Dimanche soir 29 septembre au mardi 1er octobre 2019

  • Roch Hachana
Editorial

 Le Chofar du fond du cœur

Le grand appel retentit déjà dans la conscience de chacun. Il est ce cri déchirant qui monte du Chofar, de la simple corne de bélier, sans doute le premier instrument de musique utilisé par l’homme. De fait, on ne peut guère ici parler de musique ou d’harmonie. Par le Chofar, c’est l’essence de nous-mêmes qui s’exprime, bien au-delà des élégances et des artifices. Et certes, la puissante sincérité de la démarche s’impose. Alors que l’année 5779 s’achève, chacun sait, en son for intérieur, qu’elle n’a pas été spirituellement aussi grande et constructive qu’elle aurait pu l’être. Certes, chacun s’est sans doute efforcé d’agir au mieux. Chacun s’est employé à combler les manques qu’il se connaît. Pourtant, le monde et ses exigences quotidiennes ont pu détourner notre attention de ce qui fait le fondement des choses : notre âme, le lien avec D.ieu… Voici donc revenues les fêtes de Tichri, le grand rendez-vous d’automne, et ce cri que l’on entend est celui de notre cœur.

Le Baal Chem Tov relève que ce son primaire, inarticulé est comparable à celui de l’enfant qui appelle son père quand il se sent en difficulté. Celui-ci n’a pas besoin de mots. Même si l’enfant avait eu tendance à l’oublier, sa seule voix fait que le père répond à son appel. Nous en sommes là. Le Chofar retentit chaque jour de Roch Hachana et chacun, qui qu’il soit, quels que soient ses choix de vie par ailleurs, est accueilli avec faveur par notre Père commun. D.ieu nous bénit alors, collectivement et individuellement. Il nous reconnaît comme Ses enfants et nous accorde cette merveilleuse nouvelle année, objet de nos rêves.

Ecouter le son du Chofar à Roch Hachana, c’est s’inscrire dans cette relation nouvelle, qui dépasse les limites de la création. Ecouter le Chofar, c’est, d’une certaine façon, participer de l’éternité. Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, l’effort de chacun, sa présence sont indispensables. Le Chofar n’est pas une cérémonie, même importante, de la fête. Il incarne la réalité de notre lien avec D.ieu et apporte à tous la « bonne écriture et signature » pour une année bonne et douce. Puisse-t-il en être ainsi pour chacun, nous en détenons le pouvoir et la clé.

Etincelles de Machiah

 La préparation

Quand Machia’h viendra, il y aura une honte immense du fait du manque d’effort spirituel d’aujourd’hui.

En ce temps-là aussi, l’effort spirituel existera mais pas la Techouva, la réparation du passé.

(D’après Séfer Hasi’hot)

Vivre avec la Paracha

 Roch Hachana : Rechercher les racines avec le Chofar

Les relations

La Paracha Nitsavim est toujours lue le Chabbat qui précède Roch Hachana.

Rabbi Its’hak Halévi Hurvitz (1558-1628), que l’on connaît sous le nom du Chalo, (acronyme du titre de son œuvre), enseigne que toutes les portions de la Torah sont liées aux moments où elles sont lues.

Il nous faut ainsi nous interroger sur les liens entre la Paracha Nitsavim et Roch Hachana.

Il en existe au moins deux :

Le premier tourne autour du premier verset :

« Vous vous tenez fermement aujourd’hui, tous ensemble devant l’Éternel, votre D.ieu… »

Selon le Zohar, le mot « aujourd’hui » se réfère, dans ce contexte, à Roch Hachana, le Jour du Jugement.

La Torah implique donc ici que nous devons avoir confiance que nous nous tiendrons fermement devant D.ieu et qu’en ce jour, nous obtiendrons un jugement favorable.

Le second lien réside dans le verset :

« Peut-être se trouve-t-il parmi vous une personne (qui grandit dans la méchanceté… comme) une racine qui fait naître (des herbes amères comme) la cigüe et de l’absinthe… ».

