Samedi, 7 mars 2020

  • Tetsavé
Editorial

 A la renverse !

Le temps de Pourim est incontestablement arrivé. Nous avons vécu le début du mois d’Adar et ce seul commencement a déjà profondément modifié à la fois les choses de la vie et le regard que nous portons sur elles. Au fil de l’avancée des jours, ce sentiment n’a fait que grandir, nous donnant à ressentir comme une explosion intérieure détruisant toutes les barrières, écartant toutes les contraintes. A présent que Pourim est littéralement à notre porte, dès l’ouverture de la semaine prochaine, c’est avec une ardeur nouvelle que tout se met en place.

Temps de Pourim, temps complexe. Comment rendre compte en quelques lignes de la richesse du moment ? Histoire de drame et de victoire, de désespoir et d’héroïsme et, bien sûr, d’une joie d’autant plus éclatante que rien ne permettait de la prévoir. Le temps de Pourim est bien celui où « tout fut transformé » ou mieux « tout fut inversé ». Cette situation semble appartenir au domaine du rêve, ce beau rêve qui console des frayeurs coutumières mais qui disparaît au réveil, lorsque la réalité réaffirme sa présence. Nous cherchons tous ce changement radical, cette inversion de la donne. L’indésirable dont on craint la venue, l’impensable qu’on ressent proche, auquel nul n’ose penser de peur de déclencher plus tôt sa concrétisation, s’efface brutalement devant les fastes d’un bonheur assumé et d’une allégresse sans borne. Tous craignaient l’issue fatale et voici que la victoire finale est à la mesure de la désespérance précédente : infinie.

Mais n’y a-t-il pas là comme une illusion ? La vie est-elle bien ainsi ? Permet-elle vraiment de tels renversements ? C’est là justement toute l’histoire de Pourim. Il ne faut pas croire que nous sommes limités aux résultats imposés par l’évolution naturelle et prévisible des choses. Il ne faut pas croire que nous sommes aveuglement conduits par des forces sociales ou intellectuelle prédéterminées qui nous empêchent de choisir librement notre avenir. Pourim nous enseigne la liberté. Tout peut être inversé. Il suffit que l’on se saisisse de son sort. Le peuple juif a de toujours connu ces bouleversements éclatants. Il sait qu’il trace son chemin. Notre confiance fonde notre liberté. Tant il est vrai qu’il n’en est d’autre que celle que D.ieu nous donne.

Etincelles de Machiah

 Etre au talon

Le principal est notre génération, celle des « talons de Machia’h ». Les talons soutiennent et maintiennent le corps. Notre génération maintient toutes celles qui l’ont précédée.

Cependant les saletés s’accumulent autour du talon. Ainsi nous observons aujourd’hui un renforcement du mal. Il faut multiplier la lumière et, de façon automatique, le mal sera repoussé.

(D’après Séfer Hasi’hot 5689 p.50)

Vivre avec la Paracha

 Tétsavé

D.ieu demande à Moché d’obtenir de la part des Enfants d’Israël de l’huile d’olive pure afin de nourrir la « flamme éternelle » de la Menorah qu’Aharon allume chaque jour, « depuis le soir jusqu’au matin ».

Les habits sacerdotaux portés par les Cohanim (Prêtres), lorsqu’ils servent dans le Sanctuaire, font l’objet d’une description. Tous les Cohanim portent :

  • le Ketonet, une longue tunique de lin, 2) les Mi’hnassayim, des pantalons de lin, 3) le Mitsnéfèt ou Migbat : un turban de lin, 4) l’Avnèt, une longue ceinture nouée au-dessus de la taille.

En outre, le Cohen Gadol (Grand Prêtre) porte : 5) le Ephod : un habit, semblable à un tablier, fait de laines teintes en bleu, rouge et violet, avec des fils de lin et d’or, 6) le ‘Hochène : un pectoral contenant douze pierres précieuses sur lesquelles sont inscrits les noms des douze tribus d’Israël, 7) le Méil : un manteau de laine bleue, bordé de clochettes d’or et de grenades décoratives, 8) le Tsits, une plaque d’or portée sur le front, sur laquelle est écrite l’inscription « sanctifié pour D.ieu ».

