Samedi, 11 juin 2016

  • Bamidbar
Editorial

 Pour entendre la «grande Voix»

Si on voulait la définir, on dirait que c’est une de nos trois grandes fêtes de pèlerinage qui, au temps du Temple, voyaient les Juifs se rassembler à Jérusalem dans la joie des célébrations. Si on voulait la décrire, on dirait que c’est une fête que, paradoxalement peut-être, aucun rite particulier ne marque ; certes on n’y travaille pas, elle est encadrée par les règles des rites, cependant aucun commandement spécifique – comparable au Loulav de Souccot ou à la Matsa de Pessa’h – ne la distingue. Elle est pourtant celle du Don de la Torah. Et, pour ce qui nous concerne, nous la vivons maintenant. Chavouot, fête profonde et essentielle. Fête centrale qu’aucun caractère extérieur ne limite comme pour nous signifier qu’elle conditionne l’ensemble de la vie, qu’elle est au cœur de toute chose et ne saurait, par conséquent, cantonner son expression à la pratique d’un commandement, aussi important soit-il.

Pour chacun de nous, qui avons attendu ce moment avec impatience depuis la fête de Pessa’h, comptant littéralement les jours, sachant, avec une certitude inébranlable, que la sortie d’Egypte nous conduit au mont Sinaï, au rendez-vous éternel avec D.ieu, l’idée s’impose avec majesté : Chavouot est bien l’âme de notre vie, la quintessence de ce que nous sommes. N’est-ce pas à ce moment que, bouleversant les règles antérieures, D.ieu «descend sur le mont Sinaï» puis appelle Moïse – «Monte» – signifiant ainsi que le spirituel et le matériel se rejoignent alors, qu’il devient possible de changer le monde par nos actes, que celui-ci peut s’élever enfin, imprégné de spiritualité ?

Voici que la «grande Voix» des Dix Commandements retentit, donnant à tous les hommes une morale, une Loi qui ne les ont plus abandonnés, établissant ainsi pour toujours les bases de la civilisation. Quant au peuple juif, il se tient là, au bas de la montagne, présent et fidèle, témoin et acteur de l’événement. Et il sait, dès cet instant, qu’un temps nouveau commence et que c’est une responsabilité nouvelle qui lui est confiée : dire, transmettre, enseigner, c’est dès lors le sens de sa vie. Depuis, quand revient, d’année en année, la fête de Chavouot, il ne l’accueille pas simplement comme une grande célébration. Il la reçoit comme le moment privilégié où tout cela se répète, comme le temps où les Dix Commandements retentissent et où l’univers entier les reçoit. Les Dix Commandements font résonner, cette semaine, toutes les synagogues. Présents, hommes, femmes et enfants, entendons-les. Ce jour-là, le Créateur parle à Sa création.

Etincelles de Machiah

 Le secret du secret

Les premiers ‘Hassidim, citant le troisième Rabbi de Loubavitch, le Tséma’h Tsédek, ont enseigné :

La Torah comporte quatre niveaux d’interprétation : le “Pchat” ou “sens premier”, le “Rémez” ou “sens allusif”, le “Drach ou “sens homilétique” et le “Sod”, “sens ésotérique” ou littéralement “secret”. Chacun de ces quatre niveaux se subdivise par les quatre autres. Ainsi, pour le “Sod”, on trouvera la partie “Pchat” du “Sod”, la partie “Rémez” du “Sod” etc.

Le “Pchat” du “Sod” a été révélé par Rabbi Chimon bar Yo’haï. Le “Rémez” du “Sod” l’a été par Rabbi Its’hak Louria, le Ari Zal. La “Drouch” du “Sod” a été révélé par le Baal Chem Tov. Quant au “Sod” du “Sod”, il le sera par le Machia’h.

(d’après la tradition ‘hassidique) 

Vivre avec la Paracha

 Bamidbar 

Résumé

Dans le désert du Sinaï, D.ieu demande que soit fait le recensement des douze tribus d’Israël. Moché compte 603 550 hommes en âge d’être enrôlés (de 20 à 60 ans) ; la tribu de Lévi au nombre de 22 300 hommes, d’un mois et plus, est comptée séparément. Les Léviim doivent servir dans le Sanctuaire, à la place des premiers-nés, dont le nombre était à peu près semblable au leur, qui avaient été disqualifiés par leur participation au Veau d’Or. Les 273 premiers-nés qu’un Lévi ne put remplacer durent payer une «rançon de cinq chékèls» pour se racheter.

