C’est une coutume datant de très loin dans notre histoire de laisser les cheveux d’un garçon pousser et de ne les couper qu’à l’âge de trois ans. On ne sait pas depuis quand exactement  date cette coutume. Les disciples du grand Kabbaliste Rav Yits’hak Louria (le Ari Zal Hakadoch) racontent[1] qu’il emmena son fils, à l’âge de trois ans, auprès du tombeau de Rabbi Chimone Bar Yo’haï, l’auteur du Zohar, à Mérone, non loin de Safed, pour cette cérémonie. Ils n’évoquent pas cela comme une nouvelle coutume qu’il aurait instaurée mais plutôt comme l’adhésion à une coutume ancienne et respectable[2]. Il est remarquable d’ailleurs que cette coutume se soit transmise aussi bien chez les Achkenazim que chez les Sefardim.

La cérémonie est supposée habituer l’enfant à observer la Mitsva des Péot[3] mais, comme nous l’avons mentionné auparavant, c’est considéré comme la première étape de l’éducation juive à un niveau conscient et elle est certainement porteuse d’une plus grande signification  que la simple observance de cette interdiction.

Nos Sages tirent un parallèle entre cette coutume et plusieurs autres Mitsvot, par exemple la Mitsva de Orlah, l’interdiction[4] de bénéficier des fruits de l’arbre durant ses trois premières années. Par contre, la quatrième année, l’heureux agriculteur  apporte sa récolte à Jérusalem afin d’en profiter dans un environnement saint.

L'homme : Un arbre des champs

De même, la Torah compare l’homme à un arbre des champs[5]. Durant les trois premières années de la vie de l’enfant, il n’y a pas de fruits mangeables – peu de réponses tangibles aux efforts fournis par les parents[6]. Mais durant la quatrième année, la récolte de sainteté est abondante : les premiers fruits de l’éducation de l’enfant sont visibles. Il commence à apprendre par cœur des versets de la Torah. Ce processus est initié par une récolte symbolique, la première coupe de cheveux.

D’autres[7] encore comparent cela à la Mitsva de Réchit Haguèz, l’offrande faite aux Cohanim de la laine de la première tonte des moutons[8]. Les Sages de la Kabbalah, la tradition mystique juive, associent les moutons avec l’éveil de la Miséricorde divine et le déversement de la bonté de D.ieu telle qu’elle est tempérée par l’attribut de justice.

D’autres encore[9] font remarquer que dans le Séfer Torah,  le mot Vehitgala’h[10] (« il enlèvera tout cheveu ») est écrit avec la lettre Guimel plus grande que les autres. Comme la lettre Guimel a la valeur numérique de trois, c’est une allusion au fait qu’une coupe de cheveux est un acte sacré accompli quand l’enfant atteint l’âge de trois ans.

À quel âge ?

Il existe plusieurs coutumes quant à l’âge où l’enfant doit avoir sa première coupe de cheveux[11]. Dans la littérature rabbinique, il est mentionné que certains permettent la première coupe de cheveux quand l’enfant atteint l’âge de treize semaines[12]. D’autres encore[13] mentionnent qu’on attendait l’âge de cinq ans. En Eretz Israël, dans la plupart des communautés, la coutume voulait qu’on procède à la première coupe de cheveux à l’âge de trois ans. Cependant, si l’anniversaire de l’enfant tombait en été, nombreux étaient ceux qui procédaient à la première coupe de cheveux le jour de Lag Baomer, auprès du tombeau de Rabbi Chimone Bar Yo’haï, même si l’anniversaire de l’enfant tombait un peu avant ou un peu après cette fête.

La coutume Loubavitch

Dans le milieu Loubavitch, le Rabbi institua que la première coupe de cheveux s’effectue le jour même du troisième anniversaire, ni avant[14] ni après[15]. Quand on lui demanda s’il valait mieux attendre un jour « plus judicieux », il commenta [16]: « Puisque c’est une coutume juive que la coupe de cheveux se passe le jour du troisième anniversaire, c’est donc « le bon  moment ». Qui sait s’il sera possible de trouver un moment aussi favorable de bonté divine ? »[17]. Si, pour diverses raisons, la fête accompagnant habituellement la coupe de cheveux ne peut avoir lieu ce jour-là, on coupera les cheveux de l’enfant le jour de son troisième anniversaire, quitte à célébrer la fête quelques jours plus tard[18]

Généralement, on procède à la coupe de cheveux durant la journée, après la prière du matin. M   ais il est possible de le faire le soir[19].

Dans un endroit saint

Traditionnellement on effectue la coupe de cheveux dans un endroit saint. Comme on l’a mentionné plus haut, le Ari Zal a procédé à celle de son fils à Mérone, auprès du tombeau de Rabbi Chimone Bar Yo’haï. Année après année, particulièrement le jour anniversaire du décès de ce grand Sage, à Lag Baomer, mais aussi durant toute l’année, des milliers de gens se conforment à cette pratique. De même le Radbaz – une autorité rabbinique incontestée du 16ème siècle – évoque[20] une coupe de cheveux qui se serait déroulée auprès du tombeau du prophète Samuel. D’autres encore racontent avoir satisfait à cette coutume auprès du tombeau de Chimone Hatsadik, à Jérusalem[21].

Si on n’habite pas près d’un endroit aussi saint, on essaie de célébrer la coupe de cheveux – ou au moins la coupe de la première mèche -  dans une synagogue ou une maison d’étude de la Torah. On ne peut pas prétendre que c’est manquer de respect que de couper les cheveux dans un tel endroit puisque cette pratique est liée à une fête qu’on peut assimiler à un repas de Mitsva[22].

Les invitations

Si possible, on invite des personnes distinguées - des Rabbanim ou autres personnalités connues pour leur piété – à participer à la première coupe de cheveux. Souvent les ‘Hassidim tenaient à amener leur enfant devant le Rabbi afin qu’il procède à la coupe de la première mèche. Si ce n’était pas possible, ils écrivaient une lettre au Rabbi qui répondait avec une lettre de bénédiction.

Il est normal d’inviter de nombreux convives à partager la joie de l’enfant. On  peut aussi augmenter la joie avec des chants et de la musique.

Inutile de préciser que, puisque c’est une étape décisive dans l’éducation de l’enfant, celui-ci doit être impliqué dans les préparatifs. Il est par exemple conseillé de l’emmener assister à la coupe de cheveux d’un de ses amis ou cousins afin de le familiariser avec cette coutume et de lui donner envie de devenir celui vers qui tous les regards convergent pour fêter dans la joie sa participation active dans l’éducation juive.

Conclusion

Comme mentionné plus haut, il est recommandé de célébrer – ou au moins de commencer – la coupe de cheveux dans un endroit saint, une synagogue par exemple. Le père et la mère seront présents à cette cérémonie. De plus, les grands parents et les amis sont invités à participer car le nombre de participants rehaussent le niveau de la joie dans une fête comme il est écrit[23] : « Plus le peuple est nombreux, plus est grande la gloire du roi »[24].

Pour cette cérémonie, l’enfant portera des tsitsits[25]. Une personne d’un certain niveau  spirituel est invitée à coupe la première mèche. A une certaine occasion[26], le Rabbi conseilla que le premier à couper les cheveux soit un Cohen, suivi d’un Lévi puis d’un Israël. Ensuite, chacune des personnes présentes est invitée à couper une mèche à tour de rôle[27].

(Il n’est pas nécessaire d’achever la coupe de cheveux lors de cette fête. On peut ne couper qu’une partie des cheveux et terminer la coupe à la maison ou chez un coiffeur. Cependant, on ne devrait pas demander à un coiffeur non juif de le faire[28]).

Le Rabbi commençait par couper les cheveux près des Péot, près de l’oreille de l’enfant. On suppose que la raison en est que puisque la coutume a été instituée afin d’habituer l’enfant à ne pas raser les Péot, la coupe devrait commencer là[29].

Les cheveux seront récupérés et enterrés plutôt que d’être jetés à la poubelle. Le Rabbi Min’hat Eléazar avait coutume de peser les cheveux et de donner la somme équivalente en argent pour la Tsedaka (charité)[30].

Selon une coutume basée sur une lettre du père du Rabbi[31], nombreux sont ceux qui ont l’habitude de donner à l’enfant de l’argent à remettre à la Tsedaka. Dans cette lettre, Rabbi Lévi Yits’hak Schneersohn trace un parallèle avec la coutume de distribuer du ‘Hanoucca-gelt (de l’argent de ‘Hanoucca) aux enfants.

Durant la cérémonie, l’enfant devrait réciter le verset « Torah Tsiva ». Certains invitent d’autres enfants à compléter les douze Psoukim, versets de la Torah sélectionnés par le Rabbi et que les enfants doivent apprendre par cœur.

Certains marquent l’occasion avec une véritable fête. Il faudrait au moins distribuer des gâteaux et de la vodka afin de trinquer Le’haïm[32], à la vie. L’enfant sera invité à réciter les bénédictions à haute voix. Nombreux sont ceux qui honorent la fête avec des chants et de la musique[33].

* * *

 

 

[1] Voir Séfer Hakavanot, Inyane Sefirat Haomère, discours 12 ; Pri Etz ‘Haïm, Chaar Sefirat Haomère, chapitre 7 ; Matsévot Kodèche p. 101.

[2] D’après les descriptions de ces textes, il semble que cette visite eut lieu aux alentours de l’année 5330 (1570). Ceci signifie que cette coutume a au moins 400 ans d’ancienneté.

[3] Les pattes qui poussent à côté des oreilles. Voir plus loin le chapitre spécialement dédié à cette interdiction.

