Samedi, 6 mars 2021

  • Ki Tissa
Editorial

 Qu’Adar nous mène !

La fête de Pourim est passée puis le Chabbat qui a apporté sa lumière et sa gloire si particulières et si sensibles, puis le lendemain où la célébration continue à Jérusalem. Et voici que le mois d’Adar poursuit sa route. Chacun, sans doute, commence déjà à penser aux préparatifs nécessaires au prochain grand rendez-vous du calendrier : la fête de Pessa’h, qui fait résonner à nos oreilles, dès à présent, la musique de la liberté. Cependant, c’est toujours du mois d’Adar qu’il s’agit. Décidément, entêté et enthousiaste à la fois, il avance sur le chemin qui lui appartient en propre, ce chemin à nul autre pareil, celui de la joie sans limites. Mais, peut-on se dire dans les termes du Talmud, « nous sommes toujours les serviteurs d’Assuérus. » La fête s’est achevée, le miracle s’est produit et nous avons été délivrés de nos ennemis. Cependant, le monde paraît être resté le même. Après tout cela, rien n’aurait donc changé ? Le mois d’Adar ne suivrait-il qu’une voie vaine, un sentier d’apparence, sans prise sur la réalité ? La situation générale n’encline-t-elle pas à des sentiments pour le moins mitigés ? On peut parfois oublier ce qu’elle est mais ne se rappelle-t-elle pas avec force à notre attention dès que celle-ci cesse d’être mobilisée ?

Il faut alors se souvenir du mot de nos Sages, abondamment cité, « quand entre le mois d’Adar, on multiplie la joie. » Certes, cette joie-là est liée à Pourim mais il faut relever que la phrase ne le souligne pas. Ainsi, les Sages indiquent que l’allégresse est une donnée de base du mois en cours, que c’est l’ensemble d’Adar qui en est porteur et non quelques jours privilégiés en son sein. Plus encore, c’est à partir du début du mois que la joie doit augmenter en toutes circonstances, c’est dire que cette croissance doit être continue jusqu’à ce qu’il s’achève. En d’autres termes, la joie ne s’est pas arrêtée avec Pourim, elle a poursuivi son ascension et elle continue de croître jour après jour. N’y a-t-il donc pas une limite à ce que l’homme peut ressentir et vivre dans ce domaine ? Justement non. C’est là une des caractéristiques de cette émotion si précieuse : elle ne connaît de limites que celles que l’homme souhaite lui imposer.

Alors que nous nous trouvons dans cette deuxième partie d’Adar, notre joie doit chaque jour grandir. Elle est une manière de dire notre confiance en D.ieu. Elle est aussi une clé pour la victoire finale du Bien et du bonheur sur tout ce qui s’y oppose.

Etincelles de Machiah

 Une nouvelle grandeur

Les Psaumes enseignent (126:2) : « Alors on dira parmi les nations : ‘D.ieu a agrandi avec ceux-ci.’ » Quand le Machia’h viendra, une grande lumière se révèlera. Cette lumière aura été créée par toutes les étincelles spirituelles que les Juifs auront élevées par leurs actions pendant l’exil. Sa puissance viendra du fait qu’elle détiendra la grandeur de « la lumière qui vient de l’obscurité. »

« Alors on dira parmi les nations » – l’élévation de l’obscurité, ‘les nations’, conduira à

« D.ieu a agrandi » – la grandeur supplémentaire dans le Nom de D.ieu.

(D’après Or HaTorah Mikets p. 2202)

Vivre avec la Paracha

 Ki Tissa

Chaque membre du Peuple juif reçoit l’injonction d’apporter la contribution précise d’un demi-Chékel d’argent pour le Sanctuaire. Des instructions sont également données concernant la fabrication du bassin d’eau du Sanctuaire, de l’huile d’onction et des encens. Les artisans « au cœur sage », Betsalel et Aholiav sont chargés de la construction du Sanctuaire et une fois encore le peuple reçoit le commandement d’observer le Chabbat.

Moché ne redescend pas du Mont Sinaï quand le Peuple l’attend et celui-ci fabrique un veau d’or et l’adore. D.ieu propose alors de détruire cette nation pécheresse mais Moché intercède en sa faveur. Il descend de la montagne, portant les Tables de la Loi sur lesquelles sont gravés les Dix Commandements. Quand il voit le peuple danser autour de son idole, il brise les Tables, détruit le veau d’or et fait mettre à mort les principaux instigateurs. Il retourne alors vers D.ieu pour Lui dire : « Si Tu ne leur pardonnes pas, efface-moi du livre que Tu as écrit ».

