Semaine 42

  • Beréchit
Editorial
Au bout du voyage ?

Il y a à présent un mois, nous nous sommes embarqués pour un long voyage. Il nous a entraînés de célébration en célébration, en une découverte sans cesse renouvelée de contrées spirituelles dont aucune exploration ne saurait jamais venir à bout. Comme chaque année, ce voyage a sans doute été pour chacun une aventure sans pareille car il nous a donné à voir et à ressentir la richesse du lien avec D.ieu, que la solennité ou l’allégresse en soient les vecteurs. Mais tous les voyages, y compris les plus grands, ont une fin et voici que nous touchons au port.
Voici en effet que les fêtes se sont terminées et que le mois de Tichri s’achève peu à peu. Voici que nous sommes conviés à descendre à terre. L’opération est plus difficile qu’il y paraît au premier abord. L’intensité des moments traversés fait que le retour paraît presque une surprise, comme si ce grand périple spirituel aurait dû être éternel. Pourtant, ce n’est pas à la fin de quelque chose de précieux que nous assistons mais bien à un authentique commencement.
Car le mois de Tichri dont nous voyons briller les derniers feux nous a donné des forces considérables. Il nous a permis d’accumuler des acquis spirituels où nous saurons, toute l’année durant, puiser les ressources nécessaires. Aujourd’hui, c’est certes le quotidien qui reprend ses droits mais n’était-ce pas là le but? Tous les efforts déployés, toute l’œuvre accomplie dans la période n’avaient-ils pas pour sens de nous mener à cet instant unique où s’ouvre devant nous un nouveau chemin ?
L’année 5770 a décidément commencé. Nous sommes sûrs qu’elle sera chargée de toutes les bénédictions divines. Mais nous savons aussi qu’elle sera celle de toutes nos avancées spirituelles car son début nous a ouvert cette voie unique de l’irremplaçable élévation. A l’orée de ce nouveau temps, tout est à notre portée. Peut-être suffit-il simplement d’une décision, d’un acte, d’un pas en avant ?
Etincelles de Machiah
«Y croire… Attendre sa venue»

On relève que Maïmonide, dans le Michné Torah (Hil’hot Mela’him, chap. 11), souligne la nécessité d’une double démarche en ce qui concerne notre rapport avec la venue de Machia’h : «Y croire… Attendre sa venue». Cette juxtaposition de deux impératifs dont le contenu est pourtant si proche doit être analysée. En effet, il ne s’agit pas là d’une simple répétition qui aurait pour but, par exemple, d’insister sur l’importance de l’idée.
En fait, il y a bien ici la mise en lumière de deux nécessités parallèles. Cela signifie que, de même que l’obligation de croire dans le Machia’h est constante, ainsi celle d’attendre sa venue ne l’est pas moins.
(d’après Likoutei Si’hot vol XXVIII, p. 131) H.N.
Vivre avec la Paracha
Beréchit : les affaires de D.ieu

“Venez voir les actions de D.ieu, Son complot effrayant pour les enfants de l'homme” (Psaumes 66 : 5).
Et la femme vit que l'arbre était bon à manger et elle prit de ses fruits et en mangea ; et elle en donna aussi à son époux et il en mangea avec elle (Genèse 2 : 6).

Le but d'une aventure commerciale est de faire des profits. Aucun homme d'affaires qui se respecte n'investirait un capital, du temps et des talents quand les comptes ne montrent pas une véritable possibilité de bénéfices.
Et pourtant, les bénéfices les plus importants doivent être récoltés sous les conditions mêmes que l'homme d'affaire responsable cherche le plus à éviter: à la suite de développements tout à fait imprévisibles, dans des environnements sur lesquels il n'a aucun contrôle et dans lesquels son aventure toute entière, et peut-être sa propre personne, sont menacées.
C'est pourquoi l'on peut dire que l'esprit de l'homme d'affaires opère à deux niveaux. Au niveau manifeste, il cherche la stabilité et le contrôle. A ce niveau, "être pris au dépourvu" est ressenti comme une catastrophe.
Tout en sachant que chaque aventure comporte une part de risques, son but est de les empêcher, d'éviter l'imprévisible, d'avoir un plan d'action pour toute éventualité. Mais à un niveau plus profond, subconscient, l'homme d'affaire aspire à l'imprévisible. Au plus profond de son cœur, il veut être pris par surprise, être plongé dans les circonstances que la structure de ses affaires cherche à éviter. Car là, et seulement là, réside le potentiel de profits plus grands qu'aucun analyste ne pourrait envisager.
A ce niveau, si "tout va selon le plan prévu", ce serait une déception plutôt qu'un accomplissement. Ce sont des scénarii qu'il n'osera jamais présenter à ses investisseurs, ni même à son moi conscient. Mais en dernière analyse, ce sont ces mêmes possibilités se cachant derrière les chiffres et les projets officiels qui constituent la plus grande motivation pour laquelle il s'est engagé dans les affaires.

