Samedi 7 juin 2014

  • Behaaloté’ha
Editorial

 Le troisième mois

Nous l’avons attendu, compté les jours et il est enfin là : le troisième mois. C’est, bien sûr, de celui, hébraïque, de Sivan qu’il s’agit et c’est le Don de la Torah – Chavouth – qu’il nous apporte. «Troisième mois où fut donnée une lumière triple – la Torah – à un peuple triple – le peuple juif» disent les Sages. C’est qu’ici D.ieu nous donne une Loi et c’est avec elle que nous nous éveillons vraiment au monde. Ensuite, rien ne sera plus jamais pareil. Nous passons d’un état incertain, aux contours indéfinis à la grandeur des univers en marche. Certes, le jour du Don de la Torah, Chavouot, a de quoi impressionner. La Loi crée véritablement un monde nouveau et le sort des hommes en est transformé. Elle enchaîne la violence et ouvre les chemins qu’on nommera plus tard ceux de la civilisation.

Si le mois où cet événement littéralement bouleversant intervint est le troisième, cela a évidemment un sens. Le premier mois, Nissan, celui de la sortie d’Egypte, a vu la sortie d’Egypte. Il a été le mois du surnaturel, celui où le Divin a fait irruption dans l’histoire des hommes. Le deuxième mois, celui de Iyar, a vu l’effort des Juifs qui, dans leur longue marche dans le désert, se sont peu à peu élevés aux hauteurs spirituelles nécessaires pour leur rendez-vous avec la Révélation au mont Sinaï. D’une certaine manière, le premier mois a été celui de l’appel d’En-Haut et le deuxième, celui de l’œuvre d’en-bas. Quant au troisième ? N’est-il pas celui où, justement, le Haut et le bas se rejoignent ? N’est-il pas celui où, sous nos yeux, cette fusion se produit ? L’homme est, à présent, détenteur de la Sagesse divine. Il sait qu’un trésor lui a été ainsi confié, qu’il va changer sa vie ainsi que sa relation au monde. Il sait qu’il est le porteur de merveilles inouïes et qu’il lui appartient d’en faire le meilleur usage, pour lui, pour les autres, pour le monde.

Notre vie toute entière ne tient-elle pas dans une problématique du même ordre ? Il arrive, au long des jours, que nous hésitions entre le Haut et le bas, entre l’esprit et la matière, entre le Royaume de D.ieu et celui des hommes. La fête de Chavouot, fondatrice par l’événement qu’elle commémore, nous le rappelle : l’homme est une entité à la fois du ciel et de la terre. Il est la créature qui a pour tâche de mener l’univers à son accomplissement en y faisant résider la Sagesse. Par tous les actes de sa vie, il établit le pont entre le spirituel et le matériel.

Cette année encore, les Dix Commandements retentissent à la synagogue pour la fête de Chavouot. Nous serons tous au rendez-vous. N’est-ce pas le sens des choses, du monde et nous-mêmes à la fois qu’ils nous racontent ?

Etincelles de Machiah

 La soumission aux nations

Le Talmud (Bra’hot 34b) enseigne : «Il n’y a aucune différence entre l’époque actuelle et le temps de Machia’h sauf (notre émancipation) de la soumission aux nations».

Le Baal Chem Tov donne une explication plus profonde de cette phrase : celui qui ne croit pas que la Providence Divine pénètre chaque aspect du monde est asservi par l’impureté qui dissimule la réalité de la création. C’est le sens de la «soumission aux nations». Mais, au temps de Machia’h, l’esprit d’impureté sera chassé de la terre. Alors la Providence Divine deviendra manifeste et chacun verra que tout provient de D.ieu.

(d’après Keter Chem Tov, sec. 607) 

Vivre avec la Paracha

 Beaalote’ha: Une voie de lumière

Le but de l’éducation

Dans un verset unique (Proverbes 22 :6) : «Eduque un enfant selon sa voie ; même quand il grandira, il ne s’en écartera pas», le Roi Salomon nous communique plusieurs concepts fondamentaux, concernant l’approche de la Torah sur l’éducation.

