Semaine 9

  • Téroumah
Editorial
Quelle joie ?

La joie peut-elle se commander ? Ce n’est pas là une simple question théorique. Voici, en effet, que nous arrivons à ce temps rêvé du calendrier juif, à cette période merveilleuse : le mois de Adar. Ce nom seul renferme une telle puissance qu’il se suffit à lui-même. A peine a-t-on prononcé «Adar» que tout est dit et que, dans la conscience, se bousculent les images de fêtes, de rires et de bonheur sans fin. Adar est là et c’est déjà le rayonnement de Pourim qui éclaire notre horizon. Le Talmud n’affirme-t-il pas, péremptoire, que «quand entre Adar, on multiple la joie» ? Pourtant, chacun ressent que, si tout cela est vrai dans le temps éternel du peuple juif, nous vivons au quotidien une période dont la tension est sensible, dont les difficultés donnent une étrange coloration aux jours qui passent.

Il n’est cependant pas question que cela écarte une joie qui porte en elle toute la force de la création divine. Si elle est prescrite aujourd’hui, c’est d’abord parce qu’elle s’impose d’elle-même à tous, que sa présence, d’une certaine manière, modifie la donne. Il existe plusieurs façons de parvenir à la joie. Celle-ci peut être causée par une satisfaction personnelle, une réussite qui couronne un effort. Elle peut être motivée par la raison ou par l’émotion. Quelle que ce soit son origine, elle est alors limitée à elle-même et, si sa cause vient à s’estomper, elle-même disparaîtra bien vite. De fait, lorsque la joie est le produit de la condition humaine, elle ne peut durer davantage que l’homme qui en est le porteur. Elle ne peut qu’être aussi changeante que les humeurs de la créature.

Lorsque la joie est affranchie de telles contingences, qu’elle est d’abord ce sentiment qui repose sur une harmonie générale de l’univers telle qu’établie par son Créateur, elle cesse d’être soumise à l’éphémère et parvient à une autre dimension, celle que D.ieu a permis que l’on atteigne. Dans cette optique, la joie fait plus que se commander. Elle s’installe en chacun qui veut l’accueillir et elle emporte tous au-delà des limites coutumières. C’est justement dans ce temps-là que nous entrons. Conscients d’une certaine grisaille ambiante, au fait des formes diverses de l’obscurité, des plus barbares aux plus socialement correctes, nous savons vivre cette phase nouvelle et nous en pénétrer. Nous savons nous élever avec elle et préparer ainsi le temps où la joie sera éternelle car l’éternité sera de ce monde : le temps de Machia’h.
Etincelles de Machiah
Un pauvre sur un âne

Zacharie, dans sa prophétie (9:9), décrit Machia’h comme «un pauvre sur un âne». Il faut comprendre le sens profond de cette idée.

La révélation divine au temps de Machia’h ne sera pas le résultat d’un «effort d’en bas». Cela signifie qu’elle ne proviendra pas de l’œuvre spirituelle accomplie par l’homme. Au contraire, elle rayonnera comme un don de D.ieu si élevé qu’aucune initiative humaine ne pourrait le susciter. C’est pourquoi Machia’h est qualifié de «pauvre».
(d’après Or Hatorah, p.260)
Vivre avec la Paracha
Teroumah : Sur la liberté et l’autorité

Après ces jours… aucun homme n’instruira son prochain… car tous Me connaîtront, depuis le plus petit parmi eux jusqu’au plus grand (Yeremyahou 31: 32-33)

Il est relaté à propos du maître et guide ‘hassidique Rav David Horodoker qu’il pleura lorsque le Tsar Nicolas II fut détrôné au cours de la révolution russe de 1917. « Pourquoi versez-vous des larmes devant la chute d’un tyran ?» lui demanda-t-on. «Je pleure, répondit le ‘hassid, parce qu’une métaphore dans la ‘Hassidout a disparu.»
La métaphore est un outil essentiel dans l’enseignement ‘hassidique. Pour comprendre véritablement quelque chose, nous devons l’expérimenter nous-mêmes ou en avoir une expérience similaire. Cela est particulièrement vrai lorsque l’on cherche à comprendre les réalités spirituelles : pour rendre tangible à l’esprit humain le spirituel il nous faut d’abord trouver le modèle correspondant dans l’expérience humaine. L’enseignement ‘hassidique fait donc grand usage de la métaphore dans son entreprise d’expliquer la nature de la relation qu’entretient D.ieu avec notre réalité et l’essence et le but de la création.
L’une des métaphores les plus importantes utilisées par la ‘Hassidout est celle de la «royauté». Ainsi, lorsque le Tsar fut destitué, un maître du ‘Hassidisme pleura. Comment une nation sans roi pourrait-elle comprendre l’abnégation absolue du moi que cette relation représente ? Comment pourrait-on comprendre la crainte totale devant celui dont le règne est absolu et incontestable ? Malgré le fait que la plupart des rois de l’histoire ne méritent pas cette métaphore de souveraineté divine, ce qui est essentiel dans notre relation avec D.ieu est quelque chose que ne peut vraiment apprécier que celui qui a été le sujet d’un roi.

