Samedi, 22 décembre 2018

  • Vaye’hi
Editorial

 Froid et chaleur

Le 10 Tévet, qui marque le début du siège de Jérusalem par les armées venues de Babylone, donne à cette semaine une coloration bien différente de celle que nous avons connue jusqu’ici. Et ce n’est pas seulement parce qu’il s’agit là d’un jour de jeûne. De fait, nous nous trouvons en présence de la commémoration d’un événement particulier, qui est comme l’origine de l’exil puisque, de ce siège de Jérusalem, sortira à terme la destruction du Temple et de la ville. Et pourtant, il y a encore si peu de temps nous étions occupés à fêter ‘Hanoucca et sa lumière... Quel contraste brutal !

Certes, le 10 Tévet et ‘Hanoucca n’ont aucun rapport historique. Le premier nous parle du Temple construit par le roi Salomon tandis que le second se rapporte à celui construit, justement, après le retour de Babylone. Cependant, la fête de ‘Hanoucca, si elle commence au mois de Kislev, se poursuit pendant le mois de Tévet et cela suffit à établir un lien entre les deux événements.

C’est que le mois de Tévet lui-même présente une qualité spécifique. Il est celui du froid. C’est, bien entendu, un phénomène matériel mais, s’il peut exister sous cette forme, c’est parce qu’une force spirituelle correspondante le sous-tend. Pour le dire dans les termes de la tradition juive, si le mois de Tévet est celui où le soleil est davantage caché que pendant le reste de l’année, c’est d’abord parce que la vitalité Divine y est plus masquée. Cette idée a une conséquence bien importante. Puisque la lumière spirituelle est comme plus dissimulée dans la période, cela veut dire que l’effort des hommes doit grandir afin qu’elle apparaisse, rayonnante. Une anecdote de ce type est rapportée au sujet du Baal Chem Tov. Un jour, dans la maison d’étude, la provision de bougies s’était épuisée. L’obscurité régnait et il semblait ne rien y avoir pour la chasser. Le Baal Chem Tov ordonna alors de prendre les morceaux de glace qui pendaient du toit et de les allumer comme des bougies. Et c’est ce qui se produisit. Au-delà du miracle, un message apparaît ici : le froid peut devenir lumière et chaleur.

Et le 10 Tévet ? Il est certes un début d’exil ; c’est un froid spirituel qui descend sur le monde. Mais nous avons la capacité de le transformer et d’amener le temps de toute Vie et de toute Lumière.

Etincelles de Machiah

 La compréhension et la foi

Au temps de Machia’h, on saisira intellectuellement, par la compréhension, des choses qui sont aujourd’hui du domaine de la foi.

La foi s’attachera alors à des choses bien plus élevées dont aujourd’hui nous n’avons pas la moindre perception, même au travers de la foi.

(D’après un commentaire du Rabbi – Chabbat Parachat Chemot 5723)

Vivre avec la Paracha

 Vaye’hi

Yaacov passe les dix-sept dernières années de sa vie en Egypte. Avant de mourir, il demande à Yossef d’être enterré en Terre Sainte. Il bénit les deux fils de Yossef, Ménaché et Ephraïm, les élevant au même statut que ses propres fils : fondateurs des tribus de la nation d’Israël.

Il désire révéler la fin des temps à ses enfants mais il ne peut le faire.

Yaacov bénit ses fils, assignant à chacun son rôle en tant que tribu : Yehouda donnera naissance à des chefs, des législateurs et des rois. Les prêtres descendront de Lévi, des érudits d’Issa’har, des marins de Zevouloun, des enseignants de Chimon, des soldats de Gad, des juges de Dan, des producteurs d’olives d’Acher, etc.

Réouven est réprimandé pour avoir « dérangé la couche maritale de son père », Chimon et Lévi pour le massacre de Che’hem et le complot contre Yossef. A Naphtali est attribuée la rapidité d’un cerf, à Binyamin la férocité d’un loup et Yossef est béni de beauté et de fertilité.

Une grande procession, faite des descendants de Yaacov, des ministres du Pharaon, des notables d’Egypte et de la cavalerie égyptienne, accompagne Yaacov dans son dernier voyage vers la Terre Sainte où il est enseveli, à ‘Hevron, dans la cave de Ma’hpéla.

Yossef meurt, lui aussi en Egypte, à l’âge de 110 ans. Il a également donné des instructions pour être enterré en Terre Sainte, mais cela ne se produira que bien longtemps après, lors de l’Exode des Juifs d’Egypte. Avant de mourir, Yossef confie aux Enfants d’Israël le testament d’où ils tireront espoir et foi, pendant les difficiles années à venir : « Il est sûr que D.ieu Se rappellera de vous et vous sortira de cette terre (pour vous mener) vers la terre qu’Il a jurée, à Avraham, Its’hak et Yaacov».

