La joie de Lag Ba Omer a différentes raisons. Les disciples de Rabbi Akiva, qui : « moururent entre Pessa’h et Chavouot »(1), « cessèrent de mourir »(2) en ce jour. C’est, en outre, la Hilloula de Rabbi Chimeon Ben Yo’haï, qui demanda de se réjouir, à cette date. Tout ce qui appartient à la Torah est précis et il y a donc nécessairement une relation entre les deux événements, d’autant que Rabbi Chimeon Ben Yo’haï était lui-même un disciple de Rabbi Akiva. Pourtant, ces deux événements semblent opposés. Rabbi Chimeon fut l’un des cinq disciples de Rabbi Akiva qui survécurent et : « redressèrent la Torah »(3). La joie de ce jour parce que les disciples de Rabbi Akiva cessèrent de mourir souligne donc qu’à Lag Ba Omer, Rabbi Chimeon et les autres élèves restèrent en vie, ce qui est le contraire du décès de Rabbi Chimeon Ben Yo’haï.

On peut donner, à ce propos, l’explication suivante. Quand un Tsaddik quitte ce monde, « toutes ses actions, son enseignement et son service de D.ieu, tout au long de sa vie »(4) sont rassemblés et atteignent alors la perfection, qui éclaire à l’évidence. En l’occurrence, le comportement de Rabbi Chimeon Ben Yo’haï fut l’inverse de celui des vingt-quatre mille disciples qui moururent. Bien plus, c’est grâce à lui qu’ils « cessèrent de mourir », comme nous le montrerons. C’est pour cela que sa Hilloula, le jour en lequel la perfection de son action apparaît à l’évidence, est à Lag Ba Omer, date à partir de laquelle ils cessèrent de mourir.

Rabbi Chimeon est le seul de ces cinq disciples à avoir quitté ce monde à Lag Ba Omer. Il faut en conclure qu’ils « cessèrent de mourir » grâce à lui, plus qu’aux quatre autres. En quoi Rabbi Chimeon se distinguait-il de ces quatre autres élèves de Rabbi Akiva ? Nos Sages disent que : « les vingt-quatre mille élèves de Rabbi Akiva ne se respectaient pas »(5) et ceci paraît surprenant. C’est Rabbi Akiva qui enseigna que : « tu aimeras ton prochain comme toi-même est un grand principe de la Torah »(6). Comment donc ses élèves, définis comme tels par la Torah de Vérité, pouvaient-ils se manquer de respect? En fait, chaque disciple de Rabbi Akiva avait sa propre manière de comprendre l’enseignement de son maître et c’est sur son interprétation qu’il basait son service de D.ieu. L’un retenait l’amour de D.ieu, l’autre Sa crainte. Chacun était pénétré de ce qu’il avait compris, au point de considérer comme imparfaits ceux qui n’avaient pas la même conception que lui. Ils étaient les disciples de Rabbi Akiva, qui soulignaient l’importance de l’amour du prochain. Ils ne se contentaient donc pas de s’élever dans leur propre compréhension. Ils s’efforçaient également de la faire adopter par les autres et, quand un disciple s’y refusait, ils ne pouvaient plus le respecter, car ils étaient sincères et, selon eux, un disciple qui agissait de la sorte servait D.ieu de façon imparfaite.

Ils étaient des élèves de Rabbi Akiva et l’on peut donc penser que cette attitude, consistant à ne pouvoir respecter celui qui ne partageait pas la même conception qu’eux, trouvait sa source en leur maître. Tout au long de sa vie, Rabbi Akiva chercha à donner sa vie pour D.ieu. Comme le rapporte la Guemara, il dit à ses élèves: « Toute ma vie, j’ai été soucieux : quand cela me sera-t-il accordé pour que je le mette en pratique? »(7). De façon générale, l’abnégation entoure la vie de l’homme et se manifeste en tout ce qu’il fait. Il n’est pas une partie de son esprit qui n’en soit pénétrée. C’est de cette façon que les vingt-quatre mille élèves de Rabbi Akiva servirent D.ieu. Ils apprirent l’abnégation de leur maître et ils en firent le fondement de leur service de D.ieu, de leur existence, de tout leur cœur et de toute leur âme. Rien d’autre n’existait pour eux.

