Samedi, 11 juillet 2020

  • Pin’has
Editorial

 La brèche

Inexorable. C’est ainsi que l’avancée des jours apparaît à nos yeux résignés. Et c’est aussi pourquoi cette semaine est celle du 17 Tamouz, le jeûne qui commémore notamment le jour où la première brèche fut faite dans la muraille de Jérusalem par l’ennemi venu de Babylone. Jour terrible, étape dramatique d’une chute dont toute l’ampleur apparaît trois semaines plus tard, avec le 9 Av, date de la destruction du Temple. Il est vrai que le peuple juif a une longue mémoire. Il est vrai aussi que, sans passé, l’avenir reste bien souvent dépourvu de sens. Pourtant, de tels événements ont-ils encore vraiment leur place dans notre vie ? Celui-ci est si ancien qu’il nous ramène au temps de Nabuchodonosor, à cette antiquité dont ne subsistent que quelques reliques conservées par les musées, faut-il qu’on lui accorde encore une si grande place ? Ou peut-être, justement, cette brèche ouverte dans la muraille de la Ville nous livre-t-elle aussi un message ?

A l’époque où cette histoire arriva, aucune cité ne pouvait vivre durablement sans muraille. Sans cette protection, elle se trouvait à la portée de tous ses ennemis et elle ne tardait pas à disparaître sous leurs coups. A l’abri, elle pouvait, au contraire, se développer. C’est pourquoi, une brèche faite par l’ennemi était clairement une tragédie. La muraille n’était cependant pas une séparation radicale d’avec le monde extérieur. Des portes y étaient ouvertes afin de permettre l’entrée et la sortie, l’échange. Mais ces portes jouaient également un rôle éminent de régulation. Elles étaient closes ou ouvertes selon les besoins et selon la volonté de ses habitants qui en gardaient ainsi la maîtrise. Du reste, dans l’histoire des hommes, les monarques absolus, ceux qui ne supportaient pas que leur pouvoir soit le moins du monde contesté, prirent toujours grand soin d’araser les murailles des villes car l’indépendance que cela représentait ne pouvait leur convenir.

Matériellement, nous sommes évidemment loin de telles préoccupations et, lorsqu’elles subsistent autour des villes anciennes, les murailles ne sont plus que vestiges historiques. Mais l’évolution du monde aussi a tendance à effacer les particularités des cultures et des modes de vie, à briser la diversité pour y substituer une sorte d’uniformité mondialisée, en affirmant qu’il s’agit là d’un progrès : n’abat-on pas des « murailles » ? Et pourtant, conserver une part de soi-même, fidèle, au fond de son âme, hors de toute atteinte, en avoir conscience, n’est-ce pas la clé de tout échange ? Car, si tous sont identiques, que pourrait-on voir en l’autre sinon une reproduction de soi ? La muraille nous susurre qu’il est beau de rester ce que l’on est et qu’il est nécessaire de protéger cela. La brèche nous crie que l’unité et la conscience peuvent être remises en cause par une pression indésirée. Sachons en être les défenseurs.

Etincelles de Machiah

 Cœur ou cerveau de pierre ?

On interrogea un jour l’Admour Hazakène : pourquoi parle-t-il toujours de degrés spirituels très élevés avec lesquels nous n’avons a priori aucun rapport ?

Il répondit : A propos du temps de Machia’h, il est dit (Ezéchiel 36: 26) « et Je retirerai le cœur de pierre de votre chair et Je vous donnerai un cœur de chair. » Le terme employé est « cœur de pierre » et non « cerveau de pierre ». En effet, changer le cœur ne peut être que le fait du Machia’h et il est très difficile d’opérer cette transformation avant qu’il vienne. En revanche, agir sur le cerveau est possible dès à présent, par notre effort pendant le temps de l’exil. C’est pour cela que l’on parle de notions très élevées, pour retirer, au moins, le cerveau de pierre.

(D’après un commentaire du Rabbi – 2ème jour de Pessa’h 5723 -1963)

Vivre avec la Paracha

 Pin’has

Le petit-fils d’Aharon, Pin’has, est récompensé de son acte zélé, celui d’avoir tué le prince Zimri, de la tribu de Chimon, et la princesse de Midian avec laquelle il avait gravement fauté. D.ieu lui accorde une alliance de paix et la prêtrise.

Un recensement du peuple dénombre 601 730 hommes de vingt à soixante ans.

Moché reçoit les instructions concernant le partage de la terre entre les tribus et les familles d’Israël, sous forme de tirage au sort.

