Samedi, 25 octobre 2014

  • Noa’h
Editorial

 En avant !

«Allons, voilà qui est fait !» dira le pragmatique.  «Il est temps de se remettre au travail» dira le matérialiste. «Une de plus et rien de changé !» dira le cynique. Les fêtes sont passées, l’année est à présent bien engagée et le retour au monde peut sembler difficile. Toutes ces réactions sont, de fait, bien compréhensibles à défaut d’être totalement légitimes. Nous venons de vivre un mois différent des autres. Chargé de célébrations et surtout d’expériences spirituelles exaltantes, il a été comme un grand voyage. Et ce long parcours nous a sortis de l’espèce de grisaille ouatée qui, trop souvent, finit par constituer le quotidien. Mais voici que tout cela s’efface peu à peu à l’horizon. Voici qu’au mois de Tichri succède celui, sans fêtes, de ‘Hechvan. Et ce brutal contraste crée une pesanteur presque inquiétante. «Tout ça pour ça ?» a-t-on envie de dire. Tout cet effort et toutes ces grandeurs, tout ce vécu enthousiaste pour revenir, par la force des choses, à une morosité oubliée ? Et si une autre voie était possible ?

Une ancienne coutume veut que, lorsque les fêtes s’achèvent, on proclame dans la synagogue le verset : «Et Jacob partit sur son chemin». Etonnant comme de simples phrases peuvent en dire long… Jacob, notre ancêtre, le Juif emblématique, reprend son voyage dit-on. Il s’est arrêté un moment mais, conscient de la nécessité de le poursuivre, il a repris la longue route. Il sait qu’elle pourra être difficile, semée d’embûches mais qu’il lui faut l’emprunter. Car elle est LE chemin, et surtout le sien. C’est ainsi qu’au sortir des fêtes nous avançons. Après la pure joie du spirituel, ce sont tous les chemins du monde qui s’ouvrent devant nous et il nous faut y revenir, les suivre car ils sont notre chemin. Par eux, nous élevons tout ce qui nous entoure. Par notre contact avec la matière, nous en faisons, au travers de la pratique des commandements de D.ieu, un lieu où la Divinité devient perceptible.

Alors, tel Jacob, nous pouvons nous interroger : d’où prendre une telle force ? Qui nous donnera l’assurance indispensable au voyage, la patience et la sûreté pour le vivre ? A Jacob, D.ieu dit : «N’aie pas peur Jacob, Mon serviteur». Et cette phrase chante à nos oreilles. Certes, le monde a de quoi impressionner. Certes, nous y voyons, et parfois y vivons, des événements qui vont de l’incompréhensible à l’inacceptable. Pourtant, nous ne connaissons pas la peur. Nous avançons sur notre chemin, pénétrés de la force donnée par les fêtes de Tichri, toujours en nous, à notre portée dès que nous le souhaitons. Nous n’avons pas peur et ce courage seul est, en soi, un signe de victoire. Le monde est grand, le quotidien puissant mais nous savons qu’il ne demande qu’à être illuminé. L’année a commencé ; la vie est en nous et la Délivrance à notre porte.

Etincelles de Machiah

 L’esprit et le cœur

La ‘Hassidout explique les gains spirituels immenses de notre descente en exil. C’est ainsi qu’il est écrit (Isaïe 12 : 1) : «Je Te remercierai D.ieu car Tu as été en colère contre moi». Lorsque Machia’h viendra, les Juifs remercieront D.ieu de les avoir envoyés en exil car, alors, ils verront toutes les élévations spirituelles que cela aura permis.

Cependant, en même temps, cette conscience ne doit pas atténuer notre profond désir de quitter cet exil. Pour cela, il faut proclamer, avec la plus grande sincérité, «car dans Ton salut nous espérons tout le jour».

En fait, ce sont ces deux attitudes, l’une de conscience et l’autre d’émotion, qu’il nous faut avoir en parallèle constamment.

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch,veille d’Hochana Rabba 5744)

Vivre avec la Paracha

 NOA’H

Noa’h est un personnage qui pose un problème quant à son statut spirituel. D’un côté, il est absolument unique et digne de louanges. Après tout, c’est l’homme que D.ieu sauva des flots et à l’origine de toute l’humanité. Mais par ailleurs, quand la Torah cherche à le louer, elle en dit qu’ «il était un homme juste dans ses générations». Nos Sages relèvent que les mots «dans ses générations» semblent superflus. Certains les comprennent comme des paroles de louange. La génération de Noa’h était peuplée de gens dépravés, d’idolâtres qui ne respectaient pas les valeurs morales ou l’honnêteté dans les affaires. Bien qu’il ait vécût parmi eux, Noa’h était droit.