Le but de l’éducation ne consiste pas simplement à transmettre des informations mais à façonner le caractère de l’élève, de le mettre sur une voie qu’il suivra toute sa vie.

Chaque enfant devra se mettre en route car la vie ne nous permet pas de rester sur place, et au cours des transitions par lesquelles nous passons, nous devons choisir une voie. Mais il faut préparer l’enfant à ces transitions afin qu’il ne soit pas pris par surprise. Et c’est ici qu’intervient l’éducation dont le rôle est de lui donner des valeurs et des principes qui lui enseigneront comment anticiper, affronter et surmonter les défis de la vie.

Ces principes éducatifs doivent, en outre, être bien plus que des vérités intellectuelles mais faire partie intégrante de son être. Tel est  le cœur de l’expérience éducative : intérioriser ces enseignements et complètement les intégrer plutôt que de n’en comprendre que le sens théorique et abstrait.

Quand un enfant est ainsi éduqué, il est prêt à s’engager dans le chemin de la vie. Car cette connaissance donne de la force et de l’énergie. Quand un enfant a appris les  principes et les valeurs qu’il sait être vrais, il ressent une nouvelle énergie en lui qui s’exprime naturellement en expériences positives dans sa vie.

Encourager l’individualité

Dans ce processus, il est important que chaque enfant ait «sa voie», sa nature propre. Comme le disait le précédent Rabbi, Rabbi Yossef Its’hak, «bien que nous partagions tous le but commun de transformer notre monde en résidence pour D.ieu, chacun possède des tendances et des dons individuels». C’est par l’expression individuelle que nous permettons à D.ieu de Se manifester dans différentes voies, atteignant ainsi une portée plus exhaustive.

C’est la raison pour laquelle un maître ne doit pas pousser ses élèves dans une direction unique mais plutôt découvrir les dons de chacun et l’aider à développer  leur expression.

On lit une allusion à cette idée dans la Michna (Avot 2 : 9) : «Rabban Yo’hanan ben Zakaï avait quatre élèves exceptionnels… Il avait l’habitude d’énumérer leurs qualités». Au lieu de diriger ses disciples dans une voie unique, Rabbi Yo’hanan reconnaissait leurs qualités propres et les encourageaient à s’épanouir en tant qu’individus.

Même lorsqu’il enseigne les vérités éternelles de la Torah, le maître ne doit donc pas rechercher la conformité. Il doit au contraire permettre à chaque élève d’intérioriser ces vérités de la manière qui sied à sa propre nature.

Ce principe s’exprime dans la chaîne de transmission de notre tradition toranique. Hillel et Chamaï reçurent tous d’eux la tradition orale de Chemaya et Avtalyon (Avot 1 : 12). Pourtant, ils avaient différentes opinions à propos de le Loi de la Torah. Cela n’était pas le résultat d’une fissure dans la tradition ou la preuve que certains aspects de la loi avaient été oubliés. Mais ces différences se soulevèrent parce que Chemaya et Avtalyon avaient communiqué des principes abstraits à leurs élèves. Hillel et Chamaï cherchaient tous deux à appliquer ces principes à des exemples spécifiques. La révélation divine se manifestait à travers leur nature personnelle. C’est pourquoi les décisions d’Hillel étaient plus indulgentes et celles de Chamaï, plus rigoureuses.

Des lampes resplendissantes

Ces idées sont évoquées de façon allusive dans Beaalote’ha. La Paracha commence avec l’ordre enjoint à Aharon d’allumer la Menorah dans le Sanctuaire. La Menorah représente le Peuple Juif (Ze’hariah, ch. 4) car le but de chacun de nous est de diffuser la lumière divine dans le monde, ainsi qu’il est écrit  (Proverbes 20 :7) : «l’âme de l’homme est la lampe de D.ieu». Et c’est par «la lumière de la Torah et la bougie des mitsvot» (Proverbes 6 : 23) que notre peuple illumine le monde.

