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Roch Hachana 2024

Le passe-partout

Une année, Rabbi Israël Baal Chem Tov dit à Rabbi Zeev Kitzes, l’un de ses disciples les plus anciens : «Ce Roch Hachana, c’est toi qui souffleras pour nous le Choffar. Je veux que tu étudies toutes les kavanot (pensées kabbalistiques) qui concernent le Choffar, pour que tu puisses y méditer pendant que tu l’utiliseras.»
Rabbi Zeev s’appliqua à la tâche avec joie et émotion : de la joie pour le grand privilège qui lui avait été accordé et de l’émotion devant cette immense responsabilité. Il étudia les écrits de la Kabbale qui discutent des nombreuses significations du Choffar et de ce qu’accomplissent ses sons dans les différents niveaux de la réalité et dans les diverses sphères de l’âme. Il prépara également une feuille de papier sur laquelle il nota les points essentiels de chaque kavanah, pour s’y référer quand il soufflerait du Choffar.
Finalement, le grand jour arriva. C’était le matin de Roch Hachana et Rabbi Zeev était sur la plateforme située au centre de la synagogue du Baal Chem Tov, au milieu des rouleaux de la Torah et entouré d’une mer de corps enveloppés dans des Talith. Son maître, le Baal Chem Tov, se tenait debout à sa table, située dans le coin sud-est de la pièce, le visage en feu. Le silence empreint de crainte était palpable dans la salle. Tous attendaient le point culminant du jour, les cris perçants et les sanglots du Choffar.
Rabbi Zeev chercha dans sa poche et son cœur s’arrêta de battre : le papier avait disparu ! Il se rappelait clairement l’y avoir placé là, le matin même, mais maintenant, plus rien. Il fouilla dans sa mémoire pour se remémorer ce qu’il avait appris, mais sa détresse devant ses notes perdues semblait avoir paralysé son cerveau : son esprit n’était plus qu’un grand trou noir. Des larmes de désespoir envahirent ses yeux. Il avait déçu son maître qui lui avait confié cette tâche sacrée. Maintenant, il devrait souffler dans le Choffar comme dans un simple cor, sans aucune kavanah ! Avec un cœur brisé, Rabbi Zeev souffla la litanie des sons requis par la loi, et évitant le regard de son maître, il rejoignit sa place.
A la conclusion des prières du jour, le Baal Chem Tov se dirigea vers le coin où Rabbi Zeev était assis, secoué par des sanglots sous son Talith. «Bonne fête, Reb Zeev, l’interpela-t-il. Aujourd’hui nous avons entendu des sons du Choffar des plus extraordinaires !»
«Mais Rabbi, je…»
«Dans le palais du Roi, reprit le Baal Chem Tov, il y a de nombreux portails et de nombreuses portes. Les gardiens du château possèdent de grands trousseaux où sont attachées de nombreuses clés, chacune convenant à sa serrure. Mais il existe une clé qui ouvre toutes les serrures, un passe-partout qui ouvre toutes les portes.
Les kavanot sont des clés. Chacune ouvre une porte différente dans notre âme, chacune permet d’accéder à une autre sphère dans les mondes spirituels. Mais il est une clé qui ouvre toutes les portes, qui ouvre pour nous les chambres les plus intérieures du Palais Divin. Ce passe-partout, c’est… un cœur brisé.»
Certaines choses nous sont importantes et nous en parlons. D’autres sont si importantes que les mots sortent dans un flot d’émotion, des mots riches, expressifs et vibrants.
Et puis il y a ces choses qui nous secouent jusqu’au fond de notre être. Des choses qui ne se soucient ni de la permission du cerveau ni des mots justes, car l’esprit ne peut les pénétrer, les mots les plus poignants ne peuvent les exprimer. Des choses qui ne peuvent se traduire que dans un cri, un hurlement et puis dans le silence.
C’est le son du Choffar : le cœur le plus profond de notre âme qui s’écrie : «Père ! Père !»

Le Choffar, le retour et le couronnement
Roch Hachana comporte trois étapes dans le service divin exprimant les trois niveaux d’attachement à D.ieu.
1) Le lien créé par l’accomplissement des Mitsvot. 
Un Juif est, pour ainsi dire, séparé de D.ieu et ce qui forme et crée le lien entre lui et D.ieu est précisément l’observance de Ses commandements. Ce lien s’exprime par la Mitsva du jour : le Choffar.
2) Un lien plus profond qui ne dépend pas des Mitsvot.
Ce niveau s’exprime par le retour : même celui qui a péché ressent du regret et se repent. Cependant, même ce niveau qui dépasse le lien créé par les Mitsvot, leur est connecté. Les regrets d’un homme se réfèrent à sa non-observance et précisément sa résolution de la rectifier. Puisque cette résolution est liée aux Mitsvot, elle implique l’être humain, une entité séparée qui se lie à nouveau à D.ieu grâce à elles.
3) Le Zohar déclare que «le Peuple Juif et D.ieu sont totalement Un», c'est-à-dire qu’un Juif et D.ieu forment la même entité, pour ainsi dire. Ce niveau d’unicité s’exprime par le couronnement de D.ieu. Le lien par les Mitsvot et le lien par le retour ne se réalisent qu’après le couronnement. Ce n’est qu’alors qu’une obéissance générale envers le Roi est possible (et le retour pour y avoir failli). Néanmoins, avant le couronnement (avant la prière où l’on dit : «Proclame-moi Roi sur toi»), qu’est-ce qui conduit le Juif à ressentir le besoin de la Royauté de D.ieu, au point qu’il Lui demande d’accepter le couronnement et de l’accepter, lui, comme serviteur ? La réponse est que le Juif, par essence, fait un avec le Créateur et qu’ainsi il ne peut exister sans son Roi.