Les commentateurs observent que les initiales des mots Chorèche (« racine), Poré (« fait naître »), Roch (« la cigüe ») et Vlaanah (« et l’absinthe ») forment le mot Chofar. Cela transmet le message que le son du Chofar peut aider même celui qui est devenu comme un poison et une herbe amère.

Ces quatre mots offrent un autre lien avec Roch Hachana. Toutes les lettres du mot Roch Hachana y sont contenues. C’est ainsi que le verset fait allusion à la fois au jour de Roch Hachana et à la Mitsva qui lui est associée : écouter le son du Chofar.

Ces deux allusions à ce jour solennel se complètent admirablement.

Comment peut-on avoir confiance que nous nous tiendrons fermement et victorieux à Roch Hachana ? La réponse réside dans la seconde allusion : c’est grâce au son du Chofar.

Il nous faut néanmoins tenter de comprendre pourquoi la Mitsva du Chofar se retrouve précisément dans les mots qui parlent d’une racine empoisonnée. Il doit ici y avoir un message encore plus profond dans la référence de la Torah au mal comme étant une racine.

Quand nous avançons dans notre lecture du texte, nous pouvons observer que la Torah s’adresse plutôt durement à cette personne semblable à une mauvaise racine et elle déclare que toutes les malédictions mentionnées dans la Paracha précédente l’accableront.

On peut en déduire que la racine du mal est bien plus problématique que le fruit du mal. Quelle en est la raison ? Qu’est précisément la racine du mal et comment peut-elle être rectifiée par le son du Chofar ?

L’âme et ses habits

L’une des approches, pour expliquer la racine du mal, consiste à observer le rôle de la pensée par rapport à celui de la parole et de l’action.

A un certain niveau, les mauvaises pensées ne constituent pas des péchés, contrairement au fait de parler ou d’agir mal.

Cependant, il existe une dimension de la pensée qui peut être à l’origine d’un péché bien plus grave et scandaleux que l’accomplissement concret d’une transgression.

Pour comprendre cette idée, il nous faut rappeler la division que fait le Tanya de la personnalité humaine en deux strates. Tout d’abord, nous avons notre personnalité qui comprend notre intellect et nos émotions. Ensuite, nous possédons ce que l’on appelle « les vêtements de l’âme », par exemple : la pensée, la parole ou l’action. Tout comme des vêtements, ils expriment les contours de notre personnalité : ce sont les manifestations concrètes de notre âme.

La force de la pensée

Mais il existe une différence fondamentale entre la pensée d’une part et la parole et l’action de l’autre. La parole, et dans une dimension qui va plus loin, l’action sont des phénomènes extérieurs. Ils projettent notre personnalité vers le dehors alors que la pensée est l’expression intérieure de nos sentiments et de nos idées, destinée à nous-mêmes.

Une autre caractéristique unique est associée à la pensée. La pensée n’est pas synonyme de l’âme elle-même, n’en étant qu’un « vêtement » mais pour autant, il ne s’agit pas d’un vêtement qui peut être rejeté, contrairement à la parole ou à l’action. On peut cesser de parler ou d’agir, au gré de notre volonté, mais on ne peut cesser de penser. Il s’agit d’un processus autonome et cela souligne qu’il est bien plus intimement lié à l’âme de l’individu que ne le sont la parole et l’action. Nous pouvons aisément enlever nos vêtements mais on ne peut ôter notre peau qui est, d’une certaine manière, comme un habit qui recouvre nos vaisseaux sanguins et nos organes internes.

Cela explique pourquoi Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi affirme dans le Tanya qu’avoir des pensées négatives à propos d’autrui est pire qu’émettre ces pensées à voix haute.

Prise telle quelle, cette affirmation paraît contredire le principe de base de la foi juive, tel qu’on l’a mentionné plus haut, à savoir que D.ieu ne punit pas une personne pour les péchés commis « en pensée ».

