Semaine 48

  • Hayé Sarah
Editorial
L’ordre et le désordre

Deux idées opposées ont trouvé, ces dernières semaines, leur pleine illustration. C’est ainsi qu’au-delà de l’embrasement général que nous avons connu, c’est à l’affrontement fondamental de deux concepts qu’il nous a été donné d’assister : l’ordre et le désordre. Alors que, peu à peu, les choses semblent reprendre leur place, il est temps de s’y arrêter.

Certes, le monde a été créé comme un lieu de sérénité. C’est même là une idée si essentielle que les Sages n’hésitent pas à déclarer à son propos : « D.ieu l’a créé pour la stabilité ». C’est dire que celle-ci est littéralement indispensable à tout développement harmonieux, que nulle civilisation ne peut voir le jour ou se maintenir sans que la société qui la sous-tend n’ait réalisé les conditions d’un équilibre minimum. Pourtant, l’ordre et la stabilité pour seules perspectives constituent sans doute un horizon bien limité et insuffisant pour la conscience humaine. Le risque existe qu’une telle recherche, si elle est poussée à son terme absolu, n’aboutisse finalement qu’à conjuguer l’immobilisme sous toutes ses formes avec le dessèchement qu’il entraîne. Dès lors, comment répondre à deux impératifs ? Comment vivre à la fois l’ordre et le désordre, le temps de la règle et celui de tous les possibles ?

Il existe deux sortes de lois. Les unes, données par D.ieu, sont d’une éternité dynamique et, pour cette raison créent les sociétés et les façonnent. Elles les inspirent et les font vivre. Elles épousent leurs contours et accompagnent leur épanouissement. Les autres, conçues par les hommes, sont aussi éphémères que la société qui les a suscitées et dont elles figent l’évolution à l’instant où elles ont été adoptées. Elles sont comme ces photographies qui semblent si réalistes au moment où elles sont prises mais n’évoquent plus que la nostalgie éventuelle des temps enfuis quand les années ont passé.

Dans ce débat entre l’ordre et le désordre, il y a ici une idée qu’il faut savoir ne pas perdre de vue. La norme déterminée par D.ieu est celle qui réalise cet espace de liberté, qui fait que le dynamisme inséparable de la vie est toujours à son côté. Lorsque l’on peine à faire comprendre que, sans le respect des règles admises, il n’est pas de civilisation possible, peut-être est-il nécessaire de rappeler aussi que, faute d’un sens qui la dépasse, la règle même perd sa puissance et que ce n’est que dans le lien avec D.ieu qu’elle peut la retrouver.
Etincelles de Machiah
Grandeur et humilité

Le Talmud (traité Sanhédrin 98a) enseigne que Machia’h pourra venir de deux façons : « sur les nuages du ciel » ou « pauvre et montant un âne ». Ces deux opinions ne sont pas la marque d’une quelconque opposition entre les Sages. En effet, Machia’h possédera la grandeur et la force portées à leur point ultime, ce qu’évoque l’image d’une venue « sur les nuages du ciel ». Cependant, en même temps, il sera d’une humilité absolue tel « un pauvre montant un âne ».
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch -
Chabbat Parchat Kedochim 5744)
Vivre avec la Paracha
‘Hayé Sarah :
la vie du couple

Et Eliézer dit : «Je suis le serviteur d’Avraham. D.ieu a béni mon maître en abondance… et lui a donné du gros et du menu bétail, de l’argent et de l’or… Et Sarah, l’épouse de mon maître a donné un fils à mon maître dans son vieil âge ; et c’est à lui qu’il a donné toutes ses possessions… (Béréchit 24 :34-36)

«Et c’est à lui qu’il a donné toutes ses possessions» : Eliézer leur présenta un acte d’héritage dans lequel Avraham donnait à Its’hak tous ses biens pour qu’ils soient empressés d’envoyer leur fille (pour qu’elle épouse Its’hak) (Rachi, ibid., versets 10 et 36).

Avraham vécut encore trente-cinq ans après le mariage de Its’hak et Rivkah, années pendant lesquelles il se remaria et engendra six enfants. Ainsi était-il adéquat, voire même permis, pour lui de donner «tous ses biens» à Its’hak ? Il est sûr que la moitié de la fortune considérable d’Avraham aurait suffi à faire de Its’hak un parti intéressant pour la famille de Rivkah.

