Samedi, 25 décembre 2021

  • Chémot
Editorial

 Maïmonide : pour notre temps

En cette fin de semaine, nous rencontrons une date qui ne peut manquer de parler au cœur des hommes de notre temps : le 20 Tévèt, cette année 818ème anniversaire du départ de ce monde de Maïmonide. Certes, ce type d’événement est toujours important dans la conscience juive quand il concerne un de ces personnages qui ont modelé notre vision du monde en nous confiant sa sagesse pour que nous en fassions un mode de vie. Il est clair, de ce fait, qu’un tel jour doit légitimement être souligné et que son éclat doit transpercer l’obscurité du siècle. Pourtant, ici, il y a quelque de chose de plus : c’est de Maïmonide qu’il s’agit et cela seul suffit à faire vibrer un élément plus profond en chacun.

C’est que Maïmonide ne fut pas simplement un grand sage, un grand maître, philosophe et médecin. Il ne fut pas uniquement ce guide vers qui tout le monde se tournait et qui sut diriger la communauté de son temps au travers de multiples vicissitudes. Sans doute nous parle-t-il plus fortement parce qu’il vécut ce type d’existence dont nous aurions pu penser qu’elle est notre sort particulier : à la fois présent au cœur du monde matériel dans sa globalité et fidèle au judaïsme dont il révèle à tous les arcanes, autant pénétré de l’aspect légal du judaïsme que de sa mystique. En effet, Maïmonide fut cet homme absolu, ce Juif total qui ouvrit ainsi un chemin indispensable.

Bien sûr, nul ne peut se comparer à sa grandeur intellectuelle et spirituelle. « De Moïse à Moïse, il ne se leva personne comme Moïse » proclame sa pierre tombale à Tibériade, faisant référence au Moïse de la Torah et à Moïse Maïmonide. Cependant, il établit un lien essentiel avec nous en nous laissant une œuvre fondamentale. Et ce lien nous donne plus qu’une voie à suivre, la force de nous y engager. Maïmonide, c’est d’abord son grand ouvrage : le « Michné Torah ». Il s’agit d’un travail de codification de la loi juive, précurseur des travaux ultimes dans ce domaine. Recouvrant tous les thèmes du judaïsme, l’ensemble des commandements, il constitue un objet d’étude incontournable. Et ce n’est pas un hasard si le Rabbi appela chacun à en étudier trois chapitres, ou un chapitre, par jour ou, a minima son « Sefer Hamitsvot », la nomenclature des commandements, qui en est comme le corollaire. Certaines études sont libératrices. Celle de Maïmonide en fait incontestablement partie. Liberté personnelle comme liberté de tous les hommes, finalement tout cela est ici en jeu. En cette période particulière, faisons donc de son souvenir une raison d’agir.

Etincelles de Machiah

 La Techouva pour les Tsadikim ?

La notion de Techouva peut également s’appliquer aux Tsadikim – aux Justes – si l’on se réfère à l’enseignement de nos Sages selon lequel un homme devrait « passer tous ses jours dans la Techouva ».

En effet, dès qu’un Juif perd, ne serait-ce qu’un instant, de son niveau habituel du service de D.ieu, par la prière et l’étude de la Torah, cela est considéré, pour lui, comme une chute considérable. Cela appelle donc la Techouva la plus sincère. Devant l’intense lumière apportée par Machia’h, cette dernière sera d’autant plus nécessaire.

(d’après Or Hatorah, Chir Hachirim, p. 688)

Vivre avec la Paracha

 Chemot

Devant le nombre croissant des Enfants d’Israël en Egypte, le Pharaon les soumet à l’esclavage. Puis il ordonne aux sages-femmes juives, Chifrah et Pouah, de tuer tous les nouveau-nés garçons. Devant leur désobéissance, il ordonne que tous les bébés hébreux soient jetés dans le Nil. Amram et Yo’héved, la fille de Lévi, ont un fils qu’ils déposent dans une corbeille sur le Nil. Sa sœur Miriam surveille de loin et voit que la fille du Pharaon découvre l’enfant, le prend. Elle va l’élever comme son fils et le nommer Moché.

Moché, devenu un jeune-homme, découvre les souffrances de ses frères. Voyant un Egyptien s’acharner sur un Hébreu, il le tue. Le lendemain, alors qu’il veut séparer deux Juifs qui se querellent, ces derniers le menacent de rapporter son crime. Moché fuit donc à Midian. Il est secouru par les filles de Yitro. Il se marie avec l’une d’entre elle, Tsipora et devient le berger de son beau-père.

A propos du verset qui ouvre la Paracha : « Voici les noms des enfants d’Israël qui sont venus en Égypte » (Chemot 1 :1), le Midrach commente que les noms des douze tribus sont mentionnés en relation avec la Rédemption du Peuple juif. Cela paraît difficile à comprendre dans la mesure où ces versets mentionnent la descente en Égypte et le récit qui suit évoque le commencement de la servitude des Juifs. Tout cela semble bien en contradiction avec la Rédemption !

