Samedi, 7 mars 2015

  • Ki Tissa
Editorial

 Pourim et pour toujours

Histoire d’ombre et de lumière, de tragédie et triomphe : Pourim est tout cela à la fois. L’allégresse qui en constitue le cœur n’est pas là par hasard et le fait que chacun la ressente avec une surprenante constance ne peut susciter l’étonnement. Car Pourim est d’abord essentiellement une fête de notre temps. Il nous parle en effet d’un temps qui ressemble au nôtre à bien des égards : l’exil des Juifs dans un grand pays d’accueil, la situation des exilés qui, peu à peu, s’enracinent dans leur nouveau lieu de résidence, la vie comme un long fleuve tranquille jusqu’au jour où la tempête se lève... Cela évoque tant d’événements dans la mémoire de notre peuple, tant de périodes et d’horizons différents qu’on ne peut s’empêcher de trouver Pourim bien emblématique.

C’est pour cette raison qu’on ne peut vivre ce jour comme une simple commémoration. Certes, le souvenir est toujours important et il a été de nombreuses fois observé que sans passé, on ne peut guère avoir d’avenir. Mais Pourim ne peut s’arrêter là et la liesse collective qui en est la marque distinctive traduit cette portée différente. S’il y a un point qu’il faudrait aujourd’hui retenir de la fête, peut-être cette confiance absolue manifestée par les Juifs du temps. Ils savent qu’un ennemi implacable menace directement leur vie. Ils savent que sa haine du judaïsme ne sera satisfaite que par leur extermination. Pourtant, loin de détourner les yeux pour tenter d’oublier le danger, loin aussi de se soumettre aux diktats des puissants, ils restent eux-mêmes. Ils savent ne renoncer à rien, assumer pleinement ce qu’ils sont et c’est cette grandeur-là qui, finalement, crée les conditions de leur victoire.

N’est-ce pas aussi de nous que ce récit parle ainsi ? Les commentateurs relèvent que le livre d’Esther est la seule partie du texte biblique où le nom de D.ieu ne soit pas cité, comme pour nous permettre de voir les événements rapportés au seul prisme de la logique et de la raison. C’est dans la prise de conscience qu’il existe des ressorts cachés aux choses que tient aussi notre vie maintenue. D.ieu, a-t-on dit, n’apparaît pas dans le texte ? De fait, Il s’y dissimule, présent à chaque étape, attentif aux gestes de l’homme. En cette période de Pourim, à nous d’assumer notre part. A nous de créer les conditions qui feront la victoire finale, qui créeront le monde de bien et de sérénité, celui du bonheur de tous. Par ce que nous vivons, par ce que nous choisissons. Par ce que nous sommes.

Etincelles de Machiah

 Une nouvelle grandeur

Les psaumes enseignent (126:2) : «Alors on dira parmi les nations : ‘D.ieu a agrandi avec ceux-ci.’» Quand le Machia’h viendra, une grande lumière se révèlera. Cette lumière aura été créée par toutes les étincelles spirituelles que les Juifs auront élevées par leurs actions pendant l’exil. Sa puissance viendra du fait qu’elle détiendra la grandeur de «la lumière qui vient de l’obscurité.»

«Alors on dira parmi les nations» – l’élévation de l’obscurité, ‘les nations’, conduira à

«D.ieu a agrandi» – la grandeur supplémentaire dans le nom de D.ieu.

(D’après Or HaTorah Mikets p. 2202)

Vivre avec la Paracha

 Ki Tissa

Le chemin qui mène vers le haut

Le nom de la Paracha de cette semaine, Ki Tissa, soulève une question. Ki Tissa signifie littéralement «quand tu élèveras» et se réfère à l’élévation des «têtes des enfants d’Israël» (Chemot 30 :12). (Dans le contexte de la Paracha, le verset peut également signifier : «quand tu feras le recensement des enfants d’Israël»).

Etant donné que la plus grande partie de la Paracha tourne autour de la faute du veau d’or et de ses conséquences, on peut légitimement s’interroger : «Comment cette terrible transgression a-t-elle pu contribuer à l’élévation du Peuple Juif ?».

La faute du veau d’or constitue une descente tragique. L’impureté causée par la faute de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, dans le Gan Eden, avait quitté les âmes du Peuple Juif au moment du Don de la Torah mais elle revint après celle du Veau d’Or. Puisqu’il s’agit ici de la source de tous les futures transgressions, toutes les punitions infligées au Peuple Juif au cours des siècles sont liées à cette faute. Quelle place peut donc occuper un tel événement dans une partie de la Torah dont le nom souligne l’ascension des Juifs ?

