Semaine 51

  • Vaye’hi
Editorial
Choses qui ne sont pas du passé

Il y a bien longtemps, Nabuchodonosor, l’envahisseur venu de Babylone, se dirigea vers la Terre d’Israël. Conquérant pays après pays, soumettant peuple après peuple, il s’avança vers Jérusalem. Ce fut un 10 du mois de Tévèt qu’il établit le siège de la ville et on sait le dénouement tragique qui mit alors fin au royaume d’Israël. Nous le commémorons d’année en année le 17 Tamouz et le 9 Av. Le 10 Tévèt tombe cette semaine et, toute dramatique que soit l’histoire qu’il nous raconte, il est facile d’y voir un événement passé. Après tout, ne s’agit-il pas là d’une bien antique affaire ? Babylone n’existe plus que sous forme de ruines rêveuses. Quant au premier royaume d’Israël, l’histoire a bien avancé depuis lors et, peut-être, les enjeux sont-ils bien différents aujourd’hui.
Comment faut-il donc traiter l’événement et surtout cette sensation d’actualité que lui confère sa ritualisation ? C’est qu’il est possible d’y voir un fait d’une profonde ambivalence. Le mot hébreu pour «faire le siège» s’apparente aussi, étymologiquement, au terme qui se traduit par « s’approcher, soutenir ». Ainsi une même action accomplie par Nabuchodonosor et ses troupes peut être interprétée de manière négative – le début du siège de Jérusalem – ou positive – le soutien à Jérusalem. Est-ce seulement possible ? C’est précisément là que tient, plus qu’un enseignement, une manière de considérer le monde. Le destin d’un peuple, le sort de l’homme ne sont pas dirigés par une force aveugle, par une sorte de puissante mécanique qui écraserait les faibles et grandirait les forts jusqu’à ce que ceux-ci, à leur tour, perdent leur superbe et finissent dans les oubliettes de l’Histoire. L’avenir est fait de ce que chacun tisse, jour après jour, par ses actions quotidiennes.
A propos de l’invasion babylonienne, les commentateurs déduisent de l’ambivalence du mot cité que, si les Juifs étaient alors revenus à D.ieu de tout leur cœur, la menace serait devenue soutien. Si elle est restée menace, c’est donc par une certaine défaillance des hommes qui auraient pu, par l’esprit et par l’âme, s’y opposer. Parfois, en notre temps, des menaces paraissent encore peser sur notre peuple et, plus largement, sur tout ce qui est cher au cœur du monde civilisé. De nouvelles barbaries se mettent en marche et leurs pas résonnent bien lourdement aux oreilles de tous ceux qui ont une plus longue mémoire. Pourtant, cela dépend d’abord de chacun. C’est de nos actes de chaque jour que peut naître la lumière et c’est avec eux qu’il est possible de façonner un monde nouveau, où il fera bon vivre. Un monde nouveau ? Celui sur lequel le soleil se lève dès à présent si nous le voulons : le monde de Machia’h.
Etincelles de Machiah
La plus grande pitié

La grande pitié que l’on éprouve pour le peuple juif, du fait qu’il est toujours en exil, est bien supérieure à toute pitié que l’on puisse concevoir. C’est pourquoi nous demandons à D.ieu : «Dans Ta grande miséricorde, aie pitié de nous».

Du point de vue de «Ta grande miséricorde», du point de vue de D.ieu Qui sait la vraie dimension de la pitié, il n’existe pas la moindre explication de la longueur de l’exil !
(D’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch –
Chabbat Parchat Vayigach 5746) H.N.
Vivre avec la Paracha
Vaye’hi : La vraie vie

Les meilleures années de Yaacov
Quand le Tséma’h Tsédèk était un jeune garçon, son professeur du ‘Héder lui enseigna le verset : «Et Yaacov vécut en terre d’Egypte pendant dix-sept ans» lui expliquant que ce furent les meilleures années de la vie de Yaacov. Le Tséma’h Tsédèk demanda à son grand-père, Rabbi Chnéour Zalman (de Lyadi), comment était-il possible que les meilleures années de la vie de Yaacov se soient passées dans un pays si dépravé.
Rabbi Chnéour Zalman lui répondit : «Avant même qu’il n’arrive, Yaacov avait envoyé Yehouda en Egypte pour y établir une Yéchiva. Quand on étudie la Torah, on se rapproche de D.ieu. Cette proximité permet de vivre avec une vitalité vraie et pure, même en Egypte».
En fait, la dépravation de l’Egypte alla même jusqu’à renforcer la vitalité de Yaacov. Car la transformation de l’obscurité révèle une qualité de lumière encore plus intense. Le fait que Yaacov ait établi, au sein de l’obscurité de la société égyptienne, une vie de Torah, exprimait la vitalité essentielle qu’il possédait et transmit à ses enfants.

Vivre avec la Torah
Une vraie vie ne peut être attribuée qu’à D.ieu, comme il est écrit :
«Et l’Eternel ton D.ieu est vrai ; Il est le D.ieu vivant». Tout comme la Vérité est ininterrompue et inchangée, ainsi la vie est-elle, par essence, inchangée et éternelle. Aussi nos Sages ne désignent-ils un fleuve comme «eau vive» que lorsqu’il ne cesse de couler.
Par contre, l’existence mortelle est éphémère et sujette au changement. Néanmoins, en se rapprochant de D.ieu par l’étude de la Torah, l’homme peut accéder à une dimension de l’immortalité de D.ieu, comme il est écrit : «Et vous qui vous attachez à D.ieu êtes tous vivants aujourd’hui».
C’était là l’aspiration de Yaacov durant toute sa vie. Quand la Torah définit la nature de sa personnalité, elle le décrit comme «un homme simple, résidant dans les tentes», c’est-à-dire les tentes de Chem et Ever, les maisons d’étude de cette époque. C’est là-bas que fut moulé et forgé son caractère.
Et pourtant, Yaacov ne resta pas dans ces lieux d’étude durant toute sa vie. Il surmonta un certain nombre de situations et de défis, lui donnant l’occasion de prouver que le lien qu’il avait établi avec D.ieu, par la Torah, était réel.

La lumière et l’obscurité
Yaacov atteignit l’apogée du voyage de sa vie en Egypte. Il y rencontra des épreuves de nature différente de celles qu’il avait expérimentées au préalable, car il y vécut dans une richesse fabuleuse au sein d’une société décadente. Mais, comme cela a été mentionné, il avait envoyé devant lui Yehouda pour y établir une Yechiva. C’est par cet acte qu’il avait donné le ton de son futur séjour en Egypte.
Non seulement Yaacov s’adonna-t-il alors à l’étude de la Torah mais il impliqua ses enfants et ses petits-enfants. Plutôt que d’accepter les valeurs de la culture environnante, les descendants de Yaacov se joignirent à lui dans l’étude. Pour eux, la descente en Egypte constituait une transition radicale : la plus grande partie de leur vie adulte s’était passée en Erets Israël. Et pourtant, motivés par l’exemple de Yaacov, ils furent capables d’imprégner l’Egypte de la sainte atmosphère d’Erets Israël.
L’engagement sans réserve et sans compromis de Yaacov pour la Torah démontre que la vraie vie que la Torah lui offrit, son lien avec D.ieu, dépassait tout.

Yaacov vit toujours
Ce qui vient d’être dit permet de comprendre pourquoi cette Paracha est appelée Vaye’hi, «Et il vécut», bien qu’elle parle de la mort de Yaacov.
Comme le montrent les événements relatés dans la Paracha, la vie de Yaacov fut marquée par une relation à D.ieu qui transcendait les limites physiques. Et puisqu’il partagea cette qualité avec ses descendants, elle fut perpétuée au-delà de sa vie mortelle. Comme le disent nos Sages : «Yaacov, notre ancêtre ne mourut pas. Puisque ses descendants vivent, il est vivant».
Ce concept s’applique à tous les Juifs, en tout temps. La vitalité que nous expérimentons dans notre service divin aujourd’hui est rendue possible par la vie de Yaacov, notre ancêtre. Et par le même biais, le lien avec la Torah qui renforça Yaacov est une source de vie pour ses descendants à travers les générations.
Il est vrai qu’au cours de l’histoire juive, il y a toujours eu des Juifs qui, du moins dans leur apparence extérieure, ne conduisent pas leur vie selon les directives de la Torah. Mais cela ne constitue qu’une réalité extérieure. La vérité est qu’ils sont vivants, à l’intérieur d’eux-mêmes et que cette vitalité trouve ses racines dans la Torah et les Mitsvot.
Nos Sages établissent : «Bien qu’un Juif pêche, il reste un Juif» et le Rambam déclare : «Une personne dont le penchant négatif oblige à refuser l’observance d’une Mitsva ou à faire un péché espère [toujours] faire partie du Peuple Juif et désire accomplir toutes les Mitsvot et se séparer du péché. Ce n’est que son [mauvais] penchant qui la force [à agir autrement].
Quelle que soit sa conduite, chaque membre de notre peuple reste un Juif et possède un lien avec la Torah dans sa totalité. «La Torah que Moché nous a ordonnée est un héritage de la maison de Yaacov». C’est là l’héritage spirituel de Yaacov, le signe de vie qui se perpétue et de notre propre vitalité.

