Samedi, 4 novembre 2023

  • Vayéra
Editorial

 Morale d’humanité

Pour la conscience juive, il est clair que la Torah n’est pas simplement le grand livre d’une histoire antique mais bien un enseignement d’une actualité éternellement éclatante. Chacun en est intimement convaincu. Cependant, quand la lecture hebdomadaire fait écho aux nouvelles qui bouleversent le monde, on sent comme un frisson nous parcourir, comme si, tout à coup, l’histoire se mettait en perspective, prenant une nouvelle portée. C’est justement cette semaine que D.ieu apparaît encore à Abraham notre ancêtre et qu’Il lui annonce la destruction des villes de Sodome et Gomorrhe. Ce sont là deux cités qui encourent une punition terrible pour défaut d’humanité. De fait, en ces lieux, tout est possible y compris le pire si les habitants en ont décidé ainsi. Une morale qui dépasse ce que l’on est, le souci de l’autre, rien de tout cela n’existe : la cruauté sans frein est la règle.

Il est parfois difficile de comprendre comment le mal peut aller au-delà même des confins de l’imagination la plus sanguinaire. Certes, au fil des siècles, l’histoire nous en a hélas montré bien des exemples. Mais il existe des moments où, alors qu’on croyait que les hommes avaient enfin atteint un degré de civilisation qui excluait au moins les atrocités gratuites, en particulier dans les sociétés développées, voilà que nous explose au visage la dure réalité : le mal absolu existe toujours ! Ce mal qui a frappé, sans hésitation et de la même manière, des hommes pacifiques, des femmes, des vieillards, des enfants voire des nourrissons existe donc toujours et il est capable de présenter son visage hideux quand on ne l’attend pas. L’idée est loin d’être rassurante. Né d’une absence de conscience morale, il se nourrit des déchets dont il est constitué et empoisonne ce et ceux qu’il touche.

Devant l’inquiétude légitime de tous les hommes que la pensée humaine habite, et ils sont heureusement encore nombreux, la Torah clame son message cette semaine. Le rejet de l’humanité n’est pas une possibilité. A cela D.ieu a déjà répondu : Il détruit Sodome et Gomorrhe, et les deux cités ne subsistent plus qu’au titre du symbole de la faillite inéluctable de tout système qui rejette l’humain et avec lui la compassion, quelle qu’en soit la justification. Ainsi en est-il en notre temps. Nous savons, avec une certitude inébranlable, que le Bien l’emporte toujours et, au cœur même de la tempête, quand le mal se présente en vainqueur apparent, nous savons qu’éternellement, il a déjà perdu et que, comme les cités perverses, son destin unique est la disparition.

Etincelles de Machiah

 La plainte d’une figue

Le Midrach Tehilim (fin du chapitre 73), parlant du temps de Machia’h, annonce : « Dans le temps futur, quand un homme sera sur le point de cueillir une figue pendant le Chabbat (ce qui est alors interdit – ndt), celle-ci criera : ‘C’est Chabbat !’ »

La réaction de la figue n’est pas seulement un prodige qui traduit le fait qu’une nouvelle ère a commencé. Elle est la marque qu’en ce temps, le monde lui-même ressentira et témoignera que rien d’autre n’existe dans le monde que le D.ieu Un.

(D’après Likouteï Si’hot, vol. XI, p. 69)

Vivre avec la Paracha

 Vayéra

Délaissant la Présence Divine venue lui rendre visite, trois jours après sa circoncision, Avraham se précipite pour accueillir trois invités. Ils ne sont autres que trois anges à l’apparence humaine. L’un annonce que, dans un an, Sarah, encore stérile, mettra au monde un enfant. Sarah en rit.

Avraham plaide pour la survie de la ville impie de Sodome dont un autre ange lui a annoncé la destruction.

Deux des trois anges se rendent à Sodome pour sauver Lot, le neveu d’Avraham, et sa famille. La femme de Lot est transformée en statue de sel pour avoir enfreint l’interdiction de regarder en arrière la ville en feu.

Les deux filles de Lot (pensant qu’elles et leur père sont les seuls survivants dans le monde entier) l’enivrent et elles tombent enceintes. Les deux fils qui naîtront de cet épisode seront les ancêtres des nations de Moav et d’Amon

Sarah est prise en otage par Avimélé’h mais il la libère après les avertissements divins qui lui sont apparus en rêve.

Yits’hak (« il rira ») naît et est circoncis à huit jours. Avraham a cent ans et Sarah quatre-vingt-dix ans.

Hagar et Ichmaël sont bannis de chez Avraham et errent dans le désert. D.ieu entend le cri du jeune garçon mourant et lui sauve la vie en montrant un puits à sa mère.

D.ieu teste le dévouement d’Avraham en lui commandant de sacrifier son fils sur le Mont Moriah (le Mont du temple), à Jérusalem. Yits’hak est lié et placé sur l’autel et Avraham lève son couteau. Une voix se fait alors entendre du Ciel et lui ordonne d’arrêter. Un bélier, emprisonné par ses cornes dans des buissons, est offert à la place.

Avraham apprend la naissance d’une fille, Rivkah, chez son neveu Bethouël.

Tout le monde rit

Yits’hak est le nom donné au second de nos Patriarches. Dans la Paracha de la semaine passée, D.ieu annonça à Avraham qu’il allait être père d’un fils et qu’il devrait le nommer Yits’hak. Dans notre Paracha où nous lisons cette naissance miraculeuse, Avraham était alors âgé de cent ans et Sarah de quatre-vingt-dix ! la Torah semble expliquer le choix de ce nom, Yits’hak, que l’on traduit par « il rira ». Après avoir mentionné qu’Avraham le nomma Yits’hak, la Torah relate que Sarah s’exclama : « D.ieu m’a rendue heureuse. Tous ceux qui apprendront la nouvelle seront heureux avec moi ». Il semble donc que ce nom soit en relation étroite avec le rire et la joie.

En fait, tout ce qui tourne autour de la naissance d’Yits’hak semble évoquer le rire. Avraham rit quand D.ieu lui annonça qu’il aurait un fils. Sarah rit quand l’ange lui dit qu’elle aurait un enfant. Et maintenant Sarah indique que tout le monde rira quand ils entendront le miracle de la naissance de son enfant.

Il s’avère que le nom « Yits’hak » est écrit au futur. Cela implique qu’il y aura du rire dans l’avenir. Et la question a été soulevée :  pourquoi le nommer « rire » en fonction du futur ? N’y avait-il pas déjà des éclats de rire émanant des acteurs principaux ? Avraham et Sarah rirent de tout cœur ainsi que tous ceux qui apprirent cette nouvelle incroyable ? En outre, Rachi explique, en citant les paroles du Midrach, que :

« De nombreuses femmes stériles furent comblées avec elle, de nombreux malades furent guéris en ce jour, de nombreuses prières furent exaucées et il y eut beaucoup de joie dans le monde. »

La question qui se soulève est, en réalité, double.

Tout d’abord pourquoi ce nom au futur alors qu’au présent il suscite déjà le rire ? Son nom aurait donc dû être « Ts’hok » qui signifie simplement « rire ».

D’autre part, pourquoi Sarah semble-t-elle suggérer que le rire associé à la naissance d’Yits’hak était le rire de tous ceux qui apprendraient sa naissance et les miracles dont ils seraient comblés ? Pourquoi n’aurait-il pas suffi que son nom, Yits’hak, soit approprié et justifié par le rire de ses propres parents ?

Deux niveaux de rire

L’on peut suggérer une réponse à ces questions, basée sur la définition de la joie et du rire véritables. Il existe une joie et un rire relatifs, qui s’appuient sur le moment des bonnes nouvelles, et une joie durable qui transcende le moment.

Dans une Paracha précédente, Rachi relate qu’un hérétique interpella un Sage en lui demandant pourquoi D.ieu avait-Il créé l’homme s’Il savait qu’il serait détruit au moment du Déluge. Le Sage répondit avec l’analogie de la naissance d’un enfant.

« Quand l’enfant naît, les parents se réjouissent bien qu’ils sachent qu’un jour il mourra. La raison en est que quand c’est le moment de la joie, il y a de la joie et quand c’est le moment de pleurer, alors on pleure. De la même façon, D.ieu savait que les hommes pécheraient et qu’ils seraient détruits. Néanmoins, cela ne L’empêcha pas de les créer, au nom des Justes qui se lèveraient parmi eux. »

La réponse de Rachi à l’hérétique aurait dû se terminer par « de la même façon, quand D.ieu créa le monde, c’était une période de joie et quand Il le détruisit, ce fut une période de pleurs ». Pourquoi cette conclusion avec la référence aux Justes ?

Il semble que Rachi fasse une distinction entre la joie et le rire humains et la joie de D.ieu. Un être humain, qui est fini, doit vivre le moment. Sa joie s’appuie sur ce qui se passe à un moment précis. La joie humaine, et parallèlement le chagrin humain, sont basés sur le « ici et maintenant ».

D.ieu, en revanche, Qui est infini et transcende les limites du temps et de l’espace, voit le futur ultime. D.ieu voit les Justes qui vont émerger au sein de l’humanité et c’est pourquoi Il Se réjouit au présent, mais aussi pour le futur ultime, bien qu’Il connaisse la destruction à venir. Sa joie est basée à la fois sur le moment présent et sur l’éternité.

