D’habitude la foule qui se presse dans la synagogue vers la fin de Yom Kippour est assez affamée et fatiguée et ne prête guère attention au discours du rabbin. Celui-ci organise parfois à ce moment-là une quête pour ses différentes œuvres sociales et éducatives.
Mais Rav Yoshua Binyamin Gordon avait prévu une quête différente à Encino, la communauté qu’il dirigeait en Californie : «En ce moment si précieux, le point culminant de l’année, je désire organiser une quête de Mitsvot : que chacun d’entre vous décide au plus profond de son cœur d’une Mitsva particulière qu’il s’engage à observer sérieusement à partir de maintenant !» A cet instant, il ne s’imaginait pas quels effets auraient ses paroles ! Leurs conséquences seraient ressenties jusqu’à… Bologne en Italie !
L’officier de sécurité posté à l’entrée du salon des cosmétiques à Bologne, en Italie, examina le passeport de l’homme barbu, coiffé d’un chapeau aux larges bords qui traînait une lourde valise. Sans doute bourrée d’échantillons, de flacons et de tubes, comme celles des autres exposants. Il ne pouvait pas deviner que cette lourde valise contenait un chargement bien particulier : Rav David Borenstein, l’émissaire du Rabbi de Loubavitch à Bologne, n’était ni parfumeur ni homme d’affaires ; il désirait simplement rendre service à d’autres Juifs en leur proposant des sandwichs cachères.
Ce n’est pas toujours très compliqué d’approvisionner les Juifs qui se rendent à des congrès en Italie, comme le congrès des bijoutiers à Venise : là, les organisateurs savaient que de nombreux exposants exigeaient de la nourriture cachère : là, Rav Borenstein et ses assistants n’avaient aucun mal à obtenir un stand pour proposer nourriture et boissons en conformité avec les lois de la Torah ainsi qu’un endroit convenable pour les prières.
Mais les expositions de cosmétiques ne sont pas comparables aux congrès de bijoutiers. Et la présence juive n’y est pas autant évidente. Ceci n’empêcha pas Rav Borenstein d’estimer que, certainement, des Juifs s’y trouvaient. Qu’ils revendiquent ou non leur judaïsme et leur exigence d’alimentation cachère ne devait pas le décourager : quoi qu’il arrive, il devait apporter des sandwichs cachères à ce congrès. Voici son récit :
« La foire se déroulait sur plusieurs bâtiments. Je traînais ma grosse valise de l’un à l’autre, tout en tentant de repérer des Juifs. J’écoutais des bribes de conversation en hébreu ou avec des accents yiddish, je traquais les panneaux indiquant la nationalité des exposants et des produits, je reconnaissais des organisateurs sympathiques à qui je laissais des sandwichs au cas où…
Un jour, en sortant du bâtiment 21 pour me rendre au bâtiment 22, j’aperçus un couple qui me regardait, stupéfait.
- Puis-je vous aider ? me demanda l’homme, en hébreu.
- Non merci ! C’est moi qui veux vous aider ! leur répondis-je.
- En quoi ?
- Quelque chose me fait croire que vous avez peut-être un peu faim. N’est-ce pas ?
L’homme regarda sa femme ; il était de plus en plus étonné : «C’est incroyable !» murmura-t-il.
- Un peu faim ? Pas du tout ! Nous sommes très, très affamés !
- Alors ne perdons pas de temps. Mettons-nous un peu de côté pour ne pas gêner les autres visiteurs et je vais vous donner à manger. J’ouvris ma valise à l’écart : «Que préférez-vous ? Saucisse ? Thon ? Dinde ? Salade d’œufs durs ? Tomate salade ? Vous n’avez que l’embarras du choix !»
Mais au lieu de saisir un sandwich, l’homme saisit la main de Rav Borenstein et la secoua vigoureusement : «Merci ! Merci ! Vous êtes tout simplement un ange ! Un envoyé de D.ieu ! Non ! Vous êtes Eliahou Hanavi, le prophète Elie !»
Lui et sa femme prirent chacun un sandwich et Rav Borenstein les encouragea à en prendre d’autres pour la suite de leur séjour à Bologne.
- Un Rav avec une valise pleine de sandwichs ! Des saucisses cachères à la foire de Bologne ! Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? Qu’est-ce qui vous a amené ici, précisément au moment où nous avions tant besoin de vous ?
Souriant, Rav Borenstein se présenta et expliqua le sens de ses activités à Bologne puis leur demanda leurs noms : «Je m’appelle Chlomo et voici ma femme, Chochana. Nous venons de Encino en Californie et nous sommes des spécialistes du maquillage. Nous accompagnons les stars de Hollywood partout dans le monde.
- Vous venez d’Encino ? Vous connaissez alors peut-être Rav Yoshua Gordon ? s’exclama Rav Borenstein.
- Bien sûr ! C’est le Rav de notre synagogue ! D’où le connaissez-vous ?
- Nous avons étudié ensemble à la Yechiva de Montréal et nous sommes restés très liés !
Chlomo et sa femme remercièrent encore Rav Borenstein puis repartirent, rassasiés, continuer leurs affaires. Rav Borenstein se demandait pourquoi ils avaient été tellement heureux de le rencontrer. Bien sûr, il avait été content de rencontrer des Juifs qui avaient apprécié son initiative et sa valise lui semblait maintenant plus légère.
Quand Chlomo et son épouse furent de retour à Encino, Chlomo se rendit immédiatement chez Rav Gordon. Très ému, il lui raconta : «A la fin de Yom Kippour, vous avez demandé à chacun de prendre une bonne résolution. J’ai décidé, quant à moi, de veiller à la cacherout. Chochana s’en chargeait déjà auparavant à la maison mais nous n’étions pas trop regardants quand nous mangions à l’extérieur. Nous voyageons souvent et la cacherout n’est pas toujours facile, ou même possible, dans certains pays. Cependant j’étais décidé à franchir le pas. Nous avons observé scrupuleusement cette décision jusqu’à ce que nous soyons arrivés à Bologne. Cependant, à l’hôtel, pas de petit déjeuner cachère, pas de déjeuner cachère… Dans les bâtiments du congrès, les stands non-cachères étaient nombreux et si appétissants… Les odeurs se faisaient de plus en plus tentantes. Mais une décision est une décision ! Une bouteille de soda nous permit de calmer un peu nos estomacs. Mais ce n’était pas une solution ! Je dois vous avouer, Rav Gordon, que mon repas préféré, c’est la charcuterie. Les odeurs se faisaient de plus en plus tentantes. Nous avions de plus en plus faim et nous commencions à nous poser des questions : est-ce que vraiment le bon D.ieu se préoccupe de savoir si une fois nous ne mangeons pas cachère ? Nous n’avons pas le choix. Peut-être même que le Rav qui nous a encouragés à manger cachère comprendrait. Nous ne sommes ni à Tel-Aviv, ni à New York !
Nous étions de plus en plus faibles, les odeurs se répandaient de plus en plus fortement et soudain, venu on ne sait d’où, un Rav est apparu avec une valise pleine de sandwichs. De plus, c’est un de vos amis. Rav Gordon ! Nous avons été témoins d’un miracle ! Grâce à vous, nous nous sommes engagés pour une campagne du Rabbi – la cacherout – et c’est le Rabbi qui nous a envoyé son émissaire avec de la nourriture cachère. Juste au moment où nous allions céder à la tentation. Merci Rav Gordon ! Merci Rabbi !

Malka Touger
«Excuse me, are you Jewish ?»
traduite par Feiga Lubecki