Semaine 6

  • Bechala’h
Editorial
Avec la force de la lumière

Une de fois de plus, sur notre terre, les forces de l’obscurité semblent redoubler de puissance. Une fois de plus, le peuple juif se sent, selon le mot de nos Sages, comme «un agneau au milieu de soixante-dix loups». Cette fois-ci, c’est le plus beau des systèmes – fait pour permettre à chacun, d’exprimer librement son opinion et de dire ainsi où sont ses plus sincères aspirations – qui a engendré un monstre : des élections ont conduit à l’émergence publique d’un totalitarisme conquérant. Les outils de la civilisation ont ouvert la voie aux tenants d’une barbarie agressive, comme un permis de port d’arme délivré sans scrupule à des assassins d’enfants.
Analyses et commentaires s’évertuent déjà à trouver des explications, et peut-être des responsabilités. Ils peinent à imaginer les conséquences de ces événements et mettent parfois en route les grandes machines de la banalisation comme s’il y avait urgence à ne pas troubler le sommeil de nos sociétés. Pour sa part, le peuple juif a une autre manière de considérer les choses. Peut-il, du reste, en être autrement tant il a une longue mémoire et une vision aiguisée par les expériences de l’histoire ? Peut-il en être autrement quand cette vision trouve sa source et sa force dans une Sagesse éternelle ? Car, il faut se garder de l’oublier, si être conscient de l’obscurité est indispensable, son existence même est la preuve que la lumière est présente.
De fait, le concept d’obscurité n’a pas de réalité objective ; celle-ci n’est jamais qu’une absence, une dissimulation. Elle a le pouvoir, pour un moment, de masquer la lumière, jamais celui de l’éteindre. Dans un tel contexte, notre préoccupation doit donc être de déchirer le voile, de faire apparaître enfin le monde tel qu’il doit être. Et, pour cela, nous possédons une arme d’une puissance incomparable. Certes, la vie obéit à des lois matérielles et la résistance à l’obscurantisme fanatique doit aussi en adopter les formes. Toutefois, il existe une ressource éternelle que, de tous temps, nous avons su utiliser en temps de paix ou en temps de détresse : l’étude de la Torah.
Est-ce vraiment étonnant ? Comme la Sagesse est l’antidote de la folie ou la paix, celui de la guerre, la Torah est l’antidote de l’assourdissement du cœur et de l’esprit. Son étude est bien plus que l’acquisition d’une connaissance nouvelle, elle est lien avec la Divinité et cela ne laisse rien ni personne inchangé. Aussi naturelle et grande qu’un lever de soleil, elle est une victoire : celle du Bien sur le mal.
Etincelles de Machiah
Le pouvoir de l’étude

Le Zohar enseigne (Zohar ‘Hadach, Béréchit 8d) que le fait de ne pas étudier la Torah et de perdre ainsi le temps précieux qu’on aurait pu y consacrer entraîne que « se reculent le temps de Machia’h dans cet exil ». C’est donc par le rejet d’une telle attitude que l’on peut obtenir l’inverse. Ainsi, par l’étude de la Torah, tant sa partie révélée que sa partie profonde, on hâte la venue de Machia’h.
(d’après une lettre du Rabbi de Loubavitch, Likoutei Si’hot, vol. XII, p.237)
Vivre avec la Paracha
Bechala’h : L’âme amphibienne

Et les Enfants d’Israël marchèrent sur la terre sèche à l’intérieur de la mer (Chemot 14 : 29)

Tout ce qui existe sur la terre a sa contrepartie dans la mer (Talmud ‘Houlin 127a)

La terre et la mer se ressemblent et pourtant ce sont des mondes complètement différents. Toutes deux constituent des environnements qui permettent la vie, donnant subsistance et protection à des myriades de créatures. Toutes deux sont des écosystèmes complexes avec une grande variété de minéraux, de végétaux et d’animaux qui forment une chaîne de vie à niveaux multiples. Mais malgré leurs similitudes, la mer et la terre présentent également des différences dans de nombreux domaines et tout particulièrement dans les relations des créatures qui les peuplent avec leur environnement.
Nos Sages ont dit que «l’homme est un univers en miniature», un microcosme de toute l’existence créée. L’être humain inclut donc ces deux mondes, la vie humaine présente à la fois un aspect terrestre et un aspect aquatique.