L’être et le néant
La réalité créée, comme nous la connaissons et l’expérimentons, possède deux dimensions : le matériel et le spirituel. Les choses physiques sont celles que nous percevons par l’intermédiaire de nos sens. «Spirituel» est le nom que nous attribuons à ces réalités qui, quand bien même nous en ressentons l’effet et dont l’existence est prouvée par l’expérience, sont dénuées des qualités (substance, forme, quantité, etc.) que rendent un objet réel à nos yeux. Par exemple, nous connaissons et discutons des réalités telles que «la raison», «la volonté», «l’amour», «les âmes», «les anges» et «la sainteté» mais elles ont une existence spirituelle et abstraite plutôt que concrète, et tangible.
C’est pour cette raison que le spirituel est considéré comme plus élevé et plus divin et le physique, plus «bas» et plus distant de D.ieu. Car la loi cardinale de la réalité est que «il n’y a rien dehors de Lui», que D.ieu est la seule véritable existence et toutes les autres existences ne sont que des extensions et des expressions de Son Etre. Il s’ensuit donc que plus un objet exhibe de «réalité apparente» et «d’existence indépendante», plus la vérité divine est cachée. Ainsi, l’existence d’une entité spirituelle est-elle moins en conflit avec l’axiome qu’ «il n’a y a rien en dehors de Lui» et plus prête à servir, apporter et exprimer le Divin.
Il existe, toutefois, un autre aspect dans la différenciation entre le matériel et le spirituel. D’où, en fait, jaillit le sens de l’existence absolue et sans équivoque des réalités physiques ? Comme avec tout dans l’existence, il dérive également de leur source divine. Parce que l’existence de D.ieu est absolue et sans équivoque, parce que D.ieu ne peut être défini par aucune fonction, but ou signification autres que le fait de Son existence, les objets matériels arborent les mêmes caractéristiques. En fait, le monde matériel reflète plutôt que ne démentit la réalité divine.
En d’autres termes, le spirituel tout comme le matériel affirment l’exclusivité et l’absolu du Divin, mais chacun à sa manière. L’entité spirituelle le fait avec sa soumission et l’annulation d’elle-même (Bitoul). «Moi-même je ne suis rien», proclame-t-elle, «je n’existe que pour révéler une vérité supérieure». La réalité du monde matériel qui s’auto définit est un mensonge, un mensonge que l’on peut réfuter en établissant la souveraineté de l’esprit sur la matière, ou de l’idéal sur le réel. L’égocentrisme de la création doit être réprimé en répandant l’idée que D.ieu est la seule existence vraie et que tout le reste n’existe que pour Le servir et révéler Sa vérité. C’est là la perspective spirituelle de la réalité.
Par contre, la conception matérielle est opposée : le monde matériel est celui qui transmet la réalité divine. Il est vrai que si l’on considère la création comme quelque chose de distinct du Créateur, le «spirituel» est plus prêt de D.ieu : il possède un «ego» moindre et est moins réel et est donc moins en contradiction avec le principe selon lequel rien n’existe en dehors de D.ieu. Mais si l’on recherche derrière la réalité superficielle d’un monde séparé de D.ieu, et que l’on comprend que la création tout entière n’est rien d’autre qu’une expression de Sa vérité, alors le monde physique exprime une dimension encore plus profonde de cette vérité. Le spirituel renferme certaines qualités divines (la sagesse divine, la bienveillance, l’infini, la transcendance, etc.) alors que le matériel évoque l’être divin, faisant miroir aux qualités inhérentes à l’existence divine, son caractère absolu, sans équivoque et parfaitement autonome.
Il s’ensuit donc que la plus grande manifestation de la vérité divine requiert une union du spirituel et du matériel. Elle requiert une soumission spirituelle de la revendication matérialiste d’être autonome et séparée qui est ostensiblement contraire à la vérité divine. Et elle requiert le développement de cette suffisance comme l’expression absolue de la réalité divine.
C’est là le but de la vie sur terre. C’est à cette fin que l’âme, élément spirituel par excellence, pénètre le corps physique et assume une existence corporelle. C’est à cette fin qu’elle accomplit les mitsvot, faisant des actions concrètes et des objets physiques des lieux d’implantation de la volonté divine.