Cependant, d’après d’autres opinions, il s’agit ici de termes restrictifs. Dans sa propre génération, Noa’h était considéré comme juste. Mais s’il avait vécu à l’époque d’Avraham, de Moché ou de David, son service divin n’aurait attiré aucune attention.

Quelle est la différence entre Noa’h et ces géants spirituels ? Chacun d’entre eux se démarqua par ses efforts pour aller à la rencontre d’autrui. Avraham dissémina la conscience de D.ieu dans un monde de païens idolâtres. Moché pria pour les adorateurs du veau d’or. Et David, roi de la nation entière, sacrifia sa vie personnelle pour le bien de son peuple.

Noa’h, quant à lui, construisit son arche. Et si quelqu’un venait à passer et lui demandait pourquoi il la construisait, il en donnait l’explication : D.ieu était mécontent de l’état d’immoralité du monde et allait déverser un déluge. Mais, malgré les discours de Noa’h, ses mots ne semblaient pas sortir de son cœur. Car d’une manière générale, ses efforts étaient ignorés. Peut-être qu’un homme ou deux l’écoutaient parler mais pas plus. Ils continuaient leur chemin, ignorant ce que Noa’h leur avait dit.

Il faisait son devoir mais rien de plus. Quels que fussent ses sentiments pour ses semblables, quand le déluge commença, seuls lui et sa famille proche étaient dans l’arche. Personne d’autre ne méritait d’être sauvé. C’est son échec à influencer les autres à se joindre à lui qui incita certains Sages à parler en sa défaveur.

Mais d’un autre côté, quand on envisage le service divin de Noa’h dans la perspective de l’histoire spirituelle de l’humanité, il est évident qu’il joua un rôle important. Pourquoi donc son succès fut-il limité ? Parce que dans cette génération, rien de plus n’était possible. L’atmosphère morale de cette époque était telle que personne ne l’écoutait. Mais dans ce cas, pourquoi nos Sages parlent-ils de lui en termes négatifs ? Non pour le critiquer en tant qu’individu mais pour nous mettre en garde contre le fait d’imiter sa conduite à l’implication limitée. Si lui ne pouvait faire davantage, nous, nous le pouvons. Le climat spirituel du monde a changé et il est possible d’atteindre autrui et de le motiver à changer dans sa pensée et son action. Il ne faut donc pas nous contenter d’efforts semblables à ceux de Noa’h.

Chaque génération a son dessein et sa fonction pour conduire le monde à son état ultime, l’Ere de Machia’h. Noa’h put avancer vers ce but mais seulement un petit peu. Les générations suivantes le firent davantage et dans un futur proche, avec la venue de Machia’h, nous en verrons fleurir l’aboutissement.

Mais chacun de nous doit également prendre conscience qu’il y a des moments dans la vie où l’on ne peut accomplir que peu de choses. Tout comme Noa’h, nous pouvons avoir un projet plus grand mais il ne nous revient pas de l’accomplir. Tout en persévérant dans notre aspiration, nous ne devons pas perdre espoir si parfois nous échouons. Nous devons réaliser que, comme Noa’h, nous faisons partie d’une perspective plus large, un chef d’œuvre que D.ieu compose et nous devons être heureux d’accomplir le rôle qui nous a été attribué dans ce projet.

Perspectives

Dans l’arche de Noa’h, il y avait toutes sortes d’animaux domestiques et de bêtes de proie. Pourtant les prédateurs ne dévoraient pas les animaux dociles.

L’une des prophéties qui décrivent l’Ere de Machia’h indique que «le loup résidera avec l’agneau», que les bêtes de proie perdront leurs instincts destructeurs et vivront pacifiquement avec les autres êtres. Cette prophétie, toutefois, concerne le Futur ultime. A l’époque de Noa’h, cela n’était pas encore réalisé comme l’atteste le fait qu’une fois sortis de l’arche, les prédateurs s’attaquèrent aux autres animaux. Pourquoi ne s’étaient-ils pas conduits ainsi dans l’arche ?

La ‘Hassidout explique que l’arche de Noa’h était un microcosme de l’Ere de Machia’h. Il y régnait le même environnement de paix et de tranquillité que celui qui dominera à l’Ere Messianique.

Cela nous sert à tous de leçon. Bien que le monde dans sa globalité ne fût pas au niveau de la conscience messianique, Noa’h était capable de motiver son environnement le plus proche à atteindre ce niveau. De la même façon, dans notre propre existence, chacun de nous peut vivre dans l’esprit de la Rédemption, anticipant, dans notre expérience présente, la connaissance et l’harmonie de l’Ere Future.