Pour que l’homme devienne plus qu’un homme

Pour répondre à cette question, il nous faut élargir le champ de notre réflexion conceptuelle car le statut où D.ieu désire conduire l’humanité dépasse la conception humaine ordinaire. Cela est indiqué par l’expression elle-même : «quand tu élèveras les têtes» : «les têtes», c’est-à-dire l’intellect humain, doivent être élevées.

L’essence de notre âme est «une réelle partie de D.ieu En-Haut» et D.ieu désire que l’homme se transcende et vive ce potentiel divin. Cela va même encore plus loin. L’intention n’est pas simplement que nous nous élevions au-dessus de notre intellect d’hommes mais que «nous élevions la tête» elle-même, que nous remodelions notre esprit. Goûter un lien supra rationnel avec D.ieu n’est pas suffisant. Nos pensées elles-mêmes, la façon dont nous comprenons le monde doivent appréhender une Vérité qui transcende l’intellect.

Un voyage organisé par D.ieu

L’intellect est un carrefour. D’une part, c’est la faculté qui permet à l’humanité de grandir et d’élargir ses horizons. Mais par ailleurs, l’intellect humain est, par définition, limité. Plus encore, tout intellect est enraciné dans l’égo. Plus l’on comprend, plus l’on devient conscient de sa propre individualité.

Agir en fonction de sa propre compréhension peut conduire à considérer l’existence matérielle, ou du moins certains de ses aspects, comme faisant partie de D.ieu. Notre esprit peut comprendre que certaines entités et expériences peuvent servir de conduits pour l’expression de la Divinité. Cependant, d’autres entités matérielles ou d’autres pratiques peuvent apparaître comme étrangères à cet objectif et nous rejetons alors la possibilité qu’elles puissent également servir à exprimer la Divinité.

Poussant cette approche à l’extrême, certains modes de service divin recommandent d’éviter toute confrontation avec l’existence matérielle, se cantonnant au domaine exclusif de la spiritualité. Bien que cette approche présente certaines qualités, elle contient un défaut inhérent : elle conforte la notion que la réalité matérielle existe en dehors de la sainteté.

La vérité ultime, les «élévations» que doivent effectuer les têtes juives, consiste à ce que chacun des aspects de la vie puisse exprimer la vérité de Son Etre. Cela se reflète dans la description donnée par la Torah des efforts d’Avraham pour diffuser la conscience de l’existence de D.ieu (Beréchit 21 :33), littéralement : «Et il proclama là le nom de l’Eternel ‘D.ieu monde’ (Kel Olam)». Le verset ne dit pas «D.ieu du monde » (Kel Haolam), ce qui impliquerait que D.ieu est une entité en Lui-même et que le monde constitue une autre entité, séparée de Lui. Mais au lieu de cela, il proclama «D.ieu monde», impliquant ainsi que la Divinité et le monde ne forment qu’un.

Après avoir accepté cette idée, certains aspects de la réalité semblent toutefois nous sembler séparés de Lui. Y a-t-il, par exemple, de la Divinité dans le mal ? Et si tel est le cas, comment l’homme peut-il révéler cette Divinité ?

Bien que les êtres mortels ne puissent concevoir un point de rencontre entre le mal et la sainteté, D.ieu le peut. En fait, Il trace des chemins menant chaque individu, et le monde en général, à une telle intersection. Par Providence Divine, Il crée des situations qu’aucun homme juste n’aurait désiré rencontrer, le forçant à s’impliquer (et par là-même s’élever) dans des préoccupations matérielles les plus triviales.

Telle est l’intention du commandement d’  «élever les têtes des Enfants d’Israël » : même dans le domaine qui se caractérise par la séparation, le mal et l’individualité, peut se développer et s’épanouir la conscience de la Vérité spirituelle, illimitée, de D.ieu.

Trois phases

Nous pouvons à présent apprécier la progression de la Parachah Ki Tissa. Le but de l’élévation du Peuple Juif est déclaré dans le verset d’ouverture. Par la suite, la lecture se prolonge par les derniers commandements concernant la construction et l’inauguration du Sanctuaire, l’offrande des encens et le Don des premières Tables. Tous ces sujets renvoient à un lien avec D.ieu, au-delà des limites de l’expérience ordinaire.