Tétsavé comporte également les instructions détaillées concernant les sept jours d’initiation à la prêtrise d’Aharon et de ses quatre fils : Nadav, Avihou, Elazar et Itamar, et la fabrication de l’autel d’or sur lequel étaient brûlés les Ketorèth (encens).

Ce Chabbat est également appelé Za’hor (« rappelle-toi ») et nous offre une leçon importante : la coutume juive veut que l’on appelle cette Paracha simplement Za’hor et ne mette pas l’accent sur la suite du verset : « Rappelle-toi ce que t’a fait Amalek ». Nous devons donc tirer un enseignement du concept du souvenir lui-même (sans rentrer dans les détails concrets de ce dont il faut ici se rappeler).

Un Juif doit, d’abord et avant tout, se rappeler son essence : il est un Juif, différent de tous les autres peuples.

Se rappeler qu’on est Juif nous inspire pour nous souvenir que nous avons « prêté serment au mont Sinaï » et que nous nous sommes engagés à observer la Torah et les Mitsvot. Le Rambam (Maïmonide) statue qu’en fait chaque Juif désire réellement observer toutes les Mitsvot. Aussi, poursuit-il, même lorsqu’il est forcé à le faire, cela est considéré comme s’il avait accompli la Mitsva de sa propre volonté, car son véritable désir est de se plier à la Volonté de D.ieu.

Ainsi, quand un Juif se rappelle de son essence et du serment qu’il a prêté d’accomplir la Torah et les Mitsvot, sa conduite en sera satisfaisante.

Bien que cela soit évident et applicable toute l’année, un moment particulièrement propice a été réservé pour que le Juif se rappelle qui il est et quelle est sa mission dans la vie. Il s’agit de cette Paracha qui donne de la force à toute l’année.

*  *  *

La Paracha de cette semaine nous propose également une leçon très riche pour notre service de D.ieu. Tétsavé est la seule Paracha, dans toute la Torah (depuis le moment de la naissance de Moché), où le nom de Moché n’est pas mentionné. Le Baal Hatourim explique que cela tient au fait que lorsque Moché pria pour le Peuple juif, après la faute du veau d’or, il dit à D.ieu : « Pardonne leur péché, et sinon, je T’en prie, efface-moi de Ton livre que Tu as écrit. » Puisque la malédiction d’un homme sage est toujours suivie d’effet (quand bien même elle se fait sous condition et que la condition n’est pas réalisée), la malédiction de Moché « efface-moi de Ton livre » eut pour conséquence que son nom soit omis de la Paracha Tétsavé.

Moché voulait que D.ieu pardonne au peuple juif. Il tenta d’y parvenir par tous les moyens. Quand il dut se rendre à l’évidence que rien d’autre ne pourrait avoir le résultat escompté, il fut prêt à risquer sa propre existence pour le Peuple juif. Nous pouvons dès lors constater jusqu’où allait son Messirout Néfèch (le sacrifice de sa personne) pour son peuple.

Le péché du veau d’or était une offense très grave vis-à-vis de D.ieu. Il fut la source de tous les péchés qui suivirent. Cependant, cela n’empêcha pas Moché de demander à D.ieu d’accorder Son pardon à ceux qui l’avaient commis et, sinon, de « l’effacer » de Son livre. Moché ressentait qu’il ne pourrait pas exister sans le peuple juif.

Cet engagement montre l’immense étendue de son Messirout Néfèch. Il s’était sacrifié pour la Torah. Cela allait si loin que la Torah est appelée : « la Torah de Moché. » Mais lorsque le peuple juif fut menacé, il voulut prier pour eux. Et quand cela ne fut pas suivi d’effet, il allait se sacrifier pour eux, renoncer à être intégré à la Torah.

Tout ce qui précède est porteur d’un enseignement majeur quant à la manière dont nous devons mettre tout notre engagement dans la Mitsva qui édicte « Aime ton prochain comme toi-même. » Nous comprenons tous qu’aucune préoccupation personnelle n’était assez importante pour que Moché demande à D.ieu de l’effacer de Son livre. Cependant, lorsqu’il s’agit du peuple juif, Moché fut prêt à faire cette démarche. Force nous est donc de constater que l’amour qu’il éprouvait pour ses prochains n’était pas seulement « comme lui-même » mais que cet attachement dépassait de très loin son amour pour lui-même.

La Mitsva d’Ahavat Israël, (l’amour du prochain) est particulièrement pertinente dans ces jours qui précèdent Pourim. Les Mitsvot de cette fête, et en particulier, celles de Michloa’h Manot (envoi de mets) et de Matanot Laévyonim (dons aux pauvres) mettent l’accent sur l’Ahavat Israël. De la même façon, la lecture de la Meguilah doit se faire afin que se réalise le verset : « dans une multitude de gens est la gloire du Roi ». Cela est également lié à Ahavat Israël (le fait de faire venir le maximum de personnes pour qu’elles entendent la lecture de la Meguilah.)

Puissions-nous accepter la leçon de cette Paracha et nous engager sans limite dans la Mitsva d’Ahavat Israël. Nos efforts seront décuplés par l’étincelle de Moché, qui s’y consacra, que l’on peut trouver en chacun de nous. Nous mériterons alors l’accomplissement de la prophétie : « Voici… Je t’enverrai Eliahou le Prophète… qui tournera le cœur des pères vers leurs enfants et le cœur des enfants vers leur père », avec la venue de Machia’h, dans un futur proche.

Le Coin de la Halacha

 Que fait-on à Pourim (cette année lundi soir 9 mars et mardi 10 mars 2020) ?

Lundi 9 mars, c’est le jeûne d’Esther qui débute à 5h43 et s’achève à 19h26 (horaires en Ile-de- France). Dans l’après-midi, avant la prière de Min’ha, on donne le Ma’hatsit Hachékel, trois pièces de 50 centimes à la Tsedaka ; on ajoute le passage « ‘Anénou » dans la Amida.

Lundi soir 9 mars, on écoute attentivement la lecture de la Méguila. On n’est pas quitte avec une lecture entendue partiellement, par téléphone, internet ou à travers un poste de radio.

Mardi 10 mars, dans la journée, on écoute encore une fois la lecture de la Méguila. Quand le ‘Hazane (lecteur) prononce les bénédictions, on pense à se rendre quitte également des autres Mitsvot du jour.

Michloa’h Manot : on distribue à au moins une personne deux mets comestibles cachères, si possible en passant par un intermédiaire.

Matanot Laévionim : on distribue à au moins deux pauvres une pièce (ou un billet ou plusieurs billets…).

Michté : dans l’après-midi, on prend un bon repas accompagné de pain (Hamotsi) , le festin de Pourim.

Les enfants se déguisent dans l’esprit de la fête. Les adultes mettent les vêtements de Chabbat pour écouter la Méguila.

On ajoute le passage « Veal Hanissim » dans la Amida et le Birkat Hamazone.

 (d’après Cheva’h Hamoadim)

Le Recit de la Semaine

 Une histoire longue… comme une Méguila…

C’était Pourim au début des années 80. Rav Chlomo Schwartz (qu’on appelait affectueusement Schwartzie) s’occupait des étudiants juifs à l’Université UCLA de Los Angeles. Allant de l’un à l’autre, il voulait les convaincre d’écouter la lecture de la Méguila (le rouleau d’Esther) mais aucun d’entre eux n’était intéressé.

Finalement, un des professeurs juifs accepta : peu au courant de ce que cela impliquait, il pensait que cela ne durerait que deux ou trois minutes. Mais quand Schwartzie se mit à dérouler le parchemin, le professeur demanda, inquiet :

- Combien de temps cela prendra-t-il ?

Innocemment, le rabbin répondit :

- Entre 15 à 20 minutes.

