Semaine 16

Editorial
Vivre un temps complexe

Depuis le début de la fête de Pessa’h, nous sommes entrés dans un temps plus complexe qu’à l’accoutumée, comme marqué par des caractères opposés. Voici qu’en effet l’Omer et son décompte ont commencé. C’est, d’une part, l’époque de l’impatience qui sépare la sortie d’Egypte du Don de la Torah. Une impatience doublée d’une élévation spirituelle progressive qui fait que chaque jour semble différent de celui qui l’a précédé comme de celui qui le suivra. C’est, d’autre part, un temps où la joie fait l’objet d’une retenue que le caractère jubilatoire de l’attente évoquée plus haut ne permettrait pas d’imaginer. Souvenir d’un épisode tragique de l’histoire juive, rappel des méfaits de la désunion et du manque de respect de l’autre, un trait de gravité souligne de ce fait les jours qui passent.
Il est ainsi demandé aux hommes de vivre, dans le même temps, sur deux plans comme si cela allait de soi. De fait, dans notre vie quotidienne, il existe souvent des situations ambivalentes du même type qui résistent à l’analyse rationnelle mais auxquelles nous parvenons à donner un sens. Car, d’une certaine manière, l’enjeu de la création est là. Il appartient à chacun de tracer son propre chemin et de choisir avec sagesse le but qu’il s’assigne.
La période de l’Omer est, aussi, pour cette raison, une invitation à cette grande aventure spirituelle que constitue la recherche de la perfection. Elle donne à celui qui le désire les moyens de progresser de degré en degré jusqu’au moment indépassable que constituera, lors de la fête de Chavouot, le Don de la Torah et la rencontre avec D.ieu. Il ne s’agit pas là d’un temps ordinaire ni de jours anodins. Il faut, au contraire, ressentir comme une palpitation d’infini dans l’existence de tous. Il revient à chacun de savoir faire le choix nécessaire : celui de l’avancée. Il nous portera de degré en degré jusqu’à la liberté absolue, couronnement de la Délivrance annoncée par les prophètes, que Machia’h nous apportera.
Etincelles de Machiah
La raison de l’attente

Dans le Michné Torah (Hil’hot Mela’him, chap. 12, Hala’ha 4), Maïmonide décrit la réponse par laquelle les Sages ont, de tous temps, tant désiré la venue de Machia’h. Il précise alors : “Ils ne l’ont désiré que pour être libres pour se consacrer à la Torah”.
Cette formulation permet de comprendre un enseignement important : pour les Sages, la nouvelle ère n’est pas une simple récompense pour l’œuvre spirituelle accomplie pendant la période de l’exil. Bien au contraire, elle est la poursuite et l’aboutissement de ce long effort. C’est ainsi que la seule raison réelle de l’attente impatiente et ardente de Machia’h est la volonté d’atteindre alors une telle perfection et non de recevoir la récompense pour des actes passés.
Ce désir est, dès lors, un élément indissociable de l’effort présent.
(d’après Séfer Hasi’hot 5748, vol.I, p. 80)
Vivre avec la Paracha
Tazrya Metsora : L’âme fugitive

Les Parachiot de Tazrya et Metsora discutent des lois de tsaraat, une maladie spirituelle que l’on pouvait identifier par une ou des marque(s) blanche(s) apparaissant sur la peau d’une personne, sur les murs d’une maison ou sur un vêtement de cuir.
Toute tache blanche ne signifiait pas forcément qu’il s’agissait de tsaraat. Plusieurs symptômes secondaires devaient déterminer si la personne (la maison ou l’habit) devait être déclarée taméh (impure). Sur le corps humain, l’un des signes de tsaraat consistait en ce que la tache blanche ait provoqué le blanchissement de deux poils proches d’elle.
Concernant cette loi, un passage remarquable du Talmud relate un «débat» se tenant dans l’Académie Céleste qui déclara : si la tache blanche précède le poil blanc, elle est impure. Si le poil blanc précède la tache, elle est pure. […]