La Menorah comportait sept branches qui symbolisent sept approches différentes du service divin. Cependant, elle était construite d’un seul bloc d’or, indiquant ainsi que les qualités variées du Peuple Juif ne l’empêchent pas de conserver son unité essentielle. La diversité ne mène pas à la division et le développement d’une véritable unité vient de la synthèse d’élans différents, chacun exprimant les talents individuels et la personnalité unique.

Des efforts indépendants

Quand le commandement qu’adresse D.ieu à Aharon lui est transmis, la Torah utilise la phrase : «Beaalote’ha ète hanérot», ce qui signifie littéralement : «quand tu feras monter les lampes». Rachi explique que cela signifie que le prêtre devait appliquer la flamme à la mèche «jusqu’à ce que la flamme monte par elle-même» et brille de façon indépendante.

En interprétant ce concept de façon allégorique, chacune des expressions employées par Rachi reflète un concept fondamental.

«La flamme» : chaque personne est potentiellement une «lampe». Mais la flamme réalise ce potentiel, produisant une lumière brillante.

«Monte» : nous ne devons pas nous satisfaire de notre niveau présent mais chercher à progresser, à atteindre un niveau supérieur, dans notre service de D.ieu.

«Par elle-même» : nous devons intérioriser l’influence de nos maîtres jusqu’à ce que leur lumière devienne la nôtre. La connaissance que nous acquérons doit nous doter de la force de «briller» indépendamment.

Mais plus que tout, nous devons «briller par nous-mêmes», c’est-à-dire que le désir d’avancer doit devenir notre propre nature. Même sans y être encouragés par quelqu’un, nous devons continuellement avancer.

Par le même biais, lorsque nous proposons notre enseignement à autrui, nous devons être animés par l’intention qu’il devienne «une flamme qui s’élève toute seule», une lumière autonome qui répand «la lumière de la Torah» dans tout son environnement.

C’est dans cette veine que sont également  interprétés les voyages du Peuple Juif à travers le désert : il s’agit de nos voyages à travers les âges vers le but ultime : la révélation de la lumière de Machia’h. Alors, nous nous unirons dans la reconstruction du Beth Hamikdach où nous pourrons alors à nouveau contempler les Cohanim en train d’allumer la Menorah.

Le Coin de la Halacha

 Que fait-on à Chavouot ? 

On a coutume de se couper les cheveux la veille de Chavouot, donc cette année le mardi 3 juin 2014.

Il convient de préparer un nombre suffisant de bougies pour les deux jours de fête ainsi qu’une bougie de vingt-quatre heures.

Mardi soir 3 juin (à Paris avant 21h 29) et mercredi soir 4 juin (après 22h 48), les femmes allumeront les deux bougies de la fête (les jeunes filles et les petites filles allumeront une bougie), avec les bénédictions : 1) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Nèr Chèl Yom Tov » - («Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné d’allumer les bougies du jour de fête» et 2) « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé » - («Béni sois-Tu Eternel, notre D.ieu, Roi du monde, qui nous as fait vivre, exister et qui nous as fait parvenir à ce moment»).

La fête se termine jeudi soir 5 juin après 22h 54 (heure de Paris).

Il est de coutume d’étudier toute la première nuit de Chavouot.

Tous, hommes, femmes et enfants, même les nourrissons, se rendront à la synagogue mercredi matin 4 juin pour écouter la lecture des Dix Commandements. On marque ainsi l’unité du peuple juif autour de la Torah, et on renouvelle l’engagement d’observer ses préceptes.

On a l’habitude de prendre un repas lacté avant le vrai repas de viande mercredi midi.

Jeudi 5 juin, on récite, pendant l’office du matin, la prière de Yizkor en souvenir des disparus : on donnera de l’argent à la Tsedaka pour leur mérite.

Le Recit de la Semaine

 La prison du docteur

Bien avant la fête de Chavouot, Rav Leverton – Chalia’h du Rabbi à West Windsor, New Jersey – avait contacté bon nombre des fidèles juifs de sa communauté : il les invitait à se rendre à la synagogue le matin de Chavouot pour écouter la traditionnelle lecture des Dix Commandements. L’un de ces fidèles, le docteur Fischer, avait fermement décliné la proposition : «Je suis à la tête d’un grand Centre Médical ; il m’est impossible de m’absenter au milieu de la semaine, même pour quelques heures !».

Cependant, le matin de Chavouot, Rav Leverton fut agréablement surpris de l’apercevoir entrer dans la synagogue pour la lecture de la Torah. Que s’était-il passé ? Pourquoi le docteur si occupé avait-il changé d’avis ?

Lors du Kiddouch (collation) qui suivit l’office, le docteur se leva et demanda à prendre la parole :

«Je me rendais en voiture à l’hôpital ce matin et j’ai vu quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant : trois jeunes Loubavitch qui marchaient sur le bas-côté de l’autoroute !

Je me suis arrêté à leur hauteur et leur ai demandé ce qu’ils faisaient : se rendaient-ils compte du danger de leur démarche ? Et surtout : où allaient-ils de ce pas décidé alors qu’il ne se trouve aucune synagogue dans les environs ? Ils m’expliquèrent qu’ils allaient compléter un Minyane (assemblée de dix Juifs, nécessaires pour lire la Torah) ! Où ? Je vous le donne en mille : dans la prison locale afin que les détenus juifs puissent écouter la lecture des Dix Commandements !

A ce moment, je me suis posé la question : ne suis-je pas plus prisonnier que ces détenus ? Si eux peuvent – grâce au mouvement Loubavitch – constituer un Minyane en prison, moi aussi j’ai la possibilité de me joindre à un Minyane !

J’ai fait demi-tour et me suis rendu ici au Minyane : le travail peut attendre !».

Tous les fidèles présents au Kiddouch applaudirent spontanément.

Bien entendu, Rav Leverton raconta par la suite cette histoire sur Internet à ses «confrères» Chlou’him dans le monde entier ; il reçut en réponse un email de Rav Avi Richler, Chalia’h de Mullica Hill dans le New Jersey. Celui-ci travaille en étroite coordination avec l’Institut Aleph qui vient en aide aux prisonniers et soldats juifs :

«Je voudrais vous raconter l’autre côté de l’histoire. C’est moi qui avais demandé à ces jeunes gens de bien vouloir se rendre en prison pour Chavouot. D’habitude, ils séjournent le temps de la fête dans un hôtel à la base militaire de Fort Dix, à quelques minutes de marche de la prison.

J’ai reçu un coup de fil vendredi dernier m’annonçant qu’il y a deux semaines, un grand mur avait été érigé entre le camp militaire et la prison : les jeunes gens seraient donc obligés de contourner à pied cette muraille, c’est-à-dire d’effectuer une longue marche de cinq kilomètres aller.

Après quelques coups de fil frénétiques, j’ai réussi à contacter le gardien de la prison et il m’a indiqué un autre hôtel, un peu plus près : le seul problème était qu’ils devraient emprunter l’autoroute… à pied bien sûr puisque c’était Chavouot.

Il semble que D.ieu sait ce qu’Il fait et tenait à ce que tous les fidèles se trouvent bien à la synagogue à Chavouot ! Peut-être ce docteur n’aurait-il jamais fait l’effort de se rendre à la synagogue pour écouter les Dix Commandements si ce mur n’avait pas été érigé !»

Rav Sholom Leverton – Shluchim Exchange – www.chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki