Samedi, 20 octobre 2018

  • Le’h Le’ha
Editorial

 Le grand départ

A toute histoire, il faut un commencement et, plus l’histoire est grande, plus le commencement est grand. Alors que le cycle de l’année vient à peine de recommencer et que, au rythme des lectures hebdomadaires de la Torah, celle-ci fait défiler les siècles sous nos yeux, nous ramenant en ces temps de tous les balbutiements où l’homme avance à tâtons vers plus de clairvoyance, voici qu’Abraham, premier de nos ancêtres, entreprend son grand voyage. Il répond ainsi à l’appel de D.ieu : « Va… »

Cet éditorial n’a pas pour sujet habituel le commentaire de la Paracha de la semaine, d’autres rubriques le font avec bien plus de légitimité. Cependant, dans cet instant littéralement dramatique où Abraham quitte tout ce qu’il a connu jusque-là, y compris les aspects positifs de ses années de jeunesse, il y a un épisode créateur d’Histoire. Et c’est de la nôtre qu’il s’agit. Pour traverser les siècles, tout peuple a besoin d’avoir une origine consciente et un objectif défini. Savoir d’où l’on vient et vers quoi on se dirige donne ainsi la force nécessaire à assurer sa pérennité. Ici, c’est d’abord d’une longue aventure spirituelle qu’il est question. En cette époque reculée où croire dans la supposée divinité des idoles est un sentiment commun, qu’un homme seul décide d’ouvrir un autre chemin est une révolution. De fait, celle-ci ne fera que s’étendre et transformera le monde.

Le raconter ici n’est pas simplement se souvenir d’un geste glorieux ou de la noblesse d’un passé. Cela remet la vie de chacun en perspective. Nous vivons dans un monde souvent orgueilleux. Fier de ses prouesses technologiques, il oublie de rechercher le sens, le « pourquoi », se contentant de répondre à la question plus facile du « comment ». Le peuple juif, héritier d’Abraham, ne peut se satisfaire d’une telle absence de vision ; peut-être est-ce aussi pour cela que beaucoup peinent à le comprendre. Depuis Abraham, il trace de nouvelles voies d’espérance et sait regarder au-delà de l’horizon immédiat.

La nouvelle année juive vient de commencer et le chemin continue. Cette révolution ancienne et nouvelle est toujours en marche. En paix, soyons-en les porteurs. Pour, plus qu’une année, une vie plus belle.

Etincelles de Machiah

 Quand le Chabbat viendra

A propos du verset (Exode 20 : 8) « Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier », Rachi écrit : « Souviens-toi du jour du Chabbat constamment de telle sorte que, si tu trouves quelque chose de spécial (pendant la semaine), mets-le de côté pour Chabbat ».

Il en est de même pour la Délivrance future. Même si nous sommes encore en exil, nous devons toujours garder en tête la venue de la Délivrance et nous y préparer car (Talmud, traité Tamid) « ce jour sera entièrement Chabbat et repos pour l’éternité ».

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, 11 Sivan 5744)

Vivre avec la Paracha

 Confiance et respect

Certains ouvrages contemporains attirent l’attention sur la dégradation des relations humaines et appellent à une « révolution en faveur de la pudeur ».

La Torah a toujours développé ce message de façon très claire. Dans le Livre de Beréchit, nos héroïnes bibliques sont puissantes, de façon pudique et discrète. Leurs époux sont respectueux et protecteurs. Les femmes sont chéries et honorées.

Et c’est ainsi qu’a perduré la tradition juive qui remonte aux jours de nos Patriarches et de nos Matriarches.

Un récit de notre Paracha vient nous apporter un lumineux éclairage à ce propos.

Lorsque l’on jette un regard attentif sur leur relation, nous observons qu’Avraham et Sarah, respectivement âgés de soixante-quinze et soixante-cinq ans, voyagent vers le sud, vers l’Egypte. Pendant leur voyage, Avraham dit à Sarah combien elle est belle et exprime l’inquiétude que sa beauté risque d’inciter les Egyptiens à le tuer, lui-même, pour la mettre dans le harem du roi.

Avraham fait à son épouse les suggestions suivantes : « S’il te plaît, dis que tu es ma sœur, pour que tout aille bien pour moi, grâce à toi et que mon âme puisse vivre, grâce à toi » (Beréchit 12 :13).

Le plan d’Avraham le rayerait, en effet, de la liste noire du Pharaon, tout en rendant Sarah accessible à des abus hédonistes ! Ce qui va encore plus loin est qu’Avraham mentionne qu’en effet, il lui serait bénéfique que Sarah soit enlevée : « pour que tout aille bien pour moi, grâce à toi » !