Selon une seconde opinion dans le Midrach, les noms des douze tribus sont cités pour insister sur le fait que s’ils sont descendus en Égypte avec les noms Réouven, Chimon… ils vont remonter, après la délivrance, avec ces mêmes noms. Ainsi, l’emphase est-elle mise sur le mérite du Peuple juif qui, tout au long de l’exil, ne songea pas à changer de noms.

Toutefois, l’implication de ces passages est que le récit a pour but de nous faire réaliser que la descente en Égypte constitue une étape dans la Rédemption du Peuple juif et est, bel et bien, liée à la Rédemption ultime.

C’est dans ce contexte que l’obligation de rappeler, et de revivre l’exode d’Égypte chaque jour, sert de catalyseur pour rapprocher la Rédemption ultime.

L’intérêt de ce concept est renforcé par le passage suivant (tiré de la conclusion du premier chapitre du traité de Bra’hot et également cité dans la Hagada de Pessa’h) : Rabbi Él’azar ben Azaria dit : Je suis comme une personne âgée de soixante-dix ans et pour autant, je n’avais pas mérité (de comprendre la source de l’obligation) de se rappeler l’exode d’Égypte la nuit jusqu’à ce que Ben Zoma explique : « Il est écrit : ‘pour que tu te rappelles le jour où tu es sorti d’Égypte tous les jours de ta vie.’ ‘Les jours de ta vie’ : cela se réfère aux jours réels. ‘Tous les jours de ta vie’ inclut également les nuits.

Nos Sages affirment : « les jours de ta vie » : cela représente l’ère présente. « Tous les jours de ta vie » : cela implique l’Ère de la Rédemption. »

Rachi souligne que Rabbi Él’azar ben Azaria n’avait pas, en réalité, soixante-dix ans, à l’époque. Alors qu’il avait dix-huit ans, les Sages destituèrent Rabban Gamliel de sa position de Nassi (dirigeant de la génération) et nommèrent à sa place Rabbi Él’azar ben Azaria. Cette nuit-là, sa barbe blanchit à tel point qu’il paraissait avoir soixante-dix ans. Le jour suivant, Ben Zoma apporta l’explication que nous avons lue ci-dessus.

Il apparaît de ce récit que ces concepts, à savoir la nomination de Rabbi Él’azar ben Azaria à la position de Nassi et le fait qu’il ait paru « comme une personne âgée de soixante-dix ans » sont liés à l’idée de se souvenir, chaque jour, de la sortie d’Égypte.

Apportons un éclaircissement. L’exode d’Égypte est « un principe tout à fait fondamental de notre Torah et de notre foi » et il représente une opportunité pour toute rédemption. A cette époque, les Juifs furent désignés comme « les serviteurs de D.ieu et non les serviteurs des serviteurs. » La liberté qui fut alors accordée perdure.

Dans son sens spirituel, l’exode d’Égypte représente la libération de l’âme divine qui sort des frontières et des limites (« metsarim » en hébreu) du corps, de l’âme animale et, d’une manière générale, de tout l’environnement matériel dans lequel nous vivons. Cela lui offre le potentiel de s’unir à D.ieu par le biais de la Torah et de ses Mitsvot. Puisque ce sont des concepts fondamentaux dans la Torah et dans le Judaïsme, nous sommes donc tenus de nous rappeler chaque jour de l’Exode.

De cette obligation découlent trois conséquences dans notre service spirituel.

Tout d’abord, il s’agit de rappeler l’exode durant le jour. Cela signifie que chaque jour de sa vie, l’homme doit aller au-delà de ses frontières et de ses limites.

De plus, l’obligation de se souvenir de l’exode la nuit enjoint de continuer ce service dans la nuit de l’exil.

Enfin, l’obligation de se remémorer de l’exil à l’Ère de Machia’h appelle notre attention sur le fait que la Rédemption future surpassera la sortie d’Égypte car elle ne sera suivie d’aucun autre exil. En effet, D.ieu promet : « Je ferai en sorte que l’esprit d’impureté disparaisse de la terre », ce qui diffère de la délivrance d’Égypte où le mal conserva son existence dans le monde. Mais nous continuerons à rappeler, même alors, l’exode d’Égypte.

C’est cet exode qui donna le potentiel à toutes les autres rédemptions de se produire. En outre, si le Peuple Juif avait été méritant, il serait passé directement de la rédemption d’Égypte à la Rédemption messianique. C’est ainsi que ces deux rédemptions constituent, dans leur essence, une seule et même entité. En fait, la pensée ‘hassidique explique que toute la période qui va depuis l’exode jusqu’à la Rédemption future est décrite comme « les jours de ton exode d’Égypte ». Car ce n’est qu’avec la Rédemption finale que sera réellement achevé l’exode. Si des milliers d’années se sont écoulées depuis, cela n’est dû qu’à des facteurs extérieurs.

En conséquence, « tous les jours de ta vie » souligne un but unique : « faire venir l’Ère de la Rédemption ».

Grâce à ce qui précède, nous pouvons comprendre pourquoi l’exode sera rappelé à l’Ère de Machia’h. Comme nous l’avons vu, il marque le commencement d’un processus qui conduit à la Rédemption ultime. Par ailleurs, le service associé à l’exode possède un avantage car il reflète la force du Peuple juif pour servir D.ieu quand les forces du mal continuent à exister.  En revanche, à l’Ère de la Rédemption, le rappel de la sortie d’Égypte ne sera qu’un facteur secondaire. La Rédemption sera plus complète et plus riche que ne l’a été celle d’Égypte.

C’est pour cette raison que nos Sages ajoutent les déclarations de Ben Zoma, en précisant que l’exode d’Égypte concernera le service spirituel des Juifs en exil et même dans l’état de perfection absolue que sera l’Ère de la Rédemption.

L’expression « Lehavi Yemot haMachia’h » que l’on traduit par « pour inclure l’Ère de Machia’h » signifie littéralement : « pour faire venir l’Ère de Machia’h ». Cela implique que nos Sages ne se sont pas contentés de faire une déclaration qui sera d’actualité à l’époque de Machia’h mais ont statué sur un concept qui s’applique aux Juifs, en tous temps : un Juif doit réaliser que « tous ses jours » doivent être consacrés à un but exclusif : « faire venir l’Ère de la Rédemption ».

Cela suppose deux conditions.

Tout d’abord, il faut attendre avec impatience la Rédemption et en ressentir un avant-goût dans notre expérience d’aujourd’hui, ce qui revient à dire : « faire venir l’Ère de la Rédemption « tous les jours de notre vie ».

D’autre part, il faut savoir qu’une telle posture va servir à hâter et à précipiter la réalisation de la venue du Machia’h.

Ainsi, pouvons-nous expliquer le lien entre ce qui vient d’être développé et Rabbi Él’azar ben Azaria et sa nomination au poste de Nassi. Le but d’un Nassi est d’établir une relation entre le Peuple juif et la Rédemption ultime, de donner aux Juifs, alors qu’ils sont encore en exil, un avant-goût de la Rédemption. C’est pourquoi, le jour de sa nomination, Rabbi Él’azar ben Azaria se consacra à l’étude du concept de la Rédemption.

Le Coin de la Halacha

 Quel cadeau offrir à sa fiancée ?

Il convient de distinguer la décision de se marier (appelée communément « fiançailles ») de l’appellation « Éroussine » utilisée dans la Guemara et les décisionnaires.

Dans le langage du Talmud, Éroussine consacre déjà le lien du mariage et se célèbre par le fait que l’homme donne une bague à la fiancée.

Si, à la suite des Éroussine, les fiancés décidaient de rompre leur relation, cela ne pouvait se faire que par un Guett, un acte de divorce en bonne et due forme, établi par un tribunal rabbinique sérieux et reconnu.

C’est pourquoi, vu la gravité de ce terme, il convient de ne pas utiliser ce mot Éroussine pour une promesse de mariage et, surtout, de ne pas offrir de bague avant la cérémonie du mariage sous la Houppa (dais nuptial).

Il est recommandé que le fiancé offre un bijou (montre, collier, bracelet par exemple) et, si possible, par l’intermédiaire de sa mère ou d’une femme de sa famille et sans témoins. Il offrira aussi des livres de Torah, en particulier des livres sur les lois que doit connaître une femme juive pour l’édification de son foyer. Il est de coutume que la fiancée offre un Chass (édition complète du Talmud), ainsi qu’une montre et un Talit (châle de prière).

(d’après Rav Yossef Guinzburg – Si’hat Hachavoua 1817)

Le Recit de la Semaine

 Pas la peine de s’énerver

En sueur, ils attendaient une voiture qui voudrait bien les prendre en stop, sur cette route de Samarie. C’était un brûlant mercredi d’été, il y a une dizaine d’années et personne ne daignait s’arrêter quand soudain, une vieille voiture avançant lentement freina à leur hauteur. Bernstein et son ami s’engouffrèrent dans le véhicule, soulagés d’apprendre que leur bienfaiteur se dirigeait vers Tel Aviv mais acceptait volontiers de les déposer non loin de là, à Bné Brak : « Pourquoi pas ? Cela me donnera l’occasion de prier Min’ha ! ». Et le conducteur se mit à leur raconter une autre occasion où il s’était rendu dans cette ville :

« Je me suis marié à 24 ans, ma femme avait alors 17 ans. Nous habitions à Ashdod et, au bout de quelques mois, nous avons décidé d’acheter un logement à Jérusalem. Nous avons fixé un rendez-vous avec le propriétaire pour finaliser la vente avec un premier paiement.