Non, le professeur n’avait pas de temps à « perdre », il devait rentrer chez lui en voiture dans la ville d’Irvine et, comme il voulait éviter les embouteillages, il ne pouvait pas se permettre de s’attarder pour écouter la Méguila.

- Irvine ? Ah justement, moi aussi je dois m’y rendre. Pouvez-vous m’emmener ? demanda Schwartzie.

- Oui, bien sûr ! Montez !

La ville d’Irvine est située à environ une heure de voiture de Los Angeles. Une fois qu’ils furent engagés sur l’autoroute, Schwartzie proposa :

- Nous avons encore une assez longue route à faire ensemble. Pourquoi gaspiller notre temps en bavardant inutilement ? Je vais vous lire la Méguila pendant que vous conduisez !

Le professeur accepta et écouta tout en surveillant la route.

Quand ils arrivèrent à Irvine, le professeur demanda à son passager :

- Où voulez-vous que je vous dépose ?

- A la gare routière ! répondit Schwartzie.

Le professeur réalisa alors que, de fait, le rabbin n’avait absolument rien à faire à Irvine mais qu’il avait juste voulu profiter du temps passé dans la voiture pour lui faire accomplir la Mitsva d’écouter la Méguila ! Il allait maintenant retourner à Los Angeles en car !

On pourrait croire que l’histoire se termine là et on pourrait soit admirer soit prendre en pitié le rabbin qui est prêt à perdre du temps et de l’argent ainsi qu’à se fatiguer juste pour lire la Méguila à quelqu’un qui n’y comprenait rien et qui n’avait aucune envie de l’écouter… Mais…

Trente ans plus tard…

Oui trente ans plus tard ! Schwartzie était décédé au début de l’année 1977. Son fils Moché était devenu rabbin dans la région de Boston. Il y rencontra un jeune étudiant d’une Yechiva Loubavitch qui lui demanda :

- Etes-vous le fils de Rav Chlomo Schwartz, celui qu’on appelait Schwartzie ?

- Oui, pourquoi ?

- Il faut que je vous raconte mon histoire : je suis né dans une famille juive assimilée dans laquelle le judaïsme ne tenait qu’une place minimum, presque nulle. A l’âge de 20 ans, j’ai ressenti un déclic, je me suis intéressé à la Torah et j’ai voulu partir étudier dans une Yechiva. Mes parents étaient horrifiés : ils avaient rêvé que j’aille à l’université, que je fasse des études, que j’obtienne des diplômes et une bonne situation qui ferait la fierté de la famille. Alors vous pensez, la Yechiva ! Pour eux, cela représentait un gâchis sans nom ! Inutile de vous décrire l’atmosphère à la maison ! Pour débloquer la situation, mes parents suggérèrent de tenir une réunion de crise avec mes grands-parents pour discuter calmement. Mon grand-père était un professeur respectable et mes parents étaient sûrs que lui parviendrait à me convaincre de ne pas m’engager dans cette folie.

Mon grand-père écouta attentivement les deux points de vue en hochant la tête. Puis il se tourna vers moi :

- A quelle Yechiva veux-tu t’inscrire ?

- Une Yechiva ‘hassidique, répondis-je, étonné de la question, étonné qu’il sache établir une différence entre les diverses Yechivot.

- Ah, c’est très bien, tu as bien choisi ! conclut-il, au grand dam de mes parents, affolés qui se demandaient s’il n’était pas peut-être devenu sénile…

C’est alors que mon grand-père raconta ce qui lui était arrivé avec Rav Chlomo Schwartz. C’était lui le professeur qui avait conduit la voiture pendant que Schwartzie lisait imperturbablement la Méguila !

- Si tu entres dans une Yechiva qui enseigne ces valeurs, qui encourage un tel dévouement pour les autres, au point de vouer des heures de son temps pour permettre à un seul Juif d’accomplir une Mitsva, alors je suis heureux que mon petit-fils aille étudier la Torah dans une telle atmosphère !

Yerachmiel Tilles

Traduit par Feiga Lubecki