Le potentiel et le hasard
La monarchie fait de la soumission à l’autorité une réalité tangible dans la vie de ses sujets. Mais elle supprime également une autre composante de notre relation à D.ieu : la quête de liberté.
Est inhérente à l’esprit humain l’aspiration à défier les règles et les dirigeants, à se rebeller contre les contraintes imposées par les figures autoritaires, la société et les limites de sa propre nature. Cette aspiration n’est pas une aberration et elle ne va pas non plus à l’encontre de la loyauté intrinsèque de l’âme humaine à l’égard de son Créateur et sa Source ; bien au contraire, cela fait partie de la formation de l’âme que d’être à «l’image de D.ieu». Tout comme D.ieu est totalement libre de toutes limites et définitions, l’âme possède aussi le désir et le potentiel, d’une existence complètement libre et sans limites.
Mais c’est précisément à cause de la grandeur de ce potentiel, précisément parce qu’elle est une expression de la quintessence même de l’unité de l’âme avec le divin que cette aspiration pour la liberté est susceptible de tomber dans les corruptions les plus grandes. Libérée du joug de l’autorité, le pire dans l’homme est souvent le premier à s’affirmer. Quel est le plus grand mal, les contraintes d’une autorité dictatoriale ou les dangers de la liberté ? L’homme est-il capable de réaliser les potentiels de la liberté sans sombrer dans ses écueils ?

Napoléon et le Tsar
Dans les deux premières décades du dix neuvième siècle, la problématique se trouvait incorporée dans deux armées massives s’entretuant sur les champs de bataille européens. D’un côté se tenait Napoléon, héritier de la révolution française, épousant les idéaux de «liberté, égalité, fraternité». En face de lui se tenaient les monarques d’Europe proclamant le droit divin de régner et se présentant comme les défenseurs de la famille, de la religion institutionnalisée, de la loi et de l’ordre.
Les dirigeants du Judaïsme européen étaient également divisés. Certains rabbins et maîtres ‘hassidiques attendaient avec impatience la libération par les armées napoléoniennes. Le Peuple Juif ne serait plus enfermé dans des ghettos et privé de moyens de gagner sa vie ; l’état ne serait plus allié à une religion hostile à la foi juive. Mais d’autres voix se faisaient aussi entendre dans la communauté juive, des voix qui prophétisaient l’échange de la pauvreté matérielle contre une peine spirituelle. Pour cette opinion, Napoléon allait libérer le corps juif mais aussi détruire son âme. Une force majeure de l’opposition juive à Napoléon était représentée par Rabbi Chnéour Zalman de Lyadi, fondateur du mouvement ‘hassidique ‘Habad. Rabbi Chnéour Zalman fit plus que d’avertir contre les dangers de l’émancipation ; il combattit Napoléon sur tous les fronts, intercédant en Haut pour sa chute et aidant les efforts russes sur le terrain.
Les craintes de Rabbi Chnéour Zalman se réalisèrent dans les événements des deux siècles suivants. De fait, alors qu’en Europe centrale, elle allait perdurer jusqu’à la veille de la Shoa, la vie juive traditionnelle fut effacée en France et en Allemagne. Beaucoup tombèrent sous le vent de la permissivité et l’assimilation qui soufflaient de l’ouest. Que ce serait-il passé si Napoléon avait conquis le continent au début du dix-neuvième siècle ?

La coutume de la ville
Mais l’histoire n’est pas aveugle. La providence divine lance à chaque génération des défis qu’elle est à même de relever. Si nous vivons aujourd’hui dans un monde libre, c’est parce que nous sommes capables d’affronter cette force volatile et harassante et de la diriger à des fins positives et divines.
«Quand vous entrez dans une ville, dit le Midrach, allez selon ses coutumes.» Nous ne sommes pas là pour nous battre contre le monde, nous dit le Midrach, mais pour le sublimer. Chaque domaine, chaque société a ses «coutumes», son milieu culturel particulier que nous devons exploiter pour servir notre Créateur et accomplir notre mission sur terre. Si vous vivez sous l’hégémonie d’un Tsar, canalisez la soumission à l’autorité qui est sa doctrine pour nourrir votre engagement envers le Roi des rois. Si vous vivez dans un monde où «liberté» est le mot d’ordre absolu, reformulez-le en liberté divine, qui facilite l’expression illimitée de l’image de D.ieu, notre véritable essence. Il est de fait que notre génération s’est montrée apte à relever ce défi de la liberté.

