Samedi, 12 novembre 2016

  • Le’h Le’ha
Editorial

 Quelques réponses éternelles

Ce nouveau début du cycle hebdomadaire de lecture de la Torah nous donne, une fois de plus, à entendre le commencement des choses : le récit de la création, le déluge et cette étape essentielle que constitue la naissance d’Abraham puis son départ – ordonné par D.ieu – pour le pays de Canaan, la future terre d’Israël. D’une certaine façon, c’est ici que se noue la constitution complexe de l’identité juive.

Ainsi, l’histoire s’ouvre sur l’homme qui, reconnaissant D.ieu, donne au monde un chemin éternel. Et le récit se poursuit sur cette alliance infinie qui relie une foi, un peuple et une terre. Dans un monde qui, de longtemps, a eu coutume de séparer le temporel du spirituel, de n’envisager le rapport avec D.ieu que dans les termes d’une spiritualité aux contours, par nature, difficilement saisissables, et dont l’évolution n’a fait qu’accentuer cette tendance, l’idée paraît profondément perturbante. Un peuple se définirait donc dans sa relation avec le Divin ? Son territoire ne lui serait attribué ni par l’histoire ni même par l’occupation concrète – encore à venir au temps d’Abraham – mais par une révélation et une promesse divines ?

Il faut s’arrêter sur cette idée.  A l’évidence, nous vivons un temps de relativisme généralisé et celui-ci en vient à constituer une sorte de norme culturelle indépassable. Dès lors, des notions comme celles de peuple, de terre, voire de mémoire particulière, résonnent comme suspectes. N’y a-t-il pas là comme des éléments de division entre les hommes ? Et le territoire dont il est question n’est-il pas revendiqué par d’autres, que les méandres de l’histoire y ont conduits au cours des âges ? Et Jérusalem, la ville qui en est le cœur, est-elle bien cette ville sainte unique pour un peuple unique ? C’est à toutes ces questions, si étonnamment contemporaines, que le récit de la Torah répond.

Il nous dit que le peuple juif est décidément bien particulier – c’est la force et l’effet de l’alliance. Il nous dit encore que, de ce fait, la terre promise à Abraham pour être donnée à ses descendants, est, dans toutes ses dimensions, inséparable de l’essence de ce peuple. Il nous dit enfin que ce particularisme – qui n’est rien d’autre que la conscience de ce que l’on est et du rôle que l’on joue parmi tous les hommes – est facteur de compréhension et d’unité de toute l’humanité et non l’inverse.  Car on ne peut vraiment ressentir la grandeur et la nécessité de l’autre que lorsque, en son cœur, on porte les siennes propres. Dans le domaine des idées, certaines ont la fugacité d’un temps qui passe. Celles-ci nous accompagnent toujours sur le chemin des cimes.

Etincelles de Machiah

 Obscurité et lumière

 Le fait que l’on s’approche chaque jour davantage de la venue de Machia’h est aussi la cause du renforcement de l’obscurité dans le monde...

C’est l’accentuation du côté saint qui suscite ce phénomène d’obscurité, opposition à la venue de Machia’h. Il faut donc le combattre spirituellement. C’est le sens des mots de Maïmonide qui, parlant de Machia’h, dit qu’il « mènera les guerres de D.ieu » jusqu’à ce qu’il « remporte la victoire. »

(D’après un commentaire du Rabbi – Roch ‘Hodech Tévèt 5752)

Vivre avec la Paracha

 Lé’h Le’ha

D.ieu s’adresse à Avram lui ordonnant : « Pars de ta terre natale, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père vers la terre que Je te montrerai ». Là, poursuit D.ieu, il deviendra une grande nation. Avram et sa femme Saraï, accompagnés de son neveu Loth, se rendent en terre de Canaan où Avram construit un autel et continue à diffuser le message d’un D.ieu unique.

Une famine force le premier Juif à partir pour l’Egypte, où la belle Saraï est enlevée et conduite au palais du Pharaon. Avram échappe à la mort parce qu’ils se présentent comme frère et sœur. Une plaie empêche le monarque égyptien de la toucher et le convainc de la rendre à Avram, en attribuant au frère, qui s’est révélé être le mari, de l‘or, de l’argent et du bétail.

De retour au pays de Canaan, Loth se sépare d’Avram et s’installe dans la ville impie de Sodome où il est fait captif quand les puissantes armées de Kédorlaomère et ses trois alliés conquièrent les cinq villes de la vallée de Sodome. Avram se met en route avec une petite troupe pour secourir son neveu, vainc les quatre rois et est béni par Malki Tsédèk, le roi de Chalem (Jérusalem).

D.ieu scelle « l’Alliance entre les parties » avec Avram, dans laquelle l’exil et la persécution (Galout) du Peuple d’Israël sont prévus et la Terre Sainte leur est attribuée comme héritage éternel.

