Samedi, 28 mai 2022

  • Be’houkotaï
Editorial

 Michné Torah : nouveau cycle, nouvelle vie

La semaine dernière, nous célébrions la conclusion du 41ème cycle annuel de l’étude du Michné Torah de Maïmonide, instaurée par le Rabbi de Loubavitch, et cet éditorial s’en faisait naturellement l’écho, d’autant plus que cela tombait en ce jour si particulier du calendrier juif qu’est Lag Baomer. Une telle cérémonie, traditionnelle, est cependant toujours précieuse, car elle n’a pas seulement pour but de fêter un accomplissement passé, tout noble soit-il. Son rôle est d’abord de donner une impulsion, créer un nouvel élan pour le cycle suivant, ici le 42ème. De fait, la cérémonie de conclusion fut grande et belle. C’est devant un public très nombreux, venu de toutes les communautés, qu’elle se déroula. Mais, bien sûr, nul ne peut se satisfaire d’une telle observation. Ce n’est décidément pas vers le passé que nous devons nous tourner mais bien vers l’avenir.

Prenons conscience de ce qu’est cette étude. Le Michné Torah est bien cet ouvrage unique qui rassemble toutes les lois du judaïsme ainsi que leur développement et leur explicitation. Il va jusqu’à ne pas laisser de côté des règles qui, du fait de l’absence du Temple, ne peuvent malheureusement pas être appliquées aujourd’hui comme elles ne le pouvaient pas à l’époque de Maïmonide. C’est dire qu’il s’agit d’un texte complet qui nous donne accès à l’ensemble de la Torah sans aucune exception, qui en pose les principes tant spirituels que matériels tout en nous donnant à comprendre les détails de la loi juive. Cette connaissance absolue est, de plus, servie par l’écriture même de Maïmonide dont le style, « concis et clair » pour reprendre son expression, jette une lumière à la fois puissante et rassurante sur les thèmes abordés.

Etudier Maïmonide est à la portée de chacun. Trois chapitres, ou un seul, par jour, ou encore le Séfer Hamitsvot, la nomenclature des commandements établie également par Maïmonide : ce sont les modes d’étude fixés par le Rabbi. A chacun de choisir son rythme. Et aujourd’hui, la traduction expliquée du Michné Torah paraît enfin en français, élargissant ainsi encore les possibilités d’entrer dans ce si riche univers. Il y a ici une perspective littéralement vertigineuse. Sur toute la planète, les Juifs se livrent à cette étude et, au cœur d’un monde qui semble parfois bien obscur, ils font monter à l’unisson la lumière d’une sagesse éternelle. Alors, en ce début de cycle, il faut prendre, reprendre ou maintenir avec une force accrue la décision de rejoindre l’entreprise. Dans cette grande partition, à chacun de nous d’ajouter sa note/son étude. Pour le meilleur.

Etincelles de Machiah

 Au talon de Machia’h

Le principal est notre génération qui est véritablement celle du « talon de Machia’h » car elle se déroule immédiatement avant sa venue. Les talons maintiennent le corps. De même, notre génération « maintient » toutes celles qui l’ont précédée.

Mais c’est sur le talon que la saleté s’accumule. C’est pourquoi on observe aujourd’hui un renforcement du mal. Il faut donc diffuser la lumière et automatiquement le mal sera écarté.

(D’après Séfer Hasi’hot 5699 p. 50)

Vivre avec la Paracha

 Be’houkotaï

D.ieu promet que si le Peuple d’Israël observe Ses commandements, il jouira de prospérité matérielle et résidera en paix dans sa patrie. Mais Il donne également un avertissement sévère et le menace de l’exil, de la persécution et d’autres maux qui s’abattront sur lui s’il abandonne son alliance avec Lui.

Toutefois, « même quand ils seront sur la terre de leurs ennemis, Je ne les rejetterai pas, pas plus que Je ne les haïrai, ne les détruirai ou ne briserai Mon alliance avec eux. Car Je suis l’Éternel, leur D.ieu. »

La Paracha se conclut avec les lois concernant la manière de calculer la valeur des différents types d’engagements pris pour D.ieu et la Mitsva de prélever un dixième des produits agricoles et du bétail.