D.ieu pardonne mais dit que le résultat de ce péché sera ressenti pendant de nombreuses générations. Au début, D.ieu propose de leur envoyer Son ange mais Moché insiste pour que D.ieu Lui-même accompagne Son peuple vers la Terre Promise.

Moché prépare de nouvelles Tables et une fois de plus, monte sur la montagne où D.ieu écrit de nouvelles Tables de l’Alliance. Sur la montagne, Moché perçoit également une vision des « treize attributs de miséricorde ». A son retour, le visage de Moché irradie d’une telle lumière qu’il doit le cacher derrière un voile qu’il n’enlève que pour parler à D.ieu et enseigner Ses lois au peuple.

Faire un nœud

Depuis la création, l’humanité a toujours été accablée par l’oubli. Combien de fois avons-nous prononcé les mots : « j’ai oublié » ?

Il n’y a donc rien d’étonnant au fait qu’au cours des siècles, les hommes aient tenté d’inventer des méthodes pour les aider à se rafraîchir la mémoire.

L’une des premières techniques utilisées, et qui apparemment fonctionne bien puisqu’elle est toujours pratiquée, est de faire des nœuds.

En fait, dans son commentaire de la Parachah Ki Tissa, le Zohar relate que Rabbi ‘Hiya et Rabbi Yossi faisaient des nœuds pour se souvenir de leur étude de la Torah.

L’un des traits inhérents à chaque Juif est sa foi que D.ieu renouvelle constamment Sa création (Tanya, Chaar HaYi’houd vehaÉmounah, ch.1).  A chaque moment, chaque jour, D.ieu recrée le monde. Un Juif doit prendre conscience qu’il est, à chaque moment de son existence, totalement dépendant de D.ieu.

Dans ces conditions, il paraît incroyable que nous soyons capables de pécher ! Le fait de savoir que, même lorsque nous péchons, notre existence toute entière dépend de l’esprit créateur de D.ieu, devrait faire du péché quelque chose d'insensé.

Le plus grand des hédonistes, qui cherche le plaisir avant tout, ne se laissera pas aller à des désirs interdits s’il est conscient que D.ieu, à Qui il doit son existence-même, les a interdits.

La faute n’est possible que parce que nous ne sommes pas conscients de ce fait. Et à cause de ce manque de prise de conscience, nous oublions.

Dans la Paracha Ki Tissa, Moché demande à D.ieu de lui révéler toute Sa gloire (Chemot 33 :17-23 et Rachi). D.ieu répond que Se révéler complètement à Moché est impossible car « l’homme ne peut avoir une vision de Mon essence et continuer à exister. » Pourtant, continue D.ieu, Il va révéler à Moché une lueur de Son Essence (pour ainsi dire).

Et c’est ainsi que D.ieu Se révèle quelque peu sous l’apparence d’un dirigeant d’une communauté, en prière, enveloppé dans un Talit, un châle de prière et portant des Tefilines, des phylactères. Il permet également à Moché d’avoir un bref aperçu du nœud des Tefilines, placé derrière Sa tête et d’avoir connaissance des Treize Attributs de la Miséricorde Divine. D.ieu dit à Moché qu’à chaque fois que les Juifs L’imploreront et mentionneront les Treize Attributs, Il répondra à leurs requêtes et le cas échéant, leur accordera le pardon.

La révélation de D.ieu Lui-même, enveloppé dans Son Talit et portant les Tefilines indique en soi l’importance de se rappeler. A la fois le Talit et les Tefilines sont portés, entre autres raisons, pour que l’on se rappelle de D.ieu, de la Torah et des Mitsvot.

Il est dit, à propos du Talit : « Et quand tu les verras (les franges des Tsitsit placées aux quatre coins du Talit) et tu te rappelleras et tu accompliras tous Mes commandements. » (Bamidbar 15 :39).

A propos des Tefilines, également, la Torah écrit : « Ce sera un souvenir… » (Chemot 13 :9).

Puisque le péché résulte d’un oubli spirituel, les erreurs passées sont réparées et la faute future est prévenue par un rappel spirituel constant.

Le fait que D.ieu montre à Moché Son nœud des Tefilines revêt également une profonde signification. Quand une corde est coupée puis renouée, l’endroit du nœud est beaucoup plus solide qu’il ne l’était auparavant.