Quand le peuple levait le camp, les trois clans de Léviim démontaient et transportaient le Sanctuaire et le réassemblaient au centre du prochain campement. Puis ils érigeaient autour leurs propres tentes. Les Cohanim qui transportaient les ustensiles du Sanctuaire (l’Arche, la Menorah, etc.) dans les couvertures conçues à cet effet sur leurs épaules, campaient au Sud ; les Gerchonites, en charge des tapisseries et des couvertures du toit, à l’ouest ; et les familles de Merari qui transportaient murs, panneaux et piliers, au nord. Devant l’entrée du Sanctuaire, à son est, étaient disposées les tentes de Moché, Aharon et des fils d’Aharon.

Au delà du cercle des Léviim, campaient les douze tribus, en quatre groupes de trois tribus chacun. A l’est était Yehouda (74 600 membres), Issa’har (54 400) et Zevouloun (57 400). Au sud, il y avait Réouven (46 500), Chimon (59 300) et Gad (45 650). A l’ouest se trouvaient Ephraïm (40 500), Menaché (32 200) et Binyamin (35 400). Enfin au nord, étaient installés Dan (62 700), Acher (41 500) et Naphtali (53 400). Cette disposition était également conservée pendant qu’ils voyageaient. Chaque tribu avait son propre nassi (prince ou leader) et son propre drapeau, portant la couleur et l’emblème de la tribu.

 

Les enfants de Moché

Dans la Paracha Bamidbar, le verset statue : «Voici les enfants d’Aharon et de Moché, le jour où D.ieu parla à Moché sur le Mont Sinaï. Ce sont les noms des fils d’Aharon : Nadav , l’aîné, Avihou, Elazar et Itamar» (Bamidbar 3 :1-2).

Pourquoi donc Moché est-il cité ici ?

Rachi explique que les enfants d’Aharon étaient également appelés les enfants de Moché, dans la mesure où : «celui qui enseigne la Torah au fils de son ami est considéré comme s’il lui avait donné le jour». Puisque Moché avait désigné tout particulièrement les fils d’Aharon pour les instruire, avant le reste du peuple, ils étaient considérés comme ses fils.

Rachi poursuit son commentaire avec les mots : «le jour où D.ieu parla à Moché» : «(Alors) ils devinrent ses enfants car il leur enseigna tout ce qu’il avait appris du Tout-Puissant».

Qu’ajoute Rachi à son explication précédente ?

En fait, il résout la difficulté suivante : le verset dit explicitement : «ce sont les enfants d’Aharon et de Moché», c’est-à-dire qu’ils sont les enfants de Moché au même titre qu’ils sont les enfants d’Aharon. Cependant, ils étaient les fils d’Aharon, au sens littéral et ceux de Moché, seulement au sens figuré. Pourquoi donc sont-ils considérés comme les enfants de Moché, au même degré que ceux d’Aharon ?

Cela, explique Rachi, concerne la suite du verset qui dit «le jour où D.ieu parla à Moché» : cela met l’accent sur le fait que la Torah que Moché enseigna aux enfants d’Aharon était identique à celle qu’il avait étudiée auprès du Tout-Puissant. Cette étude de la Torah provoqua un impact si puissant qu’ «ils devinrent ses enfants», c’est-à-dire que l’enseignement de Moché transforma leur être spirituel si bien qu’ils lui appartinrent littéralement.

L’explication en est la suivante. En préparation au Matan Torah («le Don de la Torah»), D.ieu instruisit Moché de dire au Peuple Juif : «Maintenant si vous M’obéissez et gardez Mon alliance, vous serez Mon trésor tout particulier parmi toutes les nations… Vous serez un royaume de prêtres et une nation sainte pour Moi».

C’est la raison pour laquelle Matan Torah impliqua que D.ieu Se révèle à nous avec puissance : «des sons puissants… des flammes… et le son du Choffar». Les Dix Commandements furent également entendus par les Juifs de «la bouche du Tout-Puissant». Et cela occasionna un changement dans notre être-même.

Puisque le fait que nous soyons devenus «une nation si particulière» est lié à Matan Torah, et dépend de la déclaration de «garder Mes commandements», c’est-à-dire de l’observance de la Torah, il nous faut comprendre que la puissance de Matan Torah pour changer l’être du Juif fut placée dans la Torah.

