Bien que Yaakov le fermier ait été un expert dans son domaine d’activité – l’agriculture –, il ne s’y connaissait pas vraiment dans la sagesse de la Torah. Cependant, pour ses fils, il souhaitait le meilleur. Il les envoya étudier dans une autre ville, dans une très bonne Yechiva : les fils s’appliquèrent et, bien vite, devinrent parmi les meilleurs éléments de cette institution.
Un jour, ils entendirent un discours de Rabbi Israël Baal Chem Tov et s’intéressèrent passionnément à sa nouvelle façon d’éclairer la compréhension de la Torah. Dès qu’ils en avaient la possibilité, ils se rendaient à Medziboz ; leur père avait du mal à comprendre leur attitude mais ils expliquèrent qu’ils trouvaient auprès du Rabbi la réponse à de nombreuses questions de la vie.
Yaakov était perplexe et décida de se rendre compte par lui-même. Il voyagea jusqu’à Medziboz et entreprit de «faire passer» un examen au Rabbi : s’y connaissait-il autant que lui dans les questions agricoles ? Après avoir été rassuré par les réponses judicieuses du Baal Chem Tov, Yaakov en devint lui aussi un grand admirateur et, de temps en temps, se rendait lui-même à Medziboz.
Les années passèrent, la fille de Yaakov atteignit l’âge du mariage. Il fallait lui trouver un bon mari. Yaakov décida de demander conseil au Baal Chem Tov qui répondit : «Envoyez-moi vos fils et je les ferai rentrer chez vous avec le mari qui convient à votre fille !»
Les deux fils arrivèrent et se rendirent avec le Baal Chem Tov dans une ville lointaine où le Tsaddik demanda où se trouvait un certain jeune homme appelé Chmerel. Ils restèrent plusieurs semaines dans la ville mais nul ne connaissait Chmerel. La veille de Roch ‘Hodech (le premier jour du nouveau mois), la communauté se rassembla pour un repas festif en l’honneur de leur distingué visiteur ; un jeune homme à l’aspect sauvage et mal élevé entra dans la salle. Il courait de ci de là et ses propos étaient incohérents. C’était justement ce Chmerel que le Baal Chem Tov avait recherché. Bien que les fils de Yaakov ne puissent lui trouver aucune qualité, ils informèrent leur Rabbi que Chmerel était enfin là.
Le Baal Chem Tov fut satisfait ; il demanda que le jeune homme soit lavé et habillé proprement puis qu’on lui donne une place d’honneur à côté de lui. Durant le repas, le Baal Chem Tov fit passer son mouchoir devant le visage de Chmerel et lui demanda de prononcer un discours. A la surprise de tous les convives, Chmerel se mit à exposer de façon claire et compréhensible de profondes idées ‘hassidiques pendant plusieurs heures ! Très impressionnés, les deux frères s’empressèrent, suivant le conseil du Baal Chem Tov, d’emmener Chmerel avec eux.
On présenta les deux jeunes gens l’un à l’autre et le mariage fut rapidement décidé. Durant toute la semaine des «Chéva Bera’hot» (les réjouissances qui suivent la cérémonie), le jeune marié prononça à chaque repas des discours extraordinaires qui provoquèrent la fierté de la jeune femme et sa famille. Les frères ne pouvaient attendre que cette semaine s’achève afin d’étudier avec ce jeune homme qui promettait d’être une fontaine inextinguible de la sagesse de la Torah. Cependant ils furent bien vite déçus.
Le premier jour, comme Chmerel n’apparut pas dans la synagogue puis à la maison d’études, leur sœur déclara laconiquement : «Mon mari dort !» Le lendemain : «Mon mari est très fatigué». Il s’avéra bien vite que le jeune marié était non seulement paresseux mais que, de plus, il négligeait les lois et coutumes de base de la vie juive !
Horrifiés, ils retournèrent à Medziboz demander au Baal Chem Tov ce que cela signifiait : «Voyez-vous, répondit le Rabbi, il existe au ciel des «marieurs» comme il en existe sur terre. Il avait été décidé au ciel que Chmerel deviendrait le mari de votre sœur mais c’était particulièrement difficile à arranger : comment une jeune fille de famille riche, dont les frères étaient déjà des érudits accepterait-elle d’épouser quelqu’un comme Chmerel ? D’abord il fut envisagé de la rendre elle-même mentalement dérangée mais, vu la fortune de sa famille, elle aurait encore pu refuser ce mariage. Puis il fut décidé qu’elle serait dérangée et que son père mourrait. C’est alors que je me suis mêlé de la discussion et que je me suis engagé à mener à bien ce mariage. Le seul moyen était d’ouvrir l’esprit de Chmerel à la sagesse de la Torah et, de cette manière, vous accepteriez de la présenter à votre sœur.
Si Chmerel s’était rendu méritant, il aurait pu conserver cette sagesse et cette connaissance. Mais hélas, il n’en a pas compris la valeur. La Torah que j’ai introduite dans son esprit n’a duré que les sept jours du mariage puis elle s’est perdue. Il est impossible de réparer cette situation car Chmerel était le mari prévu au ciel pour votre sœur. Encouragez-la à rester mariée avec lui et je leur garantis des enfants dont ils pourront être fiers. Quant à vous, continuez à lui enseigner la Torah et vous le verrez progresser lentement mais sûrement !»
Cette histoire était souvent racontée par le saint Rabbi de Apta qui ajoutait pensivement que les descendants de ce couple comptaient parmi ses plus proches disciples.

L’Chaim n°1166
traduit par Feiga Lubecki