Bien plus encore, quand la Torah énonce l’interdiction du Lachone Hara, « les paroles de médisance ou de calomnie », il est clair qu’il s’agit de dire du mal et non de penser du mal. En fait, l’expression talmudique et usuelle : Lachone Hara signifie littéralement : « une langue mauvaise ». Comment donc expliquer que Rabbi Chnéor Zalman puisse affirmer que penser du mal des autres est encore plus grave qu’en dire ?

La réponse réside dans la distinction entre ce que nous faisons pour faire du mal à autrui et ce que nous faisons pour nous faire du mal à nous-mêmes.

Quand nous agissons ou parlons mal, cela a un impact sur le monde qui nous entoure puisque ces « vêtements » sont dirigés vers l’extérieur. Le dommage causé n’est pas négligeable mais le mal essentiel est dirigé vers ceux qui sont affectés par nos paroles et nos actions. Selon le Baal Chem Tov, le Lachone Hara touche la personne visée pas seulement parce que sa réputation est atteinte mais aussi parce que les paroles prononcées ont le pouvoir de concrétiser un mal caché en elle. Il se peut que celui qui est atteint par ces paroles gardait le contrôle sur ses défauts mais en désignant verbalement ces fautes, le médisant les a exposées et leur a donné de l’ampleur.

Cependant le vêtement de la pensée a l’effet inverse. Il ne peut susciter beaucoup de ravages sur autrui car il est caché mais la mauvaise pensée a des effets dévastateurs sur la personne qui la porte en toute conscience et intentionnellement.

La raison en est que la pensée est très proche de l’âme et que donc de mauvaises pensées peuvent en arriver à ronger l’âme elle-même.

Nous comprenons donc pourquoi la Torah attribue plus de force négative à la racine du mal qu’au mal lui-même.

Il est relativement plus facile de corriger nos paroles et nos actions que nos pensées qui ont un effet plus dévastateur et requièrent donc une forme de repentance plus intense.

Un plus grand défi

Si la pensée est la racine de la parole et de l’action, les facultés intellectuelles et émotionnelles sont la racine de la pensée. Il s’ensuit donc que si notre intellect et nos émotions sont corrompus, les dégâts sont encore plus graves. C’est donc un plus grand défi encore de les corriger puisque ce sont les caractéristiques qui nous définissent, inséparables de ce que nous sommes et à la base de tout ce que nous faisons.

Le Chofar va à la racine

Nous pouvons désormais comprendre pourquoi la Torah fait allusion au Chofar de Roch Hachana, dans précisément la partie qui discute des racines empoisonnées du mal.

En liant le Chofar à ces racines, la Torah nous indique ce qui est nécessaire pour se débarrasser des formes les plus insidieuses du mal. Les méthodes conventionnelles échouent parce qu’elles ne s’adressent qu’à l’aspect extérieur de notre personnalité ou à des dimensions probablement cachées.

Le son du Chofar représente le cri primordial qui jaillit du tréfonds de notre âme. C’est la source (Chorèche) et la racine de tout notre être. Le Chofar est l’instrument qui creuse profondément dans notre psychisme, en atteint le cœur puis le corrige, le polit et le transforme. C’est pourquoi le mot Chofar est lié à la racine du mot qui signifie « orner » et « embellir ».

Le grand paradoxe et le Grand Chofar

Ce qui précède s’applique au « Grand Chofar » dont nous parlent les Prophètes à propos de l’Ère Messianique. En fait l’une des raisons pour lesquelles on souffle le Chofar à Roch Hachana est pour invoquer le Grand Chofar. C’est lui, que D.ieu fait résonner dans ces moments qui nous mènent à la Délivrance ultime, qui atteint et déracine le mal et lui porte un coup fatal.

Notre rôle, dans ce processus est d’écouter le son du Chofar de Roch Hachana, la version miniature du Grand Chofar de D.ieu et de chercher profondément dans notre âme l’étincelle divine essentielle qui réside en son cœur. Cela vaincra la racine et le cœur du mal.

Alors, il est sûr que nous nous tiendrons fermement devant l’Éternel notre D.ieu et nous serons inscrits et scellés par Lui pour une bonne et douce année. Et surtout, nous serons bénis d’une année de véritable et complète Délivrance avec la venue de Machia’h !

