Et Eliézer dit : «Je suis le serviteur d’Avraham. D.ieu a béni mon maître en abondance… et lui a donné du gros et du menu bétail, de l’argent et de l’or… Et Sarah, l’épouse de mon maître a donné un fils à mon maître dans son vieil âge ; et c’est à lui qu’il a donné toutes ses possessions… (Béréchit 24 :34-36)

«Et c’est à lui qu’il a donné toutes ses possessions» : Eliézer leur présenta un acte d’héritage dans lequel Avraham donnait à Its’hak tous ses biens pour qu’ils soient empressés d’envoyer leur fille (pour qu’elle épouse Its’hak) (Rachi, ibid., versets 10 et 36).

Avraham vécut encore trente-cinq ans après le mariage de Its’hak et Rivkah, années pendant lesquelles il se remaria et engendra six enfants. Ainsi était-il adéquat, voire même permis, pour lui de donner «tous ses biens» à Its’hak ? Il est sûr que la moitié de la fortune considérable d’Avraham aurait suffi à faire de Its’hak un parti intéressant pour la famille de Rivkah.

L’être et le néant
La réalité créée, comme nous la connaissons et l’expérimentons, possède deux dimensions : le matériel et le spirituel. Les choses physiques sont celles que nous percevons par l’intermédiaire de nos sens. «Spirituel» est le nom que nous attribuons à ces réalités qui, quand bien même nous en ressentons l’effet et dont l’existence est prouvée par l’expérience, sont dénuées des qualités (substance, forme, quantité, etc.) que rendent un objet réel à nos yeux. Par exemple, nous connaissons et discutons des réalités telles que «la raison», «la volonté», «l’amour», «les âmes», «les anges» et «la sainteté» mais elles ont une existence spirituelle et abstraite plutôt que concrète, et tangible.
C’est pour cette raison que le spirituel est considéré comme plus élevé et plus divin et le physique, plus «bas» et plus distant de D.ieu. Car la loi cardinale de la réalité est que «il n’y a rien dehors de Lui», que D.ieu est la seule véritable existence et toutes les autres existences ne sont que des extensions et des expressions de Son Etre. Il s’ensuit donc que plus un objet exhibe de «réalité apparente» et «d’existence indépendante», plus la vérité divine est cachée. Ainsi, l’existence d’une entité spirituelle est-elle moins en conflit avec l’axiome qu’ «il n’a y a rien en dehors de Lui» et plus prête à servir, apporter et exprimer le Divin.
Il existe, toutefois, un autre aspect dans la différenciation entre le matériel et le spirituel. D’où, en fait, jaillit le sens de l’existence absolue et sans équivoque des réalités physiques ? Comme avec tout dans l’existence, il dérive également de leur source divine. Parce que l’existence de D.ieu est absolue et sans équivoque, parce que D.ieu ne peut être défini par aucune fonction, but ou signification autres que le fait de Son existence, les objets matériels arborent les mêmes caractéristiques. En fait, le monde matériel reflète plutôt que ne démentit la réalité divine. 
En d’autres termes, le spirituel tout comme le matériel affirment l’exclusivité et l’absolu du Divin, mais chacun à sa manière. L’entité spirituelle le fait avec sa soumission et l’annulation d’elle-même (Bitoul). «Moi-même je ne suis rien», proclame-t-elle, «je n’existe que pour révéler une vérité supérieure». La réalité du monde matériel qui s’auto définit est un mensonge, un mensonge que l’on peut réfuter en établissant la souveraineté de l’esprit sur la matière, ou de l’idéal sur le réel. L’égocentrisme de la création doit être réprimé en répandant l’idée que D.ieu est la seule existence vraie et que tout le reste n’existe que pour Le servir et révéler Sa vérité. C’est là la perspective spirituelle de la réalité. 
Par contre, la conception matérielle est opposée : le monde matériel est celui qui transmet la réalité divine. Il est vrai que si l’on considère la création comme quelque chose de distinct du Créateur, le «spirituel» est plus prêt de D.ieu : il possède un «ego» moindre et est moins réel et est donc moins en contradiction avec le principe selon lequel rien n’existe en dehors de D.ieu. Mais si l’on recherche derrière la réalité superficielle d’un monde séparé de D.ieu, et que l’on comprend que la création tout entière n’est rien d’autre qu’une expression de Sa vérité, alors le monde physique exprime une dimension encore plus profonde de cette vérité. Le spirituel renferme certaines qualités divines (la sagesse divine, la bienveillance, l’infini, la transcendance, etc.) alors que le matériel évoque l’être divin, faisant miroir aux qualités inhérentes à l’existence divine, son caractère absolu, sans équivoque et parfaitement autonome.
Il s’ensuit donc que la plus grande manifestation de la vérité divine requiert une union du spirituel et du matériel. Elle requiert une soumission spirituelle de la revendication matérialiste d’être autonome et séparée qui est ostensiblement contraire à la vérité divine. Et elle requiert le développement de cette suffisance comme l’expression absolue de la réalité divine.
C’est là le but de la vie sur terre. C’est à cette fin que l’âme, élément spirituel par excellence, pénètre le corps physique et assume une existence corporelle. C’est à cette fin qu’elle accomplit les mitsvot, faisant des actions concrètes et des objets physiques des lieux d’implantation de la volonté divine.

La première Mitsva
Le mariage est l’équivalent humain de l’union entre l’esprit et la matière L’homme et la femme sont les éléments spirituel et matériel du monde humain. L’homme est l’être «spirituel» dans le sens où il est un guerrier, une créature qui vient défier le statu quo et impose sa volonté à son environnement. La femme est «physique» dans le sens où elle est la nourricière, celle qui cherche à cultiver et identifier la réalité plutôt qu’à la dominer ou la remplacer. L’homme conquiert, la femme développe. L’homme accomplit, la femme est.
C’est pourquoi nos Sages ont dit : «Ce monde que nous traversons est comparable à un mariage». «Fructifiez et multipliez-vous» est le premier commandement enjoint à l’homme, car l’impératif de «s’attacher à sa femme et de devenir une chair» est l’essence de la vie et la raison de notre présence ici : effectuer l’union entre l’esprit et la matière.
C’est la raison pour laquelle Avraham investit «tout ce qu’il possédait» dans le mariage de Its’hak et Rivkah. Comme c’est le premier mariage décrit par la Torah, c’est aussi le prototype de tous les mariages juifs qui le suivront, à la fois au sens littéral et au sens plus large de faire du monde une «résidence pour D.ieu». Dans cette entreprise, est investi tout ce qu’Avraham possède : toutes les ressources, spirituelles et matérielles dont le Tout Puissant pourvoit Son peuple afin qu’il réalise Son but dans la création.