Souccot 5782

  • Souccot
Editorial

 Allégresse, quand tu nous tiens !

Après la solennité, presque l’austérité, de la première partie du mois de Tichri, après tous les efforts investis dans la spiritualité pure et exigeante de Roch Hachana et de Yom Kippour, voici que vient le temps de la joie. Et quelle joie, celle de Souccot et de Sim’hat Torah ! Ce deuxième versant du mois nous offre ainsi un privilège immense : parvenir aux sources de l’allégresse la plus authentique en vivant des fêtes à nulles autres pareilles. Alors qu’on s’engage dans cette période si grande et forte, ne convient-il pas de mettre cette joie en perspective ?

De fait sa puissance est immense. Elle a pour capacité de forcer les barrières, de briser les limites. Elle est comme un vent nouveau qui bouscule les habitudes et emporte sur ses ailes tous ceux qui veulent vivre plus pleinement. De fait, dans la Souccah, cette fragile demeure au toit de feuillage, nous ressentons comme l’accomplissement de la Volonté Divine nous entoure. Ne résidons-nous pas tout entier dans cet abri, solide parce que léger, puissant parce qu’éphémère ? N’y résidons-nous pas comme on le fait dans une fière demeure de pierre, simplement parce que D.ieu nous l’a ordonné et que, confiants en Sa fidélité, nous savons qu’Il nous garde et nous protège ? Durant la semaine de la fête, ne vivons-nous pas avec ces « invités » spirituels dont parle le Zohar, qui nous visitent jour après jour : Abraham, Isaac, Jacob etc. ?

C’est alors que vient l’explosion, quand, prenant les rouleaux de la Torah, les serrant sur notre cœur comme on fait d’un objet précieux et aimé, nous en devenons les porteurs en dansant avec eux. Chacun devient alors comme un élément de la Torah, s’unissant à elle, ne constituant plus, en quelque sorte, qu’une seule entité avec elle. C’est ainsi un nouveau rapport qui s’établit. Il ne se fonde guère sur la réflexion préalable ; la Torah étant roulée, enveloppée dans son manteau, elle ne se prête pas à l’étude. Du reste, si c’était le cas, chacun en aurait une approche différente, adaptée à ce qu’il est et à ce qu’il sait. En ce jour, tout cela s’efface, c’est d’Infini qu’il est question. Et, dans cette absence de limites, chacun trouve, comme naturellement, sa place.

De tout cela, nous savons, dès à présent, que rien ne se terminera. Nous prendrons avec nous tout ce que nous vivons aujourd’hui. Pour une année bonne et douce.

Etincelles de Machiah

 Grandeur et humilité

Le Talmud (traité Sanhédrin 98a) enseigne que Machia’h pourra venir de deux façons : « sur les nuages du ciel » ou « pauvre et montant un âne ». Ces deux opinions ne sont pas la marque d’une quelconque opposition entre les Sages. En effet, Machia’h possédera la grandeur et la force portées à leur point ultime, ce qu’évoque l’image d’une venue « sur les nuages du ciel ». Cependant, en même temps, il sera d’une humilité absolue tel « un pauvre montant un âne ».

 (d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch -
Chabbat Parchat Kedochim 5744)

Vivre avec la Paracha

 Vivre dans un monde en pleine mutation

L’un des aspects peu connus en ce qui concerne la fête de Souccot est son lien profond avec l’eau.

Roch Hachana possède une prière toute particulière que l’on récite près d’un point d’eau (Tachli’h).

L’eau occupe une place importante lors de Yom Kippour. En effet, à l’époque du Temple, en ce jour saint, le Cohen s’immergeait cinq fois dans l’eau du Mikvé et de nos jours, nous nous purifions par l’eau avant le début de la fête.

Mais la fête de Souccot est encore plus profondément attachée à l’eau. Le Talmud nous enseigne que durant la fête de Souccot, le Tout-Puissant décide de la répartition de l’eau qu’Il donnera au monde. Le huitième jour de la fête, lors du commencement de la dernière partie de la liturgie, l’on prononce une prière bien particulière dans laquelle nous implorons D.ieu pour qu’Il nous donne la pluie et suffisamment d’eau. Et de fait, prier pour l’eau fera, à partir de ce moment, partie intégrante de chacune de nos prières et ce, jusqu’à Pessa’h.

A la suite du jugement pour l’eau, à Souccot, nous enseigne le Talmud (Roch Hachana 16a), le Peuple juif devait se livrer à une libation d’eau sur l’autel du Temple, chacun des jours de Souccot. L’eau était puisée à la source de Chiloa’h, à Jérusalem, la nuit précédente et cette cérémonie s’accomplissait dans d’extraordinaires exultations et allégresses. C’était l’occasion de célébrations, de danses et de chants qui duraient tout au long de chacune des nuits de Souccot. Cette cérémonie, appelée Beth Hachoéva, est qualifiée par le Talmud comme l’événement le plus joyeux ayant jamais existé : « Celui qui n’a pas connu la joie de Beth Hachoéva n’a jamais vu de joie véritable de toute sa vie !»

Est-il possible que toutes ces manifestations festives soient suscitées par le jugement pour l’eau ? Et quelle est exactement la relation entre ce jugement et la fête de Souccot ?

Pour trouver la réponse à ces questions, observons la nature de l’eau.

L’eau présente une dichotomie intéressante. D’une part, elle est présente partout. Elle est dans pratiquement chacune de nos activités et nous ne pouvons survivre sans elle. Elle est essentielle à la vie. Et c’est pourquoi il est nécessaire qu’elle soit accessible à tout moment et partout où un être vivant peut se trouver. C’est donc la raison pour laquelle l’eau représente, par excellence, la stabilité et la permanence.

Cependant, l’eau est une commodité temporaire et instable. Elle fuit toujours. La goutte d’eau qui coule à l’instant même dans la rivière disparaît à jamais dans un temps si rapide qu’il est insaisissable. « L’eau qui coule sous les ponts » ne revient jamais.

Il semble donc que l’eau nous adresse un message : malgré l’apparente consistance et l’omniprésence que nous manifestons, nous sommes également des êtres qui changeons et évoluons constamment, jamais tranquilles. Et malgré ces changements perpétuels, nous continuons à être bien là.

La célébration de la fête de Souccot présente également ce double aspect.

D’un côté, la Soucca (cabane de Souccot) est désignée comme « un lieu de résidence ». La Torah commande au Peuple juif : « dans des cabanes, vous résiderez » (Lévitique 23 :42). Cette injonction consiste à se livrer à toutes nos activités de « résidence » dans la Soucca. Elle doit être le lieu où nous mangeons, étudions voire habitons constamment, pendant les sept jours de la semaine.

Mais par ailleurs, toute cette structure n’est construite que pour durer sept jours. Vivre quelque part, y résider pendant une semaine ne ressemble guère à s’y installer ! De surcroît, le toit de cette habitation dans laquelle nous demeurons, partie la plus importante de cet habitacle, est fait de branches détachées, de feuillages et de brindilles. Ce toit précaire nous rappelle constamment avec quelle facilité la Soucca peut s’affaisser et ce qu’il risque d’arriver si la pluie, qui semble souvent présente à cette occasion, venait à se frayer un joyeux chemin dans notre habitation sophistiquée !

Parmi les nombreux messages et enseignements de la fête de Souccot, il en est un qui évoque la dualité du changement permanent. Nous venons de vivre la période des fêtes, très solennelle et pleine d’inspiration, un moment où chaque juif redécouvre souvent ou réintègre le phénomène le plus permanent qui soit : le lien le plus profond de son âme avec notre Père en-Haut. Ce même Père encourage Son peuple à, tout de suite et sans transition, résider pendant une semaine entière dans une structure matérielle des plus temporelles et à s’y engager dans les activités les plus matérielles comme manger, boire et s’y reposer.

Il apparaît alors que Souccot, c’est la vraie vie. Bouillonner dans la vie comme l’eau qui coule et ne jamais rester en place. Constamment bouger et changer avec consistance.

Et c’est ainsi que nous nous réjouissons lorsque nous puisons de l’eau lors de cette fête. Quand l’eau coule à Souccot, la fête de notre joie, nous réalisons à quel point nous sommes heureux et bénis de pouvoir célébrer la vie avec du sens et de l’enthousiasme et ne jamais être prisonniers de ses hauts et de ses bas.