La première Mitsva
Le mariage est l’équivalent humain de l’union entre l’esprit et la matière L’homme et la femme sont les éléments spirituel et matériel du monde humain. L’homme est l’être «spirituel» dans le sens où il est un guerrier, une créature qui vient défier le statu quo et impose sa volonté à son environnement. La femme est «physique» dans le sens où elle est la nourricière, celle qui cherche à cultiver et identifier la réalité plutôt qu’à la dominer ou la remplacer. L’homme conquiert, la femme développe. L’homme accomplit, la femme est.
C’est pourquoi nos Sages ont dit : «Ce monde que nous traversons est comparable à un mariage». «Fructifiez et multipliez-vous» est le premier commandement enjoint à l’homme, car l’impératif de «s’attacher à sa femme et de devenir une chair» est l’essence de la vie et la raison de notre présence ici : effectuer l’union entre l’esprit et la matière.
C’est la raison pour laquelle Avraham investit «tout ce qu’il possédait» dans le mariage de Its’hak et Rivkah. Comme c’est le premier mariage décrit par la Torah, c’est aussi le prototype de tous les mariages juifs qui le suivront, à la fois au sens littéral et au sens plus large de faire du monde une «résidence pour D.ieu». Dans cette entreprise, est investi tout ce qu’Avraham possède : toutes les ressources, spirituelles et matérielles dont le Tout Puissant pourvoit Son peuple afin qu’il réalise Son but dans la création.
Le Coin de la Halacha
Comment accomplit-on les commandements de craindre et aimer D.ieu ?

Chaque Juif, homme ou femme, a le devoir de craindre D.ieu, d’aimer D.ieu, de croire en D.ieu… comme l’écrit le Rambam (Maïmonide) au début des lois sur les fondements de la Torah (2-1 et 2).
Ces Mitsvot s’appliquent à chaque instant et ne connaissent aucune limite. Cela signifie qu’à tout moment, un Juif doit penser, parler et agir en étant conscient de la présence de D.ieu. Ceci n’est pas réservé à une élite et chacun peut y parvenir car «D.ieu ne demande rien qui soit au-dessus des forces de Ses créatures» (Chemot Rabba 34. 1). Même si chacun d’entre nous ne peut prétendre parvenir à l’amour de D.ieu manifesté par Avraham ou la crainte de D.ieu d’Its’hak, chacun doit prier et étudier la Torah de façon à acquérir une crainte et un amour de base.
Le second Rabbi de Loubavitch écrivait : «Celui qui – par une fausse humilité – prétend qu’il ne peut plus considérer la grandeur de son Créateur est considéré comme un fauteur, comme s’il ne mettait pas les Téfilines : car la Mitsva des Téfilines s’accomplit matériellement tandis que la Mitsva de croire en D.ieu s’accomplit spirituellement».
La Hassidout ‘Habad expose de façon ordonnée et systématique l’influence de D.ieu sur la création, l’importance de la Torah et la sainteté de l’âme juive. Elle démontre que, de fait : «Il n’y a rien d’autre que Lui» (Deutéronome 4. 35), le monde entier n’est qu’un aperçu de la puissance de D.ieu.
C’est pourquoi chacun et chacune a l’obligation d’étudier régulièrement la ‘Hassidout, si possible avant la prière, afin de mieux réaliser «devant Qui on prie», de ressentir un lien avec D.ieu ce qui influencera positivement toute la journée.

