûr, je lui ai expliqué la procédure à suivre et nous sommes restés en contact. Son cousin a été enterré à Montréal tout à fait dignement.

Un jour, elle me demanda si j’avais connu son cousin : non ; si le Rav de Montréal l’avait connu : non. Elle réfléchit un instant et résuma la situation : donc ni vous ni le Rav de Montréal ne connaissiez le défunt, vous ne connaissez pas le Rav de Montréal et nous ne nous connaissions pas… Mais du Ciel on nous a fait nous rencontrer pour que cet homme si seul soit enterré comme il convient… ».

En vérité, elle avait oublié quelqu’un : le Rabbi de Loubavitch dont les Chlou’him (émissaires) sont répandus dans le monde entier et sans lequel une histoire pareille n’aurait pas pu se produire !

Rav Biderman - Vienne

Traduit par Feiga Lubecki