Semaine 26

  • Balak
Editorial
La liberté invaincue

Il existe des dates qui changent le monde et dont l’effet se ressent encore aujourd’hui malgré l’écoulement du temps. De telles dates ne sont pas de simples accidents de l’histoire, elles touchent à la structure des choses et l’observateur sait qu’après leur passage, c’est une transformation profonde que l’on peut relever. Peu importe l’importance, apparente ou non, reconnue ou pas, de l’événement, c’est sa simple occurrence qui opère le changement.
C’est ainsi qu’il faut voir le 12 Tamouz. Ce jour-là, le précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn, fut libéré. Cela se passait en URSS. Il avait été arrêté par la police de Staline pour son activité de diffusion du judaïsme, avait été condamné à mort pour finalement être envoyé en relégation dans une petite ville de l’Oural. Au moment de partir pour cet exil, qui avait été prononcé pour de longues années, Rabbi Yossef Its’hak affirma de la fenêtre du train qui devait l’emmener, devant tous les Hassidim héroïquement assemblés sur le quai de la gare : "Seul notre corps est en exil, notre âme est éternellement libre". Miraculeusement, la peine fut annulée et l’exil ne dura concrètement que quelques jours. Rabbi Yossef Its’hak libéré, son action allait se démultiplier partout dans le monde. L’oppression et la dictature avaient reculé devant la conscience, la grandeur et l’obstination de la liberté.
Ceci n’est pas qu’une histoire de combat victorieux. Rabbi Yossef Its’hak sut le dire: "Ce n’est pas seulement moi qui ai été libéré mais tous…". C’est dire que le 12 Tamouz n’est pas une simple journée d’histoire glorieuse. C’est un jour qui concerne chacun. Cette liberté retrouvée est aussi la nôtre. A tous ceux qui voudraient voir s’éteindre la lumière du judaïsme, à tous ceux qui voudraient que cesse de retentir notre voix, il faut savoir dire que nous sommes éternellement libres et que rien ne peut jamais nous contraindre.
Cette liberté chante, cette semaine, dans notre cœur, notre esprit et notre âme. Et ce chant monte comme le prélude au cantique majeur, celui de la venue de Machia’h.
Etincelles de Machiah
Une œuvre parfaite

Pendant le temps de l’exil, l’offrande de sacrifices est impossible du fait de l’absence de Beth Hamikdach. Certes, les Sages ont instauré les prières en remplacement de ces cérémonies. Cependant, un tel remplacement est, semble-t-il, imparfait comme l’exprime la liturgie : “Et là, (dans le Beth Hamikdach, après la venue de Machia’h) nous ferons devant Toi…. Selon l’ordre de Ta volonté”.
C’est précisément cette idée qui pose question. L’œuvre spirituelle accomplie par la prière est supérieure à celle des sacrifices, la première s’attachant à l’âme de l’homme tandis que la seconde porte sur son aspect animal. Pourquoi, dès lors, souligner l’importance primordiale des sacrifices ?
En fait, l’impossibilité d’offrir un sacrifice en temps d’exil a également un sens spirituel : comme l’homme est attaché “en bas”, il n’a pas la force d’élever “l’animal” et doit se contenter d’agir sur l’âme par la prière. En revanche, lorsque le Machia’h viendra, l’homme parviendra à la plénitude et son œuvre pourra englober tous les aspects.
(d’après Torah Or, Vaye’hi 46b) H.N.
Vivre avec la Paracha
Balak : Sur les ânes et le discernement