Plus encore, le faire est le catalyseur le plus efficace pour que cette conscience se dissémine dans le monde en général. Entrer en contact avec quelqu’un dont les principes et les valeurs reflètent ceux de l’Ere de Machia’h donne envie de l’imiter et de faire de Machia’h un concept plus tangible pour chacun d’entre nous et pour nous tous.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que Roch ‘Hodech ?

Roch ‘Hodech est la tête, le début du mois hébraïque, calculé d’après le renouveau de la lune. Des calculs très précis, basés sur l’observation des phénomènes célestes mais aussi sur leurs incidences au niveau pratique, président à la fixation du calendrier juif (qui a été fixé définitivement par Hillel l’Ancien, au 4ème siècle de l’ère commune).

Roch ‘Hodech peut compter un ou deux jours : dans ce dernier cas, le premier jour de Roch ‘Hodech est, de fait, le dernier et trentième jour du mois précédent.

Cette année 5775, Roch ‘Hodech Mar’hechvane commence jeudi soir 23 octobre 2014 et se termine samedi soir 25 octobre 2014.

Il est permis de travailler Roch ‘Hodech ; cependant, dans certaines communautés, les femmes s’abstiennent dans la mesure du possible de tous travaux de couture, repassage, lessive… et c’est une bonne coutume. En effet, les femmes n’ont pas participé au péché du Veau d’Or et ont refusé de donner leurs bijoux pour la confection de l’idole. D.ieu les récompense donc en leur donnant une sorte de demi-fête chaque Roch ‘Hodech. Cependant, si ces travaux constituent la source de leur Parnassa (le seul moyen de gagner leur vie), elles peuvent les effectuer Roch ‘Hodech.

On évite de se couper les cheveux et les ongles Roch ‘Hodech.

Il est interdit de jeûner ce jour et il est d’usage d’augmenter la quantité et la qualité des repas de Roch ‘Hodech.

F.L. (d’après Pinat Hahala’ha - Rav Yossef Ginsburgh)

Le Recit de la Semaine

 Une vue à long terme

La première fois que j’ai rencontré le Rabbi, c’était en 1971, quand je suis arrivé à New York avec mes parents, juste après que nous ayons obtenu l’autorisation de quitter l’Union Soviétique. Ce fut un moment très émouvant à cause de l’histoire de notre famille et de l’implication du Rabbi dans notre libération.

Mon père avait été emprisonné deux fois pour le «crime» d’avoir enseigné la Torah dans une école juive clandestine, à la demande de Rabbi Yossef Its’hak, le précédent Rabbi. Oui, mon père était accusé d’être un «Schneersonsky» – un ‘Hassid du Rabbi. La première fois, il fut détenu cinq ans et la seconde fois dix ans ! Ma mère aussi passa presque dix ans en prison car elle avait joué un rôle important en transmettant des messages et des provisions pour cet enseignement clandestin : elle paya chèrement ces activités interdites par la loi soviétique.

J’étais encore un enfant et je fus donc élevé par mon grand-père. Ce n’est qu’à l’âge de onze ans que je revis mes parents, quand ils furent libérés lors de l’amnistie générale qui suivit la mort de Staline au début des années cinquante.

Dès qu’ils furent libérés de prison, mes parents tentèrent de quitter la Russie. Mais chaque fois qu’ils déposaient une demande de sortie, le visa leur était refusé. C’était un cycle sans fin : ils déposaient une demande, étaient refusés et recommençaient immédiatement ! Pendant ce temps, je continuais mes études dans le système soviétique et obtins le diplôme d’ingénieur en électricité tout en fournissant des efforts incessants pour éviter d’aller à l’école le samedi et les fêtes juives, ce qui représentait un véritable défi.

Et soudain, en 1971, nous avons obtenu un visa de sortie ! C’était absolument incroyable mais enfin, c’était bien réel ! Nous avons pris l’avion pour Vienne puis, de là, pour Israël où nous avons été accueillis dans le village ‘hassidique de Kfar ‘Habad. Là, on nous a annoncé que nous partions pour un court voyage chez le Rabbi à New York.

Bien entendu, pour nous, il était évident que c’était le Rabbi qui était à l’origine de notre sortie tant attendue de Russie. Qui d’autre aurait pu intervenir en notre faveur ? Qui d’autre se préoccupait constamment du sort des Juifs de Russie en général et des ‘Hassidim en particulier ? Personne ! Pour nous, il était évident que, sans le Rabbi, nous ne serions jamais sortis !