Spirituellement, un nœud indique un certain mode de repentance. Car, comme le statuent nos Sages : « un homme qui a commis une transgression et est passible de mort devant le Tout Puissant, que fera-t-il et comment vivra-t-il ?

S’il avait l’habitude d’étudier une page, il devra en étudier deux, s’il étudiait un chapitre, il en étudiera deux. »

Et en effet, c’est ainsi qu’il noue un nœud spirituel.

Dans notre vie quotidienne, il est crucial que nous ne cessions de constamment nouer des nœuds spirituels, que nous nous souvenions de notre relation constante avec D.ieu et que nous n’oubliions pas qu’Il est perpétuellement responsable de notre existence. Ces rappels dans notre pensée ainsi que ceux que suscitent le fait de porter le Talit et de mettre les Tefilines, nous permettent de servir D.ieu dans l’esprit de l’enseignement qui enjoint : « Toutes tes actions seront entreprises pour l’amour des Cieux », et « dans toutes tes voies, connais-Le ».

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que la Matsa Chmourah ?

En hébreu, « Chmourah » signifie « gardée » et ce terme décrit parfaitement ce qu’est cette Matsa. La farine utilisée pour sa fabrication est gardée, protégée de tout contact avec de l’eau, depuis le moment de la moisson. En effet, si elle venait à être mouillée, elle pourrait lever et devenir impropre à la consommation pendant Pessa’h.

Ces Matsot sont rondes, pétries à la main et ressemblent à celles que les enfants d’Israël consommèrent lorsqu’ils quittèrent l’Egypte. Elles sont cuites en moins de dix-huit minutes sous stricte surveillance rabbinique, afin de s’assurer qu’elles ne puissent en aucune façon augmenter de volume et devenir levain pendant la fabrication. La Matsa Chmourah doit être utilisée pendant les deux nuits du Séder, c’est-à-dire samedi soir 27 mars et dimanche soir 28 mars 2021, en particulier pour les trois Matsot posées sur le plateau. Chaque convive à la table du Séder mangera de la Matsa Chmourah. Certains ont la coutume d’en consommer pendant toute la fête.

Le Zohar appelle la Matsa Chmourah : « l’aliment de la Foi et l’aliment de la Guérison ».

Il n’est pas nécessaire d’avoir terminé son ménage de Pessa’h pour acheter les Matsot ; il suffira de les stocker à l’abri de tout ‘Hamets et de toute humidité.

(d’après Chéva’h Hamoadim – Rav Shmuel Hurwitz)

Le Recit de la Semaine

 La punition du farceur

Mon oncle, Dr Feldman était un des docteurs personnels du Rabbi.

Quand j’avais 11 ans, je m’amusais avec mon cousin à entrer dans son bureau après ses heures de réception des malades et nous effectuions des appels téléphoniques fantaisistes.

Un jour, par manque d’inspiration, nous avons cherché des numéros au hasard dans l’agenda des rendez-vous de mon oncle et nous avons vu un nom : Schneerson 1304 President Street, avec un numéro de téléphone. Nous nous sommes regardés et avons eu la même idée : « C’est sans doute l’adresse du Rabbi ! ». Nous avons éclaté de rire et nous nous sommes excités l’un l’autre : « Chiche… ». Mon cousin n’était pas aussi taquin que moi mais il me provoqua : « Alors, tu y vas ? ». Je composai le numéro.

Une dame âgée me répondit d’une voix agréable mais je perdis mes moyens et me contentai de produire quelques bruits ressemblant à des cris d’animaux et je raccrochai. Quelques semaines plus tard, nous avons recommencé.

Environ deux mois plus tard, ‘Hol Hamoed Souccot, je me trouvais dans la maison de mon oncle et nous devions préparer la table pour le repas à l’extérieur dans la Souccah. Ma tante me demanda de chercher quelques verres et serviettes dans la cuisine et de les apporter dans la Souccah.

Il faut comprendre que, dans la cuisine, il y avait deux téléphones, un blanc et un rouge. Le blanc était pour la famille mais le rouge était pour les urgences. Seules quelques personnes triées sur le volet à Crown Heights connaissaient ce numéro confidentiel. Mon oncle nous avait toujours défendu dans les termes les plus sévères d’utiliser ce téléphone.

