Samedi, 11 décembre 2021

  • Vayigach
Editorial

 Les livres, vieille histoire ?

C’est une simple histoire de livres… Lorsqu’on dit de tels mots, la réalité des faits et leur portée paraissent sans doute encore plus étonnantes. C’était le 5 Tévèt et des livres saints – souvent rares – qui avaient été détournés de la bibliothèque du mouvement Loubavitch, rassemblée par les Rabbis successifs, retrouvaient leur place légitime, à la disposition et pour le plus grand bien de tous. Une simple histoire de livres donc ? C’est vrai, peut-être certains pourraient n’y voir que cela. Il existe des gens pour qui un livre n’est rien d’autre qu’un assemblage de papiers et, à l’heure d’internet… Pour cela, il est ici nécessaire de revenir au profond des choses. Tous les livres ont une âme mais ceux-ci possèdent un élément supplémentaire : une sainteté indispensable à tous et qui ne saurait appartenir en exclusivité à personne. C’est une richesse collective essentielle ; le 5 Tévèt nous donne à la redécouvrir.

En effet, au-delà du combat pour le retour des livres conclu victorieusement ce jour-là, c’est véritablement d’un affrontement entre deux visions des choses qu’il s’est agi. Ces livres se limitaient-ils à leur seule existence et étaient-ils, à ce titre, des objets comme tous les autres, à valeur marchande et, par conséquent, exploitables ? Ou appartenaient-ils à un plan supérieur et, dès lors, avaient un autre statut ? Le 5 Tévèt est l’affirmation nette que cette dernière idée est bien celle qui correspond à la vérité. Lorsque, en son temps, la nouvelle de cette victoire fut connue, la joie la plus grande éclata partout où se trouvaient des ‘hassidim. Le Rabbi sut vite lui donner une définition : cette joie est celle des livres, elle renvoie donc à leur étude, chaleureuse, enthousiaste, et toujours révolutionnaire !

C’est ainsi que le 5 Tévèt n’est pas uniquement l’allégresse d’un moment. Cette date porte réjouissance éternelle car ce qu’elle exprime n’est rien de moins que le cœur de ce que nous sommes, l’essence de notre âme. Un livre, cela va loin et, quand il s’agit de ces ouvrages que le Rabbi sauva parfois au péril de sa vie, cela touche à des niveaux que l’on a peine à décrire. Le bruit et la fureur du monde, la tempête des jours auraient pu effacer cette conscience. Ils n’y sont pas parvenus car l’anniversaire à célébrer est celui d’une victoire qui nous entraîne au-delà de nous-mêmes. Des livres, une sagesse, à étudier et à méditer pour que l’homme se souvienne qu’il est d’abord une créature Divine.

Etincelles de Machiah

 Sans exception

Lorsque Machia’h viendra, aucun Juif ne restera en exil comme le souligne Rachi (Parchat Nitsavim 30:2) : « Il (D.ieu) prend par la main chacun… » En effet, le sens profond de la Délivrance est l’expression du lien essentiel entre les Juifs et D.ieu. Or, si un seul Juif restait en exil, ce lien ne s’exprimant pas totalement, la Délivrance ne serait pas authentique.

La Délivrance est qualifiée de « véritable et complète » car elle sera celle de tous.

 (d’après Séfer HaSi’hot 5742, vol. II, p.514)

Vivre avec la Paracha

 Vayigach

Yehouda s’approche de Yossef pour le supplier de libérer Binyamine, offrant sa propre personne comme esclave à la place de son jeune frère. Devant la loyauté qui anime ses frères les uns à l’égard des autres, Yossef leur révèle son identité : « Je suis Yossef, mon père est-il toujours vivant ? ».

Les frères sont envahis de honte et de remords mais Yossef les console. « Ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici mais D.ieu. Tout a été ordonné d’En-Haut pour nous sauver de la famine ainsi que toute la région ».

Les frères se précipitent à Canaan avec les nouvelles. Yaakov vient en Égypte avec ses fils et leurs familles, soixante-dix âmes en tout, et retrouve son fils bien-aimé après vingt-deux ans de séparation. En chemin, il reçoit la promesse divine : « Ne crains pas de descendre en Égypte ; car Je ferai de toi une grande nation. Je descendrai avec toi en Égypte et il est sûr que Je vous ferai remonter ».

Yossef amasse de la richesse pour l’Égypte en vendant de la nourriture et des grains durant la famine. Le Pharaon donne à la famille de Yaakov la fertile région de Gochen pour qu’elle s’y installe et les Enfants d’Israël prospèrent dans leur exil égyptien.