L’Egypte n’est pas définitive
Bien que la faculté de créer un centre de Torah pour ses descendants en Egypte fût une caractéristique de la vie de Yaacov, ce n’est pas ainsi qu’elle atteignit son apogée. Car la résidence ultime pour Yaacov et ses descendants n’est pas l’Egypte mais Israël.
C’est pourquoi, Yaacov rassembla-t-il ses fils avec l’intention de leur révéler le moment de la Rédemption. Il les assura qu’ils seraient sauvés d’Egypte, promettant que «D.ieu sera avec vous et Il vous ramènera vers la terre ancestrale». Car c’est en Erets Israël et plus particulièrement dans l’Erets Israël de la Rédemption que Yaacov et ses descendants se réaliseront réellement.

La force et l’encouragement
Ce Chabbat est appelé Chabbat ‘Hazak, le «Chabbat de renforcement» à cause de la coutume de déclarer «‘Hazak, ‘Hazak, Venit’hazèk» («sois fort, sois fort et que tu sois renforcé») à la conclusion de la lecture de la Torah, en reconnaissance pour avoir achevé le livre de Beréchit.
La conscience nourrie par la lecture de Vaye’hi produit de la force. Quand un Juif sait que lui a été attribué un héritage de vie exprimé par son lien avec la Torah, et que viendra un temps où cette relation s’épanouira, il acquiert la force intérieure de relever les défis de son environnement.
En mettant en valeur l’expression de ce potentiel dans notre peuple comme entité, nous hâtons la venue de l’Ere de la Rédemption. Qu’elle ait lieu dans le futur immédiat.

D’après une Si’ha du Rabbi Likouté Si’hot Volume 15, 5751
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que le jeûne du 10 Tévet ?

Le 10 Tévet – cette année mercredi 19 décembre 2007 – rappelle le début du siège de Jérusalem par Nabuchodonosor en l’an 3336 (-425). C’est l’un des quatre jeûnes institués par nos Sages en souvenir de la destruction du Temple.
Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi explique qu’un jour de jeûne est aussi un jour de bienveillance divine. Comme l’obligation de jeûner le 10 Tévet est, à certains égards, plus stricte que pour les autres jeûnes, on peut comprendre que la bienveillance divine est aussi plus forte ce jour-là. Donc la Techouva, le retour à D.ieu, que doit amener le jeûne, sera aussi d’un niveau plus élevé.
Dans de nombreuses communautés, ce jeûne est aussi associé au souvenir des victimes de la Shoah et le Kaddich y est récité pour le mérite de tous ceux dont on ignore la date exacte de la disparition.
Le jeûne commence à 6h 55 (heure de Paris) et se termine à 17h 45.