Pour que cette relation imprègne le monde matériel et ce, jusqu’aux aspects les plus bas de toute existence, suit le récit du péché du Veau d’Or et la brisure des Tables de la Loi. Cette chute terrible motive le Peuple Juif à se tourner vers D.ieu dans la Techouva, provoquant une troisième étape, la révélation des Treize Attributs de Miséricorde, un niveau de Divinité totalement sans limites et embrassant les niveaux les plus bas eux-mêmes.

Ce plus haut niveau trouve son expression dans le Don des secondes Tables et le dernier événement mentionné dans la lecture de cette semaine, l’éclat radieux de la face de Moché. Le fait que son visage soit illuminé manifeste la fusion ultime du matériel et du spirituel : la lumière de D.ieu brillait à travers le corps physique de Moché.

Et finalement, l’ascension sans la descente

Des cycles similaires d’ascension et de descente ont façonné l’histoire de notre peuple. Le but de ce processus est l’union ultime entre le spirituel et le matériel, à l’Ere de la Rédemption, quand «le monde sera rempli de la connaissance de D.ieu comme les eaux couvrent le lit de l’océan» (Isaïe 11 :9).

Envisagées dans ce contexte, toutes les années d’exil apparaissent simplement comme «un moment de flottement» (Isaïe 54 :7). Car l’exil n’a aucun but, en et par lui-même. C’est simplement le moyen d’éveiller un lien plus profond avec D.ieu et de permettre à ce lien d’imprégner tous les détails de chacune des expériences que nous vivons. Quand ce but sera accompli, l’exil s’achèvera. Cela amorcera une ascension incessante, comme il est écrit : «Ils avanceront de force en force et apparaîtront devant D.ieu à Tsion» (Tehilim 84 :8).

Le Coin de la Halacha

 Que fait-on à Pourim ?

Cette année, Pourim tombe le jeudi 5 mars 2015.

Mercredi 4 mars 2015, on jeûne de 5h54 à 19h17 (horaire de Paris), c’est le jeûne d’Esther. Le matin, on récite les Seli’hot et la prière «Avinou Malkenou». Avant l'office de Min'ha, l'après-midi, on donne trois pièces de cinquante centimes à la Tsedaka (charité) en souvenir de l'offrande du demi-sicle pour la construction et l'entretien du Temple. Dans la Amida, on rajoute la prière « Anénou ».

Mercredi 4 mars, après la prière du soir, on écoute attentivement chaque mot de la Méguila, le rouleau d’Esther.

Pourim, les enfants se déguisent, si possible dans l'esprit de la fête en évitant de se déguiser en « méchant ».

Jeudi matin 5 mars, ou éventuellement plus tard dans la journée :

1) on écoute à nouveau chaque mot de la lecture de la Méguila.

2) ce n’est qu’après avoir écouté la Méguila qu’on peut procéder aux autres Mitsvot de Pourim : on offre au moins deux mets comestibles à un ami, en passant par un intermédiaire : un homme à un homme, et une femme à une femme : ce sont les « Michloa'h Manot ».

3) on donne au moins une pièce à deux pauvres pour leur permettre de célébrer la fête, c'est : « Matanot Laévyonim ».

4) jeudi après-midi, on se réunit pour prendre part au festin de Pourim dans la joie.

Vendredi 6 mars, c’est Chouchane Pourim, le Pourim des «villes fortifiées» dont Jérusalem. On ne récite pas les prières de supplication, «Ta’hanoune», et on partage la joie du peuple juif où qu’il se trouve.

Le Recit de la Semaine

 Venise au Brésil

La pluie tombait sans discontinuer, fouettant les toits et les fenêtres. Des torrents d’eau, une tempête interminable s’abattaient sur notre belle ville de Recife dans laquelle nous dirigions un Beth ‘Habad, un centre communautaire Loubavitch.

Mais notre cuisine continuait imperturbablement à fonctionner malgré l’agitation céleste.

bien sûr, des «Hamantachen» que de petites mains parvenaient à subtiliser dès leur sortie du four.

C’était la veille de Pourim et le téléphone n’arrêtait pas de sonner : «Vous devriez annuler la fête!» revenait sans cesse. Mais nous persistions : «Non!» tout en regardant avec angoisse par la fenêtre la pluie qui se déversait en trombes.

La pluie cessa enfin et je soupirai de soulagement. Cela faisait 15 jours - soit 150 heures d’un travail incessant - que je préparais Pourim : coups de téléphones, courrier d’invitation, la décoration, les gens qu’on rencontrait et, bien sûr, la nourriture et la nourriture!