Dans l’une des histoires les plus fascinantes de la Torah, le prophète Bilaam essaie d’obtenir de D.ieu qu’Il accède à son désir de maudire le Peuple Juif et donc de lui causer un mal qui l’affaiblira ou le détruira. Balak, le roi de Moab, lui avait offert de grandes récompenses s’il affaiblissait le Peuple Juif pour pouvoir l’éloigner de la région.
Bilaam s’engage dans une série de dialogues avec D.ieu, dans lesquels D.ieu indique clairement qu’Il ne veut pas qu’Israël soit maudit. Néanmoins, Bilaam est persuadé qu’il peut «vendre» son idée à D.ieu.
C’est alors que l’ânesse de Bilaam se transforme : de simple moyen de transport, elle devient une créature douée de parole qui défend le droit des animaux. A trois reprises, elle voit un ange qui bloque le chemin. Et à chaque fois, elle se met de côté ce qui provoque la colère de Bilaam qui, lui, ne voit pas l’ange. Et à chaque fois, Bilaam frappe la pauvre bête. Finalement, selon les mots de la Torah :
«D.ieu ouvrit la bouche de l’ânesse et elle dit à Bilaam : Que t’ai-je fait pour que tu me frappes par trois fois ?»
Bilaam répondit à l’ânesse : «car tu m’as humilié ; si j’avais une épée dans la main, je te tuerais immédiatement».
L’ânesse dit à Bilaam : «Ne suis-je pas l’ânesse sur laquelle tu as caracolé depuis que tu es parti jusqu’à maintenant ?»
Il dit : «non».
D.ieu ouvrit les yeux de Bilaam et il vit l’ange de D.ieu se tenant sur la route, avec une épée dans sa main. Il s’inclina et se prosterna sur sa face.
L’ange de D.ieu lui dit : «Pourquoi as-tu battu ton ânesse ces trois fois ? Voici, je suis venu pour t’empêcher de continuer…»

Le commentateur biblique, Rachi, souligne que le fait que l’ânesse puisse voir l’ange n’a rien de remarquable : «L’ânesse vit mais [Bilaam] ne vit pas, car D.ieu permit à un animal de percevoir plus qu’à un homme. Puisque [l’homme] possède l’intelligence, il deviendrait fou s’il voyait l’ange menaçant.»
L’idée exprimée par Rachi illustre la leçon majeure de tout l’épisode de Bilaam. L’on s’interroge souvent sur le fait que D.ieu discuta avec Bilaam, lui disant qu’il désapprouvait le voyage, dans le seul but de le laisser partir et essayer de maudire Israël, pour finalement déjouer son complot. Pourquoi ne l’empêcha-t-Il simplement d’agir ?
Le Talmud répond à cette question :
Il nous est permis de poursuivre la voie qu’on a choisie, comme il est écrit : «D.ieu dit à Bilaam, tu n’iras pas avec eux» et puis il est écrit : «si des hommes viennent t’appeler, lève-toi et va avec eux».
L’essence de l’humanité est le libre-arbitre. Le libre-arbitre est «l’image» de D.ieu d’après laquelle Adam et ‘Hava furent créés.
La Source de Tout a défini une morale et des principes absolus. Mener une vie qui exprime ces principes est la définition du Bien. Toutefois, à chaque carrefour, nous sommes complètement libres de rejeter un tel mode de vie. Cette liberté donne la substance et le sens de notre choix quand «nous optons pour la vie».
A de rares occasions, il nous est donné un aperçu de la vérité (comme par exemple au mont Sinaï) juste pour que nous sachions ce que nous recherchons. Mais le libre arbitre ne peut réellement exister que dans un environnement d’ignorance naturelle qui nécessite de notre part du discernement et de l’intelligence pour la surmonter. Nous devons vivre dans un monde où nous ne percevons ni le Créateur ni la création. Il nous est alors donné l’aptitude d’utiliser les forces de notre intelligence et de notre discernement pour analyser et reconnaître l’Artiste dans ce magnifique tableau et que le fait que nous ayons été représentés sur ce tableau est d’une nécessité fondamentale pour que l’entreprise de la Création soit entière.
Bien sûr, il nous est possible de nier la beauté et l’intérêt de cette peinture et de rester dans l’état d’ignorance dans lequel nous sommes nés. Nous pouvons, et hélas nous le faisons souvent, utiliser cette toile magnifique de notre vie pour simplement y emballer de vieilles têtes de poissons avant de les jeter aux ordures. Nous pouvons utiliser nos forces incroyables de discernement et d’intelligence pour atteindre ce qui est superficiel et éphémère et nous rendre malheureux de mille et une façons.
Bilaam peut écouter D.ieu ou pas. Il peut être reconnaissant à son ânesse ou rendre les bienfaits qu’il en a reçus avec du mal, en la frappant.
Si nous voyons le processus de la création et D.ieu dans tout, si nous voyons le flot d’énergie qui jaillit de la Source de tout, donnant la vie à chaque instant, nous n’aurions pas le libre arbitre et choisir le bien serait évident.
Malakh, le mot hébreu pour «ange» signifie simplement «messager». Un ange véhicule la force vitale pour une entité ou une situation particulières.
L’ange bloquant la voie de Bilaam était là pour indiquer à Bilaam que le voyage qu’il avait choisi était une mauvaise idée.
L’ânesse voit la réalité et l’accepte automatiquement. Si nous, nous la percevions, elle entraverait notre intellect et notre liberté et nous forcerait à accepter la réalité de la Présence Divine.
C’est la raison pour laquelle un animal qui ne possède pas le libre arbitre ou une intelligence abstraite peut tout voir. L’ânesse de Bilaam n’est pas époustouflée par la vision des forces spirituelles qui gèrent tout. Parce qu’elle n’en est pas affectée par les conséquences. Elle n’a pas besoin des outils que l’intelligence donne aux hommes pour comprendre l’implication de ce que nous voyons.
S’il nous est donné l’intelligence et les fonctions qui nous permettent de percer le voile de l’ignorance jeté sur l’humanité, c’est pour que nous choisissions de le faire. Il faut donc que ce voile demeure opaque jusqu’à ce que nous utilisions les clés que nous possédons pour l’ouvrir.
Souvent l’on entend dire : «Si D.ieu m’apparaissait et me disait de le faire, je mènerai une vie en accord avec la Torah».
C’est une bonne démarche… pour une ânesse.
De plus, comme le montrèrent les événements qui suivirent, même une fois que Bilaam vit les choses de la perspective de l’ânesse, cela ne l’aida en rien. Il continua de suivre la voie «qu’il désirait suivre».
D.ieu nous a donné quelque chose de bien supérieur à «la vision de l’ânesse» : le défi de la liberté et le don du discernement.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que le 17 Tamouz ?