Malgré toute l’élévation de leur service de D.ieu, celui-ci n’était pas conforme à la Volonté du Saint béni soit-Il. L’abnégation conduit l’homme à l’extase, à quitter le monde et à s’attacher à D.ieu jusqu’à en perdre la vie. Pour eux, elle était indiscutablement une grande élévation, mais elle ne correspondait pas réellement à ce que D.ieu demande aux hommes. Car, l’extase doit être suivie par une réintégration de la matière, par une révélation de D.ieu ici-bas, par un service de D.ieu ordonné et rationnel.
C’est le sens profond de l’affirmation de nos Sages selon laquelle : « tous moururent... parce qu’ils ne se respectaient pas et le monde était détruit »(8). Ils servaient D.ieu avec abnégation et connaissaient l’extase. Le monde, ici-bas, était donc « détruit », il n’était pas la Résidence de D.ieu, mais le désert du domaine de la sainteté. La Divinité ne s’y révélait pas d’une manière fixe. Ce fut le fait nouveau introduit par ces cinq disciples qui « redressèrent la Torah » et réintégrèrent la matière. Ils étaient eux-mêmes des élèves de Rabbi Akiva et ils avaient donc sûrement de l’abnégation, mais, chez eux, elle était parfaite, comme celle de leur maître, qui : « entra dans le verger en paix » et, de ce fait, « en sortit en paix »(9). En d’autres termes, Rabbi Akiva « entra en paix » avec abnégation et extase, dans le but d’en « sortir en paix » et de réintégrer la matière. Il voulait s’attacher au Saint béni soit-Il jusqu’à atteindre la perfection dans son œuvre de révélation de la Divinité ici-bas.

On peut expliquer, d’une manière allusive, que Lag Ba Omer coïncide, de ce fait, avec le 18 Iyar. Nos maîtres et chefs disent(10) que le 18 Elloul vivifie le service de D.ieu d’Elloul. On peut donc penser que le 18 Iyar, Lag Ba Omer, vivifie le service de D.ieu d’Iyar. On sait, en effet, que Nissan, premier mois depuis la sortie d’Egypte, correspond à l’Attribut de la bonté, ‘Hessed et Iyar, le second mois, à celui de la rigueur, Guevoura. C’est aussi la relation qui peut être faite entre le décès des élèves de Rabbi Akiva et le compte de l’Omer, dont la majeure partie est en Iyar. En effet, le service de D.ieu de ce mois est basé sur l’Attribut de Guevoura, sur l’élévation du bas vers le haut, sur l’extase. Puis, vient Lag Ba Omer, qui vivifie ce service et fait en sorte que l’extase et l’élévation n’aient pas pour effet la mort, le « monde détruit », bien au contraire, qu’elles apportent la vitalité, la réintégration de la matière, qu’elles permettent « d’entrer en paix et de sortir en paix ».

Ce fut précisément le mode de service de D.ieu adopté par Rabbi Chimeon Ben Yo’haï. Pendant les treize ans qu’il passa dans la grotte, il était isolé et séparé du monde, dans l’impossibilité de mettre en pratique les Mitsvot, dont il ne respectait que la dimension morale. Une telle situation est celle de l’extase. Il en résulta qu’en quittant la grotte, Rabbi Chimeon Ben Yo’haï cessa d’être coupé du monde et, bien plus, « chaque fois que Rabbi Eléazar frappait, Rabbi Chimeon guérissait »(11).
Il apporta la guérison au monde et, plus encore, « il demanda ce qui devait être réparé »(12) et il rechercha ainsi ce qu’il pouvait apporter au monde.

Il est dit de Rabbi Chimeon Ben Yo’haï que : « ses traits de caractère étaient un prélèvement de prélèvement de ceux de Rabbi Akiva »(13). Il conduisit à la perfection le service de D.ieu de son maître, Rabbi Akiva, « il entra dans le verger en paix et en sortit en paix ». Aussi, quand il entra dans la grotte et connut l’extase, il était clair, d’emblée, qu’en la quittant, il réintégrerait la matière et apporterait la réparation, la transformation au monde matériel. Il en fut de même pour son étude de la Torah. Avant d’être enfermé dans la grotte, « Rabbi Chimeon Ben Yo’haï posait des questions et Rabbi Pin’has Ben Yaïr y répondait et il donnait : « douze explications ». Puis, après le séjour dans la grotte, « Rabbi Pin’has Ben Yaïr posait des questions et Rabbi Chimeon Ben Yo’haï y répondait » et il donnait: «vingt-quatre explications », le double grâce à la puissance ainsi révélée.

(Discours du Rabbi, Otsar Likouteï Si’hot, tome 3, seconde causerie de Lag Ba Omer)

Notes :
(1) Traité Yebamot 62b.
(2) Meïri, à cette référence, au nom des Gaonim. Tour, Choul’han Arou’h et celui de l’Admour Haza-ken, Ora’h ‘Haïm, chapitre 493, au paragraphe 2.
(3) Traité Yebamot, à la même référence.
(4) Tanya, Iguéret Ha Kodech, au chapitre 27.
(5) Traité Yebamot, à la même référence.
(6) Sifra sur le verset Kedochim 19, 18.
(7) Traité Bera’hot 61b.
(8) Traité Yebamot 62b.
(9) Traité ‘Haguiga 14b, selon la version du Eïn Yaakov. Yerouchalmi, traité ‘Haguiga, chapitre 2, au paragraphe 1.
(10) On verra, notamment, le Sefer Ha Si’hot du Rabbi Rayats, à la page 122.
(11) Traité Chabbat 33b.
(12) Traité Chabbat, à la même référence.
(13) Traité Guittin 67a.