F. L. d’après Rav Yosef Ginsburgh
De Recit de la Semaine
La guerre du ‘Hazane

Mon père était rabbin et Cho’het (sacrificateur rituel). Dans sa synagogue de Newark (New Jersey), il avait un ami qui était un ‘Hassid du précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn. Grâce à cet ami, j’eus le privilège d’obtenir une entrevue avec le Rabbi la veille de mon incorporation dans l’armée américaine pendant la Seconde Guerre Mondiale.
On me fit entrer dans le bureau du Rabbi : celui-ci était assis devant sa table mais tournait le dos à ses visiteurs. Son secrétaire me demanda la lettre dans laquelle j’avais écrit la bénédiction que je souhaitais recevoir du Rabbi. Nul n’avait le droit de voir le visage du Rabbi, je ne voyais que son dos mais je ressentais comme si je me tenais en présence de D.ieu.
Après que j’ai donné mon papier, on me fit patienter dans une antichambre et on me dit d’attendre. Dix minutes plus tard, un secrétaire me tendit une enveloppe fermée avec la recommandation du Rabbi de ne l’ouvrir qu’une fois que je serais rentré à la maison. Bien que dévoré de curiosité, je n’ouvris l’enveloppe qu’à mon arrivée chez moi.
Le message du Rabbi était écrit clairement, en yiddish. A partir du moment où j’embarquerais pour l’Europe, je devais chaque jour prier avec mon Talit et mes Téfilines et les protéger durant toute ma carrière militaire. Le Rabbi m’assurait que le Talit et les Téfilines me protégeraient et me permettraient de rentrer sain et sauf chez moi.
Mon Talit et mes Téfilines étaient enveloppés dans un simple sac de velours noir, avec une étoile de David brodée en fil d’or dans le coin supérieur gauche. Mon prénom hébraïque, Eliézer Ben Arié Leib était écrit en fil d’or dans le coin droit. Quand je ne l’utilisais pas, le sac en velours était introduit dans un sac en cuir, imperméable à l’eau, suspendu à un crochet à l’intérieur d’un tank.
Chaque matin, je me levais encore plus tôt que mes camarades G.I. pour prier. Les jours de pluie, je priai à l’intérieur du tank. Nul autre que moi n’avait le droit de toucher le sac en velours.
J’étais opérateur radio sur un tank M10 attaché à la 45ème division Oklahoma en Allemagne. Les Nazis devaient se rendre dans les douze à quinze jours à venir. Mon tank était parqué au repos et le soleil se couchait. Tout allait bien, le calme régnait quand le camion de ravitaillement d’essence se plaça derrière le tank. Nous avions commencé à décharger l’essence du camion tandis que nos camarades chargeaient les munitions et la nourriture.
Ces activités produisaient beaucoup de bruit, ce qui explique que nous n’avons pas entendu le mortier qui explosa à la gauche des deux véhicules. Un soldat fut tué sur le coup tandis que des éclats métalliques pénétrèrent dans mon corps. Le bruit qui avait alors été assourdissant fit place à un silence mortel, un silence tel que je crus que j’étais devenu sourd. Tandis que je gisais dans la boue, perdant abondamment mon sang, j’entendis un oiseau qui chantait non loin de là.
«Ce son si agréable sera-t-il le dernier que j’entendrai de ma vie ?» eus-je le temps de penser. «Quelle ironie ! Je suis un ‘Hazane (cantor) professionnel et j’aurais entendu de la musique au dernier moment de ma vie !»
Très vite les activités reprirent : des hommes couraient en aboyant des ordres tandis que des soldats gémissaient et suppliaient qu’on les aide. Un incendie se déclara, menaçant de faire exploser le stock de munitions et l’essence qui venaient d’être chargés.
Voyant que j’étais encore vivant, les médecins ordonnèrent qu’on me transporte à l’hôpital de campagne non loin de là. Tandis qu’on m’installait sur la civière, je criai à mon sergent juif : «Apporte-moi mon Talit et mes Téfilines, mon Talit et mes Téfilines, c’est vital !». Le médecin ordonna mon départ mais je continuais de crier, de plus en plus fort jusqu’à ce que mon Talit et mes Téfilines fussent posés à mes côtés et que je puisse les serrer fermement contre moi.
Le personnel médical procéda immédiatement à l’opération. Malheureusement, ma montre, mon sac personnel et mon porte-monnaie me furent dérobés mais pas mon sac à Téfilines qui avait été caché sous ma couverture. Il est resté avec moi. Durant l’opération, je l’avais confié à une infirmière qui me le rendit trois jours après, quand je finis enfin par me réveiller. Elle avait remarqué l’étoile de David brodée sur le sac et en avait pris soin. Elle avait reconnu instinctivement le pouvoir du Talit et des Téfilines.
La bénédiction du Rabbi s’était réalisée. Je retournai chez mes parents, sain et sauf même si j’étais blessé. J’avais emporté et protégé mon Talit et mes Téfilines comme le Rabbi me l’avait recommandé et eux m’avaient protégé.

* * *

Bien que mes fils m’aient, par la suite, acheté d’autres Talitots avec des broderies plus fines et plus fraîches, je préfère continuer d’utiliser ce Talit pour la prière quotidienne.

Eliezer Schelman
Jérusalem Post
Traduit par Feiga Lubecki