Le Coin de la Halacha

 Que fait-on la veille de Roch Hachana (cette année dimanche 29 septembre 2019) ?

On ne récite ni le Ta’hanoun ni les Psaumes 20 et 86 durant la prière du matin. On ne sonne pas le Chofar, afin de marquer la différence entre la coutume (du mois d’Elloul) et l’obligation (de Roch Hachana).

En présence de dix hommes, chacun récite le texte de « Hatarat Nedarim », l’annulation des vœux, afin de ne pas commencer la nouvelle année tant qu’on n’aurait pas accompli tout ce qu’on a promis l’année précédente : en effet, à Roch Hachana, chacun promet de mieux faire. Mais quelle serait la valeur d’une telle promesse si on n’avait pas tenu celles de l’année précédente ?

Les hommes se coupent les cheveux, s’immergent dans le Mikvé. On revêt les vêtements de fête car on est confiant que D.ieu jugera chacun avec miséricorde.

On augmente les dons à la Tsedaka (charité) en s’assurant que chacun a de quoi faire face aux dépenses de la fête.

Nombreux sont ceux qui se rendent au cimetière sur les tombes des êtres chers disparus et des Tsadikim (Justes) afin qu’ils intercèdent en faveur de leurs descendants et de leurs fidèles.

De nos jours, on évite de jeûner et on préfère donner à la Tsedaka (charité) l’argent équivalent aux repas consommés (en général une somme multiple de 18).

Que fait-on à Roch Hachana ?

Dimanche 29 septembre 2019, après avoir mis des pièces à la Tsedaka (charité), les femmes, les jeunes filles et les petites filles allument les bougies de Roch Hachana ainsi qu’une bougie qui dure au moins 48 heures (avant 19h16, horaire de Paris) avec les bénédictions suivantes :

1) : « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Lehadlik Ner Chel Yom Hazikarone » ;

(2) : « Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Chéhé’héyanou Vekiyemanou Vehigianou Lizmane Hazé ».

(« Béni sois-Tu Eternel notre D.ieu Roi du monde qui nous as sanctifiés par Ses commandements et nous as ordonné d’allumer les lumières du jour du souvenir. Béni sois-Tu Eternel notre D.ieu Roi du monde qui nous a fait vivre, exister et arriver à cet instant »).

Après la prière du soir, on se souhaite mutuellement : « Lechana Tova Tikatev Veté’hatème » - « Sois inscrit(e) et scellé(e) pour une bonne année ». Après le Kiddouch, on se lave les mains rituellement et on trempe la ‘Hallah dans le miel et non dans le sel (et ce, jusqu’à Hochaana Rabba, dimanche 20 octobre inclus).

Ensuite on trempe un morceau de pomme douce dans le miel, on dit la bénédiction : « …Boré Péri Haèts » et on ajoute : « Yehi Ratsone Milfané’ha Chete’hadèche Alénou Chana Tova Oumetouka » (« Que ce soit Ta volonté de renouveler pour nous une année bonne et douce »). Durant le repas, on s’efforce de manger de la tête d’un poisson, des carottes sucrées, une grenade et, en général, des aliments doux, pas trop épicés, comme signes d’une bonne et douce année.

Lundi 30 septembre et mardi 1er octobre, on écoute les sonneries du Chofar. Si on n’a pas pu l’entendre à la synagogue, on peut encore l’écouter toute la journée.

Lundi après-midi, après la prière de Min’ha, on se rend près d’un cours d’eau et on récite la prière de Tachli’h.

Lundi soir 30 septembre, les femmes, les jeunes filles et les petites filles allument les bougies de la fête (après 20h17, horaire de Paris) à partir de la flamme allumée avant la fête, avec les mêmes bénédictions que la veille.

On aura auparavant placé sur la table un fruit nouveau, qu’on mangera après le Kiddouch, avant le repas.

Durant les deux jours de Roch Hachana, on évite les paroles inutiles et on s’efforce de lire de nombreux Tehilim (Psaumes).