J’avais travaillé avant mon mariage et je possédais environ 17 500 dollars d’économies que je mettais dans le sac de mon épouse. Nous sommes partis en bus vers la capitale. Le rendez-vous était fixé à 16h 30 mais il n’était que 13 heures quand nous sommes arrivés. J’ai proposé à ma femme de faire des courses avec sa tante qui habitait non loin de là puis de nous retrouver à 16 heures. A tout hasard, je pris 500 dollars, pensant sans doute acheter un costume neuf si l’occasion se présentait.

A 16 heures, j’attendis ma femme mais le temps passait et elle n’arrivait pas. 16 heures 30, 17 heures… A cette époque, il n’existait pas de téléphones portables bien sûr !

Ce n’est qu’à 17 heures 30 que j’aperçus ma femme et sa tante qui approchaient. Ma femme avait l’air bouleversée et de fait, elle n’osait même pas s’approcher et je la vis éclater en sanglots. C’est la tante qui m’expliqua : « Ne vous énervez pas, ne vous mettez pas en colère… Je ne sais pas ce qui s’est passé, ne criez pas je vous en prie mais… l’argent a disparu !

Comme je vous l’ai expliqué, elle était très jeune et elle ne cessait de pleurer. La tante balbutia qu’elle tenterait de trouver un peu d’argent mais je lui ai tout de suite signifié qu’il n’en était pas question. Je leur ai proposé d’entrer dans une pizzéria, de nous restaurer et de nous calmer. Et ma femme ne cessait de pleurer : j’ignorais qu’un être humain puisse être capable de pleurer autant ! Je la suppliais d’arrêter de verser ces larmes pour un élément aussi vil que l’argent : « Considérons qu’ainsi nos péchés seront pardonnés, espérons que cet argent profitera à des gens bien intentionnés, des gens dans le besoin qui sauront en faire bon usage ! ». Ma femme était stupéfaite de ma réaction ou plutôt de mon manque de réaction et elle cessa de pleurer.

Sa tante proposa encore une fois de réunir un peu d’argent à droite à gauche mais je lui fis comprendre une fois pour toutes que, si elle ne voulait pas qu’on divorce à cause de ce qui s’était passé, elle devait s’engager à ne rien raconter de tout cela ni au grand-père, ni à l’oncle car j’étais conscient que cette affaire pourrait provoquer des problèmes dans la famille si quelqu’un s’avisait de blâmer ma jeune épouse pour son manque de responsabilité.

J’ai acheté une bouteille de vin – après tout, j’avais 500 dollars en poche et je pouvais me le permettre. Je souhaitais « Le’haïm », « A la vie », devant ma femme et sa tante et elles se sont calmées. Nous sommes retournés à Ashdod, l’acquisition d’un appartement à Jérusalem n’était plus envisageable.

Deux semaines plus tard, alors que je circulais rue Sokolov à Bné Brak, j’aperçus un vieux Juif portant deux lourds sacs de courses. Je me suis arrêté et ai pris les sacs de ses mains :

  • Grand-père, pourquoi portez-vous ces sacs ? Où sont vos enfants ?
  • L’un est à Los Angelès soupira-t-il et l’autre habite ailleurs. Je suis seul. Cela fait longtemps que je veux aller dans une maison de retraite mais je n’arrive pas à vendre ma maison !

J’ai demandé à voir sa maison, je l’ai inspectée et me suis proposé comme intermédiaire. Il en fut très content :

  • Si vous la vendez pour 100 000 dollars, je vous donne 5 000 dollars de commission !
  • Peu importe ! A quel prix acceptez-vous de vendre ?
  • 100 000.

Avec mon frère, j’ai procédé à la rénovation de l’appartement : peinture, électricité, plomberie… Puis j’ai accroché une pancarte, demandant 140 000 dollars. Un avocat s’intéressa à l’affaire qui fut conclue très rapidement.

  • Alors, à votre avis, combien j’ai gagné ? demanda le chauffeur à Bernstein. Et il répondit sans attendre sa réponse : en déduisant les frais de rénovation, j’ai gagné 34 000 dollars ! Exactement le double de ce que j’avais perdu !

Donc vous voyez qu’il ne sert à rien de s’énerver et d’en vouloir aux autres. Le bon D.ieu s’occupe de chacun d’entre nous et veille à ce que, finalement, tout s’arrange pour le mieux ! ».

M. Bernstein – Maaynoté’ha – Si’hat haChavoua 1816

Traduit par Feiga Lubecki