Les commentateurs bibliques expliquent que si Avraham était pris pour son frère, il s’attendait à recevoir un hommage sous forme de cadeaux d’argent et de bétail.

S’agit-il ici réellement d’Avraham, le premier époux juif et le prototype de la bienséance ? S’agit-il de l’homme dont la générosité altruiste l’avait fait mettre quatre portes à sa tente, la rendant ouverte aux voyageurs qui venaient de toutes directions ?

Il y a environ deux mille ans, l‘auteur du Zohar posait la même question (question qui a d’ailleurs interpelé pratiquement tous les commentateurs de la Torah) :

Rabbi Eliézer a demandé : Avraham, qui craignait D.ieu et qui était aimé de D.ieu, aurait-il pu prononcer ces paroles dans son propre intérêt ?

Rabbi Eliézer a expliqué : Bien qu’Avraham craigne D.ieu, il ne faisait pas confiance en son propre mérite. Il ne demanda pas à D.ieu de sauver (Sarah) par son mérite à lui, mais par le sien (à elle). Il savait (aussi) que c’était par son mérite à elle qu’il accumulerait de la richesse provenant des autres nations, puisqu’un homme acquiert de l’argent par le mérite de sa femme… Il s’appuyait sur son mérite pour ne pas être atteint et pour qu’elle ne soit pas touchée et c’est pour cela qu’il n’eut pas peur de dire : « Elle est ma sœur ».

Selon le Zohar, le raisonnement d’Avraham suivait deux directions :

  1. Avraham ne pensait pas qu’il puisse mériter d’être sauvé de la mort mais il avait une confiance absolue en ce que D.ieu ne laisserait jamais qui que ce soit abuser de sa sainte épouse. Aucun danger ne la menaçait.
  2. Avraham connaissait également la Loi Divine selon laquelle les profits de l’homme lui sont acquis par le mérite de sa femme.

Et c’est en effet ce qui se produisit. Sarah fut prise. Mais quelques heures plus tard, elle était libérée, intacte. Et le Pharaon donna à Avraham une profusion de richesses.

Alors que la convenance demande que l’homme soit courtois et défende l’honneur et la sécurité de sa femme, il est des situations où il lui est recommandé de prendre du recul et d’avoir confiance en ce qu’elle est capable de se protéger elle-même. En fait, elle peut même obtenir davantage de bienfaits que s’il s’était impliqué. Dans son célèbre poème : Une Femme de Valeur (Echèt ‘Hayil), le Roi Salomon décrit la stratégie d’Avraham : « Le cœur de son mari lui fait confiance, il ne manque aucun profit ».

Le Zohar compare l’union d’Avraham et Sarah à celle de l’âme et du corps. Cela nous permet un parallèle extraordinaire entre l’histoire du voyage d’Avraham et Sarah en Egypte et notre voyage dans la vie.

L’âme descend sur terre et s’associe à un corps. Elle cherche à le protéger de tout mal. Mais le corps a une mission à accomplir, mission plus dangereuse que celle de l’âme. En tant que sujet physique, le corps est mieux équipé pour cultiver le monde matériel. Son travail consiste à labourer, planter, acheter, cuisiner, tout en apportant à ce monde matériel la conscience de D.ieu.

Il se peut que l’âme veuille instinctivement protéger le corps du matérialisme le plus trivial mais elle est obligée de le laisser faire. Les profits obtenus par le travail du corps apportent également à l’âme un bénéfice considérable.

Avraham, l’époux parfait, et Sarah, la quintessence de la femme juive sont l’exemple d’un couple modèle.

La femme est souvent fortement impliquée dans des poursuites matérielles. Tout comme le corps, elle construit, crée, organise, établit des stratégies et se plonge dans le matériel et le physique. Tout comme Sarah, elle peut paraître conduite de force dans le palais du Pharaon où le matérialisme règne et où est adoré ce qui a une belle apparence.

Mais un homme perspicace sait que sa femme est en sécurité. Les femmes ont un don : l’aptitude à voir la matérialité comme un moyen pour parvenir à une fin plus grande, une fin Divine. C’est avec cet objectif qu’elles font surgir la conscience du Créateur dans chaque aspect de l’existence.

Le Coin de la Halacha

 Quelques lois et coutumes liées à la Brit Mila (circoncision)

- Le père a l’obligation de circoncire son fils à l’âge de huit jours. S’il ne sait pas comment procéder, il nomme un Mohel compétent comme son Chalia’h (émissaire).

- On ne retarde pas la circoncision si l’enfant est en bonne santé.