Le complot effrayant
Nos Sages nous disent que "le royaume des Cieux est semblable au royaume de la terre", que les structures de la société humaine et les modes de comportement humain reflètent la manière dont le Créateur établit un rapport avec Son monde et le dirige.
D.ieu opère selon une stratégie empruntée au monde des affaires: la Torah qui est "le plan de D.ieu pour la création" définit le "profit" que le Créateur veut tirer de Son entreprise. Les lois de la Torah détaillent ce qui devrait et ce qui ne devrait pas être fait, et ce qui devrait et ne devrait pas arriver, pour sauvegarder l'investissement divin dans la création et assurer sa rentabilité.
Mais au premier jour de l'histoire, le plan alla de travers. Adam et Eve, en mangeant du fruit de l'Arbre de la Connaissance violèrent la première Mitsva, le premier commandement de D.ieu. Leur acte mit en péril l'aventure toute entière, laissant un chaos de bien et de mal déferler sur le monde sous contrôle et organisé dans lequel ils étaient nés.
Et pourtant, nous disent nos Sages, c'était "le plan effrayant de D.ieu pour les enfants de l'homme". "C'est Moi qui les ai fait pécher, en créant en eux un penchant vers le mal" admit D.ieu devant le Prophète Elie.
Car c'est le processus de la Techouva ("retour") qui apporte le plus grand profit dans l'entreprise de la vie. Il n'existe aucun amour plus fort que l'amour ressenti de loin et de plus grande passion que la quête du retour à une maison abandonnée et à un moi qui s'est aliéné. Quand le lien de l'âme avec D.ieu s'est étiré au point de rupture, la force qui le rattache à sa source est plus grande que tout ce qui peut être produit par l'âme qui ne quitte jamais l'orbite divine. Et quand une âme qui a erré jusqu'aux recoins les plus éloignés de la vie, et a exploité tout l'aspect négatif et vil de son environnement, ressent l'impulsion de retourner à D.ieu, elle élève ces parties de la Création qui résident derrière le cadre d'une vie vécue dans la droiture.
C'est là "le complot effrayant" contre les enfants de l'homme: créer un homme avec une inclination au mal, de sorte que, lorsqu'il y succombe, il renoue avec D.ieu dans un amour plus grand et des ressources restaurées, produites par une vie maintenant en conformité avec la Volonté Divine.
Toutefois, il est sûr qu'on ne peut dire que D.ieu voulait que l'homme pèche: une faute est, par définition, un acte que D.ieu ne veut pas. De plus, si le "plan" de D.ieu était que l'homme pèche, cela soulève la question de savoir ce qui serait arrivé si Adam et Eve n'avaient pas choisi de manger des fruits de l'Arbre de la Connaissance. Le but de D.ieu dans la Création aurait-il été accompli?

Ce que désire D.ieu
Tout comme dans le cas de l'homme d'affaire, il existe deux niveaux de "motivation" derrière l'acte divin de création.
Au niveau manifeste, le monde fut destiné et créé pour accomplir le plan indiqué par la Torah. Ce plan appelle l'existence d'une inclination au mal dans le cœur de l'homme pour que notre adhésion à la volonté divine ait du sens.
Selon les paroles de Maïmonide: “La liberté est donnée à chaque homme: s'il désire suivre le droit chemin et être une personne juste, le choix de le faire est entre ses mains; et s'il désire suivre la voie du mal et devenir un être mauvais, le choix de le faire est entre ses mains… C'est un principe majeur et une base de la Torah et des commandements… Car si D.ieu devait décréter qu'une personne soit bonne ou mauvaise ou s'il existait dans l'essence de l'individu quelque chose qui le force à emprunter telle ou telle voie,… comment D.ieu aurait-Il pu nous commander par Ses Prophètes "fais cela" et "ne fais pas cela"? Quelle place aurait occupé la Torah tout entière? Et selon quelle justice D.ieu aurait-Il puni les méchants et récompensé les bons?”.
Ce plan ne requiert pas l'existence du mal, mais seulement le potentiel de son existence. Il nous est possible de violer la Volonté divine, pour que le fait que nous ne le fassions pas soit pour nous un triomphe moral et une source de plaisir pour D.ieu. Il faut qu'il nous soit possible de ne pas faire le bien pour que nos bonnes actions aient une valeur et un sens. Les risques doivent être présents, ils sont ce qui rend l'aventure valorisante mais le but de tout cela, c'est qu'ils soient évités.
Mais au niveau "subconscient" plus profond, D.ieu complote pour que l'homme succombe à la faute. Ce n'est pas ce qu'Il désire et c'est même une déviance de Sa Volonté expresse. Mais quand cela arrive, cela libère une richesse de possibilités qui sont infiniment plus larges que tout ce que le plan "officiel" aurait pu permettre. Et ce sont ces possibilités se cachant derrière les calculs et les projets officiels qui constituent Sa motivation ultime pour laquelle Il s'est investi dans “l'affaire” de la vie humaine.
Le Coin de la Halacha
Quels sont les droits et les devoirs d’un Cohen ?

