Semaine 1

  • Vaye’hi
Editorial
Donner son sens à l’Histoire

Cette semaine a commencé par un de ces jours difficiles que compte le calendrier juif : 10 Tévèt, le jour où l’envahisseur venu de Babylone commença le siège de Jérusalem. D’année en année, cet anniversaire est commémoré par un jour de jeûne, il est tombé le lendemain du Chabbat. Ce jour présente, cependant, une ambivalence étonnante. Il est, certes, celui du début du siège, pourtant le terme qui désigne cette opération en hébreu peut se traduire également par «il a soutenu». L’histoire prend alors un sens profondément différent, l’envahisseur babylonien devenant celui qui « soutient » au lieu de celui qui «assiège». Comment faut-il donc voir le 10 Tévèt ? Est-ce une journée de drame ou, au contraire, d’espoir ?
Lorsqu’un jour présente deux caractères en apparence si dissemblables, il ne fait guère de doute qu’il y a, entre eux, comme un lien profond et que celui-ci est porteur des leçons les plus précieuses. De fait, indiquent les commentateurs, l’avancée des Babyloniens n’étaient pas, en son temps, obligatoirement annonciatrice de la terrible chute finale. Elle pouvait être, à niveau égal, un signe de renaissance et de renforcement. C’est de cette paradoxale éventualité que naît l’ambivalence des mots employés pour décrire l’événement : «siège» destructeur ou «soutien» prometteur, l’histoire pouvait potentiellement s’écrire des deux manières. Une question émerge ici d’elle-même : qui a fait le choix ? Et la réponse monte, bouleversante : les Juifs du temps en ont décidé. Leurs actions ont entraîné que l’événement prenne une tournure dramatique. Si elles avaient été meilleures, elles auraient donné à l’histoire une autre direction ! Il n’est, bien sûr, pas question ici d’exonérer l’envahisseur de sa responsabilité ou de justifier ses crimes – il les a totalement assumés – mais d’aller jusqu’aux ressorts profonds des choses.
De fait, «D.ieu a mis le monde dans leur cœur» disent nos Textes, signifiant ainsi que l’homme est bien l’être qui décide du devenir des choses et des avancées de l’Histoire. Le 10 Tévèt aurait pu être un jour de grandeur, il devint jour de deuil. En notre temps, malgré les douloureuses expériences du passé, les voix de la barbarie ne se sont pas tues. Elles entreprennent de se faire entendre et certains leur tendent une oreille bien trop complaisante pour être honnête. Ne font-elles pas le «siège» de nos consciences ? L’ambivalence du 10 Tévèt a, pour nous, un sens immédiat. Le monde est « en notre cœur » a-t-on dit. Si nous en décidons ainsi par nos actes de lumière, l’obscurité, aussi profonde qu’elle paraisse, en deviendra le ferme «soutien».
Etincelles de Machiah
Ceux qui sont perdus

Le prophète Jérémie (27:13) décrit la venue de Machia’h en ces termes : «Il arrivera en ce jour qu’il sera sonné du grand Choffar. Et ceux qui sont perdus en terre d’Assyrie viendront ainsi que ceux qui sont repoussés en terre d’Egypte et ils se prosterneront devant D.ieu sur la montagne sainte à Jérusalem».
Chacun des termes employés ici correspond à une situation précise. «Ceux qui sont perdus en terre d’Assyrie» fait référence aux hommes qui sont plongés dans les plaisirs et le luxe matériel car le mot «Assyrie» en hébreu – «Achour» – renvoie étymologiquement à la notion de plaisir qui apparaît, par exemple, dans le mot «Achrei». «Ceux qui sont repoussés en terre d’Egypte» désigne les hommes dont ni le cœur ni l’esprit ne sont ouverts à la connaissance de D.ieu du fait des difficultés de l’exil, comme ce fut le cas en Egypte pour nos ancêtres.
Lorsque Machia’h viendra, tous sortiront de ces situations et viendront se prosterner devant D.ieu.
(d’après Likoutei Torah, Roch Hachana, p.60a) H.N.
Vivre avec la Paracha
La décapitation d’Essav

Et Its’hak aimait Essav parce qu’ [il] l’avait nourri de sa chasse, et Rivkah aimait Yaakov (Béréchit 25 : 28).
Dans la cave de Ma’h pélah, à ‘Hevron (le lieu de sépulture des Patriarches)…la tête d’Essav est posée sur le giron de Its’hak (Targoum Yonathan sur Béréchit 50 : 13).

Yaakov et Essav, les fils jumeaux d’Its’hak et Rivkah, personnifient le jumelage éternel de l’esprit et de la matière, de l’idée et de la force brutale, du mot et de l’épée. Yaakov était un «homme d’intégrité, celui qui résidait dans les tentes de l’étude» (Béréchit 25 :27) ; Essav était «un habile chasseur, un homme des champs» ( ibid.). «La voix est la voix de Yaakov et les mains sont les mains d’Essav» (Béréchit 27 :22).
Et pourtant, une relation très spéciale existe entre le matérialiste Essav et son saint père, Its’hak. La Torah décrit le délice de Its’hak dans la dégustation des mets délicats qu’Essav avait préparés avec le produit de son glaive et de son arc. C’est Essav qu’Its’hak appela quand il sentit sa fin proche et qu’il proposa de bénir avant sa mort. De toute évidence, il y avait plus en Essav que le bandit, l’assassin et le séducteur que nous connaissons.

Confrontation à ‘Hevron
Yaakov et Essav ne partageaient pas seulement un couple de parents et un anniversaire ; ils furent également ensevelis le même jour.
Le Midrach relate que lorsque la procession funéraire de Yaakov atteignit la Cave de Ma’hpélah à ‘Hevron, le lieu de sépulture d’Avraham, Sarah, Its’hak et Rivkah, ils rencontrèrent Essav et ses hommes leur barrant le chemin. Essav clama que la seule place qui restait était la sienne, par héritage, puisque Yaakov avait déjà pris possession de la sienne quand il avait enterré sa femme Léah dans la Cave. Quand les enfants de Yaakov maintinrent que leur père avait acheté à Essav sa place, Essav le nia. La transaction avait été mise par écrit mais l’acte était resté en Egypte et l’on envoya le rapide Naphtali le chercher. ‘Houchim, le fils sourd de Dan, demanda pourquoi il y avait ce tumulte et quand il apprit qu’Essav retardait l’enterrement de son vénérable grand-père, il en devint furieux. D’un puissant coup de son épée, ‘Houchim arracha la tête d’Essav qui roula dans la Cave de Ma’hapélah et vint reposer sur le giron d’Its’hak où elle demeure jusqu’à ce jour. C’est ainsi que «la tête d’Essav repose dans le giron de Its’hak».
Essav possédait un corps et une tête. Le «corps» d’Essav est la masse et le magma de sa vie matérialiste. Mais une vie matérialiste n’est pas nécessairement une vie profane. Par essence, la réalité physique n’est pas moins une création divine que l’existence spirituelle la plus élevée. Quand elle est bien conduite, la matérialité peut être la plus grande expression de la vérité divine. La «tête» d’Essav est la conscience qui donne connaissance, but et directive à la matière brute.
Le matérialiste saint est un «habile chasseur», doué dans l’art de l’évasion, de l’embuscade et du piège. La réalité physique ne connaît aucun maître, aucune autorité et elle ne se reconnaît aucune fonction ou but si ce n’est la réalisation de sa propre ambition et sa propre expansion. Ainsi, vivre une vie matérielle comme une entreprise divine est-il un acte de subterfuge. L’on mange, évidemment pour nourrir son corps, l’on fait des affaires, évidemment pour augmenter sa fortune, l’on construit une carrière et une place dans la communauté, évidemment pour amasser le prestige et la puissance. Mais tout cela n’est que faux semblant, ruse pour se saisir de la matérialité et l’exploiter à une fin divine.
C’était là le chasseur et le joueur qu’aimait Its’hak. Il aimait son fils matérialiste qui avait appris à persévérer et à profiter du monde matériel. Il aimait Essav qui sillonnait les champs dans des entreprises matérialistes et ne manquait jamais de rapporter à la maison un morceau juteux pour son père si spirituel.

Yaakov déguisé
Mais la vie matérielle est en butte à des écueils aussi dangereux que ses potentiels sont puissants et Essav, le maître suprême de la matérialité, en fut aussi la victime suprême. Sa «tête» cessa de diriger son «corps» et en devint l’esclave et l’outil. Au lieu d’exploiter sa personnalité matérialiste, ses facultés plus élevées en furent les esclaves. Le grand chasseur fut attrapé par sa proie et descendit dans une vie d’hédonisme et de violence.
Its’hak, aspirant aux délices spirituels implicites dans le royaume matériel, espérait toujours utiliser l’art de la chasse d’Essav pour les en extraire. Mais Rivkah comprit que son fils aîné faisait trop profondément partie du monde matériel pour pouvoir l’exploiter. Elle comprit que seul celui qui aspire à plus de spiritualité peut espérer déterrer les potentiels sublimes de la matérialité tout en résistant à son influence corruptrice. C’est ainsi qu’elle vêtit Yaakov des habits d’Essav et l’envoya recevoir la bénédiction d’Its’hak pour «la pluie du ciel et le gras de la terre».
C’est ainsi que fut mise en place la scène de la confrontation éternelle des deux frères «sur les deux mondes» de la matière et de l’esprit. Avec colère, Essav observa l’attachement de son frère à «son» royaume, comment ce dernier obtenait les bénédictions, par ruse et usurpation. Il observa l’érudit naïf devenir un entrepreneur rusé, à la hauteur de la malice de Lavan et amassant une grande richesse matérielle.
Essav avait toujours sa «tête», seulement maintenant son moteur spirituel avait rendu sa corporalité encore plus virulente. Un corps «décapité», une vie physique dépourvue de tout idéal et de toute directive est quelque chose de négatif. Mais quand une tête est subvertie par son corps, quand la sensibilité et la vitalité spirituelles d’un individu sont au service des penchants de la matérialité, il s’agit alors d’un matérialisme fatal, s’incrustant dans les recoins les plus profonds de l’âme et empoisonnant ce qui est le meilleur dans l’homme et dans son monde.
Le jour où Yaakov fut enseveli, la tête d’Essav fut arrachée à son corps. Le corps, séparé de sa vitalité spirituelle alla nourrir le matérialisme sans âme qui s’oppose constamment à la voix de Yaakov. La tête, libérée de la domination matérielle, fut réunie à sa source et à son esprit parent dans le giron de Its’hak.
Le Coin de la Halacha
Que signifie l’expression : «Le’haïm», «A la vie» ?

Dans les communautés séfarades, quand le maître de maison s’apprête à prononcer la bénédiction sur le vin lors de la cérémonie du Kiddouch, il la précède de : «Savri Maranane» et tous les convives répondent : «Le’haïm». De fait, on explique que le maître de maison demande ainsi aux convives s’ils désirent se rendre quitte du Kiddouch grâce à lui et ils répondent «Le’haïm» qui signifie «oui», en Araméen.
Une autre explication : du temps où le Sanhédrine (le tribunal rabbinique) avait la compétence requise pour prononcer une condamnation à mort, on faisait boire une boisson fortement alcoolisée aux (très rares) personnes condamnées à mort afin de diminuer leur angoisse et leur souffrance. C’est ainsi que le Talmud déclare : «Le vin n’a été créé que pour consoler les endeuillés et pour punir les méchants» comme il est dit (Proverbes 31. 6) : «Donnez une liqueur forte à la personne désespérée et du vin aux angoissés». Quand on récite le Kiddouch, les convives répondent donc «Le’haïm», «A la vie» car cette coupe de vin n’est pas destinée à atténuer la souffrance d’une victime mais au contraire à augmenter la joie des convives.
La première fois que le vin est mentionné dans la Torah, c’est à propos du fruit défendu mangé par Adam et ‘Hava (Eve) : selon un Midrach, il s’agissait de raisin ; plus explicitement, la Torah mentionne Noa’h (Noé) qui a bu du vin et s’est enivré avec les conséquences fâcheuses que l’on sait. Ces deux occurrences étaient donc négatives : c’est pourquoi, lorsqu’on boit le vin du Kiddouch, on souhaite que ce soit «pour la vie» et la bénédiction, selon l’expression des ‘Hassidim.

F. L. (d’après Rav Yosef Ginsburgh)
De Recit de la Semaine
«En direct»

Actuellement directeur du Collel «Torat Moché» à Bnei Brak, le Rav Its’hak Eden fut auparavant secrétaire auprès des grands rabbins d’Israël, Rav Israël Meïr Lau et Rav Bakchi Doron. Avec d’autres, il a été témoin en direct de cette histoire.

Il y a plus de trente ans, j’ai eu le mérite de pouvoir entrer en audience privée chez le Rabbi de Loubavitch. J’avais bien préparé mes questions et mes remarques mais quand je me trouvai face à face avec le Rabbi, je ne pus ouvrir la bouche. Le regard pénétrant et réconfortant du Rabbi m’avait convaincu et mes questions avaient disparu. Le Rabbi m’avait béni et j’étais ressorti muni de ces encouragements pour la suite de ma vie.
Vingt ans plus tard, je me suis à nouveau rendu chez le Rabbi, plus précisément au Ohel, au cimetière Montefiore de Queens. C’était quelques jours avant Ticha BeAv 1995 (ou 1996). Cette fois, j’ai parlé et parlé, j’ai demandé et raconté auprès du tombeau du Rabbi tout ce que j’avais préparé. Nul ne cherchait à me faire sortir de cet endroit et je pus prendre tout mon temps pour exprimer ce que j’avais sur le cœur, pour penser à tous ceux que j’aime et que je connais et je n’ai aucun doute que le Rabbi m’a accordé toutes ses bénédictions.
Quand je suis sorti avec mon ami de Bnei Brak du Ohel, je me suis senti soulagé et, comme de coutume, nous nous sommes lavés les mains rituellement et nous sommes assis pour nous restaurer. Un thé chaud après cette expérience spirituelle contribue à remettre ses idées en place et, si on peut dire, à «retomber sur terre».
Alors que nous échangions nos impressions, nous avons remarqué un jeune homme et une jeune fille qui nous dévisageaient fixement. De fait, ils regardaient avec attention toutes les personnes qui entraient et sortaient. Puis ils se rendaient dans l’autre pièce, dans la petite maison, là où se trouve l’écran vidéo qui retransmet d’anciennes réunions ‘hassidiques avec le Rabbi et continuaient d’inspecter attentivement les nombreux visiteurs.
Mon ami se tourna alors vers la jeune fille et, poliment, lui demanda s’il pouvait l’aider. Au début, elle s’excusa et balbutia quelques mots inintelligibles, échangea un regard avec le jeune homme à ses côtés puis nous raconta leur histoire. De fait, il s’agissait d’un frère et d’une sœur âgés d’une vingtaine d’années. Quand elle avait deux ans et son frère quelques mois, leur père avait quitté la maison et n’était plus revenu. Ils ne l’avaient plus jamais revu et n’avaient eu aucune nouvelle de lui : ni appel téléphonique, ni lettre, ni cadeau pour les fêtes. Comme si la terre l’avait englouti.
La vie des deux enfants n’avait pas été facile et ils avaient toujours souhaité revoir leur père. Apparemment, celui-ci s’était enfui à la suite d’un conflit familial particulièrement grave. Malgré les années qui avaient passé, les enfants avaient toujours souhaité le revoir.
Un Chalia’h (émissaire) du Rabbi leur avait conseillé alors d’écrire une lettre qui serait lue auprès du tombeau du Rabbi.
La nuit précédente, la jeune fille avait rêvé qu’elle passait un dimanche matin devant le Rabbi – comme aux jours heureux où il distribuait des dollars et surtout des bénédictions à tous ceux qui le désiraient.
Dans son rêve, elle avait éclaté en sanglots ; le Rabbi lui avait alors donné un dollar, racontait-elle, tout en lui conseillant : «Rendez-vous aujourd’hui au Ohel et vous y rencontrerez votre père !»
«C’est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui, conclut-elle. Je suis sûre qu’il y a quelque chose de vrai dans ce rêve et que nous retrouverons notre père !» affirma-t-elle avec une certitude déconcertante. Elle n’avait aucune photo sur laquelle s’appuyer mais un seul indice : sa mère avait toujours remarqué que son frère – le jeune homme à ses côtés – ressemblait de façon frappante à son père. C’est pourquoi elle scrutait avec insistance toutes les personnes qui se rendaient au Ohel ce jour-là.
Notre curiosité était à son comble. Nous avions prévu de quitter cet endroit admirable car nous avions encore beaucoup d’autres tâches à accomplir ce jour-là à New York mais le récit de ces deux jeunes gens nous interpellait. Ce n’est pas tous les jours qu’on entend comme une prophétie dont on pourrait être témoin en direct !
Nous avons attendu une longue heure. Entre temps, les deux jeunes continuaient leur petit manège : nul visiteur n’échappait à leur examen attentif. Comme nous, d’autres personnes avaient remarqué leurs regards insistants et avaient entendu la même histoire. Nous étions donc maintenant plusieurs témoins potentiels et, comme les deux jeunes gens, nous scrutions avec attention tous les visiteurs.
Un autobus s’arrêta devant le Ohel : le jeune homme et la jeune fille se précipitèrent pour «accueillir» tous les touristes qui en descendaient : un «accueil» silencieux mais attentif. Les visiteurs descendaient un à un de l’autobus pour se recueillir et prier auprès du Ohel. Soudain, un homme vêtu avec élégance, coiffé d’un chapeau de paille descendit de l’autobus. Nous avons remarqué leurs regards qui se croisaient. Il s’arrêta devant la jeune fille, la regarda tandis qu’elle l’examinait intensément. Cela dura quelques secondes qui nous semblèrent un siècle. De la fenêtre d’où nous observions la scène, il nous sembla que ce fut lui justement qui lui adressa le premier la parole. Peut-être l’avait-il reconnue car elle ressemblait sans doute à sa mère…
Quelques minutes plus tard, tous les trois s’en allèrent tout en discutant et en se regardant continuellement, comme pour s’assurer qu’ils ne rêvaient pas. Et nous n’avons pas dit un mot, comme si nous étions tous subjugués par la scène à laquelle nous avions assisté – vraiment en direct, comme au temps des plus merveilleuses histoires du Baal Chem Tov…

Arie Samit
Kfar Chabad
traduit par Feiga Lubecki