- La circoncision s’effectue le jour et non la nuit. Si possible, on y procédera tôt le matin car « ceux qui aiment les Mitsvot s’empressent de les accomplir ». Cependant, s’il n’est pas possible de réunir la famille et les invités très tôt, on pourra procéder à la Brit Mila tant qu’il fait jour.

- Un garçon qui naît un Chabbat de façon naturelle (et non par césarienne) sera circoncis le Chabbat suivant ; on aura soin de préparer tout ce qui est nécessaire (instruments, pansements…) avant Chabbat.

- Si un jumeau est plus faible que l’autre, on procédera d’abord à la Brit Mila de celui qui est en bonne santé et, éventuellement quelques jours plus tard, de celui qui était trop faible.

- Le père de l’enfant est appelé à la Torah le Chabbat précédant la circoncision.

- La nuit précédant la Brit Mila, on a la coutume d’amener auprès du bébé des enfants qui réciteront le Chema Israël et d’autres versets pour augmenter la protection. La coutume est qu’on reste éveillé cette nuit-là pour étudier certains passages du Zohar.

- Tout Juif qui n’a pas été circoncis au huitième jour a le devoir de se faire circoncire à sa majorité et de ne pas retarder l’accomplissement de cette Mitsva.     (A suivre)

F.L. (d’après Chéva’h Habrit – Rav Shmuel Hurwitz)

Le Recit de la Semaine

 Deux frères

- Tu as quel âge, Dima ? lui demandai-je.

- Dans deux mois, il aura treize ans ! répondit sa mère.

- Treize ans ? Donc bientôt Bar Mitsva…

Quelques jours plus tard, nous avons reçu un coup de téléphone de la mère : ils voudraient bien fêter la Bar Mitsva mais ne savent pas exactement de quoi il s’agit… Dima est un enfant charmant, issu d’une bonne famille russe, aimante et qui vient de découvrir son appartenance au judaïsme lors du repas de Pourim de l’année dernière où ils avaient accompagné le grand-père.

- Maman, cela signifie que nous aussi, nous sommes juifs ? avait déduit Dima innocemment.

Et de cette déduction avait commencé un changement fondamental pour toute la famille. « Oui Dima, si je suis juive, vous l’êtes aussi ! » avait conclu la mère.

Ils demandèrent à acquérir les meilleures Téfilines et, en attendant, nous avons prévu de nous rencontrer plusieurs fois pour des cours à vitesse TGV en vue du grand jour. Par quoi commencer ? D.ieu, la Torah, les commandements, Avraham Its’hak et Yaacov… Nous avons appris comment mettre les Téfilines, à réciter le Chema (c’est quoi exactement ?), les boîtiers, les lanières… Il s’avère que Dima est « un puits soudé qui ne perd pas une goutte » : il comprend et retient tout, comme une terre asséchée depuis des années qui boit avec avidité tout ce qui lui a tant manqué.

La fête s’est déroulée exactement comme il convient. Les invités se sont rassemblés dans notre salon, Dima a été appelé à la Torah, ses parents lui ont cérémonieusement tendu les Téfilines et, devant tous les amis, il les a mis avec une facilité déconcertante tout en récitant en hébreu la bénédiction et le Chema… De notre côté, nous étions très émus : deux mois auparavant, cet enfant ne connaissait absolument rien du judaïsme et, aujourd’hui, il en était si fier !

Nous avions vérifié dans le calendrier perpétuel : il était né le 14 Iyar, le jour de Pessa’h Chéni, le jour désigné comme celui où « rien n’est jamais perdu », où « il n’est jamais trop tard »… Comme cette date est symbolique ! Mais il n’avait pas perdu de temps, avait pratiquement rattrapé son retard et avait sauté dans le train qui l’emmenait dans son long voyage vers un judaïsme intégral, vécu dans la joie.

Par « hasard » ou plutôt par l’effet de la Providence Divine, mes parents étaient eux aussi arrivés d’Israël pour cette Bar Mitsva. Mon père s’adressa (en russe, sa langue natale) au jeune garçon : « Moi, je suis né en Russie soviétique. Je suis passé par le même chemin que toi : l’école laïque, le lycée, l’université, le diplôme d’architecte, le travail… Quand je suis monté en Israël, j’ai servi dans l’armée et j’ai participé à toutes les guerres en tant que conducteur de tank. Mais, alors que j’ai fêté ma Bar Mitsva depuis plus de cinquante ans, il ne s’est pas passé un jour de semaine sans que je ne mette les Téfilines. En tant qu’étudiants, nous étions obligés de participer à des colonies d’entraînement trois mois par an, je me levais tôt le matin, je courrais vers les champs de coton tout proches et, en cachette, je mettais les Téfilines ! Dima ! s’écria-t-il avec émotion, c’est possible ! Prend aujourd’hui la ferme décision – devant toute cette assemblée – de procéder à cet acte sacré tous les jours de ta vie ! ».