Un Cohen est un descendant – par son père – d’Aharon, le frère de Moché, (Moïse). Aharon a été choisi par D.ieu pour procéder au service dans le Temple de Jérusalem. Ce privilège s’accompagne de droits et de devoirs :
- l’interdiction de se rendre impur au contact d’un mort et donc l’interdiction d’entrer dans un cimetière. Cette règle ne concerne évidemment pas l’enterrement des parents, de l’épouse, de frères et de sœurs non mariées.
A cause de cette interdiction, le Cohen devra se renseigner auprès d’une autorité rabbinique compétente avant, par exemple, d’entreprendre des études de médecine et avant de prendre l’avion (qui pourrait transporter des dépouilles).
- l’interdiction d’épouser une femme divorcée ou convertie. (Les enfants issus d’un tel mariage interdit ne seraient plus Cohen).
- le Cohen est appelé en premier pour la lecture de la Torah en public ; c’est aussi lui qui est appelé à prononcer le «Zimoun», l’invitation à réciter le Birkat Hamazone après le repas.
On évite de demander des services à un Cohen qu’on doit respecter et auquel on doit accorder honneur et préséance.
- le Cohen est appelé à bénir l’assistance à la synagogue : en Israël, tous les jours et en dehors d’Israël, les jours de grande fête. Par ailleurs, il est appelé à bénir les mariés sous la ‘Houpa (le dais nuptial).
- le Cohen est celui à qui on rachète (pour cinq pièces de véritable argent) le garçon premier-né d’une famille qui ne compte ni des Cohanim ni des Léviim. Cette cérémonie se déroule au cours d’un repas, quand le bébé a atteint trente jours (ou plus tard, si cela n’a pas été fait à temps). A la fin de la cérémonie, le Cohen bénit l’enfant.
Quand Machia’h viendra, de nombreuses autres lois s’appliqueront au Cohen, en particulier les lois des sacrifices, les lois de la ‘Halla et autres prélèvements agricoles.

F. L. (d’après le Kitsour Choul’hane Arou’h)
De Recit de la Semaine
Vendredi, le rabbin eut un accident

Vendredi, 15 heures, dans le centre de Paris.
J’ai achevé une visite à un de mes bons amis qui dirige un laboratoire : chaque semaine, je lui mets les Téfiline et nous bavardons un peu. C’est bientôt Chabbat et je m’apprête à rentrer chez moi à moto.
Cela fait 6 ans que j’habite en France, je suis un émissaire du Rabbi à St-Maur-des-Fossés ; la plupart des Juifs de St-Maur travaillent à Paris et c’est là que je m’arrange pour les rencontrer.
Il commence à pleuvoir très fort, la route devient glissante, je ralentis et ajuste mon casque.
Soudain, une voiture de sport aborde le carrefour, près de la place de la Nation. Le conducteur ne m’a pas remarqué, alors que j’avance à vive allure. L’accident est inévitable. Je choisis de freiner, je tombe tandis que ma moto glisse à côté de moi, d’autres voitures approchent : suis-je en train de vivre mes derniers moments ?
Silence. Une voiture s’arrête derrière moi et bloque la circulation. Je vérifie, il ne me manque aucun membre, D.ieu merci. Je parviens même à me relever et je tente de me dégager de la chaussée afin d’éviter de causer un bouchon.
Une femme de l’autre côté de l’allée se précipite vers moi : «Tout va bien ? Puis-je vous aider ?»
- Je crois que ça va ! dis-je en enlevant mon casque. Elle a l’air surprise, elle ne s’attendait sans doute pas à voir un homme barbu. Il n’y a pas tant de motards barbus à Paris…
- «Hakol Béséder» ? répète-t-elle alors, en hébreu avec un fort accent français. Maintenant c’est moi qui suis étonné…
- Venez, poursuit-elle, mettons la moto à l’abri et évaluons les dégâts ! Ceux-ci sont mineurs.
Elle se présente : Sophie Charbit. «J’habite dans le quartier. Je ne m’attendais certainement pas à voir un Juif, encore moins un rabbin…»
Sophie voudrait bien continuer à parler mais je suis obligé de l’interrompre : «Je dois partir, c’est bientôt Chabbat et j’ai encore un long trajet !»
Sophie semble surprise que Chabbat arrive. Et je suis surpris de sa réaction. Près de 4000 Juifs vivent dans cet arrondissement : même s’ils ne sont pas tous pratiquants, il est difficile d’imaginer qu’on ne sache pas que c’est la veille de Chabbat.
- Allumez-vous les bougies de Chabbat ?
Sophie me fixe d’un regard étrange. «Bougies de Chabbat ? Non, je ne les allume pas ! Je n’ai aucune famille ici et je ne respecte pas le Chabbat!»
- Ma femme et moi serions heureux de vous recevoir à la maison pour Chabbat ?
- Quel Chabbat ? demande-t-elle, étonnée.
- Ce soir, ce Chabbat !
- Non, je ne pense pas, réplique-t-elle avec un sourire gêné, j’ai autre chose de prévu. Mais je viendrai avec plaisir un autre Chabbat ! ajoute-t-elle et nous échangeons nos numéros de téléphone.
Je parvins à temps à la maison avant l’allumage des bougies. J’informai mon épouse que nous aurions peut-être une invitée supplémentaire : «Qui sait, remarque-t-elle avec une intuition toute féminine, peut-être cet accident était-il prévu par la Providence Divine juste pour qu’on l’invite…»
Mais Sophie ne vint pas ce Chabbat, ni le suivant. Quant à moi, j’avais égaré son numéro bien que j’aurais eu besoin de son témoignage pour remplir le constat. Et retrouver Sophie Charbit à Paris est comme chercher une aiguille dans une botte
de foin.
Quatre mois passèrent ; un jour, je reçus un texto d’un expéditeur inconnu, probablement une publicité. Mais bizarrement, je l’ouvris et répondis : «Qui est-ce ?»
A ce moment, mon portable sonna : «Rav Drookman? C’est Sophie Charbit ! Vous vous souvenez de moi?»
- Bien sûr ! Nous vous attendons pour Chabbat !
Ce vendredi soir, Sophie fut l’une de nos invités. Elle semblait très émue. Je racontai aux autres convives les circonstances de notre rencontre ; puis elle demanda à raconter sa version des faits : «J’ai 45 ans, je ne me suis jamais mariée et je suis seule à Paris. Cela fait plus de 20 ans que je n’ai parlé ni à ma mère ni à ma sœur.
C’est dur d’être célibataire ; mes parents n’étaient pas pratiquants mais gardaient certaines traditions: Kiddouch, les fêtes, Yom Kippour. Mais depuis que je vis seule, j’ai arrêté même cela !
Après de nombreuses années de solitude et de non observance, j’ai décidé de trouver du travail dans un environnement juif. Ainsi je me ferais de nouveaux amis, peut-être serais-je invitée…
J’ai trouvé une place de vendeuse dans le «Marais», en plein quartier juif. L’ambiance était sympathique. Mais il y avait un problème. Chabbat ! Vendredi, mes collègues se souhaitaient Chabbat Chalom et s’invitaient les uns les autres. Lundi, ils se demandaient mutuellement comment ils avaient passé Chabbat. Mais personne ne faisait attention à moi. Au bout d’un an, je suis devenue de plus en plus aigrie et en colère contre les Juifs et le judaïsme. Et j’ai trouvé un autre travail, avec des non-Juifs.
Mais il subsistait un problème : le vendredi soir, les bougies, le Kiddouch, mes souvenirs d’enfance… Dans un journal, je notai une annonce : la chorale d’une église recherchait des chanteuses, le vendredi soir justement. J’aime chanter…
Cela fait un an que je chante à l’église tous les vendredis soir ! J’en reviens si fatiguée que je ne pense plus aux bougies et au Kiddouch. Et cela aurait pu continuer longtemps si ce n’est votre accident. Un motard presque blessé qui me rappelle que c’est bientôt Chabbat ! Et qui m’invite alors qu’il ne me connaît pas !
Vous croyez que je vous ai été envoyée pour vous aider ? C’est vous qui m’avez été envoyé du ciel pour vous occuper de mon âme !...
Sophie ne chante plus à l’église. Elle passe tous les Chabbat chez nous ou dans d’autres familles Loubavitch.
Ce n’était donc pas un simple accident de moto…

Rav Hershy Drookman (St-Maur-des-Fossés)
www.chabad.org - Choftim
traduit par Feiga Lubecki