L’histoire de Yossef et de ses frères à laquelle la Torah consacre plus d’une douzaine de chapitres détaillés (Beréchit 37-50) n’est pas celle d’un simple drame familial. Les douze fils de Yaakov sont les fondateurs des douze tribus d’Israël et leurs actes et expériences, leurs conflits et réconciliations, leurs séparations et réunions, définissent en grande partie la ligne dans laquelle va s’inscrire l’histoire du Peuple Juif.
L’un de ces événements émouvants est la réunion entre Yossef et Binyamine, décrite dans Beréchit 45 :14 : «Et [Yossef] tomba sur le cou de son frère Binyamine et pleura, et Binyamine pleura sur son cou». Le Talmud (Meguilah 16b) interprète leurs sanglots sur leurs cous mutuels comme une expression de la douleur et du chagrin pour les futures tragédies de leurs histoires respectives : « [Yossef] pleura pour les deux Temples qui se tiendraient sur le territoire de Binyamine et seraient destinés à être détruits… et Binyamine pleura pour le Sanctuaire de Chilo qui se dresserait sur le territoire de Yossef et serait destiné à être détruit.»
C’est ici que réside la signification du fait que chacun pleura sur le cou de l’autre. Dans la Torah, le cou est une métaphore courante pour le Temple. «D.ieu plane sur lui tout le jour et réside entre ses épaules» dit Moché à propos de Binyamine, se référant au Temple dans sa province (Bamidbar 33 :12). Et le Roi Chlomo, chantant les louanges de «la jeune fille Israël» et de sa relation avec le Tout Puissant proclame : «Ton cou est comparable à la Tour de David» (Cantique des Cantiques 4 : 4. La «Tour de David» se réfère dans ce verset au Temple.)

Les Sanctuaires sont des liens entre le ciel et la terre, des points de contact entre le Créateur et Sa création. «Les cieux et le ciel des cieux ne peuvent Te contenir», proclama Chlomo au moment de l’inauguration du Beth Hamikdach, «comment cette maison que je T’ai construite [peut-elle le faire] ?» (Rois I 8 : 27). Et pourtant D.ieu a commandé : «Ils Me construiront un Sanctuaire et Je résiderai parmi eux» (Chemot 25 : 8). D.ieu Qui transcende le fini, transcende également l’infini et Il choisit de désigner un lieu et une structure matériels pour être le site de Sa présence manifeste dans le monde et le point central du service qu’accomplit l’homme pour son Créateur. «C’est la Maison de D.ieu», s’écrie Yaakov après une nuit passée sur le site futur des Temples, «et c’est la porte du ciel» par laquelle les prières de l’homme s’élèvent jusqu’en haut (Beréchit 28 : 17). Trois fois par an, tout Israël venait «voir et être vu» par la «face de D.ieu» au Sanctuaire de Jérusalem.

Le Sanctuaire est donc «le cou» du monde, le point de jonction qui connecte le corps à sa tête. La tête d’un homme contient ses facultés les plus hautes et les plus vitales : l’esprit et les organes sensoriels, de même que les centres nerveux qui permettent de manger, de boire et de respirer. Mais c’est le cou qui joint la tête au corps et achemine le flux de la conscience et de la vitalité de l’un à l’autre : la tête nourrit le corps en passant par le cou. De même, le Temple est ce qui unit le monde à la source de vie supérieure. C’est le canal par lequel D.ieu se lie à Sa création et l’imprègne de la perception spirituelle et de la subsistance matérielle.

Une jointure précaire
«Et tout comme l’âme remplit le corps», disent nos Sages, «D.ieu remplit le monde». Tout comme existe «un cou» qui joint le monde à son âme divine, chacun a besoin d’un «Temple» personnel, un Beth Hamikdach dans la vie de chaque individu, un «cou» pour joindre sa tête spirituelle (son âme) avec son corps physique.
L’âme humaine est une étincelle pure et parfaite de son Créateur, la source de tout ce qui est bon et divin dans l’homme. Mais pour qu’elle mène sa vie, l’homme doit construire un «cou» qui joigne son âme à son être matériel. Il doit sanctifier son esprit, son cœur et son comportement pour qu’ils forment un conduit par lequel son essence divine puisse contrôler, vitaliser et imprégner son être tout entier.
La destruction du Sanctuaire, que ce soit au niveau cosmique ou au niveau individuel, est la rupture de la jointure entre la tête et le corps, entre D.ieu et la création, entre l’âme et l’être physique. En fait, les deux sont liés. Quand le Saint Temple se tenait à Jérusalem et servait ouvertement de centre nerveux de l’univers, cela renforçait, de toute évidence, le lien entre l’âme et le corps de chaque individu. Et quand l’homme répare son «Saint Temple» personnel, faisant un pont entre la matière et l’essence dans sa propre vie, il contribue à la reconstruction du Saint Temple universel et à la régénérescence du lien ouvert et sans retenue entre D.ieu et la Création.

L’un pour l’autre
Cela explique pourquoi Yossef et Binyamine pleurèrent sur le cou de l’autre : l’état de la «tête» n’est jamais une cause de désespoir car l’âme essentielle ne peut jamais être entachée ou corrompue. Mais ils entrevoyaient les périodes où le «cou» entre l’esprit et la matière serait endommagé, éloignant la terre du ciel et l’âme du corps. Et ainsi ils pleurèrent chacun sur la tragédie de l’autre car, pour eux-mêmes, ils savaient qu’il leur revenait d’agir pour réparer et non de se lamenter. Quant à l’autre, chacun d’eux partageait sa douleur afin de l’aider à la reconstruction.