Semaine 9

  • Vayakhel
Editorial
Un rêve d’homme

L’homme est assis dans sa maison et il rêve. Il imagine le monde comme il voudrait qu’il soit. Il voit alors un monde en paix, où les rumeurs qui montent au-dehors ne sont que celles du bonheur, où le fracas des armes, les menaces de mort ne sont que les souvenirs cauchemardesques d’un passé depuis longtemps disparu. Mais l’homme, en un involontaire tressaillement, revient à la réalité: la violence des choses s’impose comme d’elle-même, ce n’était décidément qu’un songe merveilleux et fragile.
Nous vivons une période où les notions de paix et de guerre semblent se disputer le quotidien des hommes sans jamais que l’on sache de quel côté penchera la balance ni même que l’on perçoive avec une clarté suffisante de quel côté il faudrait qu’elle penche. C’est qu’il existe des paix et des guerres de toutes sortes. Les déserts stériles et les villes mortes connaissent, à n’en pas douter, une forme de paix mais celle-ci ne correspond pas à la vie. Quant aux guerres, plus personne ne croit, sauf quelques dictateurs encore au pouvoir, qu’elles puissent être “fraîches et joyeuses”. La paix à laquelle chacun aspire est celle de tous les instants, apte à faire surgir la grande allégresse des hommes. Cette paix est parfois très difficile à conquérir et ses chemins souvent détournés. Elle est cependant le but ultime de tous.
Alors que la période est celle du mois hébraïque d’Adar, double cette année, qui évoque déjà l’histoire de Pourim, de telles notions nous frappent par leurs accents de “déjà-vu”. Souvenons-nous, il y a plus de vingt-cinq siècles, un homme était parvenu au pouvoir dans l’empire perse. Il s’appelait Haman et n’avait qu’un désir: détruire le peuple juif. Si on l’avait interrogé en son temps, il aurait probablement su expliquer, peut-être même avec séduction, qu’il ne recherchait ainsi que la paix. Les Juifs ont toujours connu la valeur et la portée des mots et des actes. Ils se rassemblèrent et, par l’étude de la Torah et la pratique de ses commandements, se lièrent à Dieu. C’était sans doute là également une autre vision de la paix. Puis vint le temps du combat, car cette paix-là devait être défendue, et Haman et ses faiseurs de mort furent détruits. La paix fut rétablie, et d’abord dans le cœur des hommes.
Cette ancienne histoire ne résonne-t-elle pas étrangement? Elle rappelle à notre temps trop souvent oublieux que la paix commence en chacun, qu’elle peut s’étendre à tous et que, parfois, elle attend qu’on lutte pour elle, spirituellement et matériellement, jusqu’à ce temps où tout mal aura été chassé de l’univers, celui de Machia’h.
Etincelles de Machiah
Plus élevé que Moïse

Machia’h a une certaine supériorité même sur Moïse. Commentant la phrase du début de la Torah (Gen. 1:2) «et l’esprit de D.ieu planait…», les Sages enseignent (Béréchit Rabba 2:4) : «Cela fait référence à l’esprit de Machia’h». Le verset poursuit : «…sur la surface des eaux» ; cela représente un degré supérieur à celui de Moïse, ainsi nommé (Ex. 2:10) «parce que je t’ai tiré des eaux».
C’est pourquoi cet exil est si long – pour permettre de parvenir à cette élévation.

(d’après les Maamarim de l’Admour Hazakène sur les Parchyot, p.237)
Vivre avec la Paracha
Vayakhel : Le travail passif

L’un des grands paradoxes d’une vie de foi concerne la nécessité de travailler pour gagner sa vie. Si D.ieu est la source de toutes les bénédictions, pourquoi se fatiguer pour avoir une subsistance ? Et si nous travaillons, comment pouvons-nous éviter de penser que c’est notre travail seul qui produit des résultats matériels ? Il semble que nous soyons déchirés entre une passivité absolue et le déni de l’implication de D.ieu dans le monde.
C’est la raison pour laquelle le croyant s’engage dans ce que l’on peut appeler un «travail passif». Dans les versets qui ouvrent Vayakhel, Moché ordonne au peuple d’Israël :
«Six jours le travail sera fait ; mais le septième jour il y aura pour vous un jour saint, un Chabbat des Chabbat pour D.ieu…»
Il n’est pas dit : «Six jours vous travaillerez» mais «six jours le travail sera fait». Cette forme passive suggère que, même pendant les six jours de la semaine, quand le Juif peut et doit travailler, il doit s’occuper et non se préoccuper de ses entreprises matérielles.
C’est ainsi que la ‘Hassidout interprète le verset (Psaumes 128 :2), «si tu consommes le travail de tes mains, tu seras heureux et ce sera bien pour toi». Ce qu’implique ici le Roi David, nous disent les Maîtres ‘hassidiques, c’est que le travail dans lequel s’engage l’individu dans sa quête d’une subsistance (pour que «tu consommes») ne doit être accompli que «de tes mains», une activité déployée par l’extérieur de l’homme et non une implication intérieure. Ses «mains» et ses «pieds» doivent le servir dans ses entreprises matérielles alors que ses pensées et ses sentiments restent attachés aux choses divines. Il s’agit du même concept que l’on retrouve dans le verset «six jours le travail sera fait». L’on ne fait pas son travail ; il est fait, comme par lui-même. Le cœur et l’esprit sont ailleurs et ce ne sont que les facultés pratiques de la personne qui se trouvent engagées dans le travail.
Les Juifs travaillent non pour «gagner leur vie» mais pour façonner «un réceptacle» qui leur permettra de recevoir les bénédictions divines. C’est là le sens du verset de la Torah «Et l’Eternel te bénira dans tout ce que tu feras». L’homme n’est pas sustenté par ses propres efforts mais par la bénédiction de D.ieu. D.ieu désire toutefois que Sa bénédiction se réalise par «tout ce que tu fais». Le travail de l’homme lui apporte un conduit naturel pour la bénédiction divine de la subsistance et il doit sans cesse se rappeler que ce n’est rien de plus qu’un canal. Par ses mains, il le prépare, mais son esprit et son cœur doivent rester concentrés sur la source de la bénédiction.
La ‘Hassidout va encore plus loin. En fait, l’homme ne devrait pas du tout avoir l’autorisation de travailler. Car de D.ieu, il est dit : «Je remplis les cieux et la terre» et «La terre entière est remplie de Sa gloire». La réponse adéquate à l’omniprésence de D.ieu devrait être une passivité absolue. Agir autrement nous rendrait coupables de ce que le Talmud appelle «faire des gestes devant le roi». Si un homme se tenant devant le roi fait n’importe quoi d’autre que de lui vouer toute son attention, il risque sa vie. Ainsi ce n’est que parce que la Torah elle-même le permet, voire le commande, que le travail est permis et désirable.
Mais aller au-delà de l’implication recommandée par la Torah, au-delà du simple fait de faire un «réceptacle» serait en premier lieu montrer un manque de foi dans l’origine divine de la subsistance. D’autre part, cela reviendrait à «faire des gestes devant le roi», un acte de rébellion devant D.ieu.

Le double Chabbat
Cela explique l’expression Chabbat Chabbaton, «un Chabbat des Chabbat», utilisée par Moché dans les versets cités plus haut. Chabbat n’est pas un jour de repos qui suit six jours de labeur intense. Mais plutôt c’est le «Chabbat des Chabbat», un Chabbat qui suit six jours qui sont en quelque sorte eux-mêmes un Chabbat, des jours de travail passif au cours desquels le travail n’engage que les aptitudes extérieures alors que l’essence de la personne se trouve impliquée dans des lieux plus élevés.
En fait, un véritable jour de repos ne peut être que celui qui suit une telle semaine. A propos du verset «six jours vous travaillerez et ferez tout votre travail», nos Sages expliquent : «le Chabbat, l’homme doit se considérer comme si tout son travail est achevé». C’est là le véritable repos, le repos dans lequel on est complètement libéré de toutes les préoccupations hebdomadaires. Si, néanmoins, durant les six jours, la personne a été préoccupée par des considérations matérielles, le septième jour la trouvera envahie par l’anxiété. Même si son corps cesse de travailler, son esprit, lui, ne trouvera pas de repos. Par contre, si elle a accordé à son travail la place qui lui revient, durant la semaine, la lumière du Chabbat l’illuminera et ce sera alors un Chabbat Chabbaton, un double Chabbat, car alors, Chabbat imprégnera toute sa semaine et quand le jour de Chabbat arrivera, il atteindra une double sainteté.

Le jour après Yom Kippour
Cela explique également le contexte dans lequel Moché prononça ces paroles devant toute l’assemblée d’Israël.
Nous Sages expliquent la manière dont la construction du Michkan (le Tabernacle) apporta le pardon et rectifia le péché du Veau d’Or. Apparemment, le Michkan et le Veau d’or avaient un point commun : ils représentaient la consécration de la matière et tout particulièrement de l’or. Cependant, le Michkan était, en réalité, l’opposé même du Veau. Le Veau d’Or représentait la déification de la matière alors que le Michkan était la subjugation de la matière pour servir le Divin. Ainsi, le jour qui suivit le premier Yom Kippour, tout de suite après que D.ieu eut pardonné le péché d’Israël (du Veau d’or), Moché transmit au peuple l’instruction de Lui construire «une résidence» parmi eux. Et ce même jour, le peuple donna son or, son argent et son cuivre pour la construction du Michkan.
Néanmoins, en premier lieu, Moché rassembla le peuple et lui commanda au nom de D.ieu : «Six jours le travail sera fait ; mais le septième jour sera pour vous un jour saint, un Chabbat des Chabbat pour D.ieu…». Cela implique que, tout comme le Michkan, ce commandement est une réfutation de la faute d’idolâtrie et qu’il en apporte le pardon.
Maïmonide retrace les origines de l’idolâtrie dans le fait que la providence divine se trouve canalisée dans les forces et les objets de la nature. Les idolâtres des origines reconnaissaient que le soleil, la lune et les étoiles tiraient leurs forces, pour nourrir la terre, de D.ieu. Cependant, ils leur attribuaient un statut divin. Leur erreur consistait à prendre ces intermédiaires pour des objets d’adoration alors qu’ils n’étaient rien d’autre que des instruments pour D.ieu, tout comme «une hache entre les mains du bûcheron».
Dans un certain sens, la préoccupation excessive investie dans le travail et le monde matériel est également une forme d’idolâtrie. Car cela aussi implique l’erreur d’attacher de la signification à ce qui ne fait rien de plus que de créer un canal naturel pour les bénédictions de D.ieu.
Six jours de travail passif, dans le sens d’un détachement moral et intellectuel et la prise de conscience que le travail humain est un instrument de D.ieu culminant dans un «Chabbat des Chabbat», plein d’inspiration et centré sur la véritable source de nos bénédictions, apportent la véritable bénédiction.
Le Coin de la Halacha
Quelques lois concernant le commerce

Il convient d’être honnête dans toutes les transactions commerciales et de ne jamais tromper son prochain ni dans la vente, ni dans l’achat, ni dans la location, ni dans la rédaction des contrats ni dans le change monétaire.
Le vendeur n’a pas le droit d’enjoliver sa marchandise, par exemple de peindre un objet usagé pour le faire apparaître comme neuf.
Le vendeur ne doit pas mêler quelques objets avariés parmi les objets en bon état ; de même, il ne doit pas ajouter un liquide bon marché au liquide plus onéreux, à moins que ce mélange puisse être détecté par l’acheteur.
Il est strictement interdit de fournir une quantité ou un poids moindre que celui convenu : la punition pour une telle pratique est très sévère.
Celui qui était envoyé par un acheteur potentiel pour acheter un objet ne doit pas l’acheter pour lui-même !
Celui qui mène ses affaires honnêtement sera aidé par D.ieu et disposera toujours de suffisamment d’argent pour tous ses besoins.
Le véritable caractère de l’homme peut être dévoilé par la manière dont il conduit ses affaires. C’est un des critères qui permettent de mesurer la crainte de D.ieu et la confiance en D.ieu.

F. L. (d’après Junior Code of Law - Dr Nissan Mindel)
De Recit de la Semaine
Deux enterrements et un mariage…

Est-ce simplement une coïncidence ? Le fait est que nombre des contacts sont noués par Rav Jacobs en Hollande lors… d’enterrements où sa présence est évidemment demandée.
«Il y a quelques années, on m’a téléphoné depuis une ville assez éloignée pour que je procède à des funérailles. Quand je suis arrivé sur place, il n’y avait pas de Minyane, les dix Juifs nécessaires pour de nombreuses cérémonies. Nous étions neuf et l’un des participants s’est alors souvenu qu’il avait rencontré «un jeune» qui s’était installé dans la ville : était-ce un étudiant ou simplement un hippy ? Peut-être était-il juif. Nous l’avons retrouvé. Il a confirmé qu’il était effectivement juif et a accepté de compléter le Minyane.
Nous avons suivi le convoi dans la même voiture et nous avons donc eu l’occasion de faire connaissance. Il s’appelait Yaakov Dalyo et n’avait aucun lien avec le judaïsme à part le fait qu’il savait qu’il était juif. Nous avons longuement discuté et je l’ai invité à me rendre visite à la maison, à Amsterdam.
Quelques temps après cet enterrement, Yaakov est venu passer un Chabbat chez moi. Il a découvert notre famille et notre communauté, nos enfants qui chantaient à table et expliquaient la Sidra de la semaine. J’ai raconté des histoires ‘hassidiques et ma femme a participé à notre conversation… Jamais il n’avait vécu pareille ambiance. Il avait vingt-cinq ans et s’est passionné pour l’étude des textes. Il est revenu fréquemment et, au bout d’un certain temps, il a demandé de lui-même à étudier davantage : nous l’avons envoyé aux Etats-Unis, à la Yechiva de Morristown, spécialement réservée aux «étudiants tardifs».
L’histoire ne s’arrête pas là.
Quelques années avant cet enterrement au cours duquel j’avais fait la connaissance de Yaakov, j’avais procédé à une inhumation à La Hague. Là, j’avais fait la connaissance d’un couple âgé d’une cinquantaine d’années. Après la cérémonie, nous avions bavardé : il s’avéra que tous deux avaient perdu leurs parents durant la Shoah. L’homme avait été élevé dans une famille de chrétiens dévots qui lui avaient sauvé la vie et l’avaient élevé dans le catholicisme. Quand il atteignit l’âge de vingt ans, ses parents adoptifs lui révélèrent son origine juive. Ceci éveilla sa curiosité, il voulut comprendre ce qu’était le judaïsme mais eut du mal à trouver des réponses. De plus, cela lui posait un problème existentiel : ses parents adoptifs lui avaient sauvé la vie et l’avaient traité comme leur propre fils, il leur devait tout ! Mais, par ailleurs, ses véritables parents avaient été juifs, avaient été assassinés à cause de cela et il voulait savoir qui ils avaient été !
Il se maria avec une femme qui partageait la même histoire que lui : des parents biologiques juifs, une adoption précipitée et une éducation chrétienne puis la découverte d’une identité refoulée…
Nous avons gardé contact après l’enterrement. Ils avaient deux filles et je me suis rendu chez eux une fois par semaine pour leur enseigner un peu de judaïsme. Petit à petit, toute la famille s’est rapprochée de la religion de ses ancêtres ; très souvent, nous les avons invités pour Chabbat et les fêtes. Le père a commencé à nous aider dans nos diverses activités et, dernièrement, il est même devenu président d’une des associations de la communauté. L’une des filles, Myriam est partie étudier au séminaire de jeunes filles «Ma’hone Hanna» à New York.
Un jour, le père de Myriam me téléphone : sa fille s’était très bien adaptée à son nouvel entourage et il me demande en riant : «Peut-être faudrait-il commencer à lui chercher un mari ?»
Deux jours plus tard, le téléphone sonne à nouveau : c’était les parents de Yaakov Dalyo : «Vous avez rendu notre fils pratiquant, il étudie depuis plusieurs mois en Yechiva, il a déjà un certain âge, il est temps de lui trouver une épouse, n’est-ce pas ?»
J’ai vu là un signe du ciel et j’ai donc proposé aux deux couples de parents d’organiser une rencontre entre les deux jeunes gens, comme cela se fait traditionnellement dans les milieux pratiquants. Ils ont accepté : Myriam et Yaakov se sont rencontrés à New York puis se sont mariés en Hollande.
C’est ainsi que, grâce à deux enterrements, nous avons aussi pu célébrer un mariage.
Myriam et Yaakov ont terminé leurs études religieuses aux Etats-Unis et sont devenus eux-mêmes des Chlou’him, des émissaires du Rabbi en Hollande…

Rav Binyamin Jacobs
Kfar Chabad n°1394
traduit par Feiga Lubecki