 

Les patriarches dans notre vie

« Mon nom sera perpétué par eux et le nom de mes pères, Avraham et Ist’hak » (Bénédiction de Yaacov aux enfants de Yossef. Beréchit 48 :16)

Le Peuple juif a trois « pères » : Avraham, Its’hak et Yaacov, parce qu’il existe trois modèles de perfection qui caractérisent notre mission dans la vie. Chacun de ces trois patriarches sert de précédent qui nous instruit et nous donne la force d’atteindre son mode personnel de perfection.

Avraham : la croissance

La grandeur d’Avraham réside dans le fait qu’il construisit sa vie, en s’investissant, étape par étape, partant de commencements déficients pour parvenir à un statut de grande élévation.

Maimonide décrit la vie d’Avraham, le premier Juif né dans une société dépravée et païenne : « Il n’avait ni maître ni de guide pour l’instruire mais il était submergé dans la folie des idolâtres d’Our Casdim. Son père, sa mère et la société toute entière adoraient des idoles et il les servait avec eux. Mais son cœur était en quête et en contemplation, jusqu’à ce que, en sondant sa propre sagesse, il comprit la vérité et sut qu’il y avait un D.ieu unique. Il arriva à réaliser que le monde entier était dans l’erreur… ». Courageusement, Avraham prit en charge le monde entier et commença à enseigner à ses prochains la vérité d’un D.ieu unique, omnipotent et infini et la morale et le code de valeurs que cela impliquait.

(L’un des sens du mot Ivri, « l’Hébreu » (littéralement : « de l’autre côté ») attaché au nom d’Avraham (Beréchit 14 :13) signifie que « le monde entier était d’un côté et qu’Avraham était de l’autre »)

Its’hak : la pureté

La vie de Its’hak, le premier à être né Juif contraste avec l’histoire spirituelle d’Avraham qui l’avait hissé de la pauvreté à la richesse.

Its’hak ne représente pas une perfection atteinte après des décades de lutte avec l’imperfection mais apparaît comme une ligne droite de pureté spirituelle, depuis sa naissance jusqu’à la fin de sa vie. Alors qu’Avraham fut circoncis à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans, atteignant enfin, à cet âge avancé de sa vie, l’état de « complétude », c’est au huitième jour de sa vie que Its’hak le fut.

Quand Its’hak envisagea de s’aventurer temporairement en dehors de la Terre d’Israël, D.ieu lui dit : « Ne descends pas en Égypte. Réside dans la terre que Je t’ai désignée ». Nos Sages expliquent que D.ieu signifiait à Its’hak : « Tu es une « offrande parfaite » et les terres situées en dehors de la Terre Sainte ne sont pas adéquates pour toi ».

Its’hak n’affronta rien de négatif. Il voyait tout dans sa lumière la plus profonde, n’établissant de relation qu’avec le bien quintessentiel. Il est caractéristique qu’il ne vit que le bien dans son fils corrompu, Essav. Le mal n’appartenait tout simplement pas à son monde.

Yaacov : la vérité

L’ultime marque de perfection, cependant, n’est pas le fait d’éviter la faute mais de réussir à gérer toutes les situations que nous présente l’existence, y compris celles qui sont déficientes et négatives.

Lisons les mots de Rabbi Chalom Dov Ber de Loubavitch :

« Un individu complet et parfait est celui qui, en pratique, rejette le mal et fait le bien avec une totale perfection, qui n’est sujet ni au changement ni à la fluctuation. Les conditions de l’époque et du lieu n’ont aucune incidence sur lui, grâce à la force et l’intégrité de ses convictions… Ces facteurs ne constituent pas même un ‘test’ pour lui, parce qu’il ne conçoit aucune autre approche… »

Le troisième patriarche, Yaacov, représentait cette constante inébranlable dans sa vie. Yaacov était né dans la sainteté et avait passé la première partie de sa vie comme « un homme complet, celui qui réside dans les tentes de l’étude ». A contrario de Its’hak, cependant, Yaacov allait s’aventurer au-delà des frontières du parfait et du saint. Au cours de sa vie, Yaacov dut affronter Essav, le meurtrier, Lavan, le fourbe, et les sociétés idolâtres de ‘Haran et de l’Égypte. Et pourtant, il en émergea complet et indemne. Où qu’il se rende, il surmontait tous les défis que lui lançait le monde. Il exploitait le bien dans les circonstances les plus négatives, sans jamais compromettre l’intégrité de sa propre pureté.