Toujours sans enfant, dix ans après leur arrivée dans le pays, Saraï dit à Avram d’épouser sa servante Hagar. Hagar conçoit et en devient insolente avec sa maîtresse puis fuit quand Saraï la traite durement. Un ange la convainc de revenir et lui dit que son fils engendrera une nation peuplée. Ichmaël naît alors qu’Avram est âgé de quatre-vingt-six ans.

Treize ans plus tard, D.ieu change le nom d’Avram en Avraham (« père de multitudes ») et celui de Saraï en Sarah (« princesse ») et promet qu’un fils leur naîtra. De ce fils, qu’ils appelleront Its’hak (« rira »), émergera une grande nation avec laquelle D.ieu établira un lien tout particulier. Avraham reçoit le commandement de se circoncire ainsi que ses descendants, « en signe d’alliance entre Moi et toi ». Avraham obtempère immédiatement, circoncisant sa propre personne et tous les hommes de sa maisonnée.

 

La Paracha de cette semaine relate la façon dont le neveu d’Avraham, Loth, fut capturé par des rois guerriers. Avraham mena une guerre contre eux et secourut Loth. Peu après, il compta les butins de la guerre et en donna un dixième en guise de dîme à Malkitsédèk, le roi de Chalem qui était prêtre du Roi Sublime.

Cependant, nous découvrons que lorsque Maimonide fait la liste des différentes pratiques initiées par les Patriarches, il crédite Its’hak de la Mitsva du prélèvement de la dime plutôt qu’Avraham. Cela pose un problème. Le prélèvement d’Avraham est explicitement rapporté dans la Torah alors que celui d’Its’hak n’est dérivé que par allusion. Il semblerait donc qu’il eût été plus adéquat d’associer cette pratique à Avraham.

La difficulté peut se résoudre en comprenant la raison d’être du prélèvement. La dîme commandée par la Torah implique de séparer un dixième de ses récoltes. Par la suite, nos Sages étendirent l’obligation, incluant dans ce prélèvement tous nos revenus.

Quand un fermier fait pousser une récolte, il a une tendance naturelle à penser que l’abondance est le résultat de son dur labeur. Il laboure, il sème, il surveille ses plantations puis il les récolte et en sépare le grain.

Dans un sens plus large, cela s’applique au défi général de gagner notre subsistance. La plupart d’entre nous travaillons dur pour gagner notre vie. Après avoir dépensé de tels efforts, la tendance naturelle est de penser que ce que nous avons gagné est le fruit de notre peine et nous appartient exclusivement et de plein droit. La Mitsva de la dîme nous fait prendre conscience que « D.ieu (nous) bénit dans tout ce que nous faisons ». Il est sûr que nous devons agir, mais le succès et la bonne fortune viennent par la bénédiction de D.ieu.

Il est vrai qu’Avraham préleva la dîme des butins de la guerre. Mais cette guerre n’avait été emportée que par une intervention divine miraculeuse. Cela n’était donc pas adéquat pour nous rappeler que l’argent que nous gagnons par nos propres efforts a ses racines dans les bénédictions divines. Nous ne pouvons, en aucune façon, considérer qu’il donna ce qui lui appartenait car tout lui avait été accordé d’En Haut.

Its’hak, quant à lui, donna la dîme des produits pour lesquels il avait travaillé dur, en les plantant et en les récoltant. Après s’être acquitté de tout ce qui était nécessaire pour les faire pousser, il les récolta et en préleva un dixième pour la charité. Cela donne une leçon à ses descendants. Même lorsque nous sommes impliqués dans le défi quotidien de gagner notre vie, nous devons prendre conscience que ce sont les bénédictions divines qui garantissent notre succès. En conséquence, nous devons imiter Sa générosité en partageant nos biens avec les autres et en pourvoyant à leurs besoins.

Perspectives

Nos Sages déclarent : « La charité est grande en ce qu’elle rapproche la Rédemption ». Pourquoi est-elle un catalyseur plus important que les autres mitsvot ?

D.ieu désira que l’homme soit « Son partenaire » dans l’acte créateur, en faisant jaillir une dimension spirituelle dans toutes les activités matérielles. Quand une personne s’investit dans une activité physique, mais le fait pour un but suprême, elle fait surgir l’étincelle divine intérieure que D.ieu a implantée dans ces entités matérielles, comme si elle les libérait de leur environnement concret.

Et tout particulièrement, lorsqu’une personne donne de la charité à partir de l’argent qu’elle a gagné, ou de l’argent avec lequel elle peut tirer une satisfaction matérielle, elle permet à l’intention divine, impliquée dans cet argent, de faire surface.

Et plus ce processus de rédemption avance dans le microcosme, plus il englobe d’entités et plus vite le monde comme macrocosme devient prêt à la Rédemption finale, avec la venue de Machia’h.

Le Coin de la Halacha

 Quelques lois et coutumes liées à la Brit Mila (circoncision)

- Le père a l’obligation de circoncire son fils à l’âge de huit jours. S’il ne sait pas comment procéder, il nomme un Mohel compétent comme son Chalia’h (émissaire).

- On ne retarde pas la circoncision si l’enfant est en bonne santé.

- La circoncision s’effectue le jour et non la nuit. Si possible, on y procédera tôt le matin car « ceux qui aiment les Mitsvot s’empressent de les accomplir ». Cependant, s’il n’est pas possible de réunir la famille et les invités très tôt, on pourra procéder à la Brit Mila tant qu’il fait jour.

- Un garçon qui nait de façon naturelle (et non par césarienne) un Chabbat sera circoncis le Chabbat suivant ; on aura soin de préparer tout ce qui est nécessaire (instruments, pansements…) avant Chabbat.

- Si un jumeau est plus faible que l’autre, on procédera d’abord à la Brit Mila de celui qui est en bonne santé et, éventuellement quelques jours plus tard, de celui qui était plus faible.

- Le père de l’enfant est appelé à la Torah le Chabbat précédant la circoncision.

- La nuit précédant la Brit Mila, on a coutume d’amener auprès du bébé des enfants qui réciteront le Chema Israël et d’autres versets pour augmenter la protection. La coutume est qu’on reste éveillé cette nuit-là pour étudier certains passages du Zohar.

- Tout Juif qui n’a pas été circoncis au huitième jour a le devoir de se faire circoncire à sa majorité et de ne pas retarder l’accomplissement de cette Mitsvah.

(A suivre)

  1. (d’après Chéva’h Habrit - Rav Shmuel Hurwitz)
Le Recit de la Semaine

 Les souvenirs du violoniste

Mazal Tov l

De tous les coins de la grande salle louée pour l’occasion, fusèrent les souhaits de Mazal Tov quand on procéda à une Brit Mila (circoncision) le 24 Elloul 5768 (2008) dans la ville d’Omsk, en Sibérie. C’est que ce genre de cérémonie n’y était vraiment pas habituel et tous les participants étaient particulièrement émus d’accueillir dans la communauté juive le bébé âgé de huit jours.

Cette ville située dans la lointaine Sibérie n’avait d’ailleurs jamais abrité de manifestation juive authentique pendant des années. Il n’y avait que depuis quinze ans que la communauté commençait lentement à s’organiser : des dizaines d’années de domination communiste avaient presqu’entièrement décimé toute vie juive, surtout dans ces petites villes éloignées des grands centres où subsistaient encore quelques braises…

C’était Rabbi Yossef Its’hak Schneerson de Loubavitch qui avait combattu pour maintenir le judaïsme vivant malgré l’opposition, malgré les dangers encourus, malgré les sentences d’exil et de travaux forcés dans les terribles camps du Goulag. Il avait veillé à ce que des écoles juives fonctionnent dans la plus parfaite clandestinité, à ce que des Cho’hatim (abatteurs rituels) continuent de procurer de la viande cachère à ceux qui le souhaitaient, à ce que des Mohalim accomplissent le rite sacré de la circoncision, à ce que des Mikvaot (bains rituels) soient disponibles pour garantir la pureté de la génération suivante. De nombreux ‘Hassidim avaient payé même de leur vie ce dévouement et le Rabbi lui-même avait été emprisonné, condamné à mort puis miraculeusement libéré le 12 et 13 Tamouz 1927.

Après la chute du Rideau de Fer et l’effondrement du système soviétique au début des années 90, d’autres défis étaient apparus : il fallait maintenant envoyer des émissaires dans de nombreuses villes afin d’établir un réseau d’écoles, de synagogues et autres infrastructures nécessaires à la vie juive. C’est ainsi que, sous la formidable impulsion de Rav Berel Lazar, Grand-Rabbin de Russie, Rav Osher Krichevsky et son épouse s’installèrent à Omsk pour régénérer la synagogue, fonder un jardin d’enfants puis une école. De plus en plus de familles se joignirent avec enthousiasme à leurs projets en redécouvrant leurs racines et en apprenant davantage la Torah.

En célébrant la Brit Mila de son fils nouveau-né à Omsk, Rav Krichevsky fêtait la victoire du judaïsme. Il passait parmi les nombreux convives, leur versait de petits verres de vodka et chacun lui souhaitait Mazal Tov du plus profond de son cœur. Le célèbre violoniste Genady ‘Habansky jouait des mélodies joyeuses et entraînantes.

Soudain, un des convives demanda le silence et s’écria :

- S’il vous plaît ! (C’était Rav Dan Krichevsky, le frère du Rav, lui-même Chalia’h dans la ville d’Oufa, à l’ouest des monts Oural). Monsieur le violoniste, pouvez-vous jouer l’air de « A Yiddish Mammé » (« Une mère juive ») en l’honneur de notre mère ?

Le violoniste hocha la tête et se prépara mais Rav Krichevsky lui demanda d’attendre un instant et s’adressa à l’assemblée :

- Notre maman, Myriam, n’est pas présente ici physiquement dans ce monde mais très certainement son âme se réjouit avec nous. Malheureusement, nous avons perdu notre Maman il y a vingt ans à la suite d’une douloureuse maladie. Mais, dans notre for intérieur, nous sommes certains que, de là où elle se trouve, elle regarde avec fierté et amour ce qui nous arrive et elle nous protège, nous et ce nouveau bébé. Elle est contente de nous et de ses onze enfants qui suivent la voie qu’elle leur a tracée, la voie de son père et de son grand-père et de toutes les générations de Juifs avant elle, la voie de la Torah.

Rav Krichevsky continua et raconta encore un peu la vie de sa mère, comment elle avait élevé une grande famille malgré les difficultés et comment elle s’était dévouée pour ouvrir sa porte à toutes sortes d’invités, en particulier les nouveaux immigrants qui avaient réussi à fuir l’Union Soviétique et à s’installer en Israël.

Myriam Krichevsky était née à Bakou, raconta-t-il, dans une famille ‘hassidique. La vie n’avait pas été facile à l’ombre du gouvernement communiste. Cependant, elle avait bénéficié d’une éducation musicale car elle était douée dans ce domaine. Elle avait même été admise au Conservatoire de la ville de Novossibirsk. Elle savait apprécier la bonne musique et c’est pour cela, continua Rav Krichevsky, que je vous demande, cher Monsieur Genady de jouer cette mélodie si poignante « A Yiddish Mammé ».

Nombre de convives essuyèrent discrètement une larme en entendant Rav Krichevsky parler avec tant d’estime et de respect de sa mère et souligner ses extraordinaires qualités.

Dans les pays slaves, on sait apprécier la musique plus qu’ailleurs sans doute et un silence religieux régna tandis que M. Genady se mit à jouer de tout son cœur la mélodie bien connue : « Quelle lumière et quelle beauté illuminent la maison quand s’y trouve la Maman ! Et comme la maison devient triste et obscure quand le bon D.ieu l’emmène dans le Monde Futur… ».

Soudain, la musique s’arrêta. M. Genady posa son violon. Il était devenu tout pâle, ses lèvres tremblaient et, se tournant vers les frères Krichevsky, il murmura, tandis que toute l’assistance se taisait :

- Moi aussi, j’ai étudié la musique au Conservatoire de Novossibirsk ! Il n’y avait que trois Juifs dans cette promotion, deux autres jeunes filles juives étudiaient avec moi. L’une des deux est devenue mon épouse. Tous trois, nous ressentions une proximité naturelle, nous avions un secret commun, une identité commune. Tous trois nous appartenions au peuple juif, si opprimé mais nous en étions très fiers, intérieurement bien sûr ; et grâce au soutien que nous nous apportions les uns aux autres, nous avons réussi à préserver notre identité et à ne pas nous assimiler, malgré les pressions de tous ordres.

La voix de M. Genady était de plus en plus étranglée :

- Dites-moi, votre mère ne s’appelait-elle pas Mira, Mira Acherovna ?

Dans la grande salle pourtant si remplie d’invités, on aurait pu entendre une mouche voler. Le hochement de tête des deux frères Krichevsky suffit à M. Genady : oui, c’était bien ainsi qu’on appelait Myriam Krichevsky dans sa jeunesse, Myriam fille d’Osher !

Très ému, Genady reprit son violon d’un mouvement décidé, brandit son archet et reprit le chant, tout en essuyant ses larmes.

La providence Divine avait fait se rencontrer les enfants de Myriam et le Juif qui avait étudié avec elle au Conservatoire. Toute la communauté d’Omsk avait été très émue de cette rencontre qui s’était déroulée sous leurs yeux et Genady lui-même y vit un message venu du Ciel. Peu de temps après, il se mit à fréquenter assidument la synagogue, recherchant l’aide de Rav Krichevsky, le fils de son amie Mira, qui l’aida à retourner dans le chemin du judaïsme.

A l’âge de huit jours, le bébé de Rav Krichevsky était déjà devenu Chalia’h, émissaire du Rabbi pour réchauffer le cœur des Juifs – même en Sibérie…

Lévi Shaikevitz – Si’hat Hachavoua N° 1541

Traduit par Feiga Lubecki