Samedi, 17 octobre 2020

  • Beréchit
Editorial

 Plus haut, plus loin, plus fort !

« Allons, voilà qui est fait ! » dira le pragmatique.  « Il est temps de se remettre au travail » dira le matérialiste. « Une de plus et rien de changé ! » dira le cynique. Les fêtes sont passées, l’année est à présent bien engagée et le retour au monde peut sembler difficile. Toutes ces réactions sont, de fait, bien compréhensibles à défaut d’être totalement légitimes. Nous venons de vivre un mois différent des autres. Malgré les circonstances actuelles, chargé de célébrations et surtout d’expériences spirituelles exaltantes, il a été comme un grand voyage. Et ce long parcours nous a, contre vents et marées, sortis de l’espèce de grisaille ouatée qui, trop souvent, finit par constituer le quotidien. Mais voici que tout cela s’efface peu à peu à l’horizon. Voici qu’au mois de Tichri succède celui, sans fêtes, de ‘Hechvan. Et ce brutal contraste crée une pesanteur presque inquiétante. « Tout ça pour ça ? » a-t-on envie de dire. Tout cet effort et toutes ces grandeurs pour revenir, par la force des choses, à la morosité ? Et si une autre voie était possible ?

Une ancienne coutume veut que, lorsque les fêtes s’achèvent, on proclame dans la synagogue le verset : « Et Jacob partit sur son chemin. » Cela en dit bien plus long qu’il n’apparaît. Jacob, notre ancêtre, le Juif emblématique, reprend son voyage dit-on. Il s’est arrêté un moment mais, conscient de la nécessité de le poursuivre, il a repris la longue route. Il sait qu’elle pourra être difficile, semée d’embûches mais qu’il lui faut l’emprunter. Car elle est LE chemin, et surtout le sien. C’est ainsi qu’au sortir des fêtes nous avançons. Après la pure joie du spirituel, quel que soit le visage de l’avenir, ce sont tous les chemins du monde qui s’ouvrent devant nous et il nous faut y revenir, les suivre car ils sont notre chemin. Par eux, nous élevons tout ce qui nous entoure. Par notre contact avec la matière, nous en faisons, au travers de la pratique des commandements de D.ieu, un lieu où la Divinité devient perceptible.

Alors, tel Jacob, nous pouvons nous interroger : d’où prendre une telle force ? Qui nous donnera l’assurance indispensable au voyage, la patience et la sûreté pour le vivre ? A Jacob, D.ieu dit : « N’aie pas peur Jacob, Mon serviteur ». Et cette phrase chante à nos oreilles. Certes, le monde a de quoi impressionner. Certes, nous y voyons, et parfois y vivons, des événements qui vont de l’incompréhensible à l’inacceptable. Pourtant, nous ne connaissons pas la peur. Nous avançons sur notre chemin, pénétrés de la force donnée par les fêtes de Tichri, toujours en nous, à notre portée dès que nous le souhaitons. Nous n’avons pas peur et ce courage seul est, en soi, un signe de victoire. Le monde est grand, le quotidien puissant mais nous savons que l’un et l’autre ne demandent qu’à être illuminés. L’année a commencé ; la vie est en nous et la Délivrance à notre porte.

Etincelles de Machiah

 Attendre sa venue consciemment

Maïmonide enseigne qu’il est nécessaire, pour chacun, de « croire en Machia’h » et « d’attendre sa venue » (Michné Torah, Hil’hot Mela’him, chap.11, Hala’ha 1). Le fait que soit ici soulignée la nécessité de ces deux attitudes indique qu’elles apportent chacune un élément particulier.

En effet, la foi peut rester cantonnée au spirituel, sans avoir de conséquence concrète. Ainsi, nos Sages (traité de Talmud Bera’hot 63a) remarquent qu’un « voleur, à la sortie du souterrain, invoque D.ieu » pour réussir dans son entreprise criminelle.

C’est pourquoi, outre la foi indispensable, chaque Juif doit aussi « attendre » la venue immédiate de Machia’h de telle manière que cette idée apparaisse dans sa pensée consciente.

(d’après Séfer Hasi’hot 5749, vol.1, p.351)

Vivre avec la Paracha

 Beréchit : Les affaires de D.ieu

Le but d’une aventure commerciale est de faire du profit : aucun homme d’affaire qui se respecte n’investirait de capital et ne dépenserait son argent et ses dons si les chiffres ne montraient pas une assurance de faire du profit.

Et pourtant, les plus grands profits sont à récolter dans les conditions même que l’homme d’affaire responsable chercherait plus que tout à éviter, à la suite de développements totalement imprévisibles, dans des environnements sur lesquels il n’a aucun contrôle et dans lesquels toute son aventure (et peut être même sa personne) est menacée.

