Le livre des noms

Cette semaine, nous commençons le second livre de la Torah, le livre de Chemot, ce qui signifie littéralement « les noms ». Ce titre paraît étrange. La traduction française, « Exode », paraît plus adéquate puisqu’elle couvre le thème central du livre : l’exode d’Egypte et le Don de la Torah qui suivra.

On peut expliquer ce titre par le fait qu’on le trouve dans le premier verset du livre « voici les noms des Juifs qui descendirent en Egypte… » et la suite énumère ces noms.

Cependant, la question demeure dans la mesure où apparemment ce nom n’a aucun lien avec le reste du livre et nous savons que, dans la Torah, un nom n’est pas anodin et que le nom d’un livre ou d’une Paracha est lié à son ensemble, à son « âme ».

Quel est donc le sens d’un nom ?

Un nom présente, dans une certaine mesure, un paradoxe.

D’une part, il représente la partie la plus extérieure de la personne. C’est simplement le moyen grâce auquel on peut l’identifier, appeler son attention, lui parler. Si quelqu’un vit sur une île déserte, à moins qu’il ne se parle à lui-même, (ce qui risque probablement d’arriver au bout d’un certain temps), il n’a pas besoin de nom. Ainsi, le nom, bien qu’il soit une partie de nous, n’est qu’un aspect extérieur de notre personne.

Ce qui en découle est que D.ieu nous dit ici que bien que le livre commence par l’exil en Egypte, suivi par l’Exode, nous devons savoir qu’un Juif ne se trouve en exil qu’extérieurement. L’essence de notre âme reste libre, liée à D.ieu. C’est donc appelé le « Livre des Noms » car il commence par une longue description de l’exil d’Egypte, de sa libération. Tous les exils sont d’ailleurs appelés eux-aussi « Egypte ». En effet, le terme Mitsraïm (« Egypte ») signifie « oppression ». La Torah nous dit ici que l’exil ne nous oppresse que superficiellement. Seuls nos noms descendent en exil. »

« Voici les noms de ceux qui descendirent en Egypte » : quelle partie des Juifs fut exilée ? Seulement leur nom. L’essence de leur âme resta libre.

Mais il y a plus. Ce qui précède n’apporte un éclairage que sur le début du livre : l’exil. Mais qu’en est-il de l’Exode ? Cela pourrait signifier que même la partie externe des Juifs qui était en exil, leur nom, était maintenant libérée. Mais c’est encore plus profond.

Nous avons évoqué l’aspect paradoxal d’un nom.

Quel est le revers de la médaille ? D’un côté, le nom évoque l’aspect extérieur de l’individu mais, de l’autre, il révèle l’essence-même de ce que nous sommes.

Ainsi quand quelqu’un s’évanouit, à D.ieu ne plaise, on murmure à son oreille son nom juif et bien souvent il se réveille. Comment cela fonctionne-t-il ?

S’évanouir signifie que, dans une certaine mesure, l’âme s’est détachée du corps. Appeler par le nom signifie appeler la source de l’âme et la ramener dans le corps. Le nom a donc l’aptitude de faire revenir dans le corps l’énergie de l’âme.

Un autre exemple peut servir à illustrer la force du nom. Un jour, Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi (premier Rabbi de Loubavitch et auteur du Tanya) portait sur ses genoux son petit-fils, Mena’hem Mendel, le futur Tséma’h Tsédèk (troisième Rabbi). Le Rabbi demanda à l’enfant :

- Où est grand-père ?

L’enfant pointa du doigt le nez du Rabbi.

- Non, ça c’est le nez de grand-père.

L’enfant mit alors sa main dans la barbe du Rabbi.

  • Non, ça c’est la barbe de grand-père.

L’enfant quitta alors les genoux de son grand-père et se mit à jouer.

A un moment, il appela : « Grand-père ! ». Le Rabbi se tourna vers lui et lui dit : « Ça, c’est grand-père ».

L’appeler par son nom suscite une réponse où la personne tourne tout son être. Toute son attention se concentre sur celui qui appelle quand bien même ce nom est une étiquette extérieure. Bien sûr, ensuite, quand l’interaction, la conversation commencent, on peut engager ses émotions, son intellect, son comportement, la partie de la personnalité qui est concernée… Mais ce moment où l’on se tourne engage tout l’être.

Le point à souligner est donc que l’âme va en exil pour que dans l’exil, symbolisé par le nom, et à travers l’exil, elle révèle son essence profonde et son attachement profond à D.ieu.

En d’autres termes, avant qu’ils ne quittent Israël pour descendre en Egypte, les Juifs étaient, pour ainsi dire, libres, pieux et justes. Cependant, la nature de leur relation avec D.ieu était intellectuelle, émotionnelle, mais ils n’avaient pas donné leur essence profonde. Cette relation s’appuyait sur un niveau mesuré, structuré, prévisible.

Descendre en exil force la parcelle divine, qui est en chacun de nous, notre essence divine, à jaillir, précisément à cause de l’oppression qu’elle subit et à cause du grand voilement qui la dissimule. Tout comme un nom, ce voilement peut dévoiler l’essence même de notre être.

Tel est le sens de l’exil : malgré toute l’oppression qu’ils subirent, les Juifs restèrent fondamentalement loyaux à l’égard de D.ieu. Ils conservèrent leurs vêtements, leur langue et leur nom. Cela signifie que le cœur de leur Judaïsme qui n’avait jamais été révélé, actif, l’était maintenant.

Et cela était représenté par ce modèle du nom, tout extérieur soit-il, qui est le véhicule pour obtenir toute l’attention de la personne. D.ieu obtint, pour parler ainsi, toute notre attention non en Israël, avant l’exil, mais dans l’Egypte elle-même. En Israël, D.ieu avait notre intellect, nos émotions, notre comportement mais non notre essence. C’est en Egypte, en dépit des épreuves de l’Egypte, de l’obscurité de l’Egypte, du voilement de l’Egypte, que D.ieu nous posséda complètement avec tout notre être.

Et c’est donc pour cette raison que ce livre est appelé Chemot – les noms.