Le secret des profondeurs
Les créatures terrestres se rencontrent sur la terre. Certaines espèces s’enterrent une partie du jour ou de l’année et il existe même sept espèces qui ne viennent que rarement, voire jamais, à la surface de la terre. Mais d’une manière générale, les créatures terrestres vivent sur la surface de la terre. Mais rien ne les empêche d’en quitter le contact direct pour de longues périodes.
Il n’en est pas de même pour les créatures aquatiques : elles vivent immergées dans leur environnement. Et pour la plupart des animaux marins, cette immersion est une question de vie ou de mort : un poisson hors de l’eau n’est pas seulement une créature en dehors de son élément mais une créature qui ne peut survivre plus qu’un bref moment.
Bien sûr, les créatures terrestres ne sont pas moins dépendantes de la terre que leurs sœurs aquatiques de l’eau : sans la terre et ses ressources, un animal terrestre ne pourrait survivre. La différence réside dans la façon dont cette vérité apparaît chaque jour, chaque heure et chaque seconde de leur existence. Pour la créature aquatique, cette dépendance est constante et évidente. L’animal marin ne peut se séparer de l’environnement qui le contient ; sa vie et sa source de vie sont inexorablement liées. Par contre, la créature terrestre peut recevoir sa nourriture de la terre et puis l’oublier et même le nier. On peut même concevoir une telle créature vivant sa vie entière sans reconnaître ou démontrer, de quelque manière que ce soit, d’où vient sa subsistance.
C’est là le sens des personnalités «terre» et «mer» dans l’homme. Une partie de son être est déconnectée de sa raison d’être et de sa source : un moi «terrestre» oublieux du fait que son âme est «une étincelle de D.ieu en Haut», qu’à chaque seconde le don de la vie lui est renouvelé par son Créateur, que son existence n’a de sens que dans le contexte de son rôle dans l’intention divine. Un moi «terrestre» définit son existence dans les termes étroits de l’ego et de ses aspirations et désirs individuels.
Mais l’homme possède également une personnalité «aquatique», un moi spirituel qui transcende l’ego et l’individualité pour faire correspondre chaque pensée et chaque action au but ultime pour lequel il a été créé. Quand cet aspect de sa personnalité est manifeste, rien dans la personne n’est distinct de son attachement à sa source : comme un poisson dans l’eau, chaque moment de sa vie vient attester son indépendance absolue et sa dévotion à la source de sa nourriture et de sa vie.
Les Maîtres de la Cabale nous disent que certains Tsadikim (individus justes parfaits) passent leur vie entière comme des «poissons de la mer» entièrement immergés dans une conscience perpétuelle de la réalité divine. Moché, dont le nom exprime la nature aquatique de l’ âme, («Et elle l’appela Moché et dit : «parce que je l’ai tiré de l’eau».), était un tel individu. C’est ainsi que la Torah atteste : «Moché était l’homme le plus humble sur la surface de la terre». Il est sûr que Moché était conscient de sa propre grandeur ; il est certain qu’il savait être le seul être humain choisi par D.ieu pour transmettre Sa sagesse et Sa volonté à l’homme. Mais Moché ne considérait pas ses qualités comme étant son propre aboutissement car il avait complètement annulé et immergé son moi dans la mer de la réalité divine. Sa propre vie n’était que le plan divin réalisé par un véhicule sans ego ; ses enseignements étant «la présence divine parlant à travers sa gorge».

Des poissons «terrestres»
Ce ne veut pas dire que notre moi «terrestre», notre sens d’identité et d’individualité, doit être déraciné ou supprimé. Se préoccuper de soi-même n’est pas, en soi, un trait négatif, mais simplement, quand il est livré à lui-même, il risque de développer des attributs très négatifs. Si l’homme ne parvient pas une conscience et un comportement «aquatiques», s’il perd de vue la source et le but de la vie, il est sûr que son moi deviendra égoïste, que son identité se verra exclusivement tournée vers elle-même et que son individualité s’en trouvera déconnectée et déracinée.
Ce n’est que lorsque nous nous immergeons dans la mer de la réalité divine que nous pouvons exploiter notre ego comme la force positive qu’il est réellement. Ce n’est qu’alors que nous pouvons correctement atteler notre valeur sans égale d’individu pour réaliser pleinement notre mission dans la vie.
C’est là l’idéal exprimé par Yaakov dans la bénédiction qu’il donna à ses petits-enfants, Menaché et Ephraïm : «Ils grouilleront comme des poissons au milieu de la terre». L’ultime défi pour l’homme n’est pas seulement d’être un «poisson» mais d’être un poisson «au milieu de la terre».
Ici réside le sens profond du passage de la Mer Rouge, sept jours après la sortie d’Egypte. Dans sa description du miracle, la Torah décrit les Enfants d’Israël «marchant sur la terre sèche au milieu de la mer». Après notre rédemption de l’Egypte et de sa culture païenne, à la fois au sens physique et au sens spirituel, nous gagnâmes la force de «marcher sur la terre sèche» en tant qu’êtres distincts et uniques et en même temps de marcher «au milieu de la mer», de nous immerger dans la mer qui embrasse et absorbe tout, celle de l’universelle vérité des vérités.
Nos Sages nous disent que le partage de la Mer Rouge fut le tout premier pas d’un processus qui englobe toute notre histoire, que le chant de Moché et d’Israël à ce passage fut le premier refrain d’un chant qui culminera à l’ère de Machia’h, le but ultime de la création. Le partage de la Mer Rouge fut ce précédent qui continue de permettre et guider notre quête millénaire pour cette synthèse parfaite entre la mer et la terre, synthèse qui se réalisera pleinement à l’âge messianique quand «la terre sera remplie de la connaissance de D.ieu comme les eaux recouvrent la mer».
Le Coin de la Halacha
A quel âge apprend-on la Torah ?