Quand nous sommes arrivés à New York nous étions submergés par l’émotion. De fait, depuis que nous étions sortis, nous avions retrouvé tant de membres de notre famille en Israël que nous étions dans un état de bouleversement intense. Quand nous sommes entrés dans le bureau du Rabbi, ma mère a éclaté en sanglots ; mon père n’était plus lui-même et moi non plus. Mais la gentillesse et la bonté du Rabbi nous ont aidés à retrouver nos esprits. Quand il nous regarda, un sentiment de sérénité et de plénitude nous enveloppa.

Il nous posa beaucoup de questions auxquelles ma mère répondit parce qu’elle avait joué le rôle de messager durant toutes ces années et elle connaissait les gens dont le Rabbi demandait des nouvelles.

Après cette entrevue privée, nous sommes retournés en Israël et j’ai étudié à la Yechiva Loubavitch de Tom’hé Tmimim. Je me suis marié – avec la bénédiction du Rabbi – et j’ai été engagé par l’Armée de l’Air d’Israël comme ingénieur en électronique.

La Guerre de Kippour éclata en octobre 1973 ; durant les premiers jours de la guerre, l’armée de l’air subit de graves pertes : nos avions tombaient comme des mouches ! La raison en était que nous utilisions encore une technologie obsolète, dépassée, issue de la Guerre des Six Jours en 1967 alors que les Arabes étaient déjà en possession d’équipements modernes et sophistiqués fournis par les Russes. Heureusement, les Américains envoyèrent immédiatement des renforts, établirent un pont aérien et envoyèrent les fournitures nécessaires à l’Armée de l’air israélienne en vingt-quatre heures.

Mais après la fin de la guerre, il était clair qu’Israël devait se réapprovisionner avec les techniques les meilleures et les plus modernes. Je fus un des deux candidats choisis pour me renseigner sur les équipements qu’on pourrait éventuellement obtenir aux États-Unis. Alors que je me rendais à Austin, au Texas avec escale à New York, j’en profitais pour me rendre chez le Rabbi. Avant l’entrevue, j’écrivis une note demandant au Rabbi sa bénédiction pour mes études de Torah, pour mon action en faveur des Juifs de Russie et d’autres sujets personnels. Mais je ne mentionnai nullement la mission pour laquelle j’avais été envoyé aux États-Unis.

Quand j’arrivais dans le bureau du Rabbi, je tendis ma note, le Rabbi la regarda et me demanda immédiatement : «Que faites-vous aux États-Unis ?».

Je décrivis le but de ma visite et le Rabbi me posa de nombreuses questions – des questions très détaillées qui me firent réaliser qu’il me manquait des renseignements essentiels pour le succès de ma mission.

Bien sûr, je savais que le Rabbi avait obtenu des diplômes d’ingénieur mais ce détail n’intervenait absolument pas dans ma perception de lui comme Rabbi. J’étais vraiment surpris et impressionné qu’il puisse conduire une telle conversation, à un tel niveau technique.

De plus, il m’apprit quelque chose de fondamental : j’avais considéré les problèmes que nous tentions de résoudre avec une perspective trop courte. Mais le Rabbi me souleva pour ainsi dire à une hauteur bien plus grande et, de là, l’image était entièrement différente. Je réalisai alors qu’il y avait des trous dans l’image !

Bien que je crûs être un expert sur ces sujets, je n’avais pas de réponses à quelques-unes des questions qu’il soulevait : par exemple, il m’interrogea sur les fréquences qui concernent la location des radars, les technologies infrarouges, en particulier sur une technique évasive utilisée pour se débarrasser de missiles infrarouges. Ses questions étaient très techniques, du genre : «Quelle est la trace spectrale du moteur ?».

J’ignorais ce dont il s’agissait.

Les questions du Rabbi et son désir de ne laisser aucune pierre non retournée me firent examiner toute une série d’éléments auxquels je n’avais pas pensé ou que j’ignorais même complètement. Et cette négligence aurait pu résulter en des achats d’équipements de bien plus mauvaise qualité.

Ce n’est que plus tard que je réalisai ce qui s’était produit durant cette entrevue : le Rabbi avait assuré le succès de ma mission !

Le meilleur moyen pour lui de m’aider avait été exactement ce qu’il avait fait : analyser, examiner et m’amener à réaliser par moi-même où se trouvaient des erreurs. Et je reste persuadé que telle avait été son intention tout au long de cette conversation.

Yitzchak Rappaport – Magic Information Systems Inc. Toronto – JEM

Traduit par Feiga Lubecki