Les cinq filles de Tsélof’had demandent à Moché le droit d’hériter de la terre de leur père, mort sans laisser de fils. D.ieu accepte leur demande et l’incorpore dans les lois d’héritage.

Moché habilite Yehochoua pour lui succéder et mener le peuple vers la Terre d’Israël.

La Paracha se conclut par une liste détaillée des offrandes quotidiennes et des offrandes additionnelles apportées le Chabbat, Roch ‘Hodèch (le premier jour du mois) et lors des fêtes de Pessa’h, Chavouot, Roch Hachana, Yom Kippour, Soukkot et Chemini Atsérèt.

L’Alliance de paix

Dans notre Paracha, D.ieu dit à Moché que Pin’has, le fils d’Élazar, fils d’Aharon le Cohen, avait agi au Nom de D.ieu, et sauvé d’innombrables vies, quand il avait tué Zimri. Zimri cohabitait avec une femme de Midian. Quand Pin’has le tua, il mit fin à une épidémie qui avait tué 24 000 personnes. Pour son acte, D.ieu le récompensa en en faisant un Cohen, un prêtre, comme le disent les versets (Bamidbar 25 :12-13) : « C’est pourquoi tu diras : Voici ! Je lui donne Mon alliance de Chalom (paix). Ce sera une alliance éternelle de prêtrise pour lui et pour ses descendants après lui. »

Des questions

  • Selon la loi de la Torah, la prêtrise (être Cohen) est héréditaire. Pin’has n’était pas né Cohen. Pourquoi D.ieu semble-t-Il enfreindre Sa propre loi pour faire ce don à Pin’has ?
  • Que signifie que D.ieu donna à Pin’has l’Alliance de Paix ? Son acte n’apparaît pas comme ayant été très pacifique !
  • Dans notre passage, la lettre hébraïque Vav dans le mot Chalom est scindée en deux. Dans sa représentation graphique, le Vav se présente comme deux lettres séparées : un Youd en haut et un petit Vav en bas. Que pouvons-nous en apprendre ?

Gagner la Prêtrise

On se serait attendu à ce que Pin’has soit Cohen depuis le début. Il était le fils d’Élazar et le petit-fils d’Aharon, tous deux Cohanim. Cependant, quand D.ieu les avait choisis pour la prêtrise, Il avait dit : « Tous vos descendants, à partir de maintenant, seront des Cohanim. » Pin’has était déjà né alors, si bien qu’il était exclu de ce don Divin. Cependant, D.ieu voulait, dès l’origine, qu’il soit Cohen mais Il désirait qu’il gagne ce titre.

Comment Pin’has le gagna-t-il ? Maïmonide définit le Cohen en termes spirituels, dans son Michné Torah : « Celui qui se consacre à se tenir devant D.ieu, à gérer, servir et suivre le droit chemin que D.ieu a créé, est tout aussi sanctifié que le Saint des Saints (il est comme le Grand Prêtre). D.ieu devient sa part et son héritage, éternellement. »

En d’autres termes, lorsque nous nous dévouons à D.ieu par des actes d’abnégation, nous sommes capables de révéler le niveau de « Cohen » dans notre âme. Ce niveau est synonyme de Ye’hida, le niveau le plus élevé de notre âme. Le Cohen, la Ye’hida, est également une étincelle de Machia’h que chacun de nous possède.

L’acte de Pin’has était empreint d’abnégation, transcendant la logique et la sécurité personnelle. Il agit dans un but supérieur, uniquement pour sanctifier le Nom de D.ieu. En révélant sa Ye’hida, il put entrer dans leur tente et transpercer de sa lance Zimri et la femme de Midian, mettant sa propre vie en danger. Parce qu’il commit cet acte de sacrifice de soi, agissant comme un Cohen, dans les termes que définit Maïmonide, D.ieu le nomma Cohen, pas seulement comme nom mais également comme profession.

Unis dans la paix

Le mot Ye’hida signifie « unique » ou « uni ». La Ye’hida est la partie essentielle de l’âme qui est unie et attachée à D.ieu ; c’est l’union entre l’humain et le Divin. Chalom, la paix, est l’unité des contraires. Lorsque nous révélons le niveau de notre âme de Ye’hida, nous sommes à même d’unir et d’apporter la paix entre l’aspect fini du monde matériel et les mondes spirituels infinis.

La lettre Vav, scindée, dans le mot Chalom, illustre cette unité. La partie supérieure, le Youd, représente la Divinité et la spiritualité. Le petit Vav, en dessous, possédant la valeur numérique de 6, représente le monde qui put exister grâce aux Six Jours de la Création. Le Youd et le Vav sont unis pour former une lettre unique.