Dès qu’un enfant commence à parler, son père doit lui apprendre le verset : «Torah Tsiva Lanou Moché Moracha Kehilat Yaakov» («La Torah que Moïse nous a enseignée est un héritage pour la communauté de Jacob»). Puis le verset : «Chema Israël Ado-naï Elo’hénou Ado-naï E’had» («Ecoute Israël, l’Eternel est notre D.ieu, l’Eternel est Un»). Puis on lui enseigne d’autres versets et, dès que possible, on l’inscrit dans une école juive.
Tout Juif doit apprendre la Torah, qu’il soit pauvre ou riche, malade ou en bonne santé, jeune ou vieux, marié ou non. Chacun doit se fixer un temps d’étude pour la Torah, aussi bien le jour que la nuit. Le fait de travailler dur dans la journée n’exempte personne de l’obligation d’étudier.
On étudie tous les jours de sa vie afin de ne pas oublier ce qu’on a déjà appris.
Le tiers du temps d’étude est consacré à la Torah écrite, un autre tiers à la Torah orale et le dernier tiers à la consolidation du savoir. On se doit de réviser très souvent les Hala’hot, les lois qui s’appliquent quotidiennement.
Toute communauté se doit de nommer des professeurs qui enseignent la Torah aux enfants : car «le monde ne tient que sur le souffle de la bouche des élèves des écoles juives».
Les professeurs doivent se faire respecter par les élèves. Ils doivent prendre leur fonction très au sérieux et ne négliger ni les enfants, ni leurs parents, ni les horaires…
On n’interrompt pas l’étude des enfants, même pas pour reconstruire le Temple !
Dans les bénédictions du matin, on remercie D.ieu «qui nous a ordonné de nous occuper de la Torah». On n’étudie pas la Torah pour le plaisir intellectuel mais bien pour se pénétrer de sa sainteté et pour connaître la volonté de D.ieu afin de mieux l’appliquer.
De nos jours, les femmes aussi étudient la Torah afin de pouvoir l’enseigner à leurs enfants mais surtout pour apprendre à aimer et craindre D.ieu, à croire en Lui et à avoir confiance en Lui.
Le Rabbi de Loubavitch souhaitait que les hommes connaissent au moins toute la Torah que les femmes doivent apprendre !