Et pourtant, l’on peut affirmer que l’esprit de cet homme d’affaires opère à deux niveaux. Au niveau manifeste, il recherche la stabilité et le contrôle. A ce palier, être pris au dépourvu est un anathème pour le monde des affaires. Alors qu’il sait que chaque aventure comporte des risques, son but est justement de les éviter, de se tenir le plus loin possible de l’imprévisible et d’avoir un plan d’urgence pour chaque situation inattendue.

Mais à un degré plus profond, subconscient, le businessman aspire à l’imprévu. Tout au fond de son cœur, il veut être pris au dépourvu, être plongé dans les circonstances que la structure de son affaire cherche à éviter. Car c’est là, et seulement là, que réside un potentiel de profits plus grand que celui que l’analyste le plus performant pourrait prévoir. A ce niveau, si tout marche selon le plan prévu, c’est plus la déception qui prévaudra qu’un sentiment d’accomplissement.

Ce sont là des scénarios qu’il ne présentera jamais à des investisseurs, pas plus qu’à lui-même, au niveau de sa conscience. Mais en dernière analyse, ce sont ces possibilités-là, cachées derrière les projections et les chiffres officiels qui constituent la plus grande des motivations dans son implication dans les affaires.

Le complot effrayant

Le Talmud déclare que « le royaume des Cieux est similaire au royaume de la terre », que les structures de la société humaine reflètent la manière dont D.ieu se relie à Son monde et le gère.

D.ieu possède une stratégie commerciale : la Torah que le Midrach appelle : « le plan divin pour la création », des catalogues de profits que D.ieu désire voir dans Son entreprise. Les lois de la Torah détaillent ce qui devrait et ne devrait pas être fait, et ce qui devrait et ne devrait pas arriver, pour préserver l’investissement divin dans la création et assurer sa « rentabilité ».

Mais le tout premier jour de travail de l’histoire, le plan alla de travers. Adam et ‘Hava, en consommant le fruit de l’Arbre de la Connaissance, violèrent la première Mitsva (le premier commandement) qui leur avait été enjointe. Leur acte mit en péril l’aventure toute entière, déchaînant un chaos de bien et de mal sur le monde contrôlé, policé dans lequel ils étaient nés.

Et pourtant, nos Sages affirment que c’était là « le complot effrayant contre les enfants de l’homme » organisé par D.ieu. « C’est Moi Qui les ai poussés à pécher, admit D.ieu devant Eliahou le Prophète, en les créant avec un penchant vers le mal. »

Car c’est le processus de Techouvah (retour) du péché qui apporte les profits les plus grands dans l’entreprise de la vie. Il n’existe pas d’amour plus intense que l’amour que l’on ressent lorsque l’on est loin, pas de passion plus brûlante que la quête du retour vers un foyer abandonné et un moi aliéné. Quand le lien de l’âme avec D.ieu est étiré jusqu’au point de brisure, la force avec laquelle l’âme rebondit vers sa Source est plus grande que tout ce qui aurait pu être généré par l’âme qui ne quitte jamais l’orbite divine. Et quand une âme erre jusqu’aux coins les plus éloignés de la vie et exploite tout ce qu’elle peut trouver comme négativité et mal dans son environnement pour en faire le moteur de son retour vers D.ieu, elle libère les parties de la création divine qui résident hors d’atteinte d’une vie juste.

C’est là « le complot effrayant contre les enfants de l’homme » fomenté par D.ieu : créer un homme possédant une inclination au mal pour que lorsqu’il y succombe, il puisse rebondir avec un amour pour D.ieu encore plus intense et une moisson de ressources transformées et libérées plus abondante que celle générée par une vie vécue en conformité avec la Volonté divine.

Néanmoins, il serait erroné d’affirmer que D.ieu veut que l’homme pèche ; par définition, un péché est un acte que D.ieu ne veut pas que l’on fasse. De plus, si le plan divin avait été que l’homme pèche, cela soulève la question de savoir ce qui serait arrivé si Adam et ‘Hava n’avaient pas choisi (car c’était de leur part un acte de choix- s’ils ne l’avaient pas fait, cela n’aurait pas été un péché) de manger le fruit de l’Arbre de la Connaissance. Le but de la création de D.ieu n’aurait-il alors pas été réalisé ?

Ce que D.ieu veut

C’est là qu’intervient l’analogie avec l’homme d’affaires. Comme dans le cas du businessman conventionnel, deux niveaux de motivations coexistent derrière l’acte divin de création.

