Samedi, 6 septembre 2025

  • Ki Tetsé
Editorial

 De retour ?

Cette fois-ci, nous y sommes ! Pour la plupart d’entre nous, le rythme quotidien reprend. Autour de nous, l’activité anime de nouveau les rues et, déjà, cette période un peu entre parenthèses qu’on a coutume d’appeler « les vacances » commence à prendre sa place dans nos souvenirs bien rangés. Décidément, rien ne peut plus nous en détourner : c’est la rentrée ! Il y a, dans ce mot, comme une tonalité d’irrémédiable. Faut-il le prendre comme une clôture de scène ou un lever de rideau ? Peut-être est-ce la question essentielle du moment.

Comme bien souvent, il est possible de regarder les jours qui passent de deux façons profondément différentes. Il est loisible à chacun d’y voir ce que l’on a décrit : le retour après la grande transhumance estivale, la réapparition des soucis de la vie et de la course effrénée – et parfois sans but – qui caractérise les sociétés modernes… On peut aussi prendre brutalement conscience que le calendrier nous ouvre ici un champ de potentialités inespéré. Car cette rentrée n’est pas comme celles qui l’ont précédée. Elle nous introduit, sans aucune transition, dans le mois d’Elloul. Et cela change tout.

Elloul : dernier mois du calendrier juif, qui précède les fêtes de Roch Hachana et de Yom Kippour, mais surtout période à part. C’est le temps où, disent nos Sages, D.ieu attend chacun comme le Roi prêt à accueillir avec bienveillance tous ses sujets et à leur accorder toutes leurs demandes. La Kabbale enseigne qu’alors les Treize Attributs de la Miséricorde Divine éclairent l’univers et tous ceux qui y vivent. Pour ces raisons, Elloul est un mois plus personnel, comme intérieur à chacun. C’est un mois de réflexion – sur soi, ses actes, les démarches nouvelles à entreprendre. Le ressentir, de façon tangible, n’est qu’affaire de sensibilité ; si l’on sait voir, la réalité physique n’est plus tout à fait la même.

C’est bien d’une véritable découverte qu’il s’agit : la rentrée peut avoir une portée spirituelle et le grand retour peut être celui de l’âme vers D.ieu. D’une certaine manière, particulièrement cette année du fait du calendrier, cela ne dépend que de nous. Nous avons ainsi un choix aux conséquences fondamentales. Vivre la rentrée comme une nouvelle soumission au monde, à ses contraintes et à ses exigences de matérialité ou la vivre comme une aire ouverte de liberté, comme un espace de lumière, comme une source de lien avec le Divin. Le chemin qui s’ouvre est clair ; il nous entraîne vers cette année bonne et douce dont nous rêvons tous, cette année de toutes les bénédictions et de la plus grande d’entre elles : la venue de la Délivrance messianique.

Etincelles de Machiah

 Le parachèvement

Le Talmud (Traité Sota 13b) enseigne : « L’observance d’un commandement n’est appelée que du nom de celui qui le parachève ». En d’autres termes, c’est celui qui conclut une Mitsva qui en acquiert le bénéfice.

Cette notion s’applique également à la venue de Machia’h. Bien que l’œuvre accomplie par les générations précédentes, dont il est dit (traité du Talmud Chabbat 112b) « les premiers étaient comme des anges », soit infiniment supérieure à la nôtre, cependant « la Délivrance est appelée du nom de celui qui la parachève ». Or, elle viendra par le mérite de notre génération car c’est elle qui, par son effort, porte à son point culminant l’œuvre des générations passées.

(d’après Likouteï Si’hot, vol. XX, p. 104)

Vivre avec la Paracha

 Ki Tétsé

La Paracha de cette semaine contient 74 des 613 commandements (Mitsvot). Parmi elles figurent les lois relatives à la belle captive, aux droits d’héritage de l’aîné, au fils récalcitrant et rebelle, à l’enterrement et au respect dû au défunt et à la restitution d’un objet perdu. Elle aborde également le devoir de renvoyer l’oiseau du nid avant de prendre ses petits, l’obligation d’ériger des barrières de sécurité autour du toit de sa maison et les différentes formes de Kilayim (les greffes végétales et animales interdites).