[4] Voir Midrach Tan’houma, Parachat Kedochim  section 14 ; Panéa’h Raza – Parachat Kedochim ; Likouté Si’hot volume 27 p. 370.

[5] Deutéronome 20 : 19.

[6] Dans la même veine, on tire un parallèle dans Deutéronome 10 : 16 – qui évoque Orlat Halèv, la barrière d’insensibilité qu’une personne érige autour de son cœur.

[7] Voir Sidour Maharid, volume 1, 169 b ; Igrot Kodèch, Volume 5 p. 22 ; Likouté Si’hot volume 7 p. 351 ; Volume 22, p. 329 ; voir aussi Kehilat Yaakov érè’h Kévess.

[8] Voir Deutéronome 18 : 4.

[9] Rav Chlomo Aharone Wertheimer dans son explication de Midrach Rabbi Aquiva

[10] Lévitique 13 : 33

[11] Voir Ayala Chelou’ha ; Éretz ‘Haïm 493 : 2 ; Bène Pessa’h Lechavouot chapitre 19 ; Peoulat Tsadik volume 3, Responsa 236.

[12] Lékèt Yochar rapportant la décision de Rabbi Israël Isserlin, l’auteur de Teroumat Hédéchène.

[13] Évène Sapir 2 : 47.

[14] Igrot Kodèch – volume 7, p.114.

[15] Ibid – Volume 14 p. 220. Igrot Kodèch  p. 39 explique que, même si l’anniversaire de l’enfant tombe très peu de temps après Lag Baomer, on ne devrait pas lui couper les cheveux à Lag Baomère à Mérone. On attendra jusqu’au jour de l’anniversaire. Voir aussi plus loin – le chapitre consacré aux jours où il est interdit de couper les cheveux.

[16] Igrot Kodèch – volume 2, p. 5

[17] Dans Kountrass Oupchérenich, Rav Yossef Yits’hak Simon cite le conseil du Rabbi à une personne qui avait coupé les cheveux de son fils avant l’âge de trois ans, parce que cette personne n’avait pas apprécié auparavant l’importance de cette coutume. Le Rabbi lui conseilla de laisser pousser les cheveux de l’enfant un certain temps puis de célébrer la coupe de cheveux dans une grande fête par la suite. Ainsi, bien que le lien avec le troisième anniversaire soit absent, l’enfant gagnerait néanmoins un bénéfice éducatif certain.

[18] Igrot Kodèch Volume 22, p. 336.

[19] ‘Hano’h Lannar p. 134.

[20] Volume 2, réponse 608. Voir aussi Atarim Kedochim Beéretz Israël, p. 28 et 29 qui rapporte le journal d’un voyageur anglais venu en Éretz Israël  en 1601. il raconte avoir visité le tombeau du prophète Samuel et avoir observé là-bas des Juifs en train de couper les cheveux pour la première fois à leurs fils.

[21] Voir Chaaré Yerouchalayim p. 47.

[22] Sdé ‘Hémèd, Assifat Dinim, Maaré’het Beth Knessét, section 1.

[23] Proverbes 14 : 28. Nous avons traduit ce verset d’après son explication dans Bra’hot 53 a.

[24] Chaaré Techouva 531 : 7.

[25] On peut effectuer un parallèle entre cette Mitsva et celle des Tsitsits car les boucles de cheveux sont aussi appelées Tsitsits. Comme mentionné plus haut, à partir de l’âge de trois ans, un enfant est tenu d’appliquer la Mitsva des Tsitsits de façon permanente.

[26] Dans une directive adressée à Rav Yits’hak David Groner.

[27] Il n’y a pas lieu de voir un problème à ce que les femmes s’associent à cette fête. (voir Koret Itime p. 69 et 70 ; Ziv Minhaguim p. 105). (Bien entendu, il est inutile d’ajouter que les hommes et les femmes devront être séparés mais l’enfant pourra être amené là où les femmes sont réunies pour qu’elles puissent elles aussi lui couper des cheveux). D’ailleurs certaines autorités rabbiniques conseillent à la mère elle aussi de couper des cheveux de son enfant : comme elle a une responsabilité importante dans l’éducation de l’enfant, elle doit prendre part à la cérémonie qui en  marque le début.

[28] Sdé ‘Hémèd – Assifat Dinim – ‘Hol Hamoèd section 5.

[29] D’autres parmi lesquels le Rabbi de Sklenel ainsi que le ‘Hassid, Rav Itché Matmid commençaient à couper les cheveux à l’endroit où, plus tard, l’enfant posera les Tefilines : la fontanelle.

[30] Segoulot Israël, Maerèt Guimel section 25.

[31] Likouté Lévi Yits’hak – Igrot p. 355

[32] La formule traditionnelle juive lorsqu’on boit de l’alcool dans les occasions joyeuses, afin de se souhaiter de la chance.

[33] Voir Chaaré Yerouchalayim p. 47