Cette année, le jeûne du 17 Tamouz est le mardi 29 juin 2010.
On ne mange pas et on ne boit depuis le matin (à 3h 05, heure de Paris) jusqu’à la tombée de la nuit (22h 51 à Paris).
C’est en ce jour que Moché Rabbénou (Moïse notre Maître) brisa les premières Tables de la Loi à la suite du péché du veau d’or. Bien plus tard, le sacrifice quotidien fut interrompu lors du siège de Jérusalem. Une première brèche apparut ce jour-là dans les murailles de la ville sainte. Enfin, Apostomos installa une idole dans le Temple et brûla un rouleau de la Torah, toujours un 17 Tamouz.
Durant les trois semaines suivantes, jusqu’au 9 Av (mardi 20 juillet 2010), on augmente les dons à la Tsedaka. On évite d’acheter de nouveaux vêtements et on ne prononce pas la bénédiction «Chéhé’héyanou» (par exemple sur un fruit nouveau). On ne se coupe pas les cheveux et on ne célèbre pas de mariage. On évite de passer en jugement.
Suite à l’appel du Rabbi, à partir du 17 Tamouz, nous intensifions l’étude des lois de la construction du Temple (dans le livre d’Ezékiel, le traité Talmudique Midot et le Rambam – Maïmonide).
Durant les neuf jours qui précèdent le 9 Av (à partir du lundi soir 12 juillet 2010), on ne mange pas de viande et on ne boit pas de vin. Par contre, on assistera à un Siyoum (ou on l’écoutera sur la radio juive), ce qui est une joie permise durant cette période.