C’est la raison pour laquelle Yaacov est toujours identifié à l’attribut de « vérité ».

La vérité implique la consistance. Quelque chose est vrai quand c’est une réalité objective, quand sa validité ne se trouve pas affectée par des circonstances ou des conditions extérieures. L’héritage de Yaacov est une perfection qui ne nécessite pas d’être enfermée dans des frontières qui l’isolent pour qu’elle reste intègre mais qui transcende et transforme les imperfections qu’elle rencontre.

Trois défis

Les différentes approches caractérisées par la vie d’Avraham, de Its’hak et de Yaacov sont toutes les trois présentes dans notre vie de Juif.

Chacun d’entre nous est appelé à construire à partir de débuts chaotiques et de se diriger vers un moi meilleur. Nous expérimentons tous la nécessité de sauvegarder la pureté intérieure que nous possédons. Enfin chacun affronte le défi du monde en général, pas seulement pour préserver notre propre intégrité morale et spirituelle mais aussi pour la répandre dans notre environnement.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le jeûne du 10 Tévet ?

(cette année mardi 18 décembre 2018)

En ce jour funeste commença le siège de la ville sainte de Jérusalem par l’armée babylonienne, sous les ordres du cruel Nabuchodonosor en 3336 (425 ans avant le début de l’ère commune).

A cause de sa gravité – puisqu’il marque le début de la destruction et de l’exil – il ne peut être repoussé à une date ultérieure (comme les jeûnes du 17 Tamouz et du 9 Av) ou avancé à une date précédente (comme le jeûne d’Esther). C’est le seul jeûne qui peut tomber un vendredi - donc veille de Chabbat. Du fait de sa gravité, il aura d’ailleurs une place de choix quand les jours de jeûne seront transformés en jours de joie (avec la venue de Machia’h).

Le but du jeûne est que même le corps physique ressente « la diminution de la graisse et du sang ». On ne mange pas et on ne boit pas. On ne se rince pas la bouche. Mais on peut se laver sans restriction.

Les enfants qui n’ont pas encore atteint l’âge de la Bar ou Bat Mitsva (les filles dès 12 ans et les garçons dès 13 ans) ne jeûnent pas. Les personnes fragiles, les femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher ou qui allaitent ne jeûnent pas. Même ceux qui ont la permission de manger s’abstiendront de manger des friandises.

Le jeûne commence à l’aube, mardi 18 décembre 2018 (6h55 heure de Paris) et se termine à la tombée de la nuit (17h40 heure de Paris).

Dans la prière du matin, on récite les Seli’hot spéciales de ce jour après le Ta’hanoun ainsi que « le grand Avinou Malkénou ». Puis on lit dans la Torah le passage Vayi’hal (Chemot - Exode 32 : 11 jusqu’à 34 : 1). Seul celui qui a jeûné peut être appelé à la Torah.

Durant la prière de Min’ha (l’après-midi), on lit dans le rouleau de la Torah le chapitre Vayi’hal. Dans la Amida, on ajoute le passage Anénou (« Réponds-nous, Éternel au jour de notre jeûne car nous sommes dans une grande peine… »).

On récite le Ta’hanoun et « le grand Avinou Malkénou ».

Comme tous les jours de jeûne, on procédera à un examen de conscience approfondi et on évitera de se mettre en colère. On augmentera les dons à la Tsedaka (charité). Rabbi Chnéour Zalman explique qu’un jour de jeûne est aussi un jour de bienveillance divine. Comme ce jeûne du 10 Tévet est particulièrement important, on comprend que la Techouva (retour à D.ieu) procurée par ce jeûne est aussi d’un niveau plus élevé.

Dans de nombreuses communautés, ce jeûne est associé au souvenir des martyrs de la Shoah.

 (d’après Rav Yossef Ginsburgh)

Le Recit de la Semaine

 Le petit-fils du Marrane

Il y a près de 60 ans, j’étais non seulement un étudiant pauvre mais, de plus, je devais travailler pour financer mes droits d’inscription à l’université – ce qui signifiait que je disposais de moins de temps à consacrer à mes études. Mais je m’acharnais car j’avais réalisé que, quand on fournit plus d’efforts que ce que l’on croit possible, D.ieu vient souvent à notre rencontre à mi-chemin.