Sont également développées les procédures judiciaires et les sanctions encourues en cas d’adultère, d’abus ou de séduction d’une jeune-fille et si un mari accuse à tort sa femme d’infidélité. Les personnes suivantes ne peuvent se marier avec quelqu’un issu de lignée juive : un Mamzer (né d’une relation adultérine ou incestueuse), un homme descendant de Moav ou d’Amon, ou encore tous ceux issus des premières ou secondes générations d’Édom ou d’Egypte.

Notre Paracha énonce également les lois visant à préserver la pureté d’un camp militaire, l’interdiction de retenir un esclave fugitif, le devoir de payer un travailleur en temps dû et de permettre à celui qui travaille pour nous, homme ou animal, de « manger par le travail ». Elle précise aussi comment traiter un débiteur et interdit de prendre des intérêts sur un prêt. En outre, elle traite des lois relatives au divorce (dont sont également dérivées de nombreuses lois du mariage), ainsi que de la sanction de trente-neuf coups de fouet pour avoir transgressé une interdiction de la Torah et la procédure du Yiboum (« lévirat ») pour le beau-frère qui devra épouser la femme de son frère décédé sans avoir eu d'enfant et la 'Halitsa (« déchaussement ») s'il ne souhaite pas épouser sa belle-sœur veuve.

Ki Tétsé se conclut avec l’obligation mémorielle relative à Amalek : « Souviens-toi ce qu’Amalek t’a fait sur la route, lors de votre sortie d’Égypte ».

La lecture de la Torah de cette semaine s’ouvre et se clôt sur le thème de la guerre. Elle débute par l’instruction : « Lorsque tu iras en guerre contre ton ennemi... », et se termine par la Mitsva d’engager le combat contre Amalek afin d’anéantir totalement cette nation.

Cette introduction soulève une interrogation fondamentale : puisque toute existence a été engendrée par D.ieu (et en réalité, le Baal Chem Tov enseigne que D.ieu renouvelle l’acte créateur à chaque instant), pourquoi alors D.ieu a-t-Il créé des ennemis - et plus particulièrement un adversaire tel qu’Amalek - contre lesquels le Peuple juif doit mener la guerre en toute génération ?

La résolution de cette question est intrinsèquement liée à la finalité de la création dans son ensemble, à savoir que D.ieu a engendré le monde afin d’établir « une demeure pour Lui dans les mondes inférieurs ». Dans ce dessein, permettant aux Juifs d’accomplir des Mitsvot à travers des entités matérielles, telles que les Tefilin en parchemin ou les Tsitsit en laine, D.ieu a créé tout le domaine de l’existence matérielle.

(Cette existence matérielle n’est pas simplement de nature imaginaire, mais constitue une réalité avérée, comme en témoigne la déclaration de la Torah : « Au commencement, D.ieu créa le ciel et la terre », c’est-à-dire que la Torah atteste formellement de la création du monde. De manière analogue, le Rambam affirme que le monde a été créé à partir de « la vérité de Son Être ».)

Étant donné que le désir divin était d’avoir une demeure dans les royaumes inférieurs, et plus précisément dans le royaume le plus bas possible, furent créées au sein de ce monde des entités dont l’existence s’oppose directement à D.ieu. En effet, Il souhaitait tirer plaisir de l’existence du mal et de sa transformation en bien.

Sur le plan intellectuel, il est inconcevable de comprendre comment D.ieu pourrait engendrer - et continuellement faire exister - une entité dont l’essence même s’oppose à la force créatrice qui la fait exister. Néanmoins, D.ieu n’est pas limité par les contraintes intellectuelles ; Il est véritablement infini et transcende toutes frontières. Par conséquent, Il possède la capacité potentielle de créer une telle entité.

Ce concept possède également des implications significatives en ce qui concerne le service du Peuple juif. Puisque l’existence du mal découle de l’infinité essentielle de D.ieu, d’immenses énergies divines y sont investies. Toutefois, l’expression positive de ces énergies ne peut s’effectuer de manière directe, se limitant à révéler ce qui est caché. Il s’agit plutôt d’un processus analogue à la création d’une entité nouvelle, impliquant la transformation des ténèbres en lumière. Le pouvoir d’opérer une telle transformation a été conféré au Peuple juif par D.ieu. Étant donné que « Israël et le Saint, béni soit-Il, ne font qu’un », le Peuple juif détient cette puissance fondamentale pour faire advenir une nouvelle réalité. Il possède ainsi le potentiel de métamorphoser ce royaume humble en une demeure pour D.ieu.