F. L.
De Recit de la Semaine
«Alors Moché chantera…» : le miracle de la liberté

L’histoire commence avec un Farbrenguen – une réunion ‘hassidique en France à Paris, peu avant la Seconde Guerre Mondiale. Le gendre de Rabbi Yossef Its’hak – Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson qui allait lui succéder en 1951 – assistait à ce Farbrenguen. Il en fut d’ailleurs le principal orateur mais d’autres ‘Hassidim parlèrent.
L’un d’entre eux raconta une expérience miraculeuse qui lui était arrivée deux ans plus tôt.
Après avoir échappé à une sentence de mort en Union Soviétique, Rabbi Yossef Its’hak avait dû quitter ce pays et s’était installé en Pologne avec de nombreux ‘Hassidim. Mais par la suite, le Rabbi les encouragea à quitter la Pologne et à s’installer dans d’autres pays ; ainsi celui qui racontait maintenant son histoire faisait partie d’un groupe de cinq ‘Hassidim auxquels le Rabbi avait demandé de se rendre en France.
Mais à l’époque, ce n’était pas si simple : il fallait passer plusieurs frontières, en particulier la terrifiante frontière de l’Allemagne nazie. De plus, l’un de ces ‘Hassidim n’avait pas de passeport valide et n’avait pas le temps d’en faire établir un autre : le Rabbi leur avait demandé de partir immédiatement !
Dans les trains, l’homme sans passeport s’étendait sur la couchette et les quatre autres s’asseyaient sur lui, en le couvrant de leurs longs manteaux pour lui éviter les contrôles. Ils réussirent ainsi à franchir plusieurs frontières. Mais le contrôle allemand était réputé pour être impitoyable, surtout pour les Juifs ; et pour un Juif qui n’avait pas de passeport, c’était presque un suicide.
Ils établirent toutes sortes de plans mais, alors qu’ils approchaient de la frontière, ils entendirent des discussions animées et des cris de l’intérieur du poste de garnison, puis un coup de feu suivi d’un gémissement. Enfin le silence. Les voyageurs tentèrent de paraître aussi sereins que possible mais, de fait, tremblaient intérieurement. S’ils n’avaient pas eu une confiance parfaite dans les paroles de leur Rabbi, ils seraient immédiatement retournés en Pologne.
Mais à leur grande surprise, quand le premier ‘Hassid se présenta au guichet, l’officier lui prit le passeport des mains et le tamponna sans même le feuilleter. Il en fut de même pour le second. Puis il se mit à répondre au téléphone et tamponna distraitement les trois passeports sans vérifier leur validité.
Mais leurs problèmes étaient loin d’être terminés. L’endroit était truffé de chiens, de policiers et de soldats cruels, tatillons et soupçonneux, qui scrutaient tout ce qui bougeait : c’était sans doute de là que provenait le coup de feu. Etrangement, aucun policier ne fit attention aux cinq voyageurs, comme s’ils étaient devenus invisibles ! Ceux-ci se hâtèrent vers la sortie, hélèrent un taxi et quittèrent le poste de police sans s’être faits remarquer !
Une heure plus tard, ils trouvèrent un bureau de poste et envoyèrent un télégramme à leur Rabbi : ils étaient libres ! C’était un miracle incroyable !
Le gendre du Rabbi avait écouté attentivement ce récit. Puis il demanda au ‘Hassid la date et l’heure exacte de l’incident et, quand il entendit ces détails, il sourit : «Maintenant je comprends quelque chose qui représentait pour moi un mystère il y a deux ans : le Rabbi mon beau-père recevait chaque jour la visite d’une infirmière qui lui faisait une piqûre car il était sorti presque paralysé de son incarcération et des tortures subies dans les prisons soviétiques.
Un jour, l’infirmière était entrée et avait été saisie de panique : le Rabbi était assis de façon rigide, les yeux à demi ouverts ; il était complètement insensible à ce qui se passait autour de lui. Persuadée qu’il subissait une attaque cérébrale, elle appela immédiatement l’épouse du Rabbi. En entrant, celle-ci se mit à pleurer mais, avant d’appeler un médecin, elle me fit appeler.
Quand j’entrai, je fus également angoissé à première vue mais je remarquai quelque chose qui me fit réaliser qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter : c’était presque imperceptible mais les lèvres du Rabbi bougeaient : il était en train de parler ou de prier !
Je me suis penché, je l’ai écouté puis je me suis redressé, rassuré : il n’y avait pas de quoi s’inquiéter, annonçai-je. De fait le Rabbi récitait «Le Cantique de la Mer» : «Alors Moché (Moïse) chanta…», le cantique que les Juifs entonnèrent après avoir traversé la Mer des Joncs et avoir été définitivement débarrassés de leurs cruels oppresseurs égyptiens.
Au bout de dix minutes, le Rabbi ouvrit les yeux et retrouva son état normal.
Je n’avais jamais demandé au Rabbi d’explication sur cet incident mais maintenant je l’ai obtenue. C’était exactement le moment où se passait votre miracle ! Le Rabbi était en train de vous faire passer à travers l’inspection des officiers nazis tout comme Moché avait fait passer les Juifs à travers la Mer des Joncs ! Telle est la mission d’un Rabbi : aider des Juifs à gagner leur liberté !

Le 12 Tamouz – cette année le jeudi 24 juin – marque l’anniversaire du précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Iits’hak Schneersohn ; le 13 Tamouz marque sa sortie des prisons soviétiques en 1927.

L’Chaim n°1125
traduit par Feiga Lubecki