Le cou

L’histoire de Yossef et de ses frères à laquelle la Torah consacre plus d’une douzaine de chapitres détaillés (Beréchit 37-50) n’est pas celle d’un simple drame familial. Les douze fils de Yaakov sont les fondateurs des douze tribus d’Israël et leurs actes et expériences, leurs conflits et réconciliations, leurs séparations et réunions, définissent en grande partie la ligne dans laquelle va s’inscrire l’histoire du Peuple juif.

L’un de ces événements émouvants est la réunion entre Yossef et Binyamine, décrite dans Beréchit 45 :14 : « Et [Yossef] tomba sur le cou de son frère Binyamine et pleura, et Binyamine pleura sur son cou ». Le Talmud (Meguila 16b) interprète leurs sanglots sur leurs cous mutuels comme une expression de la douleur et du chagrin pour les futures tragédies de leurs histoires respectives : « [Yossef] pleura pour les deux Temples qui se tiendraient sur le territoire de Binyamine et seraient destinés à être détruits… et Binyamine pleura pour le Sanctuaire de Chilo qui se dresserait sur le territoire de Yossef et serait destiné à être détruit ».

C’est ici que réside la signification du fait que chacun pleura sur le cou de l’autre. Dans la Torah, le cou est une métaphore courante pour le Temple. « D.ieu plane sur lui tout le jour et réside entre ses épaules » dit Moché à propos de Binyamine, se référant au Temple dans sa province (Bamidbar 33 :12). Et le Roi Chlomo, chantant les louanges de « la jeune fille Israël » et de sa relation avec le Tout Puissant proclame : « Ton cou est comparable à la Tour de David » (Cantique des Cantiques 4 : 4). La « Tour de David » se réfère dans ce verset au Temple.

Les Sanctuaires sont des liens entre le ciel et la terre, des points de contact entre le Créateur et Sa création. « Les cieux et le ciel des cieux ne peuvent Te contenir », proclama Chlomo au moment de l’inauguration du Beth Hamikdach, « comment cette maison que je T’ai construite [peut-elle le faire] ? » (Rois I 8 : 27). Et Pourtant D.ieu a commandé : « Ils Me feront un Sanctuaire et Je résiderai parmi eux » (Chemot 25 : 8). D.ieu Qui transcende le fini, transcende également l’infini et Il choisit de désigner un lieu et une structure matériels pour être la résidence de Sa présence manifeste dans le monde et le point central du service qu’accomplit l’homme pour son Créateur. « C’est la Maison de D.ieu », s’écrie Yaakov après une nuit passée sur le site futur des Temples, « et c’est la porte du ciel » par laquelle les prières de l’homme s’élèvent jusqu’en haut (Beréchit 28 : 17). Trois fois par an, tout Israël venait « voir et être vu » par la « face de D.ieu » dans le Sanctuaire de Jérusalem.

Le Sanctuaire est donc « le cou » du monde, le point de jonction qui connecte le corps à sa tête. La tête d’un homme contient ses facultés les plus hautes et les plus vitales : l’esprit et les organes sensoriels, de même que les centres nerveux qui permettent de manger, de boire et de respirer. Mais c’est le cou qui joint la tête au corps et achemine le flux de la conscience et de la vitalité de l’un à l’autre : la tête nourrit le corps en passant par le cou. De même, le Temple est ce qui unit le monde à la source de vie supérieure. C’est le canal par lequel D.ieu se lie à Sa création et l’imprègne de la perception spirituelle et de la subsistance matérielle.

Une jointure précaire

« Et tout comme l’âme remplit le corps », disent nos Sages, « D.ieu remplit le monde ». Tout comme existe « un cou » qui joint le monde à son âme divine, chacun a besoin d’un « Temple » personnel, un Beth Hamikdach dans la vie de chaque individu, un « cou » pour joindre sa tête spirituelle (son âme) avec son corps physique.

L’âme humaine est une étincelle pure et parfaite de son Créateur, la source de tout ce qui est bon et divin dans l’homme. Mais pour qu’elle mène sa vie, l’homme doit construire un « cou » qui joigne son âme à son être matériel. Il doit sanctifier son esprit, son cœur et son comportement pour qu’ils forment un conduit par lequel son essence divine puisse contrôler, vitaliser et imprégner son être tout entier.