Bien que l’environnement matériel dans lequel nous évoluons possède une force considérable, comme cela a été précédemment souligné, un individu engagé dans la mission de transformer cet environnement en une demeure divine incarne une puissance encore supérieure. Cette force supérieure ne se révèle pleinement qu’au moment où l’individu entreprend ses efforts et ses luttes pour affiner son milieu. Dès le commencement de ce processus de purification, la force est puisée dans l’ensemble des forces antagonistes et la capacité est conférée d’élever ces dernières à un état de sainteté.

Deux explications justifient ce phénomène : a) Étant donné que l’âme juive est intrinsèquement « une partie de D.ieu », aucune autre entité ne saurait lui être assimilée ; b) Le but fondamental de la descente de l’âme dans ce domaine matériel - caractérisé par l’opposition et le conflit - réside précisément dans l’accomplissement de ce service transformateur. Par conséquent, les forces opposées existent uniquement pour être vaincues. Ainsi, toute tentative sincère visant à les surmonter est assurément couronnée de succès.

Ces concepts sont illustrés dans le verset : « Lorsque tu iras en guerre contre ton ennemi, D.ieu le livrera entre tes mains, et tu prendras ses captifs ». Ce passage souligne que, d’une part, l’ennemi constitue une entité puissante, suffisamment forte pour capturer des prisonniers. Néanmoins, le Juif se voit conférer un pouvoir encore supérieur. En effet, dans le verset mentionné ci-dessus, le mot hébreu traduit par « contre », « Al », signifie littéralement « au-dessus ». Ainsi, même lorsqu’un Juif « sort en guerre », c’est-à-dire qu’il se trouve aux premiers stades de son service, il se situe déjà « au-dessus de ses ennemis ». Il peut également être assuré qu’en définitive, « D.ieu le livrera entre ses mains ». Il bénéficiera d’une assistance divine dans l’accomplissement de sa tâche de raffinement, car tel est le but ultime de la création.

De cette manière, il pourra « prendre pour captifs ses prisonniers », c’est-à-dire les prisonniers précédemment capturés par l’ennemi. Cela fait référence au processus de purification des étincelles divines tombées dans le domaine du mal. En effet, la raison fondamentale pour laquelle ces étincelles divines ont pu descendre dans ce domaine réside dans leur élévation finale et leur élargissement à un niveau supérieur à celui d’origine. Ce niveau supérieur peut être comparé à « l’avantage que possède l’obscurité sur la lumière ». Car lorsque l’obscurité est transformée en lumière, elle engendre une lumière plus puissante que la lumière ordinaire.

(Pour expliciter le parallèle de ces concepts dans le domaine personnel : les mérites résultant de la transformation du mal en bien, c’est-à-dire les mérites attribués à un Baal Techouvah (celui qui revient à la Torah), surpassent ceux détenus par un homme juste qui n’a jamais commis de péché.)

Ces concepts se rapportent à la conclusion de la lecture de la Torah qui évoque la guerre contre Amalek. Amalek incarne la puissance ultime des forces du mal, notamment en raison de son avantage d’être un descendant d’Avraham. Cette puissance se manifeste dans la description que donne la Torah du face-à-face entre Amalek et le Peuple juif : « il t’a rencontré sur le chemin ». Il est particulièrement significatif que le terme hébreu traduit par « il t’a rencontré » « Kare’ha » soit interprété dans la pensée ‘hassidique comme signifiant « il t’a refroidi ». En effet, Amalek détient le pouvoir d’éteindre l’ardeur d’un Juif dans son service envers D.ieu.

Cependant, cette étape ne constitue qu’un stade préliminaire. Ultimement, c’est précisément par la confrontation avec Amalek qu’un Juif peut atteindre les niveaux les plus élevés. Dans cette perspective, le raffinement d’Essav, l’ancêtre d’Amalek, s’associe à l’Ère de la Rédemption, époque où « des sauveurs monteront sur la montagne d’Essav ».

Ces notions trouvent également un écho dans les versets inauguraux de la lecture de la Torah de la semaine prochaine : « Et il arrivera quand tu entreras dans le pays..., tu prendras les prémices du pays ». Par le biais du « départ en guerre contre tes ennemis », on opère une purification sur le territoire qui permet alors d’y offrir ses fruits à Yerouchalayim, au Beth HaMikdach, lieu où se révèle la Présence de D.ieu.

L’expression ultime de ce service s’accomplira durant l’Ère de la Rédemption lorsque sera manifesté sans équivoque que le monde entier constitue l’habitation divine. En effet, les Juifs auront révélé que l’essence même de chaque entité réside dans celle de D.ieu.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que la Techouva (le retour à D.ieu) ?

Il est écrit : « Ils reconnaîtront les fautes qu’ils ont commises ». Ce verset évoque la reconnaissance par la parole de la faute accomplie : c’est une Mitsva positive. Comment reconnaît-on ses fautes ? On dira : « Oh, D.ieu, j’ai péché, j’ai fauté et j’ai mal agi devant Toi en commettant telle ou telle action négative. J’ai honte de mes actions et je ne recommencerai jamais ». C’est l’essentiel de l’aveu. Mais avouer sa faute à D.ieu ne suffit pas : il faut aussi décider fermement de ne pas recommencer.

Celui qui a nui à un autre, même s’il a remboursé les dommages causés par sa négligence ou sa méchanceté, doit reconnaître sa faute devant D.ieu et s’engager à ne pas récidiver.

La Techouva couvre toutes les fautes : même celui qui a mal agi toute sa vie mais qui revient sincèrement vers D.ieu à la fin, on ne lui rappellera aucune de ses mauvaises actions passées.

Certaines fautes sont si graves qu’il faut la Techouva de Yom Kippour pour obtenir leur pardon et d’autres encore plus graves où des épreuves, parfois douloureuses, viennent effacer toute trace de faute.

Comment sait-on qu’on a réellement fait Techouva ? Si on se retrouve dans la même situation, avec les mêmes possibilités de fauter et les mêmes capacités mais qu’on parvient à ne pas fauter, alors « Celui (D.ieu) qui connaît ce qui est caché atteste qu’il ne recommencera jamais ce péché ».

(d’après Hil’hot Techouva - Rambam)

Le Recit de la Semaine

 Sache d’où tu viens

Je suis né à Bombay en Inde, là où mes parents s’étaient enfuis quand les Nazis avaient envahi la Pologne en 1939. Ils avaient tenté d’entrer en Terre sainte mais les Britanniques les en avaient empêchés car c’était eux qui contrôlaient la Palestine et ils avaient institué un quota limitant l’entrée des Juifs dans leur terre ancestrale. Mes parents n’avaient pas non plus obtenu de visa pour les États-Unis et se sont donc rabattus sur la première option venue. Ils habitèrent en Inde durant sept ans et, quand j’ai eu trois ans, ils ont émigré en Australie.

A la maison, je n’ai reçu aucune éducation juive, mon père était même antireligieux, sans doute à cause de son ressenti de la Shoah. J’ai donc fréquenté une école laïque huppée et ce n’est que vers l’âge de trente ans que je commençai à m’intéresser au judaïsme : d’ailleurs avant que je ne rencontre le mouvement Loubavitch, j’ignorai pratiquement ce qu’était Yom Kippour.

Cependant, avant de mourir, mon père - qui, jusque-là, n’avait pas vraiment approuvé mes recherches sur le judaïsme - estima que je devais savoir que je descendais en fait d’une prestigieuse dynastie hassidique : le Rabbi de Kremnitz et son épouse qui était la fille du Maguid de Mézéritch.

Environ un an plus tard, en 1975, j’ai été impliqué dans une affaire immobilière en partenariat avec un associé chinois de Hong Kong, pour rechercher à Sidney un bâtiment pouvant servir d’ambassade pour un pays étranger. J’acceptai de m’occuper de la transaction à condition que les détails soient communiqués à l’acheteur. Au dernier moment, j’appris que cette condition n’avait pas été respectée et je me retirai de l’affaire. Cependant, je trouvai injuste que mon partenaire chinois profite de mon retrait et il fut décidé que ma partie du bénéfice reviendrait à une cause charitable de mon choix.

C’est ainsi que la somme de 150 000 dollars (de nos jours presqu’un million de dollars) atterrit chez une Yechiva Loubavitch dirigée par Rav Pin’has Feldman, l’émissaire du Rabbi à Sidney. Il fut absolument abasourdi par ce don massif inattendu et me conseilla d’écrire au Rabbi de Loubavitch à ce propos - sans pour autant préciser comment et quoi écrire.