A l’époque, il n’y avait à Recife ni boulangerie, ni pâtisserie, ni épicerie cachères ; ni Yechiva (école talmudique) qui aurait pu nous fournir de «la main d’œuvre» pour nous aider. Oui, durant deux semaines, mon four a fonctionné dix heures par jour, malgré le soleil brûlant à travers les stores.

Enfin tout était prêt.

Une de mes amies allait bientôt arriver pour m’amener à la synagogue avec ma cargaison de gâteaux. Mais cette fois, ce fut mon mari qui téléphona : «Le Beth ‘Habad est encerclé d’un profond fossé rempli d’eau!» Pour y accéder, il fallait enlever chaussures et chaussettes : l’eau parvenait aux genoux !

Si mon mari l’avait fait, je le ferais aussi. Mais les convives ? Accepteraient-ils de retirer chaussures et chaussettes et de mouiller le bas de leurs vêtements ?

Au nord de la ville, des gens durent être évacués de leurs maisons inondées.

Les rivières dévalaient dans la ville, les caves et les garages étaient remplis d’une eau boueuse nauséabonde. Qui oserait s’aventurer dehors dans ces conditions ?

Je regardais mes gâteaux et les gâteaux me regardaient. Ce fut peut-être le moment le plus calme pour moi depuis deux semaines.

«Nous avons accompli notre part, songeai-je. A D.ieu maintenant de prendre les choses en main ! Je suis une émissaire du Rabbi et les préceptes de la ‘Hassidout me guident : le cerveau domine le cœur!»

Seules trois voitures pouvaient entrer dans l’impasse au bout de laquelle se trouvait le Beth ‘Habad. Celle de mon amie – dans laquelle j’avais pris place – était la troisième. Comme l’impasse était un peu surélevée, ces trois voitures étaient, de fait, en sécurité. Une quatrième voiture dut s’arrêter à l’endroit où l’impasse donne sur la rue : il y avait bien 50 cm d’eau en-dessous !

Ah Venise ! Ah si seulement nous disposions d’un bateau, d’une pirogue, d’une gondole, que sais-je !

C’est alors que le conducteur de la quatrième voiture parvint à l’extraire de l’impasse et se mit à transporter délicatement dans son véhicule les invités qui arrivaient et qui s’étaient garés de l’autre côté de la rue – sur le quai pourrait-on dire, car là-bas tout était sec ! Ce fut en tout plus de cinquante personnes qui, non seulement avaient osé défier cette météo terrible mais qui avaient littéralement «traversé la mer» pour accéder à notre Beth ‘Habad !

La fête fut magnifique.

Le lendemain matin, le soleil était radieux.

Dès cinq heures du matin – qui est l’heure à laquelle on se lève ici – nous étions sur le pied de guerre pour organiser pour la toute première fois dans cette ville un véritable Pourim, historique, authentique, rempli de toutes les Mitsvot traditionnelles, en particulier les Michhloa’h Manot, les cadeaux de nourriture qu’on envoie à des amis.

De nombreuses voitures se mirent spontanément à notre service, avec des enfants déguisés qui distribuèrent mes gâteaux faits maison dans les hôpitaux et maisons de retraite.

Qu’y avait-il d’original, me direz-vous ? Bien sûr, les gens qui reçurent ces paquets étaient ravis qu’on ait pensé à eux et contents de participer eux aussi à la joie de la fête. Mais les plus heureux étaient, au fond, les volontaires, toutes ces personnes qui avaient sillonné la ville : «Comme c’était agréable de donner ! Je n’aurais jamais pensé que c’était une telle joie!» me dit l’un d’eux tandis qu’un autre ajouta : «Je vous en prie ! Appelez-moi la prochaine fois que vous entreprenez une telle action ! Je veux absolument participer ! Et nos enfants n’oublieront jamais qu’il est possible de fêter Pourim même à Recife!»

Ce qui continue de raisonner dans mon esprit, c’est la valeur et la détermination de chaque Juif, quel qu’il soit.

Combien de fois, mon mari et moi avons-nous entendu : «Je ne suis pas pratiquant!» De la bouche même de ces Juifs qui avaient pourtant tenu ensuite à participer à notre fête de Pourim ! Pas pratiquants ? Mais alors pourquoi oser braver une telle tempête au lieu de rester confortablement chez soi ?

Pas pratiquants ? Mais cependant prêts à traverser des torrents d’eau et de boue pour pénétrer dans le Beth ‘Habad et y écouter la Méguila. Dans le cœur de chaque Juif, luit toujours une étincelle de judaïsme.

Itty Chazan, Le’haïm

traduit par Feiga Lubecki