F. L. (d’après Rav Y. Ginsburgh et Rav M. M. Laufer)
De Recit de la Semaine
Sur les traces de mon père

C‘est le genre d’histoires qui n’a qu’une chance sur un million d’arriver. Cela commence en 1946. Mon père venait de terminer son service militaire et habitait Los Angeles, autant dire le bout du monde pour un garçon de Newark dans le New Jersey ; il entamait ses études à UCLA.
La rentrée arrivait et mon père cherchait où se loger. Il se rendit dans le foyer d’hébergement le plus proche de son campus, déposa un acompte et commença à ouvrir ses valises.
C’est alors qu’on frappa à sa porte. C’était un des responsables du foyer. Il toisa mon père de haut en bas et susurra : «Je crois que vous serez mieux ailleurs!»
Voilà qui était étrange. Mon père venait de trouver un foyer à côté du campus : où pourrait-il être plus à l’aise ? Il s’empressa donc de rassurer l’homme, il était très heureux d’avoir atterri ici mais l’homme insistait, affirmant même que mon père serait plus à l’aise «avec des gens comme vous…» Et pour mieux se faire comprendre, il mentionna le nom d’un foyer israélite non loin de là.
Naïvement, mon père expliqua que, comme il venait d’achever son service dans l’armée américaine, il avait été en contact avec toutes sortes de gens et il s’était parfaitement adapté ; mieux encore, il avait adoré la diversité de ses camarades.
L’homme ne souriait pas. Il répéta que mon père serait mieux ailleurs mais cette fois-ci, ce n’était plus une suggestion. C’était son dernier mot. Il rendit à mon père son acompte et sortit sans même le regarder.
Soudain mon père comprit : interdit aux Juifs !
Il se souvient encore aujourd’hui comment il descendit les escaliers : les pensionnaires qui jouaient au ping-pong s’arrêtèrent brusquement en l’apercevant et un silence insupportable s’installa. Tous les yeux étaient braqués sur lui : des regards mauvais, suspicieux et pas un mot pour lui souhaiter bonne chance «ailleurs».
C’est ainsi qu’il expérimenta l’antisémitisme pour la première fois. Mais la véritable histoire commence avec ce qui arriva ensuite.
Il aurait pu trouver à se loger dans de nombreux autres endroits. S’il est vrai que l’antisémitisme était violent dans une partie de la société américaine, les portes de l’assimilation étaient grandes ouvertes et des dizaines de milliers de jeunes Juifs se précipitaient la tête baissée, abandonnant leur judaïsme derrière eux. Mon père aurait pu agir comme eux : après tout, si le fait d’être juif amenait à des situations pareilles, à quoi sert le judaïsme ?
Mais il choisit exactement le contraire. Il se rendit au foyer israélite au 741 Gayley Avenue et s’y installa.
Sautons quarante années, un certain Yom Kippour.
Après toute une série d’événements inattendus, moi aussi j’atterris à Los Angeles. De fait, alors que j’étudiais à Harvard, je commençai à écrire des articles pour le journal «The Lampoon» et décidai de me lancer dans une carrière d’auteur de comédies. Après avoir réussi mes examens, je me retrouvai sans travail et je repris, dépité, mon ancienne occupation : groom dans l’ascenseur du bâtiment où habitaient mes parents. C’est alors que je reçus un coup de téléphone, m’invitant à écrire pour une émission de télévision : «Pas vraiment de l’information» sur HBO.
Je n’avais pas été élevé dans un milieu orthodoxe mais mes parents n’avaient donné un sens aigu de mon identité juive. Je me souviens que ma mère me faisait réciter le «Chema Israël» avant de dormir. A l’âge de huit ans, je lisais avec passion les histoires ‘hassidiques de «Talks and Tales», l’équivalent américain du journal «Conversations avec les Jeunes», le magazine Loubavitch auquel un de nos voisins orthodoxes avait abonné mon frère en guise de cadeau de Bar Mitsva. A onze ans, j’avais fréquenté une colonie de vacances juive et à quatorze ans, je me souviens avoir dansé avec les rouleaux de la Torah dans une synagogue «moderne», heureux de me sentir «entier», uni avec l’essence même de ma vie.
Au cours des années qui suivirent, j’avais toujours voulu agir mieux sur le plan du judaïsme mais – allez expliquer pourquoi – je m’étais aussi toujours donné la permission de rester au point mort.
Puis Yom Kippour arriva.
Bien que je ne sois pas très pratiquant, je me rendis dans une synagogue orthodoxe, qui se trouvait non loin de chez moi, ce qui me permettait d’y aller à pied. C’était le Beth ‘Habad de Westwood. A la fin de la journée de jeûne et de prière, Rav Baruch Cunin prononça un bref discours, demandant à chaque femme (et fille) juive d’allumer les (ou la) bougies de Chabbat et à tous les garçons âgés de treize ans ou plus de mettre chaque jour les Téfiline. Tout ce que je pouvais penser à ce moment-là, c’était qu’il avait raison.
Je possédais des Téfiline. Je les avais mis chaque jour pendant la colonie de vacances. Mais c’était tout. Néanmoins ils m’étaient très chers. Où que j’aille – même simplement en week-end – je les emportais : «Sait-on jamais ? Peut-être que j’aurais l’envie ou l’occasion de les mettre, alors autant les emporter…»
Depuis ce fameux Yom Kippour, j’ai mis les Téfiline tous les jours (sauf bien sûr Chabbat et les fêtes) et je n’ai pas arrêté.
Cette Mitsva a transformé ma vie. Bien vite, je me suis mis au Chabbat ; j’ai épousé une femme juive merveilleuse puis j’ai envoyé mes enfants à l’école juive.
Et voilà ce qui continue de m’étonner : cette rencontre cruciale dans le Beth ‘Habad à Yom Kippour s’est passée au 741 Gayley Avenue, exactement l’endroit où était situé le foyer pour étudiants juifs dans lequel mon père avait délibérément choisi d’affirmer son appartenance au judaïsme quarante ans plus tôt.
La façon dont D.ieu gouverne le monde est stupéfiante. Au-delà de la «coïncidence» des lieux, je crois qu’on peut remarquer un enseignement plus profond. Quand nous choisissons d’agir comme il convient, non seulement nous nous élevons et nous élevons notre passé, mais nous ouvrons les portes du Ciel pour notre avenir et pas seulement le nôtre : également celui de nos enfants et de nos petits enfants jusqu’à la fin des temps.
J’ai entendu une fois Rav Simcha Weinberg déclarer que lorsque nous traversons un moment de grande élévation spirituelle, nous devons l’utiliser pour prier pour nos descendants à venir.
J’ignore si à l’époque, mon père pensait déjà à moi quand il choisit d’agir en Juif fier de ses convictions mais je suis une preuve vivante qu’il ouvrit les portes pour moi et me montra la voie à suivre, pour moi et mes enfants jusqu’à la fin des générations.

David Sacks (écrivain et producteur)
www.613.org/sacks.html
L’chaim
traduit par Feiga Lubecki