Et Dima s’engagea. Depuis, il ne s’est pas passé un jour de semaine sans qu’il ne mette les Téfilines. Quelques mois plus tard, alors qu’il participait pendant vingt jours à un tournoi de Taekwondo, il les emporta avec lui : « Comme votre père l’a fait en tant qu’étudiant ! » ajouta-t-il sur le ton de l’évidence. Sa mère confirma que, bien qu’ils aient été dix enfants par chambre dans cette colonie, il avait réussi à trouver un coin tranquille pour y mettre chaque jour les Téfilines…

* * *

Depuis, nous avons réussi à apprendre énormément. Il n’a plus besoin de se cacher pour mettre les Téfilines, il les a mis dans des trains bondés devant tous les voyageurs. Mais il restait une chose pour laquelle il n’était pas prêt : la Brit Mila.

La semaine dernière, il est revenu d’un séminaire de dix jours à Moscou, de la Yechiva où il a étudié comme n’importe lequel de ses camarades qui étaient passés par les mêmes étapes que lui. Il est maintenant convaincu d’avoir trouvé la Vérité et qu’elle lui appartient entièrement. Tous les doutes qu’il avait accumulés au cours de cette année ont été dissipés. Déjà à la Yechiva, il avait résolu de se faire circoncire mais, à la demande de sa mère, il avait encore attendu de façon à pouvoir y procéder en même temps que son petit frère.

Quand les parents donnent un prénom à un enfant, il s’agit véritablement de prophétie, nous disent les Sages. Dima avait beaucoup lu durant cette année et avait été impressionné par le prophète Daniel : celui-ci, contrairement à d’autres prophètes, n’avait pas passé son enfance dans les ruelles de Jérusalem. Enfant, il avait été exilé par Nevou’hadnetzar (Nabuchodonosor) à cause de son appartenance à la famille royale et de ses dons extraordinaires. Prisonnier dans le palais royal avec ses camarades, ‘Hanania, Michaël et Azaria, ils étaient déterminés à poursuivre leurs traditions, ne mangeaient que des fruits et légumes, priaient trois fois par jour… Mais quand le roi s’aperçut que son projet d’en faire de bons Babyloniens échouait, il fit jeter Daniel dans la fosse aux lions ! Pourtant même là, il continua à prier et, miraculeusement, en ressortit vivant !

Pour Dima, c’est la preuve que, même dans un environnement où il est le seul Juif, il peut résister et se conduire comme il convient.

Hier, sur la table d’opération, il a tremblé. Vraiment. Il avait peur mais il savait qu’il devait s’engager. Il m’a demandé de le tenir fermement afin de ne pas bouger, instinctivement. Et moi, il me revenait en tête le passage où Its’hak notre père (Isaac) demandait à son père Avraham de le ligoter fermement sur l’autel afin qu’il ne bouge pas, sinon il rendrait le sacrifice impropre… Oui une Akeda version 5772, 2012…

Et ensuite… Daniel qui vient de subir la circoncision prend maintenant la place du Sandak et c’est lui qui tient fermement son frère Thomas, âgé de deux ans et demi qui va lui aussi être circoncis le même jour ! En attendant que l’anesthésie fasse son effet, l’enfant pleure. On le cajole et on pleure avec lui mais tous deux sont fermes dans leur décision. Et la maman, en bonne mère juive, les encourage et cache ses larmes. Après tout, elle aussi, ne connaissait rien de tout cela il y a à peine un an mais elle tient à ce que ses deux garçons entrent dans l’alliance d’Avraham notre père. Elle donna à Thomas le nom de Chmouel, sans trop savoir pourquoi… « Pour cet enfant j’ai prié » avait dit la prophétesse ‘Hanna après avoir enfin mis au monde cet enfant Chmouel. Ici aussi, à Tioumen, une femme juive a offert ses deux fils sur l’autel de la circoncision…

Daniel et Chmouel, ces deux jeunes enfants, deviendront grands ! Comme ils sont entrés dans l’alliance, qu’ainsi ils entrent dans l’étude de la Torah, qu’ils entrent sous le dais nuptial et qu’ils accomplissent de bonnes actions !

Maintenant Chmouel fréquente joyeusement notre jardin d’enfants et Daniel étudie avec assiduité à la Yechiva !

Rav Yerachmiel Gorelik – Chatz Lelo Minyane

Traduit par Feiga Lubecki