La naissance d’Yits’hak fut, sans aucun doute, une immense source de joie pour ses parents. Mais il ne s’agissait pas de la joie ultime puisque rien dans le monde matériel ne dure pour toujours. C’est ainsi que D.ieu le nomma Yits’hak, non pour la joie présente mais parce qu’Yits’hak soulignait le futur lointain, l’Ère du Machia’h, où n’existera qu’une joie absolue et parfaite.

Stupéfaits !

Cependant, Avraham et Sarah n’étaient pas au courant de la vision divine pour le futur ultime. Ainsi quand ils surent que D.ieu désirait que leur fils soit appelé Yits’hak, ce qui impliquait que la joie véritable viendrait dans le futur, on peut présumer qu’ils se demandèrent quel événement futur justifiait son nom. Si ce nom avait été « Ts’hok », « rire », au présent, ils n’auraient eu aucun problème à comprendre qu’un enfant est une source de joie, a fortiori s’il est né miraculeusement, alors qu’ils avaient un âge très avancé. Mais le fait qu’il s’agissait du futur les laissait perplexes.

C’est la raison pour laquelle Sarah conclut que la joie future était la joie partagée par d’autres personnes qui vivraient leur propre miracle de porter des enfants, comme le mentionne le commentaire de Rachi cité plus haut. Pour Sarah, la joie qui allait être vécue par les autres expliquait ce nom avec une forme future. Cela indiquait que cette naissance continuerait à apporter de la joie même dans l’avenir.

Sarah n’était alors pas consciente que l’association d’Yist’hak au rire était connectée avec un futur beaucoup plus distant : l’Ère du Machia’h, dont il est dit : « Alors, nos bouches seront remplies de rire ». Yits’hak, plus qu’Avraham et Yaakov, était l’augure du futur ultime.

Yits’hak est donc le symbole du futur. Sa naissance introduisit le rire, mais non un rire temporaire, associé à toute autre naissance. Son rire affectait tout le monde et n’a pas cessé. Le rire d’Yits’hak est le symbole de l’Ère du Machia’h dont le Psalmiste dit : « Alors nos bouches seront remplies de rire ».

Nous connaîtrons alors la joie véritable qui ne pourra être éteinte ou diminuée.

Le Coin de la Halacha

 Comment aider les Juifs en détresse ?

Le peuple juif a vécu et continue de vivre des moments de détresse absolue. Outre les personnes tuées de façon atroce, nous savons qu’il y a des blessés et des otages - sans compter ceux qui ont disparu.

Il est d’usage dans ces cas-là de prier, si possible en hébreu mais sinon dans toute autre langue, pour le rétablissement des malades, la réussite des soldats dans leur mission sacrée et le retour des otages en bonne santé. Pour cela, on mentionnera dans nos prières les prénoms hébraïques de ces personnes ainsi que celui de leur maman. Si on ne connaît pas ces prénoms, on utilise les prénoms en français suivis des noms Avraham (pour un homme) et Sarah (pour une femme).

On multipliera les actes de bienveillance, on donnera davantage d’argent à la Tsedaka (charité). On se renforcera particulièrement dans l’observance des Mitsvot connues pour apporter la protection : Téfilines, Mezouza, allumage des bougies de Chabbat, étude de la Torah, achat d’une lettre dans le Séfer Torah (pour la somme symbolique d’un euro), amour du prochain, lecture des Tehilim (Psaumes) en particulier 20, 22, 69 et 150. On encouragera les Juifs alentour à s’associer eux aussi à ces Mitsvot.

Si besoin, on veillera à respecter scrupuleusement les lois du deuil et à assister les endeuillés en leur rendant visite, en les aidant dans leurs démarches et la récitation du Kaddich avec un Minyane (10 hommes).

Tout ajout dans l’observance des Mitsvot est bienvenu et renfloue les mérites de ceux pour lesquels on prie : D.ieu ne reste pas débiteur !

 (d’après Chabad.org)

Le Recit de la Semaine

 Petits et grands miracles

Arié Zohar est le seul survivant de sa famille. Il vivait dans le Kibboutz Nir Oz, près de Gaza. Au milieu du désert du Néguev, ce Kibboutz avait été fondé par des Juifs idéalistes, désireux de faire refleurir le désert dans un environnement paisible et champêtre. C’était une oasis de verdure qui abritait un splendide jardin botanique comptant plus de 900 espèces de fleurs et de plantes. Pionnier sur le plan de l’écologie et du recyclage, ce Kibboutz parvenait à cultiver des asperges pour l’exportation avec moitié moins d’eau que d’autres sites.

Ce samedi matin 7 octobre, avant de célébrer la fête de Sim’hat Torah, Arié s’est réveillé tôt et a décidé de sortir faire du jogging non loin de sa maison. Pendant ce temps, les terroristes venus de Gaza firent irruption dans sa maison et tuèrent de façon atroce son père Yaniv, sa mère Yasmine et ses deux sœurs plus âgées, Te’hélet et Keshet. Sans aucune pitié, ils assassinèrent aussi son grand-père maternel, ‘Haïm Livné.

Arié est le seul rescapé, il a assisté à l’enterrement de cinq membres de sa famille et il a respecté les sept jours de deuil traditionnels alors qu’il n’a que douze ans… Comme le veut la coutume, il prononce à chaque prière le Kaddich pour l’élévation de l’âme de ses parents, sœurs et grand-père. Voisins et connaissances se succèdent dans la maison où il a été recueilli, pour lui rendre visite et tenter de le consoler. Mais après la semaine de deuil, il sera appelé à la Torah car, atteignant justement l’âge de treize ans, il « célébrera » sa Bar Mitsva - sans ses parents. Ceux-ci avaient déjà acheté les Téfilines qu’il devrait mettre. Cependant, Arié ne veut pas mettre ses propres Téfilines, il aurait voulu mettre ceux de son père. Pourquoi ? Son père avait reçu ces Téfilines de son propre père qui, à l’âge de quatorze ans, avait survécu aux camps de la mort nazis tandis que ses parents avaient été sauvagement exterminés - non sans lui avoir procuré auparavant des Téfilines.

Quand un des membres de ZAKA (l’organisation orthodoxe chargée des derniers devoirs, qui tente d’assurer à toutes les victimes d’attentats et de guerres le respect des dépouilles et l’intégrité du corps humain comme seul le judaïsme l’exige) vint rendre visite à Arié, celui-ci lui fit part de sa demande très particulière. Or comment récupérer ces Téfilines alors que la maison familiale avait été incendiée par les terroristes et que le terrain de Nir Oz avait été déclaré zone militaire fermée dans laquelle nul ne peut pénétrer ?

Quand ‘Haïm Outmezguine entendit la requête d’Arié, il éclata en sanglots :

« Bien que j’ai eu à m’occuper de plus de 700 corps de victimes de cet effroyable pogrom cette semaine, j’avais tenu le coup mais là, c’en était trop, j’ai éclaté en sanglots ! Je ne parvenais pas à croire qu’un enfant qui avait tout perdu, qui était maintenant seul au monde, recueilli par ses grands-parents, qui n’avait même plus sa maison, ses jouets, son cartable demandait juste les Téfilines de son père qui, pour lui, représentaient la continuité de sa famille qui avait tant souffert ».

‘Haïm promit de s’acquitter de cette mission dangereuse. Alors que les roquettes continuaient de tomber sur Nir Oz et, de fait, sur toute la région, que des terroristes se cachaient sans doute encore non loin de là, que les pavillons en feu s’effondraient, il reçut de l’armée une permission de quatre minutes pour entrer dans ce qui restait de la maison. Il décrit la joie qu’il éprouva quand il trouva la pochette de Téfilines, la même joie qu’avaient éprouvée les parachutistes israéliens quand ils avaient reconquis en juin 1967 la vieille ville de Jérusalem et s’étaient écrié : « Le Mont du Temple est entre nos mains ! ». Il prit au passage un album de photos et quelques autres objets de valeur sentimentale et sortit en courant.

« Quand j’ai tendu à Arié la pochette, ce soir-là, il a éclaté en sanglots : la pochette était couverte de cendres, toute abîmée mais, quand il l’a ouverte, les Téfilines à l’intérieur étaient intactes !

Le grand-père à ses côtés, qui venait de perdre dans des conditions aussi horribles son fils, sa belle-fille et ses deux petites-filles, était sidéré lui aussi. Il finit par s’exprimer, en retenant ses larmes : « Mes parents ont été tués sous mes yeux quand j’avais 14 ans. J’ai résisté et j’ai continué de vivre. Maintenant j’ai un petit-fils qui vit en Israël ! Toi aussi, ils t’ont rendu orphelin alors que tu n’as que douze ans mais toi aussi tu auras des petits-enfants qui vivront en Israël ! ».

Cette histoire est le symbole de toute l’histoire du peuple juif, de sa foi inébranlable et de sa survie, brebis entourée de 70 loups mais protégée par son Berger fidèle. C’est pourquoi nous gardons toujours espoir et savons que l’avenir sera glorieux car nous avons un D.ieu qui nous a béni avec Sa Torah et Ses Mitsvot.

Loin de nous l’idée de nous abandonner au désespoir face à ce mal absolu qui règne autour de nous. Nous nous raccrochons encore davantage à notre héritage éternel car le peuple d’Israël vit et vivra toujours !

Chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki