Samedi, 11 mai 2019

  • Kedochim
Editorial

Et si tout changeait ?

Il arrive à tout homme de s’arrêter un instant dans la course du quotidien et de regarder le monde. Il est alors pris parfois d’une sorte de lassitude. Alors que les années, les mois et les jours se suivent, c’est la notion même de progrès qui prend un aspect trouble. Tout se passe comme si elle avait été submergée par un flou profond. C’est ainsi que, désabusés, nous assistons, au fil de nouvelles attristées, à l’irruption jamais éteinte de la violence dans les cités des hommes. Ici on détruit, là on assassine. Des hommes, des femmes ou des enfants perdent la vie ou sont marqués à vie par la tragédie et, quand l’auteur du forfait est arrêté et bien souvent qualifié de « déséquilibré », tout cela disparaît peu à peu de la conscience. Ne faut-il pas que l’existence retrouve sa tranquille routine ? Il est vrai que l’homme est, par nature, oublieux et c’est là, sans doute, un caractère nécessaire au maintien de sa sérénité. Mais que faisons-nous du monde ?

Lors de la création, un but fut assigné par le Créateur à tout ce qui venait de naître de Sa main. Tout devait parvenir à un degré d’accomplissement supérieur, jusqu’à la perfection même. Celle-ci pouvait sembler être un objectif lointain, elle était cependant à notre portée. Pour cela, des valeurs éternelles furent données, comme un cadre de référence inébranlable. Ces idées furent, dans les premiers âges, perçues avec la plus grande clarté. Elles constituèrent le socle de toute civilisation. Puis les siècles passèrent et la nécessité d’un cadre normatif s’estompa. Les hommes se sentirent autorisés à jouer avec lui, à le façonner au gré de leurs envies. Ce n’était là que l’exercice de leur liberté, pensèrent-ils. Mais il est des choses délicates qui ne résistent pas longtemps aux manipulations trop souvent maladroites. Les normes ayant perdu leur prééminence ancienne, elles commencèrent à se fondre dans la brume de consciences en berne. Et c’est ainsi qu’apparurent des actes autrefois impensables. Quand la morale devient individuelle et relative, comment les comportements n’iraient-ils pas jusqu’aux extrêmes ?

Mais l’homme, couronnement de la création, a une capacité merveilleuse : il sait toujours garder espoir et peut faire naître en lui forces de la renaissance. Le peuple juif connaît cela car sa longue histoire lui a fourni les occasions, plus souvent dramatiques que joyeuses, de le mettre en œuvre. Ce trésor d’expérience est un privilège. Et si le monde paraît avoir perdu de son sens, n’est-ce pas aussi une invitation à lui en redonner ?

Etincelles de Machiah

Quelle signification pour la Délivrance ?

La Délivrance n’a pas pour signification unique une libération matérielle. Elle n’est pas non plus une simple libération spirituelle, au sens où elle nous libèrera du mal et de la tentation. Elle veut d’abord dire : révélation de D.ieu.

Cette révélation sera si puissante que la matérialité du monde perdra toute présence tant elle sera effacée par l’intensité de la lumière Divine. A tel point que le monde entier sera recouvert par « la connaissance de D.ieu comme les eaux recouvrent la mer. »

(D’après Likoutei Si’hot vol. 31 Vaéra 1)

Vivre avec la Paracha

Kedochim. La force dans la retenue

Vous est-il déjà arrivé de perdre le contrôle de vous-même et à la dernière seconde de réussir à vous retenir ? Les batailles intérieures de cette sorte sont souvent associées avec les feux de la circulation et des représentations de ce genre de la police officielle. Quelquefois, elles se rencontrent également sur le front de la vie domestique.

La Paracha Kedochim (Vayikra 19-20) commence avec l’idée que nous devons être saints. Qu’est-ce que cela signifie exactement ? Le commentateur Rachi explique que le terme « saint » implique la retenue personnelle. Dans la vie, nous sommes confrontés à de nombreuses tentations. Etre saint signifie avoir l’aptitude à contrôler ses impulsions immédiates.

Un autre commentateur, Na’hmanide, souligne que cette retenue peut parfois conduire la personne à un point se situant au-delà de la simple lettre de la loi. La loi juive autorise l’homme à manger de la nourriture cachère. Mais cela signifie-t-il que l’on puisse se comporter comme un glouton ? Selon cette vision, même si la nourriture est aussi cachère que faire se peut, la retenue est la puissance. Elle montre que l’on est réellement libre comme individu, plutôt qu’esclave de son appétit.

Vous rappelez-vous l’histoire de Yaacov et Essav à propos du plat de lentilles ? L’une des manières de comprendre cette histoire est de voir qu’Essav était prêt à vendre son droit d’aînesse, le bien le plus précieux de sa vie, contre un plat de nourriture. L’on pourrait s’exclamer : « C’est pathétique ! » D’autres pourraient même aller jusqu’à ressentir de la sympathie pour quelqu’un à qui il arrive d’être l’esclave de ses sens. Ils pourraient arguer qu’après tout, telle est notre humaine condition. Néanmoins, de nombreux individus aspirent à être maîtres de leur propre être. Un être humain, oui. Un animal : non.

Une grande partie de la Paracha est consacrée à donner des directives à propos de cette espèce de contrôle de soi, dans des domaines différents de la vie. Le thème central en est celui des relations humaines. Le point d’orgue est le fameux enseignement : « Aime ton prochain comme toi-même » (Vayikra 19 :18). Rabbi Akiva en disait que c’est là le grand principe de la Torah ; il concerne tous les autres aspects de la pensée juive. La Paracha nous instruit également de ne pas se venger ni de garder rancune. Cela nécessite très certainement la maîtrise de soi : dans nos actions, nos paroles et même dans nos pensées.

Mais une personne qui parvient à ce contrôle existe-t-elle ? Nous pouvons imaginer qu’elle serait un individu simple, naïf ou inspiré, qui ne voit jamais de mal en quiconque. Ou pouvons-nous imaginer un homme puissant qui a atteint un véritable contrôle de sa personne ?

Qu’est-ce que la puissance ? Pendant longtemps, les gens ont pensé qu’il s’agissait d’acquérir la domination sur les autres. Mais désormais nous réalisons qu’il s’agit en fait de la maîtrise de soi-même.

La vie quotidienne nous met face à de nombreux exemples de ces batailles dont parle la Paracha : dans les relations avec nos parents, dans les domaines professionnels, dans les questions de charité, dans les limites entre les hommes et les femmes et également dans notre comportement quand nous sommes réellement en situation de domination sur les autres, en tant que juges. C’est la raison pour laquelle la Paracha nous demande d’être droits dans le jugement du riche comme du pauvre.

Kedochim nous met face au défi de la retenue dans la puissance, pour construire un monde de bonté pour le futur, un monde qui sera entièrement rempli de sainteté.

Revenons sur le principe de l’amour du prochain. L’on connaît l’histoire où le célèbre Sage Hillel, défié de dire toute la Torah sur un pied, répondit à celui qui l’interrogeait : « ce que tu n’aimes pas, ne le fais pas à autrui. C’est là toute la Torah, tout le reste n’est que commentaire. Va et étudie ».

L’idée que toute la Torah se concentre autour du thème des relations avec autrui est intriguant. Très souvent, l’on divise les lois de la Torah en deux groupes : celles qui concernent les relations de l’homme avec D.ieu, comme l’observance du Chabbat et les lois de la cacherout et celles qui relèvent des relations avec autrui, comme l’interdiction de voler ou de porter un faux témoignage dans une affaire de justice. Ici, toutefois, Hillel dit en effet que toute la Torah tourne autour du seul principe des relations avec autrui.

Ce principe est clairement exprimé dans la Paracha. Nous l’avons vu, en ces termes : « aime ton prochain comme toi-même ». Il est inscrit parmi de nombreux autres commandements concernant notre comportement vis-à-vis d’autrui, comme, dans le même verset, celui de ne pas se venger ou de ne pas garder rancune. Pourtant, il est clair que c’est un enseignement qui se situe à un niveau bien différent de ces autres commandements.

Nous pouvons comprendre que si une personne observe convenablement cette loi, elle en fera de même pour des commandements comme ne pas voler ou de ne pas porter de faux témoignage. C’est la raison pour laquelle Rabbi Akiva dit de cette loi : « c’est un grand principe de la Torah ». C’est un grand principe parce qu’il inclut plus ou moins la moitié de la Torah : toutes les lois concernant les relations humaines.

Néanmoins, qu’en est-il des lois concernant les relations des hommes avec D.ieu ? Hillel semble aller plus loin que Rabbi Akiva. Pour Hillel, ce commandement inclut toutes les lois de la Torah. Comment le comprendre ?

Une réponse est donnée par Rabbi Chnéour Zalman, le fondateur de la ‘Hassidout ‘Habad, en ces termes : l’effet attendu de toute la Torah est de nous rendre plus sensibles à l’âme plutôt que simplement au corps. Les Mitsvot (lois) entre l’homme et D.ieu ont pour fonction d’attirer la Divinité dans les aspects matériels de la vie. Elles nous aident à briser la barrière des apparences et à nous lier à la Divinité qui s’y trouve renfermée.

Et cela a un effet direct sur notre manière de considérer les autres. Car en termes physiques et matériels, les gens sont divisés. Mais en ce qui concerne l’âme, nous sommes tous unis. Plus une personne est sensibilisée à cette unité, ressentant un véritable amour pour autrui, plus elle exprime le but de toute la Torah. Et parallèlement, plus une personne observe la Torah, dans tous ses détails, en l’intériorisant réellement, plus elle éprouve un véritable amour pour autrui.

Hillel tire de ce point un autre enseignement que l’on trouve exprimé dans les Maximes de nos Pères. Il nous enjoint d’être les disciples d’Aharon, aimant tous ceux qui sont autour de nous et les attirant à la Torah. Nous pouvons exprimer notre amour vis-à-vis d’autrui en prenant soin d’eux, en termes physiques ou concrets. Mais nous pouvons aussi exprimer notre amour en en prenant soin spirituellement, les aidant à se rapprocher de la Torah. Chacun de nous possède cette puissance d’amour, avec la force de donner aux autres, à la fois matériellement et spirituellement. Grâce à cet amour, nous construisons une réaction en chaîne qui conduit au but de la Création : la paix et l’amour entre l’homme et son prochain, entre les nations, entre l’humanité et D.ieu.

Le Coin de la Halacha

Pourquoi lit-on un chapitre de Pirké Avot, les « Maximes de nos Pères », chaque samedi après-midi, entre Pessa’h et Chavouot ?

Entre Pessa’h et Chavouot, nous nous préparons à revivre le don de la Torah au mont Sinaï. Pirké Avot est un traité talmudique qui contient des recommandations éthiques et morales. En lisant un chapitre par Chabbat, nous pouvons raffiner notre personnalité et notre comportement, de façon à mériter de recevoir la Torah.

Dans de nombreuses communautés, on continue la lecture de ces six chapitres tout au long de l’été jusqu’au Chabbat qui précède Roch Hachana. En effet, durant l’été, certains ont tendance à se montrer moins stricts dans leur observance des Mitsvot : il convient donc de se renforcer spirituellement pour éviter tout relâchement.

Le Recit de la Semaine

Le test de la vérité

Durant la guerre de Kippour (en 1973), Tsahal, l’armée de défense d’Israël, avait comme Grand Rabbin l’aumônier Morde’haï Piron. Celui-ci entretenait d’excellentes relations d’amitié et de respect avec les généraux à la tête de cette armée ainsi qu’avec le Ministre de la Défense, Moché Dayan.

Un jour, on l’avisa que, bientôt, l’armée se préparerait à opérer certaines manœuvres d’entraînement qui impliqueraient la violation du Chabbat. Ce n’était pas des opérations de défense mais comme cela semblait important aux yeux de l’échelon militaire, on demandait poliment au Grand Rabbin de « fermer les yeux » et de ne pas se mêler.

Rav Piron se trouvait donc face à un dilemme : en tant que Grand Rabbin, il se devait de dénoncer toute violation du Chabbat qui ne serait pas absolument nécessaire pour sauver des vies ; or, s’il criait au scandale, il risquait de ruiner les bonnes relations avec les haut-gradés qui étaient précieuses pour la suite de ses fonctions au sein de l’armée.

Comme il se trouvait justement aux États-Unis à ce moment-là, il décida de s’en ouvrir au Rabbi de Loubavitch. Il n’en avait jusqu’à présent pas parlé à qui que ce soit mais maintenant il sentait qu’il pouvait et devait demander au Rabbi comment agir : se taire ou protester ?

Le Rabbi le regarda droit dans les yeux : « Vous connaissez bien sûr l’histoire de Rabbi Eliézer le Grand ? ».

Bien sûr, tout Juif un peu familier avec le Talmud sait que Rabbi Eliézer ben Hourkenos était un des plus grands Sages de la génération qui suivit la destruction du deuxième Temple. Lors d’une réunion à Yavné, il avait tenté de persuader ses « collègues » au sujet d’une certaine loi de pureté. Malgré tous ses efforts, il n’avait pas réussi à les convaincre. Il avait alors décidé de recourir à des pouvoirs surnaturels, appelant un caroubier à s’extraire de la terre et à bouger d’une centaine de coudées ! Et l’arbre lui obéit ! Cependant, les Sages ne se laissèrent pas impressionner par ce miracle évident. Il appela alors à la rescousse les murs de la maison d’études et ceux-ci s’inclinèrent comme il le leur avait demandé. Encore une fois, les Sages restèrent fermes dans leur opinion. Finalement, il demanda au Ciel de confirmer la véracité de sa décision et une Voix Céleste proclama qu’il avait raison. Mais les Sages déclarèrent que la Torah n’est pas au Ciel, qu’elle a été donnée aux hommes et qu’elle ordonne de se plier à la décision de la majorité des érudits. Même le Ciel ne peut pas contredire une loi tranchée par les Sages ! Comme Rabbi Eliézer ben Hourkenos restait lui aussi ferme dans ses opinions, les Sages le bannirent, il perdit sa place dans la maison d’études, s’exila dans la ville de Lod où il mourut dans une grande solitude.

« Voyez-vous, expliqua le Rabbi à Rav Piron, Rabbi Eliézer n’était pas prêt à accepter de compromis et il en paya lourdement le prix. Et vous connaissez aussi certainement l’histoire d’Akavia ben Mehallalel… ».

Akavia vécut dans la génération précédente ; le Talmud atteste qu’il était le plus grand en ce qui concerne « les connaissances et la crainte du péché ». Lui aussi contredisait l’opinion de ses collègues sur quatre sujets précis concernant les sacrifices dans le Temple et la pureté rituelle. Une importante délégation lui présenta alors une offre alléchante : s’il se pliait à la décision des autres Sages, il deviendrait vice-président du Sanhédrine (la haute cour de justice), donc la deuxième personnalité la plus importante de la nation. Malgré cela, il refusa en affirmant : « Mieux vaut être appelé un sot toute sa vie plutôt que de pêcher même un seul moment devant D.ieu ! Ainsi nul ne pourra prétendre que j’ai changé d’opinion pour la gloire ! ». En effet, il ressentait que s’il acceptait des compromis sur des principes qu’il jugeait essentiels – juste pour gagner puissance, autorité et peut-être argent – cela équivalait à de la corruption (interdite par la Torah évidemment).

- Donc, reprit le Rabbi, vous connaissez l’histoire de Rabbi Eliézer et d’Akavia ?

- Bien sûr, répondit Rav Piron. Mais comment pouvez-vous me comparer à ces deux géants du Talmud ? Je ne suis qu’un modeste aumônier !

- Il faut savoir rester ferme dans ses opinions, martela le Rabbi, très sérieusement. Si le Talmud nous rapporte ces « incidents », c’est que nous devons en apprendre quelque chose. On doit savoir se battre pour ce qu’on ressent être la vérité. C’est un test difficile mais on se tient devant D.ieu qui est la Vérité. Pour une fois, soyez à la hauteur de ces grands Sages de notre histoire !

Rav Piron se sentait trembler.

- Parfois on voit d’énormes vagues dans l’océan, continua le Rabbi et on a l’impression qu’il s’agit d’une tempête gigantesque mais soudain, tout se calme et on ne se souvient même plus qu’il y avait des vagues… !

Renforcé dans ses convictions, Rav Piron retourna en Israël, prêt à affirmer avec force ses convictions mais les généraux lui annoncèrent : « Heureusement que vous ne vous êtes pas impliqué dans cette affaire : tous les plans ont de toute manière été annulés… ».

Rav Jacobson – Shluchim Office

Traduit par Feiga Lubecki