F. L. (d’après Rambam – Hil’hot Talmud Torah)
De Recit de la Semaine
La chaise vide

Rav Michael Vishetzky se rendit une fois dans une synagogue du Bronx, à New York. Il fut surpris de constater que le rabbin, Rav Rabinowitz, s’asseyait au coin de la table plutôt qu’à sa tête : «Nul ne s’asseoit à cette place !» expliqua le vieux rabbin. Il raconta alors pourquoi : «A mon arrivée aux Etats-Unis après la Shoah, j’ai eu le privilège de rencontrer le précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak. Je lui ai raconté tout ce que j’avais subi en Europe et lui ai demandé que faire de ma vie. Il me conseilla : «Puisque vous êtes un érudit, vous devriez rechercher un poste de rabbin de communauté».
Juste après cette entrevue, on me proposa justement de devenir le rabbin de cette synagogue du Bronx. Quand je demandai au Rabbi son avis, il me répondit : «Une synagogue est une synagogue et cela convient parfaitement. Néanmoins je n’en apprécie pas le bedeau ! »
Je me demandai pourquoi le Rabbi avait mentionné le bedeau. Voyant que j’étais étonné, le Rabbi répéta : «Une synagogue est une synagogue, mais je n’apprécie pas le bedeau !»
J’acceptai l’offre : tout semblait bien se passer, mais je découvris que le bedeau ne m’aimait guère. Il faut préciser que depuis la mort de l’ancien rabbin de cette synagogue, il avait assumé de nombreuses responsabilités et était, de fait, devenu la personne dominante. Il avait l’impression maintenant que je le repoussai et il me mit des bâtons dans les roues. La situation empira et devint insupportable.
Quand je ressentis que la coupe était pleine, je retournai au 770 Eastern Parkway. Rabbi Yossef Its’hak n’était plus de ce monde : son gendre, le Rabbi, lui avait succédé le 10 Chevat 1950. Avant que j’ai eu le temps d’ouvrir la bouche, le Rabbi me dit : «Mon beau-père le Rabbi avait déclaré qu’une synagogue est une synagogue mais qu’il n’appréciait pas le bedeau. Vous devez continuer de servir comme rabbin dans cette synagogue. Quant aux problèmes que vous rencontrez avec le bedeau, ce sera bientôt à lui de s’inquiéter pour son travail !»
J’étais stupéfait par ce qui m’arrivait. Quand j’avais parlé avec le Rabbi précédent, nul n’était présent dans la pièce et je n’avais jamais évoqué la situation avec son gendre, le Rabbi.
Quelques jours plus tard, je n’arrivais pas à dormir. Quand l’aube pointa, je décidai de me rendre à la synagogue plus tôt que d’habitude. En chemin, je fus surpris de rencontrer le président et le trésorier qui se dirigeaient aussi vers la synagogue à cette heure inhabituelle. Le trésorier remarqua que la lumière était allumée dans une des pièces. C’était curieux ; nous avons ouvert la porte sans faire de bruit : le bedeau avait rassemblé toutes les boîtes de Tsedaka (charité) et les vidait dans ses poches ! Inutile de dire qu’il fut renvoyé sur le champ !
Les années passèrent. Puis un événement encore plus incroyable arriva. La synagogue était mitoyenne d’une boucherie. Celle-ci prospéra et devint bien vite trop petite. Le propriétaire décida d’acheter une autre boutique et nous proposa de racheter l’ancienne : comme notre synagogue était justement devenue trop petite pour les fidèles de plus en plus nombreux, nous avons accepté bien volontiers la transaction. Comme nous entretenions de bonnes relations avec le boucher, tout se passa à l’amiable, sans contrat écrit.
Quelques années plus tard, le boucher chercha un entrepôt. Comme il n’en trouvait pas, il se souvint qu’aucun document n’attestait de la cession de son ancienne boutique : sans aucun scrupule, il réclama à la direction de la synagogue qu’on lui rende «son bien» ! Il engagea un avocat et avait toutes les raisons d’être persuadé de gagner le procès.
Effectivement, vu l’absence de documents écrits, le tribunal ordonna aux responsables de la synagogue d’évacuer l’ancienne boutique dans un court délai. Passée cette date, la police procéderait elle-même au déménagement. Je me rendis à nouveau chez le Rabbi pour demander sa bénédiction.
Quand je lui décrivis la situation, il répondit : «Mon beau-père le Rabbi vous a dit clairement qu’une synagogue est une synagogue. Tout se passera pour le mieux !»
La nuit précédant la date fatidique, j’eus un rêve que je n’oublierai jamais : je me rendais à la synagogue et apercevais le Rabbi précédent assis sur la chaise à la tête de la table - justement la chaise sur laquelle je ne laisse jamais personne s’asseoir. A ses côtés se tenait, debout, le Rabbi qui disait : «Ne vous inquiétez pas, D.ieu fera que tout se passera bien !». Il regarda alors le Rabbi précédent et ajouta : «Le Rabbi vous a dit qu’une synagogue est une synagogue : pourquoi vous inquiétez-vous ?»
J’étais bouleversé : le Rabbi précédent se tenait devant moi alors qu’il avait quitté ce monde dix ans auparavant ! J’étais encore sous le coup de cette apparition quand je me réveillai. Je courus vers la synagogue aussi vite que je le pus. La foule s’était rassemblée devant le bâtiment tandis que la police bloquait l’entrée. Les déménageurs mandatés par les huissiers avaient commencé à enlever les meubles. C’est alors qu’un événement dramatique survint : dans une rue non loin de là, le boucher se trouvait dans sa nouvelle boutique quand un tube de néon tomba soudain du plafond et l’assomma. Il s’évanouit. Dès qu’il reprit conscience, il s’écria : «De grâce ! Arrêtez d’évacuer la synagogue !». Quand la police arriva, il admit qu’il avait proféré de fausses accusations, qu’il avait bel et bien été payé pour céder son ancienne boutique à la synagogue.
Maintenant, vous comprenez pourquoi, je ne laisse personne s’asseoir à cette place. L’image du Rabbi précédent assis ici sera toujours présente devant moi !» conclut Rav Rabinowitz pensivement.

Le 10 Chevat marque le départ de ce monde du Rabbi précédent, en 1950.

The Rebbe – volumes 2
Traduit par Feiga Lubecki