Pour apprécier pleinement ce qui se révéla être un instant fondamental dans ma vie, il faut réaliser ce qui se passa à cette époque à l’université du Miami Law School en 1960. Un nouveau recteur avait eu une idée – brillante bien sûr : transformer cette institution pour qu’elle devienne la meilleure de tous les États-Unis. Par quel coup de baguette magique ? Tout simplement en sélectionnant les meilleurs éléments et en rejetant impitoyablement les autres.

Je n’avais pas compris ce que cela impliquait jusqu’à ce que j’aie affaire à un professeur extrêmement dur, qui avait recours, entre autres, à l’intimidation et à la menace.

A l’approche du nouveau semestre, alors qu’il fallait poser sa candidature, l’assistante du recteur me demanda pourquoi je faisais la queue.

- Pour m’inscrire bien sûr ! Pourquoi ? m’étonnai-je.

- Parce que votre nom ne figure pas sur la liste ! Vous n’avez pas atteint le niveau requis !

Non, je n’étais pas stupéfait ! J’étais incapable de parler, absolument sidéré ! Toute ma vie dépendait de la note qu’on m’avait attribuée et qui avait été honteusement sous-évaluée. On allait m’expulser avant même que j’ai eu une chance de pratiquer le droit ou même d’obtenir un diplôme !

Désespéré, je suis immédiatement parti voir ce professeur et j’ai appliqué exactement les leçons qu’il nous avait prodiguées :

- Vous nous avez appris à nous battre pour la justice ! Comment pouvez-vous supporter pareille injustice ? On va détruire ma carrière avant même qu’elle ait pu commencer !

Encore maintenant, je n’arrive pas à croire ce qui arriva : il me prit par la main et se précipita vers le bureau de l’assistante en exigeant qu’elle me remette mes notes originales et me permette de m’inscrire. Elle répliqua que c’était impossible à cause de la nouvelle politique du recteur. Incrédule, le professeur pénétra de force dans le bureau du recteur et posa un ultimatum. Deux minutes plus tard, l’affaire était réglée et je pus m’inscrire.

Franchement, je ne sais pas comment décrire cet instant si ce n’est la Main de D.ieu qui m’avait assisté. Mais ce n’était que le début.

Au second semestre, les deux examens les plus importants étaient fixés un Chabbat. Je tentais désespérément d’expliquer à mon professeur que je ne pouvais pas les passer un Chabbat, il ne voulait rien entendre. Alors j’agis comme tout prétendant-avocat le ferait : je préparai ma défense. En l’occurrence, je demandai à d’éminents rabbins de Miami d’écrire des lettres affirmant qu’il m’était impossible d’écrire le Chabbat. Le cœur battant, je tendis ces lettres à mon professeur : il me jeta un coup d’œil puis trancha :

- Bon. Présentez-vous à mon domicile dimanche matin à 9 heures.

Je sonnai chez lui dimanche à 9 heures, il me fit entrer. Devant son bureau était suspendu… Le portrait d’un rabbin ! Je ne comprenais plus rien ! Il était pourtant catholique ! Mais il m’expliqua qu’il était un marrane et qu’en fait, son grand-père était né juif !

Sidéré, je ne prononçai pas un mot et me mis à répondre aux questions de l’examen. Au bout de quelques heures, je tendis mes feuilles au professeur qui ne cachait pas son exaspération parce que j’avais gâché son dimanche matin. Il les regarda distraitement et leur attribua les meilleures notes ! Je croyais rêver ! Il déclara que je pouvais m’inscrire pour l’année prochaine à son cours et celui d’un de ses collègues.

58 ans se sont passés et je n’arrive pas encore à réaliser le miracle qui m’est arrivé. Si j’avais passé l’examen Chabbat, non seulement j’aurais violé mes principes et la loi de D.ieu mais je n’aurais certainement pas obtenu ce traitement de faveur et j’aurais sans doute tout raté. Donc ce qui était apparu comme une terrible épreuve – Chabbat – était de fait devenu la clé qui m’avait ouvert les portes !

Bien sûr, si on choisit de considérer ces événements comme de simples coïncidences, cela aurait été juste une belle histoire. Mais cette histoire m’est arrivée à moi et je ne peux que ressentir une immense gratitude pour ce que D.ieu a fait pour moi. Cela ne signifie pas que je n’ai pas eu besoin de travailler dur, très dur même mais, finalement, cela n’aurait pas pu se concrétiser en un diplôme de droit – sauf si D.ieu ne m’avait pas rejoint à mi-chemin.

Norman Ciment – juge et premier maire pratiquant de Miami – Jewish Press

Traduit par Feiga Lubecki