Alors que j’étais dans la cuisine pour prendre ces verres, le téléphone rouge sonna et je me suis dit que, puisque j’étais la seule personne présente, je devais décrocher. Mais je pris cela pour un jeu et, d’une voix aigüe et amusante, je m’écriai :

- Hellooooooo ?

Et une gentille dame âgée répondit :

- Oh, je suis désolée, j’ai dû me tromper, je voulais téléphoner au docteur !

Je me ressaisis et, d’une voix normale, répliquai :

- Vous êtes chez le docteur ! Il est dans la Souccah, je vais le prévenir. De la part de qui, s’il vous plaît ?

- C’est Madame Schneerson de President Street !

Je me précipitai dans la Souccah et informai mon oncle que Madame Schneerson de President Street l’appelait au téléphone. Il courut prendre le combiné.

Deux minutes plus tard, il retourna dans la Souccah et me dit, très en colère :

- Je t’avais prévenu cent fois de ne jamais jouer avec le téléphone rouge ! Tu n’as pas honte ? Quand les gens appellent sur ce téléphone, ce peut être une question de vie ou de son contraire et, avec tes farces idiotes, tu risques de jouer avec la vie des malades !

Je gardai profil bas, regardai le sol et murmurai :

- Je suis désolé !

- Sais-tu qui était au téléphone ?

- Oui, Madame Schneerson de President Street !

- C’était la Rabbanit ! Elle m’a téléphoné parce qu’elle ne se sentait pas bien et je dois aller chez elle voir ce qui se passe. Et tu vas m’accompagner parce qu’elle veut te voir !

J’étais terrifié ! J’étais persuadé que j’allais être puni d’une façon que je ne pouvais même pas imaginer. En chemin, mon oncle susurra :

- Comment as-tu osé faire des farces téléphoniques à la Rabbanit ? Elle a reconnu ta voix !

Maintenant, je sentis que mon cœur s’arrêtait de battre ! J’allais devoir payer pour mon audace !

La porte était déverrouillée en prévision de l’arrivée de mon oncle. Nous sommes entrés et mon oncle me jeta un regard dur :

- Tu attends sagement ici ! Ne touche à rien, compris ?

Alors qu’il montait l’escalier, la Rabbanit apparut en haut des marches, me regarda d’en-haut, m’adressa un sourire et un signe de la main. Je répondis avec un signe.

C’était donc cela ? Elle voulait juste m’adresser un signe amical ? Je n’allais donc pas être puni ? Je n’aurais pas eu besoin de m’inquiéter à ce point…

Puis je sentis une tape sur mon épaule. Je me retournai : un ‘Hassid (j’appris plus tard qu’il s’agissait de Reb Gansberg qui prenait soin de la maison du Rabbi) me demanda d’une voix profonde :

- Tu es Moshé ?

Je me raidis : je n’étais donc pas sorti d’affaire…

- Suis-moi !

J’étais suffoqué : certainement, c’était le bourreau qui était chargé de m’administrer la punition méritée… Je le suivis dans la maison, traversai une cuisine ancienne, vraiment démodée. Il ouvrit la porte à l’arrière de la maison et me fit pénétrer directement dans la Souccah. La table était prête :

- La Rabbanit t’a préparé un déjeuner. Assieds-toi et mange !

Je m’en souviens avec précision : deux petites ‘Hallot, un morceau de saumon cuit avec une salade et du jus d’orange déjà versé dans un verre. C’était délicieux et déjà, tout en mangeant, je prévoyais de tout raconter à mes camarades de classe et j’imaginais leurs regards incrédules et envieux…

Quand je réfléchis à ce qui m’est donc arrivé il y a plus de trente ans, je constate combien cela en dit long sur la Rabbanit. Elle n’était ni arrogante ni froissée. Bien qu’elle ait été par deux fois victime de mes gags, elle n’était pas en colère, elle comprenait que les enfants sont des enfants et elle nous aimait vraiment comme n’importe quelle grand-mère. Et bien qu’elle se soit sentie mal ce jour-là, elle s’était efforcée de me préparer à manger pour m’occuper pendant la consultation.

A l’époque, je n’ai pas noté quel grand honneur elle m’avait octroyé : j’avais mangé dans la Souccah privée du Rabbi. Et maintenant je le réalise !

Moshé Gelber

Traduit par Feiga Lubecki

Le 25 Adar est le jour anniversaire de la Rabbanit ‘Haya Mouchka Schneerson,

épouse du Rabbi de Loubavitch.