Prendre des garanties

La Paracha Be’houkotaï énonce 49 malédictions qui s’abattront sur le Peuple juif s’il n’écoute pas et n’accomplit pas les lois de D.ieu. Toutefois, à la fin des temps, D.ieu mettra fin à toutes les tragédies et les souffrances en se rappelant l’alliance des Patriarches : « Et Je me souviendrai de l’alliance avec Yaakov, et l’alliance d’Its’hak et également l’alliance avec Avraham, Je m’en rappellerai… » (Vayikra 26 :32)

Un Vav supplémentaire

Si l’on observe attentivement le verset précédemment cité, l’on peut observer que le nom Yaakov possède, en hébreu, une lettre supplémentaire : un Vav. Néanmoins la prononciation du mot n’est en rien altérée, malgré cette orthographe différente. Quel en est le sens ?

Par ailleurs, dans toute la Torah, les trois Patriarches sont habituellement mentionnés dans l’ordre généalogique : Avraham, Its’hak et Yaakov.

Pourquoi notre verset mentionne-t-il, en premier lieu, Yaakov ?

Aller à contre-courant

Deux ordres hiérarchiques sont possibles pour évoquer nos Patriarches. Le premier, l’ordre généalogique, est descendant en matière des niveaux de sacrifice de soi.

La seconde séquence se conforme à leur niveau de connaissance et d’accomplissement de la Torah et des Mitsvot.

Selon le critère du sacrifice de soi, le plus grand fut Avraham. Bien que son père fût idolâtre, Avraham n’hésita pas à aller à contre-courant et à enseigner le monothéisme au monde. Quand bien même il ne rencontrait que des opposants, il n’en persista pas moins à débattre pour prouver l’Unité de D.ieu à chaque personne qu’il rencontrait. Le leader tyrannique Nemrod lui ordonna de s’incliner devant lui, ce à quoi Avraham refusa d’obtempérer en s’écriant : « Je ne m’incline que devant le D.ieu Unique, le Créateur du Ciel et de la Terre. » Cet activisme spirituel radical lui valut d’être jeté dans une fournaise ardente de laquelle D.ieu l’en fit sortir indemne.

Le sens de l’abnégation d’Its’hak n’était pas si intense tout simplement parce qu’il avait pour modèle son illustre père. Son acte majeur de sacrifice fut de tendre son cou pour son père, lors de la Akéda (« la ligature »). Mais dans un certain sens, cela lui était plus simple parce qu’il se soumettait à son père et maître, plutôt qu’à un roi impie et malveillant. Et, comme il est dit, l’abattage est beaucoup moins douloureux que le feu. Mais surtout, il accomplissait cet acte en se soumettant à un commandement qui émanait directement de D.ieu. En un sens, il n’allait pas du tout à contre-courant !

L’acte majeur de sacrifice de soi de Yaakov fut de passer vingt années difficiles dans la maison de Lavan pour assurer le futur du Peuple juif. Cela en soi n’était pas aussi dramatique ni dangereux que l’acte d’Its’hak.

La construction d’une tradition

Yaakov était, en revanche, le plus grand des trois dans la connaissance et la pratique de la Torah. « Yaakov était une personne entière et parfaite qui siégeait et étudiait dans les tentes de la Torah. » Le terme « les tentes » est au pluriel, pour indiquer qu’il étudiait à la fois la dimension révélée et la dimension ésotérique de la Torah. En d’autres termes, Yaakov approfondissait et perfectionnait les enseignements de son père et de son grand-père. Il était né dans une maison où l’on vivait la Torah. Nul n’était besoin de la découvrir par lui-même.

Peut-être est-ce la raison pour laquelle le nom de Yaakov apparaît en premier. D.ieu dit : « A la fin des temps, pour sauver le peuple d’Israël, Je me rappellerai le mérite de Yaakov, son étude de la Torah. » Cela implique que le chemin privilégié pour arriver à la Guéoula (« la Rédemption ») n’est pas celui du sacrifice ultime de soi, le martyre, mais plutôt celui de l’étude consistante de la Torah.

Les garanties

Pourquoi le nom de Yaakov est-il écrit avec un Vav supplémentaire. Rachi dit qu’à cinq endroits de la Torah le nom de Yaakov s’épelle ainsi. Il ajoute qu’il y a également cinq endroits où le nom du prophète Éliyahou s’écrit avec un Vav en moins. En d’autres termes, Yaakov a pris le Vav d’Éliyahou. Pourquoi ? Éliyahou est le messager du Machia’h, notre sauveur. Yaakov a pris le Vav comme garantie, forçant Éliyahou à venir et à annoncer la Rédemption des enfants de Yaakov et du monde en général.

Cinq Vav

Autre question : pourquoi Yaakov a-t-il pris le Vav d’Éliyahou cinq fois ? Le Maharal explique que les cinq Vav font allusion aux cinq doigts de la main, indiquant par-là que Yaakov a serré la main d’Éliyahou, il a passé un accord avec lui concernant la Rédemption. Le Maharal note également que cinq fois Vav , dont la valeur numérique est de 6, (5X6) est égal à 30 et qu’il y a 30 os dans la main d’un homme. Enfin, le Tséma’h Tsédèk dit que les cinq Vav évoquent les cinq descriptions de Machia’h dans le livre de Yéchayahou (Isaïe).

Mais au-delà de ces raisons, pourquoi ce doit être Yaakov qui prend le Vav d’Éliyahou et non Avraham ou Its’hak dont les noms auraient également gardé la même phonétique ?

Il se peut que cela soit dû au fait que c’est Yaakov qui est le plus aguerri à l’expérience de l’exil. Non seulement fut-il exilé de la maison de Lavan mais ce fut également lui qui descendit en Égypte avec tout son peuple. C’est pourquoi Yaakov est le plus concerné et motivé pour se saisir du Vav d’Éliyahou comme garantie que les Juifs seront délivrés.

Notre rôle dans la Rédemption

Que pouvons-nous faire aujourd’hui pour hâter la venue du Machia’h ? Nous n’avons pas besoin d’être jetés dans une fournaise infernale, à l’instar d’Avraham ni de tendre notre cou comme Its’hak. Il s’agit plutôt d’agir comme Yaakov et de canaliser l’énergie passionnée de l’abnégation dans les activités de l’étude de la Torah, et tout particulièrement des lois et du sujet du Machia’h et de la Rédemption, la prière et l’observance des Mitsvot.

Par le mérite de Yaakov, Its’hak et Avraham, et de tous nos saints ancêtres, puissions-nous être les témoins de la révélation du Machia’h, maintenant !

Le Coin de la Halacha

 Quelques conseils pour résoudre les conflits dans le couple :

- Il est préférable de prendre conseil auprès d’un Machpia (personne de confiance) quand des conflits surgissent. Les parents éprouvent des difficultés à se montrer objectifs…

- Il vaut mieux chercher à résoudre les conflits dès qu’ils se présentent plutôt que de les laisser s’envenimer.

- On évitera des réactions spontanées de colère, de fierté, de railleries ou, pire, d’insultes.

- On choisira avec soin le moment le plus opportun pour résoudre les conflits : par exemple quand les deux conjoints seront apaisés, auront mangé et se trouveront dans un endroit calme. On n’en discutera ni devant les invités, ni devant les enfants ou les parents. On écartera les distractions extérieures (téléphones etc.).

- On écoutera attentivement son conjoint sans s’énerver a priori. On reconnaîtra ses torts ; on s’empressera de pardonner et réparer les erreurs éventuelles. On veillera à la propreté de son langage. Un peu d’humour peut dédramatiser les situations les plus tendues.

(d’après : A plate, a ring)

Le Recit de la Semaine

 Derrière le Rideau de Fer

« Mon grand-père l’appelait : « Di Heilige Chabess, le saint Chabbat » ; mon père l’appelait : « Chabess » ; moi je l’appelle : « Chabbat ». Mes enfants l’appellent : « samedi ». Et mes petits-enfants l’appellent : « le jour qui précède le super match de foot ».

C’est ainsi que s’expriment avec tristesse certains Juifs qui, pour une raison ou pour une autre, n’ont pas transmis les valeurs du « Heilige Chabess » aux générations suivantes. Non seulement les valeurs mais même la façon de s’exprimer ont disparu du vocabulaire de nombreux Juifs.

Mais Chabbat fait partie de l’âme juive. Certains y tiennent à tout prix et d’autres l’ont presque perdu ; certains le retrouvent, d’autres ont tout donné, à tout âge, pour le garder.

Dans les années 60, ma famille habitait dans un village près de Moscou. J’étais le seul enfant juif pratiquant dans ma classe – la cible rêvée pour endurer les moqueries de mes « camarades » qui m’appelaient Abramchik.

Mes parents avaient réfléchi à toutes sortes de stratagèmes pour échapper à la vigilance antireligieuse des autorités. Des démarches pour obtenir des Matsot pour Pessa’h, pour se réunir en Minyan et réciter le Kaddich pour les parents disparus et même respecter le Chabbat devenaient hasardeuses et même dangereuses.

Pendant longtemps, mes parents me gardèrent à la maison le Chabbat ; mon grand-père m’enseignait l’Aleph-Bet, le ‘Houmach, la Michna et la Guemara. Mais dès l’âge de sept ans, je fus obligé d’aller à l’école publique. Auparavant, mon père m’emmena chez un docteur et parvint à le convaincre d’informer l’école que j’avais besoin d’un deuxième jour de vacances chaque semaine en plus du dimanche. « Gardez-le à la maison le mercredi », suggérèrent les communistes. Mon père insista tant et si bien qu’on finit par m’accorder le samedi.

Cependant, en hiver, le Chabbat commence très tôt en Russie, parfois même à 14 heures. Or l’école ne se terminait qu’à 16 heures. Au début je parvins à inventer toutes sortes d’excuses pour sortir plus tôt mais, un vendredi particulier, à court d’excuses, je n’obtins pas la permission.

Mais c’était un cours de dessin !

La maîtresse me gronda. Je ne me souviens plus vraiment de ce qui se passa, il est possible qu’elle m’ait forcé de prendre un crayon en main ou qu’elle m’ait menacé d’une autre manière. J’avais huit ans et cette tension m’était insupportable. Mais j’étais résolu à ne pas dessiner le Chabbat et, à bout d’arguments, elle demanda à un autre élève de dessiner à ma place.

Ensuite, j’eus droit à une longue tirade devant toute la classe quant à la stupidité de la religion. A cette époque, le héros national était le cosmonaute russe Youri Gagarine, le premier homme à voler dans l’espace : « Youri Gagarine n’a pas rencontré D.ieu quand il était là-haut dans le ciel » annonça-t-elle triomphalement. Puis elle se mit à ricaner sur la religion et je réalisai, du haut de mes huit ans, qu’en fait, elle ignorait tout des religions et qu’elle mélangeait allègrement christianisme et judaïsme : cela m’amusa prodigieusement bien qu’elle estimât sans doute qu’elle me punissait gravement en se moquant du christianisme.

Après cet incident, mon père fut convoqué par les autorités communistes qui menacèrent de lui retirer la garde de son fils si ce manège continuait. Ceci n’était pas à prendre à la légère et mon père fournit des efforts désespérés pour obtenir la permission de quitter le pays. Pour cela, il se battit avec beaucoup d’audace et de détermination malgré les innombrables obstacles dressés par la bureaucratie soviétique. Miraculeusement, quelques mois plus tard, nous avons reçu nos visas de sortie.

Nous sommes partis en toute hâte sans en souffler mot ni à nos voisins ni à l’école. Ma tante nous raconta par la suite que, quand l’école avait appris que nous avions quitté le pays, on me déclara traître à la patrie. On jeta publiquement dans une sorte de bûcher toutes les affaires que j’avais laissées dans mon casier et je fus sans doute condamné par contumace pour mon ingratitude inqualifiable vis-à-vis de la mère-patrie.

En hiver 1967, nous sommes arrivés en Israël. Pour moi, c’était une autre planète. Le premier Chabbat, ma mère fut choquée que la maîtresse de maison qui nous hébergeait ne fermait pas les rideaux avant d’allumer les bougies. Chabbat matin, notre hôte sortit dans la rue avec son Talit sur les épaules : mon père n’en croyait pas ses yeux !

Il me fallut beaucoup de temps pour me débarrasser de la peur continuelle des dénonciations, pour cesser de toujours me retourner dans la rue de crainte d’être suivi. Voir des enfants juifs marcher avec Tsitsits et Kippa dans la rue était pour moi un spectacle incroyable.

Mon enfance en Union Soviétique ne m’a pas donné la lumière, la joie d’une vie juive décomplexée que j’espère pour mes enfants. Mais elle a gravé en moi une perspective et un sens des valeurs. L’engagement sans faille de mes parents et de mes grands-parents pour un judaïsme sans concessions m’a définitivement marqué.

Rav David Olidort

Lubavitch International Magazine

Traduit par Feiga Lubecki