Il est permis de porter des objets dans la rue les deux jours de Roch Hachana.

Mardi 1er octobre, la fête se termine à 20h17 (horaire de Paris).

Jusqu’à Yom Kippour inclus, on ajoute dans la prière du matin le Psaume 130 et on récite matin et après-midi (sauf Chabbat) la prière « Avinou Malkénou » (« Notre Père, notre Roi »). On ajoute certains passages de supplication dans la prière de la « Amida ». On multiplie les actes de charité et, en général, on s’efforce d’être davantage scrupuleux dans l’accomplissement des Mitsvot.

Mercredi 2 octobre, c’est le jeûne de Guedalia (qui commence, à Paris, à 6h17 et s’achève à 20h07).

Le Recit de la Semaine

 Roch Hachana 2001 à l’ombre des ruines…

L’image me hantera toujours : marcher sur le pont menant de Brooklyn à Manhattan, tôt le matin, juste quelques jours après le terrible attentat du 11 septembre, en contemplant les colonnes de fumée s’élevant encore des ruines des tours jumelles…

Les habitants de New York ne parlent pas habituellement avec des étrangers mais cette fois-ci, c’est différent. Nous sommes une ville, un peuple. La tragédie nous a tous touchés : notre statut socio-économique, notre culture ou notre religion n’ont plus d’importance. Nous sommes tous des êtres humains en quête de réconfort.

Mon ami Dany et moi traversons le pont ; un cycliste que nous croisons s’étonne : « Où allez-vous ? Moi je m’enfuie d’ici ! Je ne sais pas où aller mais je pars, je veux fuir cette terrible destruction ! ». Quant à nous, au contraire, nous allons vers Manhattan : c’est le premier jour de Roch Hachana et nous allons sonner du Chofar dans une petite synagogue de retraités à Gramercy Park.

Je n’ai que dix-huit ans et je ne possède pas encore mon propre Chofar : mon oncle a bien voulu m’en prêter un. J’ai passé plusieurs heures dans ma chambre d’internat à m’exercer à sonner dans cette corne de bélier. Plutôt que de prier et d’étudier la Torah toute la journée dans le confort de ma Yechiva, j’avais répondu à l’appel du Rabbi et décidé de consacrer ces deux journées si cruciales de Roch Hachana à marcher si loin pour que d’autres Juifs puissent accomplir la Mitsva d’écouter le Chofar.

J’avais rencontré Dany en Russie, en été. Tous deux nous étions responsables d’une colonie de vacances organisée par le mouvement Loubavitch non loin de Moscou. Ses parents avaient été pendant longtemps des refuzniks dans l’ex-Union Soviétique avant d’avoir pu émigrer et s’installer en Israël. Dany parlait donc couramment le russe alors que je n’en possédais que des rudiments. Ensemble nous parlions en hébreu… (Depuis, il est devenu émissaire du mouvement Loubavitch à St Pétersbourg et nous avons gardé le contact).

Nous marchions dans l’air frais de l’aube, empesté par l’odeur de fumée et de destruction tout en nous demandant comment le monde pourrait survivre dans cette nouvelle année 5762.

Quand nous arrivâmes dans la synagogue – un tout petit local coincé entre un immeuble d’habitation, une laverie tenue par des Chinois et des magasins de proximité – nous nous sommes sentis comme dans une autre époque. Apparemment ce local avait été inauguré dans les années 50 ; les livres étaient usagés et les tapis sentaient la moisissure. Il y avait en tout et pour tout une demi-douzaine d’hommes âgés éparpillés dans la pièce. Sur les sièges vacants, différentes brochures et publicités étaient empilés en désordre – au point qu’il était impossible de s’asseoir.

A l’avant de la pièce, le rabbin était assis, enveloppé dans son Talit.

- Nous ne sommes pas pressés, à Roch Hachana, s’excusa-t-il. Quand nous commencerons, il y aura plusieurs dizaines de fidèles ici…

Il parlait avec assurance. Nous avons appris plus tard qu’avec son fort accent hongrois, il avait animé une émission de radio en yiddish et s’était aussi intéressé un peu à la politique.