Prendre de la fuite de soi-même
Il nous faut saisir la nature de la maladie de tsaraat, en général, et le sens de la tache blanche et du poil blanc, en particulier.
La ‘Hassidout explique que l’âme humaine est dirigée par deux forces contraires : l’aspiration à «courir» ou «s’échapper» (ratso) et la tendance à «s’installer» (chouv). Chaque fois que nous sommes envahis d’enthousiasme, d’amour ou d’aspiration, nous «courons», échappons à notre moi pour atteindre quelque chose de plus grand, plus beau et plus parfait. Quand nous ressentons de la crainte, de l’humilité, de la dévotion et un désir d’implication, nous nous «installons», affirmant notre lien avec notre existence, notre place dans le monde et notre mission dans la vie. Ratso nous pousse à gravir une montagne, chouv à construire une maison, ratso à prier, chouv à accomplir une mitsva.
Dans une âme spirituellement saine, la volonté vacille entre ratso et chouv comme le mouvement du balancier d’une horloge, comme les contractions et les relâchements d’un cœur qui bat tranquillement. Les contraintes du monde, la finitude de notre nature et les limites de notre propre corps, nous engagent tous à les fuir, à aspirer à l’infini. Mais cette fuite elle-même nous conduit à un lieu d’où nous pouvons mieux apprécier la beauté et la nécessité de notre existence. Ainsi le ratso culmine et suscite une réaction de chouv, un retour à soi et à notre place dans le monde.
Tsaraat est la situation dans laquelle l’équilibre crucial est rompu, dans laquelle l’âme monte dans son ratso mais ne revient pas dans le chouv. La volonté échappe au moi mais manque de revenir, laissant derrière elle un vide dans lequel toutes sortes d’éléments indésirables peuvent désormais prendre racine comme des ronces dans un jardin abandonné.
C’est là le sens des «taches blanches» et des «poils blancs», les symptômes de tsaraat. Une tache blanche sur la peau indique que la vie et la vitalité ont quitté cette partie du corps. Mais une tache blanche isolée ne signifie pas que l’échec de la volonté a entraîné des développements négatifs dans le caractère et le comportement de cette personne. Ce n’est le cas que si des poils blancs, des «choses mortes», surgissent dans un «lieu mort».
Par ailleurs, l’existence de poils blancs n’indique pas, en elle-même, un cas de tsaraat. Ils peuvent représenter les détritus dont nous nous débarrassons tout au long de la vie, les expériences et les traits négatifs ordinaires qui nous défient et suscitent le réveil de nos talents et nos énergies latents.
Ce n’est que lorsque les poils blancs sont causés par les taches blanches que quelque chose de sérieux est à considérer. Il s’agit alors d’une personne qui a abandonné ses implications dans la vie, et sa productivité, laissant derrière elle un espace dévitalisé.
La matérialité de la vie évoque donc en l’âme un désir de s’en libérer et de se fondre dans le Divin. Mais plus elle en approche, plus elle reconnaît qu’elle ne peut accomplir Sa volonté que dans un corps physique.
Chaque Mitsva nourrit notre âme : chacun de ses actes est un accomplissement qui donne à notre vie toute sa vitalité et empêche les taches blanches de naître et les poils blancs de pousser.
Le Coin de la Halacha
Quelles sont les lois et coutumes liées à la Brit Mila (circoncision) ?

La Brit Mila est une obligation fondamentale ; elle scelle l’entrée de tout Juif dans l’alliance avec D.ieu telle qu’elle a été accomplie par Avraham notre père et proclamée par D.ieu sur le mont Sinaï.
- C’est une Mitsva, un commandement pour le père de circoncire son fils à l’âge de huit jours – ou de désigner un autre Juif pour le faire.
- Tout garçon né d’une mère juive doit être circoncis. Si cela n’a pas été fait le huitième jour, ceci doit être accompli le plus rapidement possible.
- C’est le père qui confie l’enfant et le place sur les genoux du « Sandak », celui qui tient l’enfant pendant la cérémonie. C’est aussi le père qui tend le couteau au Mohel (celui qui effectue la Brit Mila).
- Le père se tient au côté du Mohel.
- Après la Brit Mila, le père récite la bénédiction :
« Barou’h Ada Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidechanou Bémitsvotav Vetsivanou Leha’hnisso Bivrito Chel Avraham Avinou ».
Béni sois-Tu Eternel notre D.ieu qui nous a sanctifiés par Ses commandements et nous a ordonné de le faire entrer dans l’alliance d’Avraham notre père.
Les personnes présentes répondent : « Kechem Chéni’hnass Librit, Kène Yikaness LeTorah, Le ‘Houppa Oulemaassim Tovim ».
Comme il est entré dans l’alliance qu’ainsi il célèbre sa Bar Mitsva, son mariage et fasse des bonnes actions ».
- On veille à choisir des personnes scrupuleuses dans l’accomplissement général des Mitsvot, aussi bien pour le Sandak que pour le Mohel.
Il est d’usage d’honorer le grand-père pour la fonction de Sandak. Il est d’usage de ne pas honorer deux fois la même personne comme Sandak dans la même fratrie.
- On offre un repas de fête après la cérémonie.
- Une fois que le prénom juif aura été donné au garçon le jour de sa Brit Mila, on inscrira l’enfant à l’école juive en versant les frais d’inscription ; on achètera également à l’enfant une lettre dans un Séfer Torah.

F. L. (d’après Junior Code of Law – Rav Nissan Mindel)
De Recit de la Semaine
Ivresse ou inspiration…

La vie en Union Soviétique n’était pas facile pour Yane Krichevsky. Comme son père était déterminé à ne pas travailler Chabbat, il devait se contenter de petits travaux au noir, ne sachant ainsi jamais d’où proviendraient ses prochains revenus. Souvent Yane allait manger chez des amis, les Belenitzsky : le père était comptable dans une usine et parvenait à ne pas travailler Chabbat car il restait tard le jeudi soir et se présentait tôt le dimanche matin. Enfant, jamais Yane n’entra dans une synagogue à cause du danger que cela représentait mais sa mère avait engagé un professeur particulier qui venait à la maison lui enseigner les bases du judaïsme. Elle le payait en nature, avec un peu de nourriture qu’elle parvenait à obtenir.
Par contre, Yane obtint de bons résultats dans ses études générales.
Comme il épousa une jeune fille juive de Samarkand, il apprit que la vie juive dans les républiques soviétiques d’Asie Centrale y était plus facile. Bien que les Juifs ne soient pas autorisés à pratiquer leur judaïsme en public, ils y couraient moins de dangers. Yane s’intégra bien vite dans le style de vie Loubavitch qui était chaleureux et organisé. Il aimait particulièrement les réunions ‘hassidiques, où les chants succédaient aux histoires, les explications profondes aux résolutions aussitôt mises en pratique… Pour la première fois, il rencontrait des Juifs dont toute l’existence était vouée au désir de mieux servir D.ieu. Pour eux, la prière était un moment privilégié, les mots n’étaient pas récités machinalement mais chacun avait une signification profonde et était murmuré avec ferveur, comme un joaillier enfile des perles.
Par ailleurs, Yane réussissait dans les affaires. Il possédait maintenant de nombreuses usines et y employait les Juifs désireux de ne pas travailler Chabbat. Comme les Belenitzsky, il ouvrit sa maison pour aider ceux qui étaient dans le besoin. Il y eut des époques où le sol de sa salle à manger était couvert de matelas… Son épouse préparait de la nourriture cachère pour les détenus dont le seul crime avait été de répandre le judaïsme en enseignant clandestinement la Torah.
Comme il dirigeait de nombreuses usines qui fonctionnaient bien – ce qui était rare sous le régime communiste – il avait beaucoup de relations haut placées. Mais il était aussi étroitement surveillé. En distribuant généreusement pots-de-vin et vodka de luxe, il parvenait à continuer ses activités plus ou moins légales.
A la naissance de son second fils, Yane fut immédiatement averti par les autorités locales : «Si tu fais circoncire ton fils, tu seras immédiatement envoyé en Sibérie pour dix ans !»
Yane refusa de se laisser impressionner ; il affirma qu’il respecterait leur recommandation mais qu’il avait tout-à-fait le droit d’inviter parents et amis pour fêter la naissance. Avec son épouse Ra’hel, ils invitèrent famille et amis, tous membres de la communauté ‘hassidique. Pour ne pas éveiller de soupçons, ils invitèrent également M. Spiegel, un officier de haut rang du gouvernement ouzbek à Tachkent – qui se trouvait être juif.
Alors que la fête battait son plein, Yane servit à Spiegel un grand verre de vodka. Puis un serveur lui en proposa un autre et un des convives le défia d’en boire un troisième. Il ne lui en fallait pas plus pour s’écrouler, complètement ivre.
On put donc célébrer tranquillement la Brit Mila !
Les Krichevsky donnèrent à Rav Shmaya Marinovsky – un ‘Hassid remarquable par sa piété et tenu par tous en très haute estime – l’honneur d’être le Sandak, celui qui tenait le bébé sur ses genoux pendant la cérémonie. La longue barbe blanche de Rav Marinovsky était humide de larmes de joie pour cette immense Mitsva : un enfant juif entrant dans l’alliance d’Avraham grâce aux efforts et au dévouement de ses parents ! Si Spiegel reprenait ses esprits trop vite, Yane risquait d’être envoyé en exil pour longtemps.
Comme le veut l’usage, l’enfant reçut à cette occasion officiellement son prénom juif, en l’occurrence Matitiahou, en hommage au héros de l’histoire de ‘Hanouccah, le grand prêtre qui se leva contre l’oppresseur gréco-syrien et qui remporta la victoire.
Tandis que la foule se dispersait, Spiegel se réveilla soudain et demanda, en pointant du doigt Rav Marinovsky : «Qui est cet homme saint ?»
Inquiets que Spiegel ait soupçonné quelque chose, les convives expliquèrent qu’on avait l’habitude de demander à un homme âgé et respectable de tenir le bébé et de le bénir.
L’officier communiste déclara : «Je veux m’incliner devant lui et embrasser sa main !» Rav Marinovsky trembla et pâlit, craignant le pire pour Yane et sa famille.
Nul n’osait imaginer les conséquences de cette «fête».
Quelques temps plus tard, Yane se rendit au bureau de M. Spiegel à Tachkent. Il voulait en avoir le cœur net : Spiegel l’avait-il dénoncé aux autorités, ce qui aurait pour effet de mettre toute la communauté juive en danger ? Au cas où… Yane avait apporté quelques «menues marchandises» qui pourraient acheter les faveurs de n’importe quel officier corruptible.
Mais il n’y avait plus de pancarte au nom de Spiegel sur la porte de son bureau. Ni ailleurs dans tout le bâtiment. En Union Soviétique, ce genre d’incident signifiait que la personne avait probablement été arrêtée.
De plus en plus inquiet, Yane procéda à sa propre enquête : les autorités soviétiques avaient-elles découvert que Spiegel avait assisté à une circoncision rituelle ? Yane et sa famille seraient alors inquiétés bien vite.
Mais à sa grande surprise, il apprit que Spiegel avait pris sa retraite «pour raisons de santé».
Yane décida de lui rendre visite chez lui.
Quand Yane retrouva Spiegel, celui-ci lui expliqua qu’il avait été très impressionné par le fait que des Juifs soient prêts à tout pour maintenir vivace leur judaïsme et qu’il avait décidé de mettre un terme à sa carrière pourtant si prometteuse afin de retourner à ses racines juives.

David Zaklikowski
www.chabad.org - Acharei-Kedoshim 5769
traduit par Feiga Lubecki