La destruction du Sanctuaire, que ce soit au niveau cosmique ou au niveau individuel, est la rupture de la jointure entre la tête et le corps, entre D.ieu et la création, entre l’âme et l’être physique. En fait, les deux sont liés. Quand le Saint Temple se tenait à Jérusalem et servait ouvertement de centre nerveux de l’univers, cela renforçait, de toute évidence, le lien entre l’âme et le corps de chaque individu. Et quand l’homme répare son « Saint Temple » personnel, faisant un pont entre la matière et l’essence dans sa propre vie, il contribue à la reconstruction du Saint Temple universel et à la régénérescence du lien ouvert et sans retenue entre D.ieu et la Création.

L’un pour l’autre

Cela explique pourquoi Yossef et Binyamine pleurèrent sur le cou de l’autre : l’état de la « tête » n’est jamais une cause de désespoir car l’âme essentielle ne peut jamais être entachée ou corrompue. Mais ils entrevoyaient les périodes où le « cou » entre l’esprit et la matière serait endommagé, éloignant la terre du ciel et l’âme du corps. Et ainsi ils pleurèrent chacun sur la tragédie de l’autre car, pour eux-mêmes, ils savaient qu’il leur revenait d’agir pour réparer et non de se lamenter. Quant à l’autre, chacun d’eux partageait sa douleur afin de l’aider à la reconstruction.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le jeûne du 10 Tévet (cette année mardi 14 décembre 2021) ?

En ce jour funeste, commença le siège de la ville sainte de Jérusalem par l’armée babylonienne, sous les ordres du cruel Nabuchodonosor en 3336 (425 ans avant le début de l’ère commune).

A cause de sa gravité – puisqu’il marque le début de la destruction et de l’exil – il ne peut être repoussé à une date ultérieure (contrairement aux jeûnes du 17 Tamouz et du 9 Av) ou avancé à une date précédente (comme le jeûne d’Esther). C’est le seul jeûne qui puisse tomber un vendredi – donc veille de Chabbat. Du fait de sa gravité, il aura d’ailleurs une place de choix quand les jours de jeûne seront transformés en jours de joie (avec la venue de Machia’h).

Le but du jeûne est que même le corps physique ressente « la diminution de la graisse et du sang ». On ne mange pas et on ne boit pas. On ne se rince pas la bouche. Mais on peut se laver sans restriction.

Les enfants qui n’ont pas encore atteint l’âge de la Bar ou Bat Mitsva (les filles dès 12 ans et les garçons dès 13 ans) ne jeûnent pas. Les personnes fragiles, les femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher ou qui allaitent ne jeûnent pas. Même ceux qui ont la permission de manger s’abstiendront de manger des friandises.

Le jeûne commence à l’aube, mardi 14 décembre 2021 (6h 53 en Ile-de-France) et se termine à la tombée de la nuit (17h 39 en Ile-de-France).

Dans la prière du matin, on récite les Seli’hot spéciales de ce jour après le Ta’hanoun ainsi que « le grand Avinou Malkénou ». Puis on lit dans la Torah le passage Vaye’hal (Chemot - Exode 32 : 11 jusqu’à 34 : 1). Seul celui qui a jeûné peut être appelé à la Torah.

Durant la prière de Min’ha (l’après-midi), on lit dans le rouleau de la Torah le chapitre Vaye’hal. Dans la Amida, on ajoute le passage Anénou (« Réponds-nous, Éternel au jour de notre jeûne car nous sommes dans une grande peine… »).

Comme tous les jours de jeûne, on procédera à un examen de conscience approfondi et on évitera de se mettre en colère. On augmentera les dons à la Tsedaka (charité). Rabbi Chnéour Zalman explique qu’un jour de jeûne est aussi un jour de bienveillance divine. Comme ce jeûne du 10 Tévet est particulièrement important, on comprend que la Techouva (retour à D.ieu) procurée par ce jeûne est aussi d’un niveau plus élevé.

Dans de nombreuses communautés, ce jeûne est associé au souvenir des martyrs de la Shoah.

(d’après Rav Yossef Ginsburgh)

Le Recit de la Semaine

 Si seulement j’avais réalisé…

Le 5 Tévet 5747 (1987), le mouvement ‘Habad fut reconnu comme le seul héritier de la précieuse bibliothèque que Rabbi Yossef Its’hak Schneerson avait emportée avec lui aux États-Unis quand il avait quitté la Russie puis la Pologne au moment de la Seconde Guerre Mondiale. Ce jugement du Tribunal fédéral de New York fut accueilli avec soulagement par le Rabbi qui déclara, deux jours plus tard, que toutes les requêtes qui lui parviendraient par écrit seraient exaucées.

Le monde juif s’affola : une véritable frénésie s’empara de tous les coins du monde juif. Les papiers affluaient au 770 Eastern Parkway, la synagogue du Rabbi à Brooklyn : lettres et fax s’accumulaient. A Paris où la machine miraculeuse (le fax) était encore peu en usage, le regretté Rav Chmouel Azimov demanda à la compagnie Air France de mettre à sa disposition 3 fax qui fonctionnèrent vingt-quatre heures d’affilée, pour relayer les demandes venues de toute la France.

Rav Motti Hasofer était alors émissaire du mouvement Loubavitch à Melbourne, en Australie. Quand la nouvelle arriva de New York, il était justement en train de rendre visite à ses beaux-parents avec son épouse. Immédiatement, tous deux contactèrent tous les Juifs qu’ils connaissaient dans la ville, téléphonèrent, envoyèrent des télégrammes en annonçant l’incroyable nouvelle à un maximum de Juifs. Nombre de gens comprirent que l’occasion ne devait pas être gaspillée : qui n’a pas de demandes à présenter ? Réussite aux examens, amélioration des relations familiales, trouver sa moitié, problèmes de fertilité, de Parnassa (subsistance, travail…), santé, voisinage… Les besoins du peuple juif sont multiples, infinis même…

Tous étaient survoltés. Une seule personne refusa tout de go d’écrire une requête : le père de Madame Hasofer ! Il avait survécu à la Shoah en Europe et, dès qu’on lui parlait de judaïsme, sa réponse était automatique, toujours la même : « Où était D.ieu pendant la Shoah ? ».

Sa fille avait contacté tous les gens qu’elle connaissait, avait convaincu ceux qu’elle connaissait comme ceux qu’elle ne connaissait pas. Mais son père refusait obstinément de se laisser entraîner dans le tourbillon des demandes qui affluaient de toutes parts. Elle insista tant et si bien auprès de son père que, de guerre lasse, celui-ci finit par accepter en riant : « Demande à ton Rabbi que, demain, quand j’irai à la pêche avec mes amis, celle-ci s’avère fructueuse ! ».

Elle n’avait pas le choix et écrivit au Rabbi comme son père lui avait demandé.

Le lendemain, à 6 heures du matin, on frappa à la porte de sa chambre à coucher : c’était son père qui s’exclama, tout excité :

- Écoute ce qui m’est arrivé ! Ce matin, je suis sorti avec mes amis comme convenu à 4 heures ; nous nous sommes installés à notre point préféré au bord du fleuve. Il y avait là un bateau commercial italien, avec des équipements sophistiqués, de grands filets… Pour nous, il était évident que ses marins s’accapareraient tous les poissons et que nous n’attraperions rien. Mes amis et moi avons décidé de tenter notre chance quoi qu’il arrive. J’ai lancé ma canne à pêche et, immédiatement, j’ai attrapé un gros poisson, puis un autre et encore un autre… Mes amis essayaient de leur côté mais en vain : rien, rien du tout ! Compatissant, je proposai de changer de place avec eux car j’étais un peu gêné de constater ma chance. Je pris donc la place de mes amis et attrapai un poisson et encore un poisson et encore tandis qu’eux me regardaient, dépités. C’est alors que je me suis souvenu et que j’ai réalisé : « Ne le prenez pas mal, leur avouai du bout des lèvres, moi j’ai reçu une bénédiction du Rabbi à New York ! »

Notre bateau était maintenant rempli avec tous les poissons que j’avais réussi à pêcher. Nous sommes passés à côté du grand bateau italien et les marins sur le pont nous demandèrent pourquoi nous partions déjà. Nous leur avons montré que notre bateau était plein, si plein qu’il nous était impossible d’ajouter un seul poisson tant la pêche avait été fructueuse ! Sinon notre bateau aurait chaviré sous le poids ! Intrigués et croyants, ils pointèrent un doigt vers le ciel et s’exclamèrent : « Votre D.ieu veillait certainement sur vous ! Nous n’avons absolument rien attrapé ! ».

D’ailleurs, voilà ta récompense, tu pourras préparer un vrai Gefilte fish pour Chabbat ! conclut-il en tendant un gros poisson à sa fille à peine réveillée.

Ce Chabbat, il se rendit pour la première fois depuis son enfance à la synagogue et, par la suite, y revint régulièrement, appréciant de retrouver les airs de son enfance et l’atmosphère conviviale qui régnait parmi les fidèles.

Un jour, il entendit derrière lui un jeune garçon demander discrètement à son camarade :

- Qui est cet homme ?

- Oh, c’est l’homme qui aurait pu tout demander au Rabbi et qui s’est contenté de demander un peu de poisson !

Rav Shmuel Lew

Traduit par Feiga Lubecki