Un par un, les fidèles arrivaient. Je ne pense pas que les « quelques dizaines » auxquelles faisaient allusion le rabbin se matérialisèrent mais une bonne assemblée constituée de personnes âgées entre 70 et 80 ans commença à prier.

Dans son sermon, le rabbin parla avec fougue des « méchants qui ont anéanti ces tours », promettant aux fidèles (et peut-être à lui-même) que, certainement D.ieu les jugerait selon la gravité de leurs actes et qu’il ne fallait pas désespérer : le bien finirait par l’emporter.

Ce serait la première fois que le vieux rabbin devait se résoudre à ne pas sonner le Chofar lui-même car il n’en était plus capable et on sentait que cela le peinait. Je récitai les bénédictions, fermai les yeux et soufflai de toutes mes forces dans le Chofar. Je soufflais pour les âmes qui avaient si cruellement été enlevées à l’affection de leurs proches, pour les fidèles de cette petite synagogue oubliée de tous en leur souhaitant mentalement une bonne et douce année de vie et de santé. Je soufflais pour ma génération obligée de réaliser que le droit élémentaire à la sécurité n’était plus évident. Et je soufflais pour D.ieu qui, certainement, distinguait dans les cendres une raison d’être que nous ne pouvions pas comprendre.

Quand nous avons bavardé après l’office avec les fidèles, il nous parut évident qu’ils ne comprenaient pas très bien ce qui s’était passé à quelques rues de chez eux : « C’est ce truc de ground zero quelque chose » tenta d’expliquer une vieille dame en montrant au loin la fumée qui continuait de s’élever des ruines des tours jumelles et en mélangeant un peu les mots. « C’est pour cela qu’il y a si peu de personnes aujourd’hui, les gens ont peur de ce ground zero … » conclut-elle, sans bien saisir de quoi il s’agissait. Et nous, comprenions-nous mieux qu’elle comment des soi-disant humains avaient-ils pu infliger tant de souffrances à des êtres innocents ?

Dans la synagogue, il y avait un homme de Brooklyn venu passer les fêtes avec sa mère âgée hospitalisée. Il nous demanda de l’accompagner à la clinique Beth Israel afin de sonner du Chofar pour elle et un autre vieillard sur place.

Devant l’hôpital, nous avons remarqué les murs couverts d’affiches, avec des photos de personnes disparues : leurs noms, une brève description des vêtements qu’ils portaient le jour du drame… Manhattan avait vécu un drame terrible, des gens étaient encore portés disparus et leurs familles désespéraient de les retrouver…

Nous avons sonné du Chofar pour ces deux personnes hospitalisées et avons partagé avec elles et leurs enfants notre repas de gefilte-fish, boulettes de viande et compotes - bien apprécié à cette heure déjà tardive. Dany et moi avons passé le reste de l’après-midi à déambuler dans les couloirs de l’hôpital pour permettre aux malades juifs d’écouter le son du Chofar et réaliser que la communauté ne les oubliait pas et que, quelles que soient les circonstances, il est possible d’accomplir les Mitsvot de la fête. Avec un peu de lumière spirituelle, nous avons tenté de chasser beaucoup d’obscurité. Vers le soir, nous sommes retournés – à pied évidemment – vers Brooklyn, trop fatigués pour parler mais aussi trop émus par les traces encore fumantes de cette incompréhensible explosion de haine. Le lendemain, nous avons répété l’expérience mais avons attendu la nuit pour rentrer chez nous en taxi. Le chauffeur mit la radio et, pour la première fois depuis l’attentat, il y avait autre chose que des nouvelles angoissantes : de la musique, des émissions « normales », des plaisanteries… Cela faisait du bien de retrouver l’insouciance habituelle de New York : cela signifiait que la vie reprenait le dessus, que nous étions entrés dans une nouvelle année avec de nouvelles possibilités et que nous pouvions espérer qu’elle serait bonne et douce pour la terre entière.

Mena’hem Posner - chabad.org

Traduit par Feiga Lubecki