C’est la raison pour laquelle Rachi met l’emphase sur «car il leur enseigna ce qu’il avait appris du Tout- Puissant». Puisque la Torah que Moché enseigna aux fils d’Aharon était la Torah que lui-même avait apprise du Tout Puissant, elle possédait la force de Matan Torah, la force qui peut changer l’être même du Juif. Les enfants d’Aharon pouvaient dès lors être considérés comme ceux de Moché, car, spirituellement, ils les avaient réellement fait naître.

Mais cet aspect de la Torah n’avait-il pas déjà été réalisé à l’intérieur de chaque juif, au moment de Matan Torah ? Quelle dimension particulière fut ajoutée lorsque Moché singularisa plus tard les enfants d’Aharon pour les instruire ?

Rachi apporte la réponse en déclarant : «car il leur enseigna ce que lui-même avait appris du Tout-Puissant». Pour pouvoir apporter une renaissance spirituelle par la Torah, il ne suffit pas de simplement entendre les mots, même à la façon dont le Peuple juif entendit les deux premiers des Dix Commandements, directement de D.ieu. Mais il faut que la Torah soit étudiée et absorbée.

Et c’est cela qui fut accompli lorsque Moché leur «enseigna ce qu’il avait appris du Tout-puissant». Moché ne fit pas que de relayer les huit autres Commandements au Peuple juif mais il les leur enseigna avec profondeur. Puisqu’il étudia avec les enfants d’Aharon, en particulier, ces derniers sont donc tout spécialement considérés comme ses enfants.

Le Coin de la Halacha

 Que fait-on à Chavouot ?

On a coutume de se couper les cheveux la veille de Chavouot, donc cette année le vendredi 10 juin 2016.

Il convient de préparer, avant Chabbat, un nombre suffisant de bougies pour les trois jours de Chabbat et de fête ainsi qu’une bougie de quarante-huit heures.

Samedi soir 11 juin (à Paris après 23h 00) et dimanche soir 12 juin (après 22h 56), les femmes allumeront (à partir d’une flamme déjà existante) les deux bougies de la fête  - les jeunes filles et les petites filles une bougie - et

réciteront les bénédictions : 1) «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chèl Yom Tov» - («Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné d’allumer les bougies du jour de fête» et 2) «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehiguianou Lizmane Hazé» - («Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as fait vivre, exister et qui nous as fait parvenir à ce moment»).

Dans nombre de communautés, on a la coutume de décorer la synagogue et sa maison de fleurs, en souvenir du don de la Torah, quand le désert et le mont Sinaï se sont couverts de fleurs.

Il est de coutume de veiller la première nuit de Chavouot, donc la nuit de samedi 11 juin à dimanche 12 juin.

Tous, hommes, femmes et enfants, même les nourrissons, se rendront à la synagogue dimanche matin 12 juin pour écouter la lecture des Dix Commandements. On marque ainsi l’unité du peuple juif autour de la Torah, et on renouvelle l’engagement d’observer ses préceptes.

On a l’habitude de prendre un repas lacté entre le kidouch et le Hamotsi avant le vrai repas de viande dimanche midi.

Lundi 13 juin, on récite, pendant l’office du matin, la prière de Yizkor en souvenir des disparus : on donnera de l’argent à la Tsedaka avant Chabbat ou après Yom Tov pour leur mérite.

La fête se termine lundi soir 13 juin après 23h 01 (heure de Paris) avec la prière de la Havdala.

Rappelons qu’on ne récite pas la prière de Tahanoun (supplications) depuis Roch Hodech Sivan (mardi 7 juin) jusqu’au 12 Sivan (Chabbat 18 juin).  

Le Recit de la Semaine

 Pourquoi Mikaël de Sibérie a pleuré à Chavouot…

La Sibérie… Un pays immense de neige et de glace, un pays dont le nom à lui seul suffit à glacer le sang quand on pense aux millions d’esclaves réduits aux travaux forcés dans des conditions inhumaines, aussi bien par les Tsars que par les gouvernements soviétiques… Mais la Sibérie, aujourd’hui, ce sont de grandes villes, avec des communautés juives qui reviennent à la vie et dans lesquelles les Chlou’him (émissaires) du Rabbi fondent des écoles, des synagogues et toutes les structures communautaires qui facilitent la vie juive.

C’était le matin de Chavouot. Comme toutes les synagogues du monde, celle de Tioumen en Sibérie était remplie d’hommes, de femmes et d’enfants. Tous avaient répondu à l’appel du Rabbi, relayé par ses nombreux émissaires, de se rassembler pour écouter attentivement la lecture des Dix Commandements. Il ne fut pas facile d’obtenir le silence pour cette courte lecture mais finalement, le Baal Koré (le lecteur) parvint à d’une voix puissante à couvrir le brouhaha afin de rendre quitte tous les fidèles.