Car, en dernier ressort, la vie est comparable à une grande roue : elle tourne. Parfois, la roue s’arrête de tourner mais elle ne reste jamais immobile longtemps. Ce qui arrive aujourd’hui ne sera plus d’actualité demain et ce qui surviendra demain durera plus ou moins longtemps mais jamais pour toujours.

S’inquiéter du présent ne nous mène nulle part. Nous sommes au meilleur de nous-mêmes lorsque nous nous rappelons de l’eau et de la cabane et comptons les bénédictions que nous possédons réellement. Concentrons-nous sur les bénédictions extraordinaires de la santé, des enfants, du toit qui est sur notre tête, des amis, de la communauté et de tout ce que nous possédons d’extraordinaire.

De plus, grâce à D.ieu, la roue est en train de se diriger vers le haut et de nous mener vers le prochain cycle de changement qui ne nous apportera que réjouissances et célébrations.

Le Coin de la Halacha

 Que fait-on à Souccot ?

« Dans des Souccot, vous habiterez durant sept jours… afin que vos générations sachent que c’est dans des Souccot que J’ai fait habiter les enfants d’Israël lorsque Je les ai fait sortir du pays d’Egypte ».

Chaque Juif prend ses repas dans une Souccah, une cabane recouverte de branchages depuis lundi soir 20 septembre 2021 jusqu’à Chemini Atséret inclus, c’est-à-dire mardi après-midi 28 septembre. On essaiera d’habituer les petits garçons à prendre aussi leur repas dans la Souccah. Les femmes ne sont pas astreintes à ce commandement. Il est recommandé d’avoir des invités dans la Souccah.

Avant d’y manger du pain ou du gâteau, ou d’y boire du vin, on dira la bénédiction adéquate suivie de la bénédiction : « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Léchève Bassouccah » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné de résider dans la Souccah ».

Lundi soir 20 septembre, après avoir mis quelques pièces à la Tsedaka (charité), en Ile-de-France à 19h34, les femmes mariées allument au moins deux bougies (les jeunes filles et les petites filles allument une bougie) ainsi qu’une bougie de 48 heures avec les bénédictions suivantes :

1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Yom Tov » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné d’allumer la lumière du jour de fête ».

2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a fait vivre et exister et parvenir à cet instant ».

 

Mardi soir 21 septembre (en Ile-de-France après 20h 37) elles allument les bougies à partir de la bougie de 48 heures allumée avant la fête avec les mêmes bénédictions que la veille.

Mercredi soir 22 septembre, la fête se termine à 20h 35 et on récite la Havdala dans la Souccah (sans bougie et sans épices odorantes).

A partir de mardi matin 21 septembre et jusqu’au lundi 27 septembre inclus (sauf Chabbat 25 septembre), on récite chaque jour la bénédiction sur les « quatre espèces » (cédrat, branche de palmier, feuilles de myrte et feuilles de saule) :

1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al Netilat Loulav » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné de prendre le Loulav ».

La première fois, on ajoute : 2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé ».

Dimanche soir 26 septembre, c’est Hochaana Rabba - les hommes restent réveillés toute la nuit, lisent le livre de Devarim (Deutéronome) puis le livre de Tehilim (Psaumes). Dans certaines communautés, on mange dans la Souccah des pommes rouges trempées dans le miel.

Lundi matin 27 septembre, Hochana Rabba, la prière est particulièrement longue.

On encercle sept fois la « Bimah » au centre de la synagogue puis on frappe cinq fois le bouquet de 5 « Hochanot » (branches de saule) par terre comme l’ont enseigné les Prophètes.

Lundi soir 27 septembre, Chemini Atséret. Après avoir mis quelques pièces à la Tsedaka (charité), en Ile-de-France à 19h19, les femmes mariées allument au moins deux bougies (les jeunes filles et les petites filles allument une bougie) plus une bougie de 48 heures avec les bénédictions suivantes :

1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Yom Tov » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné d’allumer la lumière du jour de fête ».

2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a fait vivre, exister et parvenir à cet instant ».

On mange dans la Souccah, mais sans la bénédiction de la Souccah.

Mardi matin 28 septembre, on récite la prière de Yizkor à la mémoire des parents disparus ainsi que la prière de Guéchem (pour la pluie).

On mange dans la Souccah sans bénédiction.

Mardi soir 28 septembre, c’est Sim’hat Torah. En Ile-de-France après 20h 22, les femmes mariées allument à partir de la bougie de 48h au moins deux bougies (les jeunes filles et les petites filles allument une bougie) avec les bénédictions suivantes :

1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chel Yom Tov » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses Commandements et nous as ordonné d’allumer la lumière de la fête ».

2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé » - « Béni sois-Tu, Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous a fait vivre, exister et parvenir à cet instant ».

On danse joyeusement avec la Torah autour de la Bimah dans la synagogue. On ne mange plus dans la Souccah.

Tous les soirs de Souccot, on organise, si possible même dans la rue, une fête joyeuse, Sim’hat Beth Hachoéva.

Mercredi soir 29 septembre, après 20h 21, la fête se termine et on récite la Havdala sans bougie tressée et sans épices odorantes.

Le Recit de la Semaine

 La joie qui sauve

Le chauffeur du camion n’en crut pas ses yeux : la porte du kolkhoze était fermée. Une vilaine pancarte en carton affichait : « A l’occasion d’une fête familiale, l’entrepôt sera fermé depuis aujourd’hui mercredi 13 heures jusqu’à dimanche 7 heures ».

Le chauffeur ne cacha pas sa colère : « On n’a jamais vu cela ! Jamais un kolkhoze ne s’est permis de prendre ainsi quatre jours de vacances dans notre glorieuse patrie soviétique pour une « fête familiale » ! Et que va-t-il se passer avec la récolte de raisins que je dois décharger de mon camion ? Il est impossible de les rapporter dans les vignobles ou de les laisser dans le camion par cette chaleur ! ».

Il descendit de son véhicule, s’approcha de la porte et jeta un coup d’œil à l’intérieur du village communautaire, fleuron de l’idéologie communiste, supposé fonctionner à merveille selon les directives du Parti. Mais il n’y avait personne à qui s’adresser, pas le moindre petit fonctionnaire, pas une seule « babouchka » qui aurait pu le renseigner… Que faire ? C’est vrai qu’il était aussi fautif puisqu’il était en retard mais il fallait prendre une décision !

De fait, il s’aperçut que la porte n’était pas vraiment fermée : il l’ouvrit, remonta dans son camion et pénétra dans la cour. Puis il déchargea toutes les caisses devant la porte de l’entrepôt : maintenant, la faute incomberait au camarade ‘Hodaïtov, directeur du kolkhoze !

Le lendemain, il se rendit au bureau chargé de la surveillance des kolkhozes à Samarkand et raconta ce qui s’était passé. Le directeur ne cacha pas sa colère – surtout qu’il n’avait jamais apprécié le camarade Raphaël ‘Hodaïtov, ce Juif fanatique attaché à ses traditions : il tenait là une occasion en or de lui nuire et de l’évincer.

- Camarade chauffeur, ta fidélité au parti sera récompensée ! assura-t-il en se frottant les mains. Dès demain matin, j’enverrai un contrôleur vérifier ce qu’il est advenu de la récolte de raisins et, s’il y a eu sabotage de notre glorieuse production, je saurais comment sévir !

Le chauffeur poussa un double soupir de soulagement : il ne serait pas puni pour son retard et, de plus, ce serait les Juifs du kolkhoze qui subiraient les foudres de l’administration soviétique.

Après le départ du chauffeur, le directeur se souvint qu’il avait déjà entendu plusieurs plaintes de fonctionnaires qui s’étaient heurtés à des fermetures des entreprises du kolkhoze – curieusement à chaque fois, cela correspondant aux dates des grandes fêtes juives… Cette fois-ci, c’en était une de trop !

Le lendemain, un inspecteur zélé arriva devant les portes du kolkhoze et aperçut lui aussi la pancarte. La cour était vide – à part les caisses de raisins qui commençaient à pourrir… Un véritable scandale ! Que se passait-il ici ?

