Devant Haman fut tirée un “pour”, c'est à dire un sort, [passant] d'un jour à l'autre et d'un mois à l'autre jusqu'au douzième mois, le mois d'Adar. (Esther 3:7)

Pourim est le pluriel de “pour”, le mot perse pour "loterie". Pourim, la fête, est ainsi dénommée en référence aux divers tirages au sort effectués par Haman pour déterminer la date de la planification de son massacre du peuple juif, à D.ieu ne plaise.

Haman procéda en tout à trois tirages au sort. Le premier avait pour but de choisir le jour de la semaine, le second, un mois (il indiqua que le mois d'Adar était un moment favorable pour mener à bien les plans d'Haman) et le troisième de déterminer le jour du mois (le sort désigna le 13). La première consultation apparaît néanmoins superflue : si le jour et le mois étaient désignés, le jour de la semaine serait alors obligatoirement connu. Peut-être Haman voulait-il tester sa chance et voir si ses différents tirages au sort coïncidaient. Pourtant le fait que celui du jour de la semaine fût le premier indique que, pour lui, il était crucial de savoir quel jour serait choisi dans le cycle hebdomadaire.

Les horloges de la nature
Un rapide coup d'œil à notre calendrier montre que nous mesurons le temps avec ce qui semble être une manière bizarre et peu pratique. Pour distinguer une certaine date, nous nous référons à la fois au cycle hebdomadaire de sept jours et au cycle lunaire de vingt-neuf jours et demi (qui donne alternativement des mois de vingt-neuf ou de trente jours), deux systèmes qui n'ont aucune relation l'un avec l'autre. Ainsi, si un certain jour d'un mois donné tombe un Chabbat, une année, il peut être un lundi l'année suivante; un mois peut avoir une année quatre vendredis et cinq vendredis l'année suivante. Pourquoi ne pas employer un système qui placerait nos jours dans un contexte unique et uniforme?

Mais le temps lui-même fut désigné pour être vécu de cette manière. La Torah relate que lorsque D.ieu créa le soleil et la lune, Il décréta qu' "ils serviront de luminaires dans le ciel…et de signes, de temps, de jours et d'années". En d'autres termes, la pratique humaine qui consiste à établir le temps en fonction des mouvements du soleil et de la lune n'est pas le fruit d'une simple coïncidence mais intrinsèque au dessein de leur création. L'une des raisons pour lesquelles D.ieu plaça le soleil et la lune dans les cieux est que l'homme s'en trouve guidé dans son calcul du temps. C'est pourquoi nous avons deux formules temporelles distinctes: le temps lunaire qui nous permet d'établir nos mois et le temps solaire qui nous donne le jour, la semaine (le jour solaire multiplié par sept) et l'année. Si tous deux ne s'écoulent pas de façon similaire, c'est parce qu'ils sont réellement des niveaux d'expérience différents et non synchronisés et doivent être intégrés comme tels dans nos vies.

Le temps lunaire est fluctuant, marqué par des déclins rapides et des résurgences impressionnantes. La lune commence son cycle comme un petit croissant de lumière dans notre ciel, puis elle grandit régulièrement et se remplit jusqu'à atteindre tout son potentiel lumineux. Enfin elle commence à diminuer, sombrant finalement dans l'oubli pour renaître et s'embarquer dans une nouvelle ascension vers la plénitude. 

Par opposition, le soleil est un rempart de stabilité et de régularité. Quoi de plus sûr que son lever quotidien à l'est? Il ne manque jamais un jour et est de toujours de même taille. Quoi de plus stable que l'horloge annuelle des saisons avec un calendrier qui varie si peu entre 365 et 366 jours? (L'année "lunaire", elle, présente six longueurs différentes: 353, 354, 355, 383,384 ou 385 jours). Et enfin, quoi de plus régulier qu'une semaine de sept jours? Instituée à la création, elle s'écoule en règle à travers le temps, ignorant les phases lunaires, les inclinaisons solaires selon les saisons et même les rares éclipses du soleil. Sept levers du soleil et sept couchers du soleil forment une semaine, et c'est ainsi.