Sitôt l’office terminé, tous se retrouvèrent dans une salle attenante pour assister au Kiddouch qui fut suivi par une traditionnelle réception lactée : gâteaux au fromage, yaourts, glaces (oui, même en Sibérie, les enfants aiment les glaces…), friandises à base de lait, le tout sous stricte surveillance rabbinique depuis la traite du lait en présence d’un Juif, jusqu’à la production finale. Inutile de le préciser, les enfants étaient heureux ! Leurs yeux brillaient et ils n’avaient pas assez de deux mains pour se procurer et déguster tout ce qu’on leur offrait.

Au cours de ce Kiddouch, nous avions organisé pour tous les enfants présents un tirage au sort (de la manière prescrite selon la Hala’ha, la loi juive, pendant ce jour de fête). Nous avions prévu ceci depuis longtemps et nous nous étions procuré à l’avance de nombreux cadeaux afin que chacun gagne quelque chose. Certains enfants reçurent de petits jouets, d’autres un livre de Tehilim (Psaumes), un livre de prières…

Finalement, il ne resta plus que deux prix, ceux que tous les enfants regardaient avec les yeux brillants, espérant mériter l’un de ces gros lots : un vélo et une paire de patins à roulettes.

Nous avons tiré du chapeau les deux derniers numéros. C’est Daniel qui obtint le vélo et c’est Roma – qui venait pour la première fois à la synagogue – qui gagna les patins à roulettes. Inutile de préciser que tous deux étaient fous de joie, surtout Roma qui se voyait ainsi récompensée dès sa première visite à la synagogue ! Tous se pressèrent autour des heureux récipiendaires pour admirer ces objets impressionnants dont tous rêvaient. Mais je remarquai un enfant qui ne se joignait pas aux groupes qui s’étaient instinctivement formés autour de Daniel et Roma. Le petit Mikaël, âgé d’à peine cinq ans, restait prostré dans un coin : il pleurait.

A première vue, j’ai pensé qu’il était déçu ou même un peu jaloux de son grand frère Daniel qui avait gagné le vélo.

Ce n’est qu’après que tous les fidèles aient quitté le Centre Communautaire qu’une de nos monitrices nous expliqua la situation : Depuis Pessa’h, Mikaël a appris ce qu’était Chavouot : d’abord, on doit compter un par un les quarante-neuf jours de l’Omer. Chaque jour, il a veillé à ajouter une autre gommette sur le tableau suspendu dans la classe pour se préparer au grand jour, le jour de Chavouot quand D.ieu donne au peuple juif le plus beau des cadeaux : la Torah.

Finalement le grand jour est arrivé ; il s’est efforcé de rester très sage pendant la lecture des Dix Commandements comme le lui avait recommandé sa monitrice et il a aperçu tous les magnifiques cadeaux préparés pour les vainqueurs de la tombola, y compris des livres de Torah. Alors que le tirage au sort progressait, il gardait les yeux fixés sur ces livres en hébreu, attendant de recevoir «sa» Torah. Quand le tirage au sort s’est achevé et que tout ce qu’il avait obtenu, ce n’était «que» des jouets, il a éclaté en sanglots ! Déçu de constater que ses efforts n’avaient pas été récompensés comme il s’y attendait, il refusait à présent de participer au reste du programme.

Alors que nous rentrions de la synagogue avec nos enfants, ma femme Sternie et moi-même nous émerveillions de la sincérité de cet enfant.

Soudain notre rêverie fut interrompue par notre fille de six ans et demi : Moussia avait gagné un volume du Kitsour Choul’hane Arou’h (Code de la Loi Juive) traduit en russe :

- Papa, Maman ! J’ai une idée ! Je veux donner mon prix à Mikaël ! Moi, je possède déjà un Kitsour en hébreu à la maison et je n’ai pas vraiment besoin d’un autre traduit en russe !

Le lendemain de la fête, dès que Moussia arriva au jardin d’enfants, elle se précipita vers Mikaël et lui tendit son nouveau livre. Son visage s’illumina littéralement d’un immense sourire qui décrivait mieux que mille discours sa joie et son soulagement. Oui il était ainsi pleinement récompensé, mieux qu’avec des glaces et des jouets.

Mikaël avait enfin reçu «sa Torah».

Rav Yerachmiel Gorelik - Chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki