Samedi, 14 mars 2015

  • Vayakhel - Pekoudeï
Editorial

 Continuer sur la route d’Adar

La fête de Pourim est passée puis le lendemain, où la célébration continue à Jérusalem, puis le Chabbat qui a apporté sa lumière et sa gloire si particulières et si sensibles. Et voici que le mois d’Adar poursuit sa route. Chacun, sans doute, commence déjà à penser aux préparatifs nécessaires au prochain grand rendez-vous du calendrier : la fête de Pessa’h, qui fait résonner à nos oreilles, dès à présent, la musique de la liberté. Cependant, c’est toujours du mois d’Adar qu’il s’agit. Décidément, entêté et enthousiaste à la fois, il avance sur le chemin qui lui appartient en propre, ce chemin à nul autre pareil, celui de la joie sans limites. Mais, peut-on se dire dans les termes du Talmud, «nous sommes toujours les serviteurs d’Assuérus.» La fête s’est achevée, le miracle s’est produit et nous avons été délivrés de nos ennemis. Cependant, le monde paraît être resté le même. Après tout cela, rien n’aurait donc changé ? Le mois d’Adar ne suivrait-il qu’une voie vaine, un sentier d’apparence, sans prise sur la réalité ? La situation générale n’encline-t-elle pas à des sentiments pour le moins mitigés ? On peut parfois oublier ce qu’elle est mais ne se rappelle-t-elle pas avec force à notre attention dès que celle-ci cesse d’être mobilisée ?

Il faut alors se souvenir du mot de nos Sages, abondamment cité, « quand entre le mois d’Adar, on multiplie la joie. » Certes, cette joie-là est liée à Pourim mais il faut relever que la phrase ne le souligne pas. Ainsi, les Sages indiquent que l’allégresse est une donnée de base du mois en cours, que c’est l’ensemble d’Adar qui en est porteur et non quelques jours privilégiés en son sein. Plus encore, c’est à partir du début du mois que la joie doit augmenter en toutes circonstances, c’est dire que cette croissance doit être continue jusqu’à ce qu’il s’achève. En d’autres termes, la joie ne s’est pas arrêtée avec Pourim, elle a poursuivi son ascension et elle continue de croître jour après jour. N’y a-t-il donc pas une limite à ce que l’homme peut ressentir et vivre dans ce domaine ? Justement non. C’est là une des caractéristiques de cette émotion si précieuse : elle ne connaît de limites que celles que l’homme souhaite lui imposer.

Alors que nous nous trouvons en cette fin d’Adar, notre joie doit chaque jour grandir. Elle est une manière de dire notre confiance en D.ieu. Elle est aussi une clé pour la victoire finale du Bien sur tout ce qui s’y oppose.

Etincelles de Machiah

De l’autre monde à celui-ci

Quand le Machia’h viendra, tous les Justes des générations passées reviendront. Tous, y compris Moïse et les patriarches, descendront du « lieu » où ils se trouvent, au plus haut des mondes spirituels. Ils reviendront dans ce monde, se revêtiront de corps matériels et ressusciteront.

Pourquoi cela en vaut-il la peine ? Car, en ce temps nouveau, la révélation divine dans ce monde-ci sera bien plus haute que celle dont on jouit dans les mondes spirituels.

(D’après Likoutei Torah Bamidbar p.49a) 

Vivre avec la Paracha

 Vayakhel : Le travail passif

L’un des grands paradoxes d’une vie de foi concerne la nécessité de travailler pour gagner sa vie. Si D.ieu est la source de toutes les bénédictions, pourquoi se fatiguer pour avoir une subsistance ? Et si nous travaillons, comment pouvons-nous éviter de penser que c’est notre travail seul qui produit des résultats matériels ? Il semble que nous soyons déchirés entre une passivité absolue et le déni de l’implication de D.ieu dans le monde.

C’est la raison pour laquelle le croyant s’engage dans ce que l’on peut appeler un «travail passif». Dans les versets qui ouvrent Vayakhel, Moché ordonne au peuple d’Israël :

«Six jours le travail sera fait ; mais le septième jour il y aura pour vous un jour saint, un Chabbat des Chabbat pour D.ieu…»

Il n’est pas dit : «Six jours vous travaillerez» mais «six jours le travail sera fait». Cette forme passive suggère que, même pendant les six jours de la semaine, quand le Juif peut et doit travailler, il doit s’occuper et non se préoccuper de ses entreprises matérielles.