Une alliance de paix

C’est ce qu’implique l’Alliance de Paix offerte à Pin’has : il reçut l’aptitude d’évoluer librement entre le monde spirituel et le monde matériel. Par exemple, lorsque Yehochoua l’envoya explorer Jéricho, Pin’has fut capable d’être invisible aux yeux des soldats du roi.

Le Sforno commente également notre verset en disant que Pin’has vécut 300 ans.

Les Pirké déRabbi Éliézer affirment, que Pin’has est en réalité le Prophète Eliahou Hanavi, ce qui signifie qu’il vit toujours aujourd’hui.

Tout cela démontre que l’acte de Pin’has, bien qu’apparemment violent, était en réalité un acte de paix et d’unité.

Reconstruire un Temple de paix

La Paracha Pin’has est toujours lue au cours des « Trois semaines » durant lesquelles toute notre nation pleure la destruction du premier et du second Temples.

Quel message Pin’has nous apporte-t-il durant ces « Trois semaines » ? Et comment reconstruisons-nous le Saint Temple ? En servant D.ieu, au-delà de notre zone de confort et en révélant ainsi notre Ye’hida. C’est ainsi que l’on est un « Cohen », non seulement de nom mais également de profession.

La destruction du Saint Temple soulève une dernière question : pourquoi le Vav doit-il être scindé, brisé, comme le Temple ?

De la même façon, pourquoi Pin’has dut-il agir agressivement et non « pacifiquement » ?

Le mot Chalom peut signifier « complet » ou « entier » mais la séparation dans le Vav semble rendre cette lettre incomplète !

La réponse est que, bien que nous soyons la dernière génération de l’exil et la première génération de la Délivrance, le monde n’est malheureusement pas encore parfait et nous n’aurons pas une manifestation complète de la paix avant la révélation du Machia’h. Le Baal Hatourim explique que la valeur numérique de Chalom (376) est la même que celle des mots : « Zéhou Machia’h », « Voici le Machia’h ».

Puissions-nous le mériter maintenant !

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que l’étude du Rambam ?

En 5744 (1984), le Rabbi de Loubavitch proposait d’étudier chaque jour, le Michné Torah du Rambam (Rabbi Moché ben Maïmone, Maïmonide / 1135 - 1204). Pour cela, il suggérait trois rythmes d’étude :

- Soit trois chapitres par jour (de façon à terminer l’étude des quelques 900 chapitres en un peu moins d’un an)

- Soit un chapitre par jour (de façon à terminer l’étude en un peu moins de trois ans)

- Soit, pour ceux (et surtout celles) qui ne peuvent pas assumer ce rythme, une ou plusieurs Mitsvot - telles qu’elles sont décrites dans le Séfer Hamitsvot du même Rambam - par jour, en suivant scrupuleusement l’ordre de l’étude du premier cycle (trois chapitres, comme décrit plus haut).

Cette proposition fut accueillie avec enthousiasme et c’est ainsi que des centaines de milliers de Juifs se mirent à l’œuvre et s’aperçurent qu’ils étaient capables – certainement grâce aux forces procurées pour cela par le Rabbi – d’étudier ce monument de la loi juive qu’est le Michné Torah. Cet ouvrage avait longtemps été réservé aux érudits (sauf quelques passages comme Hil’hot Déot - les Lois concernant l’amélioration du caractère - et Hil’hot Techouva  - les lois concernant le retour à D.ieu). Il est maintenant à la portée du plus grand nombre, avec traduction et commentaires en français. Ainsi, chacun peut étudier tous les commandements de la Torah.

A l’initiative du Kéren Chmouel (fondé à la mémoire du regretté Rav Chmouel Azimov), le Beth Loubavitch propose tous les matins sur Radio J (94.8 FM) entre 7 heures et 7 heures 15 l’étude de la Mitsva du jour.

Jeudi 17 Tamouz (9 juillet 2020), dans le monde entier, on célèbre le 39ème Siyoum (pour ceux qui ont étudié trois chapitres ou le Séfer Hamitsvot chaque jour) et le 13ème Siyoum (pour eux qui étudient un seul chapitre par jour). Le lendemain, on recommence cette étude avec des forces renouvelées, sachant qu’ainsi, non seulement il (ou elle) étudie la Torah mais aussi s’unit avec les Juifs du monde entier autour de ce trésor de l’érudition juive.

Puissions-nous tous mériter, par ce mérite, d’accueillir très prochainement le Machia’h, quand « la connaissance de D.ieu remplira le monde comme l’eau recouvre les mers » !

Le Recit de la Semaine

 « Renvoyé ! » ou « Star de l’entreprise » ?

Depuis toujours, je tente de rester en contact avec « mes » étudiants, ceux qui ont fréquenté l’université où j’ai installé mon Beth ‘Habad, dans l’état de Delaware, aux États-Unis. De jeunes Juifs passent le Chabbat chez nous et sont heureux d’en apprendre davantage sur la Torah, le judaïsme, la vie juive… Nous leur procurons ce dont ils ont besoin : une maison loin de la maison, le calme et l’assurance de ceux qui assument leur judaïsme et le vivent avec enthousiasme, des repas cachères et des repas de Chabbat inspirants, des conseils et des objets de culte…

Mais au bout de quelques années, une fois leurs études terminées, jeunes gens et jeunes filles retournent chez leurs parents, se lancent dans les affaires, se marient et… nous oublient. C’est pourquoi je m’efforce de les contacter de temps en temps, afin de les renforcer spirituellement - quel que soit le chemin qu’ils ont choisi. C’est ainsi qu’il m’arrivait de téléphoner à Jason (un nom d’emprunt) qui, après s’être marié et avoir fondé une famille, était devenu agent d’assurances dans une grande compagnie à Manhattan.

Un jour, il m’appela, angoissé. Il m’expliqua que son salaire - comme d’ailleurs celui de ses collègues - était basé sur le nombre de clients qu’il recrutait. Mais la crise des surprimes (on était en 2008) avait bouleversé le marché de l’assurance, la crise était passée par là, il n’avait pas pu ramener un seul client ces dernières semaines et il sentait que ses jours étaient comptés dans son entreprise : peut-être allait-il être renvoyé…

Je devais justement me rendre à New York le lendemain (deux heures de route) et je lui proposai de passer le prendre et de l’emmener prier au Ohel du Rabbi, au cimetière Montefiore de Queens. Bien entendu, nous avons échangé nos souvenirs du bon temps passé ensemble à l’université et il ne cessa de me remercier moi ainsi que mon épouse pour lui avoir permis de passer cette période de la meilleure façon possible. Arrivés devant le Ohel, nous avons regardé les vidéos du Rabbi, nous avons prié et étudié des livres de ‘Hassidout puis nous avons écrit chacun une lettre pour demander au Rabbi conseils et bénédictions dans tous les domaines, sans oublier de mentionner les noms de nos proches. Jason demanda évidemment une bénédiction pour ses affaires et promit que, dès que sa situation s’améliorerait, il m’enverrait une somme rondelette pour que notre Beth ‘Habad puisse continuer à se développer au service des étudiants juifs de son ancienne université.

La même semaine, Jason reçut un coup de téléphone de celui qui devint son premier client et, depuis, il réussit à en contacter de nombreux autres au point que ses affaires devinrent encore plus florissantes qu’auparavant. A la fin de l’année, non seulement il n’avait pas été renvoyé mais il avait reçu le prix du meilleur collaborateur de son entreprise !

De mon côté, je n’osais évidemment pas lui rappeler sa promesse…

Trois années passèrent. La situation de notre Beth ‘Habad ne s’améliorait pas, les dettes s’accumulaient et ce n’était pas les étudiants eux-mêmes toujours à court d’argent qui auraient pu nous aider à remonter la pente ! Les arriérés de loyer et autres dépenses se chiffraient par milliers de dollars et les échéances devenaient de plus en plus menaçantes. J’écrivis au Rabbi, je lus des Tehilim, j’essuyai mes larmes alors que je repensais à cette terrible situation. Dans la lettre que je m’apprêtai à envoyer pour qu’elle soit lue près du tombeau du Rabbi, je le suppliai de m’aider à continuer à animer et à développer les activités de notre Beth ‘Habad.

Deux minutes après que j’ai envoyé cette lettre par internet, je reçus un coup de téléphone. C’était Jason qui me demandait de venir le voir le plus tôt possible. Avait-il de nouveaux ennuis à son travail ? Avait-il des problèmes de santé, de famille ? Avait-il juste besoin d’un mot de Torah pour reprendre des forces spirituelles ? J’ignorais de quoi il s’agissait mais c’était le seul genre d’aide que je pouvais lui proposer. Le lendemain, je pris l’autobus pour aller le voir dans son bureau à Manhattan.

Il me reçut chaleureusement et, sans rien dire, me tendit une grosse somme d’argent. Il remarqua évidemment ma mine stupéfaite (et soulagée…) et déclara : « Je vous avais promis de m’occuper de vous comme vous vous êtes occupé de moi, n’est-ce pas ?... ».

Rav Eliezer Shneiderman

Université de Delaware

Si’hat Hachavoua N° 1746

Traduit par Feiga Lubecki