Il avança et perçut des chants joyeux. Oui, on chantait en frappant des mains, en riant et en dansant… Il ouvrit la porte : tous les « travailleurs » étaient réunis, non pour prendre des initiatives concernant la bonne marche de la ferme mais pour chanter et danser avec des Sifré Torah ! Il serra les dents en maîtrisant sa colère : maintenant les pièces du puzzle se mettaient en ordre : ces fainéants fanatiques qui refusaient de comprendre « la lumière de la civilisation communiste » avaient de plus l’audace de fêter Sim’hat Torah et de ne pas travailler !

Il se dirigea d’un pas décidé vers l’estrade et frappa plusieurs coups sur la table pour attirer l’attention de ces « parasites » qui, au début, n’y prêtèrent aucune attention mais soudain, s’arrêtèrent, angoissés !

- Où est le directeur du kolkhoze ? aboya l’inspecteur.

- Bienvenue, s’écria Raphaël ‘Hodaïtov. Comme nous sommes heureux que tu sois venu prendre part à la joie de la Torah !

- Euh… balbutia l’inspecteur

- N’est-ce pas que tu es juif comme nous ? continua Raphaël. Aujourd’hui, c’est Sim’hat Torah ! Laisse tomber toutes ces bêtises et viens prendre part à la joie de la Torah avec nous !

On apporta une bouteille de vodka et la tension disparut. L’inspecteur se laissa entrainer dans l’ambiance joyeuse, avala un verre puis un deuxième sans oublier de goûter aux cornichons et aux biscuits. Avec le troisième verre, il avait déjà oublié le but de sa « visite » et il s’endormit sur un banc. La fête continua jusque tard dans la soirée.

Le soleil se leva sur Samarkand. L’inspecteur se réveilla et, tant bien que mal, se rendit au bureau.

Raphaël aussi s’était mis très tôt au travail, c’est-à-dire s’était préparé pour la suite des événements. Il fallait agir vite et avec sagesse.

A cette époque, la ville de Samarkand manquait cruellement de pneus pour équiper ses camions - ce qui causait beaucoup de retard dans les livraisons de matières premières nécessaires pour faire tourner les usines alentour. Raphaël se rendit dans la capitale régionale, Tachkent et, avec l’aide d’un colonel qu’il connaissait bien, réussit à acheter une grande quantité de pneus qu’il déposa devant l’usine qui avait été condamnée au chômage à cause de ce petit détail de logistique. Le directeur de l’usine était plus que soulagé, il était vraiment émerveillé et ne tarit pas d’éloges sur la fidélité de Raphaël aux idéaux révolutionnaires de la mère patrie : il le bénit jusqu’à la dixième génération et écrivit bien volontiers une lettre de reconnaissance envers Raphaël, le bienfaiteur des prolétaires qui s’était plié en quatre pour résoudre le problème de manque de pneus.

De là, Raphaël rentra chez lui où l’attendait comme il s’en doutait, une convocation auprès du directeur des kolkhozes de la région. Là, on l’abreuva d’injures pour avoir cessé tout travail pendant quatre jours sous prétexte de « fête familiale » - en fait, à cause du Chabbat et de la fête de Sim’hat Torah.

Mais il ne se laissa pas impressionner et, outré, répliqua :

- N’avez-vous pas honte d’attaquer ainsi un fidèle serviteur de la cause prolétarienne ? Personne à part moi n’a levé le petit doigt pour pallier au manque de pneus de l’usine : savez-vous que, grâce à moi, toute l’usine a pu se remettre en marche car je me suis levé très tôt pour chercher des pneus jusqu’à Tachkent ? Et voici vos remerciements pour ma loyauté envers les travailleurs ?

Il brandit alors la lettre que lui avait remise le directeur de l’usine, une lettre remplie de compliments admiratifs.

Penaud, le directeur des kolkhozes reconnut :

- A partir de maintenant, que personne n’ose exprimer des plaintes sur le fonctionnement du kolkhoze fidèlement administré par le camarade Raphaël ‘Hodaïtov !

Si’hat Hachavoua N° 1711

Traduit par Feiga Lubecki