La liberté redéfinie
La dernière frontière est devant nous. Qui sommes-nous réellement ? Qu’arrive-t-il quand nous sommes libérés de toutes les contraintes extérieures et des structures autoritaires ? Notre engagement pour D.ieu est-il quelque chose qui doit être imposé sur un moi récalcitrant ou l’accomplissement ultime d’une quête incessante pour la liberté ?
Nos Sages nous disent que viendra un jour où «le figuier criera : ne prends pas mon fruit ! Aujourd’hui, c’est Chabbat !», un jour où le plan divin de la création sera l’état naturel de chaque créature, un jour où la réalité sera le miroir de sa source divine.
Nous sommes maintenant à l’aube de ce jour. Vivant dans un monde qui grandit chaque jour plus libre, nous sommes face à notre ultime défi : apporter à la lumière une liberté qui ne brave pas la souveraineté de D.ieu mais qui en est le complément ultime, une liberté dans laquelle l’ego de l’homme n’est qu’un reflet du divin.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que la Mézouza ?

La Mézouza est un parchemin rectangulaire, écrit à la main avec une plume et de l’encre noire spéciale. Un scribe qualifié écrit les deux premiers paragraphes du «Chéma» : (Nombres 6 : 4 à 9 et Nombres 11: 13 à 21) avec un espace entre les deux.
Plusieurs lettres de la Mézouza possèdent des sortes de couronnes. Certains mots sont écrits avec des lettres en plus ou en moins : s’il y a une erreur sur une seule lettre, la Mézouza n’est pas cachère. De plus, le scribe doit tracer des lignes avant d’écrire la Mézouza.
Il est de coutume d’écrire un des Noms de D.ieu (Cha-Daye) à l’envers du parchemin.
Le parchemin est roulé de telle sorte que, quand on l’ouvre, on peut lire les mots dans l’ordre.
Une fois roulé, le parchemin est introduit dans un étui qui ne sera pas trop étroit afin que les lettres ne soient pas comprimées et que le parchemin ne soit pas déchiré.
Avant de fixer la Mézouza, on prononce la bénédiction : «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Méle’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Likboa Mézouza». Si on fixe plusieurs Mézouzot, on ne dira qu’une fois la bénédiction.
On fixe une Mézouza à toutes les portes sauf celles des toilettes et de la salle de bain. On se renseignera auprès d’une autorité rabbinique compétente quant aux portes des caves, balcons, débarras etc… Il est préférable de clouer l’étui contenant le parchemin plutôt que de le coller sur le chambranle.
On fixe la Mézouza légèrement penchée vers l’intérieur de la pièce, dans le tiers supérieur, à droite quand on entre.
Les hommes comme les femmes ont l’obligation de fixer une Mézouza devant leurs portes.
Celui ou celle qui partage un appartement avec un non-Juif doit fixer une Mézouza.
Quand on déménage, on emporte la Mézouza sauf si l’appartement est loué on vendu à un autre Juif.
Une Mézouza protège son propriétaire (et sa famille) aussi bien quand il se trouve à l’intérieur que lorsqu’il sort de sa maison car elle lui rappelle l’Unité de D.ieu.

F. L. (d’après Rambam – Hil’hot Mézouza)
De Recit de la Semaine
Dix-neuf Mézouzot

Quand mon mari et moi-même avons enfin concrétisé l’achat de notre nouvelle maison à Richmond, nous avons organisé «‘Hanoukat Habayit», une petite cérémonie pour l’inauguration de notre nouveau foyer. Devant tous nos amis, nous avons cloué nos 19 Mézouzot. Nous étions certains de la qualité de nos Mézouzot puisque nous avions fait vérifier la plupart d’entre elles par un scribe qualifié.
En préparation pour cet événement qui n’arrive pas si souvent dans une vie, j’avais effectué quelques recherches et m’étais bien documentée sur la signification des Mézouzot : cela me permettrait de tenir un petit discours devant les membres de notre communauté et de leur faire partager quelques idées.
Tandis que je consultais des livres à ce sujet, je tombais sur un livre contenant des récits incroyables à propos des Mézouzot. Par exemple des gens qui avaient eu des difficultés à avoir des enfants avaient trouvé des erreurs dans les parchemins de leurs Mézouzot, des mots qui manquaient et qui signifiaient justement «vos enfants» etc… Une fois que ces erreurs avaient été réparées par un scribe compétent, leur problème avait disparu. Ces récits m’étonnaient, mais, à vrai dire, me laissaient sceptique.
Aussi bien mon mari que moi-même, nous avons suivi un cursus scientifique : lui en médecine et moi en psychologie. A cause de cette éducation, nous avons tendance à regarder le monde avec une perspective cartésienne, rationnelle. Nous préférons aussi ne dépendre que de notre dur travail plutôt que de rechercher ou d’espérer des solutions miracles par les autres. C’est ainsi que durant un an, alors que nous étions confrontés à notre problème de fertilité, nous faisions confiance aux spécialistes et à la science. Nous faisions bien sûr appel à D.ieu mais c’était par nos propres prières. Quand la famille ou les amis nous suggéraient de demander l’intervention de rabbins aux pouvoirs particuliers par exemple, nous ignorions leurs conseils. Les rares fois que nous avions tout de même demandé une bénédiction à un «quelqu’un de très spécial !», nous n’avons été ni surpris ni déçus que cela ne donne aucun résultat.
Après de nombreux examens et de lourds traitements, je suis enfin tombée enceinte. Au fur et à mesure que la grossesse avançait, nous étions fous de joie, un peu effrayés et même submergés par ce que cela signifiait. Bien des fois, nous nous sommes personnellement tournés vers D.ieu avec des prières d’espoir et de remerciement.
Alors que ma grossesse se poursuivait sans problème, un couple de nos amis nous suggéra de demander au Rabbi de Loubavitch une bénédiction pour une naissance dans de bonnes conditions. Même si mon mari et moi-même avons toujours respecté le Rabbi et le travail de ses émissaires, nous ne nous étions jamais considérés comme des membres du mouvement ‘Habad. Au fond, à un certain degré, nous étions restés un peu sceptiques. C’est pourquoi l’idée de demander une bénédiction nous semblait bizarre.
Cependant, cette fois-ci nous avons écouté le conseil de nos amis. Pour cela, nous avons demandé à Rav Yosef Kranz de présenter notre requête au Rabbi. Quelques jours plus tard, il nous appela : il avait reçu pour nous une réponse tout à fait inhabituelle : le Rabbi nous conseillait de vérifier nos Mézouzot. Rav Kranz ajouta qu’il était étrange que le Rabbi réponde ainsi dans le cas d’une naissance.
Maintenant que nous étions confrontés à ce conseil du Rabbi et qu’il fallait prendre une décision, je repensais aux récits que j’avais lus auparavant. Nous étions si rationalistes que nous avions vraiment du mal à nous plier à cette demande. En effet, ceci nous semblait insensé puisque nos Mézouzot étaient vraiment très belles, à tous points de vue. Mais par ailleurs, puisque le Rabbi nous avait suggéré de vérifier nos Mézouzot, il fallait le faire.
Le dimanche suivant, nous avons enlevé toutes nos Mézouzot et nous sommes rendus à Silver Spring, chez le scribe le plus proche. Pendant toute la journée que nous avons passé là-bas à attendre le résultat, nous nous demandions si nous n’étions pas fous. Je raisonnai ainsi : soit il n’y aurait pas de fautes soit il y aurait des fautes dans les mots désignant les enfants.
Vous devinez la suite ? Le scribe trouva trois fautes dont l’une dans le mot «Beneï’hem» (vos enfants) et une autre dans le mot «Beite’ha» (ta maison, ce qui signifie aussi : ta famille). Le scribe montra les fautes à mon mari qui est un expert dans la lecture de la Torah. Nous avons donc constaté avec nos yeux ! D’ailleurs au moins deux de ces trois Mézouzot n’avaient pas été vérifiées quand nous les avions clouées aux portes de notre nouvelle demeure.
Pendant tout le chemin du retour, nous étions bouleversés. Il est difficile de mettre des mots sur ce que nous ressentions. Quand nous avons raconté notre histoire à nos amis, ils avaient deux sortes de réactions : certains, comme nous-mêmes, étaient stupéfaits et pensifs ; d’autres restaient sceptiques et tentaient d’expliquer toute la situation.
Cette dichotomie me fait toucher du doigt ce qu’est l’engagement religieux. Alors que j’ai une grande confiance dans ce qui est rationnel et scientifique, je crois fermement que la religion et la croyance en D.ieu obligent à un certain saut vers l’irrationnel. La religion vécue par l’esprit n’est pas suffisante. Nous avons besoin de ressentir D.ieu dans notre cœur et notre âme. Peut-être mon mari et moi-même faisions un peu trop confiance à ce qui est évident et avions oublié cette importante leçon.
Et j’ajouterai encore autre chose : nous ne mettons plus jamais en doute la parole du Rabbi.

Robin B. Zeiger, Ph. D.
Richmond Jewish News – Le’haïm
traduit par Feiga Lubecki