Au niveau manifeste, le monde a été dessiné et créé pour accomplir le plan indiqué par la Torah. Ce plan appelle l’existence d’une inclination au mal dans le cœur de l’homme, pour que notre conformité à la Volonté divine soit porteuse de sens et de signification. Comme l’écrit Maïmonide : « Si D.ieu devait décréter qu’une personne sera juste ou impie ou s’il devait exister quelque chose dans l’essence de la nature humaine qui oblige à emprunter une voie spécifique, quelle place aurait occupé la Torah toute entière ? Et selon quelle mesure de justice D.ieu aurait-Il puni l’impie et récompensé le juste ?

Ce plan ne requiert pas que le mal soit effectivement accompli mais ne fait que posséder le potentiel de son actualisation. Il doit être possible pour nous de violer la Volonté divine pour que le fait que nous ne le fassions pas représente un triomphe moral pour nous et une source de plaisir pour D.ieu. Il doit être possible pour nous de ne pas accomplir le bien pour que nos actes de bien aient de la valeur et de la signification. Les risques doivent être réels, ils sont ce qui rend l’aventure professionnelle profitable et gratifiante, mais le but de tout cela est de les éviter.

Mais à un niveau plus profond et subconscient, D.ieu complote que l’homme succombe au péché. Ce n’est pas ce qu’Il veut, en fait cela est même contraire à Sa volonté exprimée. Mais si cela arrive, cela libère une richesse de possibilités encore plus puissantes que tout ce que le plan officiel aurait pu permettre. Et ce sont ces possibilités, se cachant derrière les projections et les chiffres officiels qui sont Sa motivation ultime dans Son investissement de l’entreprise de la vie humaine.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que Roch ‘Hodech ?

Roch ‘Hodech est la tête, le début du mois hébraïque, calculé d’après le renouveau de la lune. Des calculs très précis, basés sur l’observation des phénomènes célestes mais aussi sur leurs incidences au niveau pratique, président à la fixation du calendrier juif (qui a été fixé définitivement par Hillel l’Ancien, au 4ème siècle de l’ère commune).

Roch ‘Hodech peut compter un ou deux jours : dans ce dernier cas, le premier jour de Roch ‘Hodech est, de fait, le dernier et trentième jour du mois précédent.

Cette année 5781, Roch ‘Hodech Mar’hechvan commence samedi soir 17 octobre 2020 et se termine lundi soir 19 octobre 2020.

Il est permis de travailler Roch ‘Hodech ; cependant, dans certaines communautés, les femmes s’abstiennent dans la mesure du possible de tous travaux de couture, repassage, lessive… et c’est une bonne coutume. En effet, les femmes n’ont pas participé au péché du Veau d’Or et ont refusé de donner leurs bijoux pour la confection de l’idole. D.ieu les récompense donc en leur donnant une sorte de demi-fête chaque Roch ‘Hodech. Cependant, si ces travaux constituent la source de leur Parnassa (le seul moyen de gagner leur vie), elles peuvent les effectuer Roch ‘Hodech.

On évite de se couper les cheveux et les ongles Roch ‘Hodech.

Il est interdit de jeûner ce jour et il est d’usage d’augmenter la quantité et la qualité des repas de Roch ‘Hodech.

(d’après Pinat Hahala’ha – Rav Yossef Ginsburgh)

Le Recit de la Semaine

 Le journal de « Castro »

Dans la ville de Pittsburgh, les communautés orthodoxes et Loubavitch avaient toujours entretenu des relations cordiales. A un moment donné, elles partageaient d’ailleurs le même terrain pour la Yechiva Loubavitch et l’école Hillel. Quant aux familles, l’entente était parfaite et l’harmonie régnait.

Il n’était donc pas surprenant que Yale Butler, fils d’une famille de notables orthodoxes soit devenu un membre actif du programme Loubavitch de réunions d’enfants du Chabbat après-midi. Dans ce cadre, il développa une relation personnelle avec son directeur, Rav Shpielman. Non, Yale ne devenait pas un ‘Hassid de Loubavitch pour autant : il se trouvait très à l’aise dans le mouvement de jeunesse Bné Akiva dont il partageait l’idéologie. Intelligent et sensé, il ne voyait aucune contradiction entre ces deux conceptions et appréciait l’enthousiasme que les ‘Hassidim infusaient dans la vie juive.

Yale avait toujours été un individualiste, un peu original et très actif. En 1960, à l’âge de douze ans, il devint « éditeur en chef » du journal de son école Hillel. Pour le premier numéro, il désirait frapper un bon coup et attirer l’attention de tous les Juifs de la ville et il mit donc au point une « Une » qui serait sûrement remarquée.

L’une des figures les plus actives de la communauté juive de Pittsburgh était un Loubavitch qui portait souvent un chapeau de l’armée et un gilet. Avec sa longue barbe, il rappelait à nombre de gens un certain Fidel Castro. C’est d’ailleurs ainsi qu’on le surnommait plus ou moins ouvertement. (C’était il y a plus de 60 ans et les gens ignoraient alors les dégâts que Castro, ce révolutionnaire communiste, allait perpétrer dans son pays : nombre d’Américains ne voyaient en lui qu’un rebelle qui allait combattre le dictateur Batista et, certainement n’est-ce pas, instaurer la démocratie dans l’île de Cuba).

Yale décida de jouer à fond sur ce jeu de mots et de rôles. Il rédigea une nouvelle fictive avec une invasion de Cuba pendant laquelle les troupes de Castro risquaient la défaite. Désespéré, Castro téléphonait à ses amis du 770 Eastern Parkway à Brooklyn. Ceux-ci en parlaient au Rabbi et l’ordre était donné : les ‘Hassidim devaient marcher vers le Ministère de la Marine, commander des sous-marins et prendre la mer pour se porter au secours de Castro et ses « barbudos », en somme solidarité entre tous les barbus…

La nouvelle fit effectivement sensation mais pas dans le sens que le jeune « reporter » avait espéré… Nombreux furent ceux qui lurent l’article mais peu l’approuvèrent. Même sur le ton de la plaisanterie, c’était absolument déplacé. Les leaders de la communauté orthodoxe réprimandèrent le « rédacteur en chef » pour ses propos saugrenus et ses parents n’étaient vraiment pas fiers de lui. On l’obligea à présenter des excuses à Rav Sholom Posner, le chef de la communauté Loubavitch de la ville et, au final, cette première édition fut aussi la dernière…

Par contre Rav Shpielman ne fit aucun commentaire. Il était décidé néanmoins à présenter ce jeune homme à l’imagination débordante au Rabbi : « Il faut que tu rencontres le Rabbi et alors tu comprendras combien ton article était loufoque ». Quelques semaines plus tard, la branche du Bné Akiva que fréquentait Yale passa tout un Chabbat à Crown Heights et Rav Shpielman emmena donc son protégé en Ye’hidout, entrevue privée. Tous deux entrèrent dans le bureau du Rabbi qui fit signe à Yale de s’asseoir. Peu habitué au protocole interne des ‘Hassidim, Yale accepta de s’asseoir et constata que Rav Shpielman quittait la pièce, le laissant seul avec le Rabbi ! Or il n’était qu’un ado mais le Rabbi le mit à l’aise, déclarant même qu’il connaissait sa famille et son implication dans la communauté, dans la construction du Mikvé et le développement de l’éducation juive dans la ville. Yale était rassuré.

Puis le Rabbi le complimenta pour ses talents d’écrivain !

Jusque-là, Yale avait été fasciné par les yeux du Rabbi mais maintenant il remarqua sur la table du Rabbi… une copie de son fameux « journal » ! Le Rabbi n’en parla pas, soulignant plutôt que, puisqu’il possédait un certain talent, il devait en faire bénéficier les autres, surtout en ce qui concernait l’unité du peuple juif et l’amour du prochain ! Complètement rassuré maintenant, Yale essayait de comprendre ce qui lui arrivait : le Rabbi ne s’était pas arrêté au contenu fantaisiste de son article mais avait reconnu son talent et surtout ses capacités futures !

Les années passèrent. En 1979, Yale devenu rabbin s’installa à Los Angeles où, en plus de ses nombreuses responsabilités, il tenait une rubrique dans le journal du Bné Brit local. Puis son éditeur lui demanda d’écrire aussi chaque semaine un article sur la lecture hebdomadaire de la Torah. Craignant d’être débordé de travail, Yale proposa de s’inspirer des discours du Rabbi de Loubavitch qui apparurent ainsi régulièrement dans les colonnes de ce journal, The Messenger.

En 1982, Yale devint lui-même l’éditeur du journal. Il lança alors l’idée de proposer des abonnements à vie. Une nuit, alors qu’il vérifiait la liste des abonnés, quelle ne fut sa surprise de découvrir : M. M. Schneerson ! Le Rabbi avait lui-même payé son abonnement et avait inclus son propre chèque !

Rav Butler avait envoyé le journal au Rabbi gratuitement : après tout, les discours du Rabbi y figuraient mais le Rabbi avait ressenti le besoin de payer son abonnement !

Le Rabbi n’avait pas oublié l’article sur Castro et avait même déclaré devant Rav Chimon Raichik de Los Angeles qu’il avait détecté chez Rav Butler un talent d’écriture depuis son adolescence…

Eli et Malka Touger

Traduits par Feiga Lubecki

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