L'homme vit selon ces deux horloges. Le temps lunaire est l'élément variable de la vie ; nos hauts et nos bas, nos échecs et nos retours, notre aptitude au changement et à la renaissance. Le temps solaire est l'élément immuable de notre vie, ce qui a toujours été et sera toujours, comme l'indiquent les lois de la nature et de l'histoire.

Le temps juif
"Le peuple d'Israël, disent nos Sages, est analogue à la lune. Il compte selon la lune et son destin est de se renouveler comme la lune"

Le peuple d'Israël compte selon la lune : notre calendrier, essentiellement lunaire, voit le mois naître, s'élever, diminuer et renaître avec la lune. Le mois juif commence par l'apparition de la nouvelle lune dans le ciel, atteint son apogée avec la pleine lune, au quinze du mois, le jour où la qualité spécifique du mois est la plus manifeste et la plus lumineuse, puis décline pour renaître avec la lune. 
Le temps juif est lunaire car les Juifs constituent la lune de la création. L'histoire juive appartient exclusivement à l'élément lunaire de la réalité: c'est une histoire d'ascensions et de déclins, de défaites apparentes suivies de renaissances glorieuses. C'est une saga qui défie toutes les lois de la nature et toutes les règles de l'histoire, dans laquelle chaque vérité "testée par le temps" est arrachée à ses amarres et renversée.
Haman pensait pouvoir détruire cette nation invincible en mettant l'emphase sur l'élément solaire de la réalité. " Ces gens constituent une anomalie, disait-il, une forme de vie déviante qui ne peut survivre que dans folie du temps lunaire. Faîtes apparaître le soleil et ils disparaîtront de la face de la terre. Les lois de la nature ne permettent simplement pas à "un peuple distinct et singulier" de rester ainsi "dispersé et divisé parmi le nations"; les lois de l'histoire dictent qu'une nation éloignée de sa terre natale et de son cœur culturel ne peut survivre longtemps."
Ainsi Haman pensa-t-il établir au préalable la date de l'annihilation d'Israël dans le cœur même de la semaine, pour appuyer ses prétentions dans le cadre du temps solaire. Et seulement alors, sentait-il, il devrait prendre le risque de les défier dans leur propre domaine : le temps lunaire. Aussi choisit-il un mois et le jour du mois de leur destruction.

Un soleil plus haut
Haman dut être surpris par les résultats de ses tirages au sort. Comme le relate le Midrach, son tirage des jours de la semaine ne donna aucun jour de mauvais augure pour les Juifs. Par ailleurs, dans son second tirage, le mois d'Adar apparut comme un moment de malchance pour Israël (bien qu'en dernier ressort, le signe qu'Haman interpréta comme auspice de la chute d'Israël s'avéra précisément être le secret de sa rédemption). Son exploration de la réalité solaire, dans laquelle il se sentait plus sûr du succès, se montra infructueuse alors que la réalité lunaire, où Israël régnait en maître, lui des indices.

En réalité, pourtant, le seul domaine où Haman pouvait défier le peuple d'Israël était celui qui appartenait à la lune. Ici il pouvait espérer les attraper dans un moment de faiblesse de leur cycle oscillatoire. Au niveau solaire, ses plans étaient voués à l'échec dès le départ.
Ce qu'Haman manqua de réaliser est qu'il existe un soleil supérieur à celui qu'il connaissait, une loi de la réalité supérieure à celles de la nature et de l'histoire. Une loi qui décrète: "quelles soient les circonstances, ils sont Mes enfants" ; qu'"il est impossible pour Moi de les échanger contre un autre peuple"; qu'au-delà des vacillations de notre voyage lunaire à travers le temps existe une constante solaire qui dépasse toutes les autres constantes solaire ; le lien éternel et immuable entre D.ieu et Son peuple.