C’est ainsi que la ‘Hassidout interprète le verset (Psaumes 128 :2), «si tu consommes le travail de tes mains, tu seras heureux et ce sera bien pour toi». Ce qu’implique ici le Roi David, nous disent les Maîtres ‘hassidiques, c’est que le travail dans lequel s’engage l’individu dans sa quête d’une subsistance (pour que «tu consommes») ne doit être accompli que «de tes mains», une activité déployée par l’extérieur de l’homme et non une implication intérieure. Ses «mains» et ses «pieds» doivent le servir dans ses entreprises matérielles alors que ses pensées et ses sentiments restent attachés aux choses divines. Il s’agit du même concept que l’on retrouve dans le verset «six jours le travail sera fait». L’on ne fait pas son travail ; il est fait, comme par lui-même. Le cœur et l’esprit sont ailleurs et ce ne sont que les facultés pratiques de la personne qui se trouvent engagées dans le travail.

Les Juifs travaillent non pour «gagner leur vie» mais pour façonner «un réceptacle» qui leur permettra de recevoir les bénédictions divines. C’est là le sens du verset de la Torah «Et l’Eternel te bénira dans tout ce que tu feras». L’homme n’est pas sustenté par ses propres efforts mais par la bénédiction de D.ieu. D.ieu désire toutefois que Sa bénédiction se réalise par «tout ce que tu fais». Le travail de l’homme lui apporte un conduit naturel pour la bénédiction divine de la subsistance et il doit sans cesse se rappeler que ce n’est rien de plus qu’un canal. Par ses mains, il le prépare, mais son esprit et son cœur doivent rester concentrés sur la source de la bénédiction.

La ‘Hassidout va encore plus loin. En fait, l’homme ne devrait pas du tout avoir l’autorisation de travailler. Car de D.ieu, il est dit : «Je remplis les cieux et la terre» et «La terre entière est remplie de Sa gloire». La réponse adéquate à l’omniprésence de D.ieu devrait être une passivité absolue. Agir autrement nous rendrait coupables de ce que le Talmud appelle «faire des gestes devant le roi». Si un homme se tenant devant le roi fait n’importe quoi d’autre que de lui vouer toute son attention, il risque sa vie. Ainsi ce n’est que parce que la Torah elle-même le permet, voire le commande, que le travail est permis et désirable.

Mais aller au-delà de l’implication recommandée par la Torah, au-delà du simple fait de faire un «réceptacle» serait en premier lieu montrer un manque de foi dans l’origine divine de la subsistance. D’autre part, cela reviendrait à «faire des gestes devant le roi», un acte de rébellion devant D.ieu.

Le double Chabbat

Cela explique l’expression Chabbat Chabbaton, «un Chabbat des Chabbat», utilisée par Moché dans les versets cités plus haut. Chabbat n’est pas un jour de repos qui suit six jours de labeur intense. Mais plutôt c’est le «Chabbat des Chabbat», un Chabbat qui suit six jours qui sont en quelque sorte eux-mêmes un Chabbat, des jours de travail passif au cours desquels le travail n’engage que les aptitudes extérieures alors que l’essence de la personne se trouve impliquée dans des lieux plus élevés.

En fait, un véritable jour de repos ne peut être que celui qui suit une telle semaine. A propos du verset «six jours vous travaillerez et ferez tout votre travail», nos Sages expliquent : «le Chabbat, l’homme doit se considérer comme si tout son travail est achevé». C’est là le véritable repos, le repos dans lequel on est complètement libéré de toutes les préoccupations hebdomadaires. Si, néanmoins, durant les six jours, la personne a été préoccupée par des considérations matérielles, le septième jour la trouvera envahie par l’anxiété. Même si son corps cesse de travailler, son esprit, lui, ne trouvera pas de repos. Par contre, si elle a accordé à son travail la place qui lui revient, durant la semaine, la lumière du Chabbat l’illuminera et ce sera alors un Chabbat Chabbaton, un double Chabbat, car alors, Chabbat imprégnera toute sa semaine et quand le jour de Chabbat arrivera, il atteindra une double sainteté.

Le jour après Yom Kippour

Cela explique également le contexte dans lequel Moché prononça ces paroles devant toute l’assemblée d’Israël.

Nous Sages expliquent la manière dont la construction du Michkan (le Tabernacle) apporta le pardon et rectifia le péché du Veau d’Or. Apparemment, le Michkan et le Veau d’or avaient un point commun : ils représentaient la consécration de la matière et tout particulièrement de l’or. Cependant, le Michkan était, en réalité, l’opposé même du Veau. Le Veau d’Or représentait la déification de la matière alors que le Michkan était la subjugation de la matière pour servir le Divin. Ainsi, le jour qui suivit le premier Yom Kippour, tout de suite après que D.ieu eut pardonné le péché d’Israël (du Veau d’or), Moché transmit au peuple l’instruction de Lui construire «une résidence» parmi eux. Et ce même jour, le peuple donna son or, son argent et son cuivre pour la construction du Michkan.

Néanmoins, en premier lieu, Moché rassembla le peuple et lui commanda au nom de D.ieu : «Six jours le travail sera fait ; mais le septième jour sera pour vous un jour saint, un Chabbat des Chabbat pour D.ieu…». Cela implique que, tout comme le Michkan, ce commandement est une réfutation de la faute d’idolâtrie et qu’il en apporte le pardon.

Maïmonide retrace les origines de l’idolâtrie dans le fait que la providence divine se trouve canalisée dans les forces et les objets de la nature. Les idolâtres des origines reconnaissaient que le soleil, la lune et les étoiles tiraient leurs forces, pour nourrir la terre, de D.ieu. Cependant, ils leur attribuaient un statut divin. Leur erreur consistait à prendre ces intermédiaires pour des objets d’adoration alors qu’ils n’étaient rien d’autre que des instruments pour D.ieu, tout comme «une hache entre les mains du bûcheron».

Dans un certain sens, la préoccupation excessive investie dans le travail et le monde matériel est également une forme d’idolâtrie. Car cela aussi implique l’erreur d’attacher de la signification à ce qui ne fait rien de plus que de créer un canal naturel pour les bénédictions de D.ieu.

Six jours de travail passif, dans le sens d’un détachement moral et intellectuel et la prise de conscience que le travail humain est un instrument de D.ieu culminant dans un «Chabbat des Chabbat», plein d’inspiration et centré sur la véritable source de nos bénédictions, apportent la véritable bénédiction.

Le Coin de la Halacha

 Qu’est-ce que le ‘Hamets ?

Durant Pessa’h, on n’a le droit ni de posséder ni de consommer du ‘Hamets. Il faudra donc, avant le vendredi 3 avril 2015, se débarrasser de tout aliment à base de céréale fermentée comme par exemple : le pain, les céréales, les pâtes, les gâteaux, certains alcools, médicaments et produits d’hygiène. C’est pourquoi on a coutume de bien nettoyer la maison, le magasin, le bureau, la voiture etc… avant Pessa’h, afin d’éliminer toutes les miettes.

Pour éviter de posséder, même involontairement du ‘Hamets à Pessa’h, on remplira une procuration de vente, qu’on remettra à un rabbin compétent. Celui-ci se chargera alors de vendre tout le ‘Hamets à un non-Juif. Cette procuration de vente peut être apportée au rabbin ou lui être envoyée par courrier, fax ou Internet et devra lui parvenir au plus tard la veille de Pessa’h, cette année jeudi 2 avril 2015.

Il n’est pas nécessaire d’avoir terminé tout son ménage pour dresser la liste de ce qu’on envisage de vendre.

Durant tout Pessa’h, on mettra de côté dans des placards fermés à clé tout le ‘Hamets et la vaisselle ‘Hamets que l’on n’utilisera pas durant Pessa’h mais qu’on pourra « récupérer » une heure après la fête qui se termine le samedi 11 avril 2015 à 21h26 (horaires valables pour Paris et sa région).

Le Recit de la Semaine

 Les affaires sont les affaires !

Avant ma première visite au Rabbi en 1966, je n’avais eu aucun contact avec lui. A cette époque, je rencontrai d’énormes difficultés dans mes affaires à la suite du décès tragique de mon partenaire. J’avais beaucoup entendu parler du Rabbi et, quand un de mes amis me suggéra de le consulter, je sautai sur l’occasion.

Je vivais et travaillais comme comptable à Londres et je pris l’avion pour New York avec Rav Faivish Vogel à qui je demandais, angoissé : «Comment vais-je expliquer mes problèmes en affaires au Rabbi ? C’est vraiment un cas très complexe !». Il suggéra de tout écrire, ce que je fis : près de trente pages ! Rétrospectivement, je m’en veux d’avoir «forcé» le Rabbi à lire une lettre aussi longue mais puisque Rav Vogel m’avait dit…

Quand j’entrai dans le bureau – à deux heures du matin comme c’était souvent le cas – je tendis les feuillets au Rabbi qui se mit à lire. Cela prit du temps et je me demandais : «Pourquoi fais-je perdre du temps au Rabbi ? Ce n’est pas possible qu’il comprenne toutes les subtilités des affaires, c’est bien trop compliqué !».

J’étais encore plus nerveux du fait que le Rabbi ne me posait pas de questions, il continuait à lire.

Quand il finit la lecture, il me posa une question qui touchait directement au cœur de mon travail : «En Angleterre, quand une société est inscrite à la Bourse, comment est-elle évaluée ?»

J’expliquai le système anglais et le Rabbi remarqua : «Ce n’est pas la façon dont les affaires se passent ici en Amérique…» et il m’expliqua comment cela se passait à la Bourse de New York. Puis il me posa une autre question et encore une autre. Je commençai à réaliser que le Rabbi avait senti mes doutes et qu’en me posant ces questions – et en me donnant les réponses - il me montrait en fait qu’il comprenait très bien le monde des affaires en général et mon problème en particulier.

Puis il me demanda : «Connaissez-vous la différence entre Émouna et Bita’hone ?». Non, je ne la connaissais pas.

- Voilà. Les gens croient que Bita’hone (confiance en D.ieu) est une forme plus haute de Émouna, (foi en D.ieu). Mais ce n’est pas ainsi. Bita’hone, c’est une toute autre façon de considérer D.ieu. Quand on a un problème et qu’on a Émouna, alors on croit que D.ieu va nous aider à résoudre le problème. Mais si on a Bita’hone, on ne voit pas du tout que c’est un problème car on comprend que D.ieu n’envoie pas des problèmes, seulement des défis à relever ! 

Puis le Rabbi me donna des conseils pratiques comment m’occuper de ce qui me causait du souci, comment gérer la situation. Ses conseils furent très précieux pour moi, bien plus efficaces que ceux que j’avais été obligé de payer très chers auprès de consultants spécialisés.

Puis il ajouta : «Vous devriez réciter des Tehilim (Psaumes). Si les gens réalisaient ce que les Tehilim peuvent apporter à celui qui les lit, ils liraient des Tehilim continuellement ! Aussi… je pense que vous devriez faire vérifier vos Téfilines !».

Je protestai :

- Mais j’ai de très bons Téfilines !

- Je pense que vous devriez tout de même les faire vérifier, sourit le Rabbi.

Après la prière du matin, je me rendis avec Rav Vogel chez un Sofer (scribe) qualifié qui ouvrit mes Téfilines, les vérifia à la loupe et déclara : «L’écriture des parchemins est très belle, les boîtiers sont en très bon état. Mais… les parchemins ont été placés dans le mauvais ordre !».

J’étais horrifié et, en même temps, je me suis demandé : «Comment le Rabbi savait-il ?». Éternelle question !

Si déjà on parle de Téfilines, je voudrais raconter une autre histoire qui m’est arrivée dix ans environ après cela et qui m’a enseigné une leçon très importante : je traitais des affaires à Detroit et j’y rencontrai un homme qui me posa toutes sortes de questions sur les Téfilines : pourquoi doivent-ils être noirs ? Pourquoi les boîtiers sont-ils carrés et pas ronds etc. Je répondis aussi bien que je pouvais puis lui demandai s’il mettait les Téfilines ; il répondit que non mais, si je considérais que c’était important, je devrais les lui mettre le lendemain à 6 heures 30 du matin, à la boulangerie où il travaillait. Ce fut très dur, j’étais très fatigué mais je tins parole : le lendemain, j’apportais les Téfilines très tôt à la boulangerie et, entre les sacs de farine, il les mit lui-même ; il connaissait parfaitement la bénédiction et récita par cœur le Chema Israël. Étonné, je lui demandai pourquoi il ne les mettait pas régulièrement. Il répondit qu’il n’en avait pas et que c’était trop cher : si on lui en offrait, il accepterait de les mettre chaque jour. Je promis de lui en apporter la prochaine fois que je serais à Detroit, dans six semaines à peu près.

Cette nuit-là, je pris l’avion pour New York et écrivis au Rabbi cette histoire. Le Rabbi répondit immédiatement : «Estimez-vous qu’il soit juste qu’un Juif qui a mis les Téfilines pour la première fois depuis vingt ans doive attendre encore six semaines ? Achetez-lui une paire aujourd’hui et trouvez un moyen de les lui faire parvenir le plus tôt possible !». J’admis la suggestion, achetai (à crédit) une paire de Téfilines et trouvai une compagnie d’aviation qui accepta de les transmettre à Détroit où quelqu’un se chargea de les faire parvenir au boulanger. Je fis part au Rabbi de la réussite de cette entreprise et il en fut très satisfait.

Six semaines plus tard, je revis le boulanger qui m’assura : «Je les mets régulièrement maintenant. Il arriva même un jour que je fus pris dans un embouteillage et je préférai garer ma voiture n’importe où pour me rendre à pied chez moi et arriver à l’heure pour pouvoir les mettre avant le coucher du soleil. Je devais les mettre parce que cela avait une si grande importance pour vous !». Ses mots faisaient écho à ce que m’avait dit le Rabbi : «Quand ce Juif remarquera combien il est important pour vous qu’il mette les Téfilines chaque jour, cette Mitsva aura une importance particulière à ses yeux !».

Bentzion Rader – JEM

Traduit par Feiga Lubecki