Bien que j’aie assisté à de nombreux cours de Torah avec Rav Feldman, je ne connaissais pas encore le monde religieux et j’ignorais qui était le Rabbi. Aujourd’hui, je suis vraiment très embarrassé de mon ignorance et de ma désinvolture de l’époque et voici le genre de lettre que j’écrivis : « Hello ! Comment allez-vous cher collègue ? J’ai appris que vous étiez un Rabbi. Moi aussi, d’une certaine façon car mon père m’a appris que j’étais un descendant du Rabbi de Kremnitz. Donc, entre deux Rabbis comme nous, je voulais juste vous envoyer un bonjour d’Australie et, si je peux vous aider, ce serait avec plaisir. Bref, portez-vous bien, bonne chance, à bientôt ! ».

Inutile de préciser que je n’ai pas reçu de réponse à cette lettre, ni d’ailleurs aux lettres que j’envoyai par la suite et qui étaient bien plus respectueuses alors que je devenais plus impliqué dans la vie juive. Finalement en 1984 - alors que je parrainais la construction à Sidney d’un lycée religieux de jeunes filles et que j’informai le Rabbi des progrès dans ce projet - je reçus ma première réponse :

« Puisse D.ieu exaucer les désirs de votre cœur à propos de ce que vous écrivez. Il n’est sûrement pas nécessaire d’insister longuement auprès de vous pour vous expliquer que, puisque toutes les bénédictions proviennent de D.ieu et que le moyen de les recevoir est de mener une vie de tous les jours en accord avec Sa volonté, que tout effort supplémentaire dans le domaine de Torah et Mitsvot - bien qu’essentielles en elles-mêmes - élargit ces moyens. Et, bien entendu, il y a toujours lieu d’avancer dans tous les sujets de bienfaisance et de sainteté, de Torah et de Mitsvot qui sont infinies puisque connectées avec l’Infini ».

Ce qui est frappant dans cette lettre, c’est que mon nom avait été épelé différemment - aussi bien dans la lettre elle-même que sur l’enveloppe - de la façon dont moi-même je l’écrivais. Et c’était clairement l’initiative du Rabbi (et non une erreur de typographie du secrétaire) puisque le nom tapé à la machine avait été deux fois corrigé à la main en : Kremnich.

J’ai effectué des recherches à ce sujet et c’est ainsi que j’ai appris qu’il y a deux cents ans, c’était ainsi qu’on prononçait mon nom : j’en déduisis donc que le Rabbi reconnaissait ainsi avec délicatesse avoir reçu ma première lettre huit ans auparavant, quand j’avais mentionné mon ascendance : il le faisait avec un sourire et de bons souhaits.

J’ai finalement eu le privilège de rencontrer le Rabbi en 1985. Auparavant, je l’avais informé de mes études de Torah, en soulignant que j’avais du mal à apprendre l’hébreu mais qu’après beaucoup d’efforts, j’étais enfin capable de lire et de comprendre des textes saints. C’était ce dont j’étais le plus fier et que j’avais triomphalement écrit au Rabbi, tout en demandant une bénédiction pour persévérer dans ces efforts.

A l’époque, le Rabbi n’accordait plus d’audiences privées mais il était possible de lui glisser quelques mots quand il distribuait des dollars à remettre à la Tsedaka (charité). Je n’oublierai jamais quand mon tour est arrivé et que, poussé par la foule, je me suis tenu face au Rabbi. Quiconque a vécu cet instant comprend l’intensité de cette expérience. Je me souviens l’avoir regardé dans les yeux et noté son chaleureux sourire quand il me dit quelques mots tout en me tendant le billet d’un dollar. Mais je n’ai absolument rien compris de ses paroles. On me poussa vers la sortie et l’un de mes amis, Yaakov Barber qui se tenait derrière moi remarqua : « C’est curieux ! Le Rabbi vous a parlé en « langue sainte », en hébreu biblique et pas du tout en Ivrit, en hébreu moderne ! ».

Pour ma part, j’ai tout de suite compris : comme dans ma lettre, j’avais fièrement annoncé que j’étais devenu capable d’étudier par moi-même, le Rabbi m’avait parlé en hébreu biblique (que je ne comprenais pas aussi bien que je le croyais…).

Apparemment, le Rabbi possédait mentalement une sorte de boîte de stockage dans laquelle il gardait en mémoire tout ce que les gens lui écrivaient et qu’il ressortait quand c’était nécessaire. Pour moi, c’était absolument incroyable mais ce n’est certainement qu’une des innombrables facettes de son extraordinaire personnalité.

M. Robert Kremnitzer - JEM

Traduit par Feiga Lubecki