Semaine 29

Editorial
Le vide et le plein
Les rythmes sociaux ont leur logique propre. Ils entraînent les hommes plus qu’ils sont conduits par eux et chacun de les suivre avec une fidélité et un enthousiasme qui mériteraient sans doute de meilleures causes. C’est ainsi que la période d’été est celle où tout semble se ralentir. L’activité générale se maintient encore mais comme en pointillés. Un seul sujet de préoccupation paraît alors pleinement légitime, outre le temps qu’il fait ou qu’il fera : les vacances. De fait, elles sont déjà présentes pour beaucoup et à notre porte pour les autres. Dans nos sociétés lasses, elles sont comme un grand moment longtemps attendu, constamment espéré. Le rythme du monde marque décidément la cadence. Un simple mot a tout changé : les vacances sont là et elles mènent la danse.
Il faut donc y réfléchir avec toute l’intensité que réclament les affaires urgentes. «Vacances», le mot renvoie à «vacuité» ou «vide». C’en est, de fait, l’origine ; les vacances ne sont-elles pas clairement ce temps «vide», cette époque de toutes les disponibilités, où aucune limite ne vient contraindre l’expression de ce que l’on est vraiment. Pourtant, dans ce contexte, cette même notion peut aussi avoir une autre traduction : les vacances peuvent, si l’on n’y prend garde, devenir une période dénuée de toute signification, littéralement vide… de sens. Elles se déroulent alors, jour après jour, avec pour seul but d’assurer de manière la plus indolore possible le passage du temps. Certains n’accorderont ainsi de place qu’au repos du corps, à une forme de culte du soleil nouvelle manière. Mais ne nous méprenons pas : le repos, la santé sont des choses éminemment importantes. Il convient d’y veiller et la période des vacances sert aussi à cela. Cependant, alors que l’année, bien souvent, ne nous a pas laissé de grandes plages de liberté, faut-il se limiter à une telle approche ? Les vacances ne doivent-elles pas être également cet espace privilégié où on peut enfin se retrouver avec soi-même, avec les siens et partager pleinement notre patrimoine commun : le judaïsme ?
Ce n’est pas ici qu’un rêve ou un souhait. Toutes les possibilités existent. Séminaires d’étude, conférences sur les lieux de villégiature, livres à lire ou étudier dans la langue que l’on comprend, tout est à portée. Sachons agir. Il n’est de meilleur vide que celui qui appelle la plénitude. Celui du temps qui passe peut être, pourvu que nous le voulions, celui de la plus belle des libertés : celle de l’âme.
Etincelles de Machiah
Quand le Chabbat viendra

A propos du verset (Exode 20 : 8) «Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier», Rachi écrit : «Souviens-toi du jour du Chabbat constamment de telle sorte que, si tu trouves quelque chose de spécial (pendant la semaine), mets-le de côté pour Chabbat».
Il en est de même pour la Délivrance future. Même si nous sommes encore en exil, nous devons toujours garder en tête la venue de la Délivrance et nous y préparer car (Talmud, traité Tamid) «ce jour sera entièrement Chabbat et repos pour l’éternité».
(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, 11 Sivan 5744) H.N.
Vivre avec la Paracha
Matot Massé : Le paradoxe de la souffrance

Voici la terre qui vous reviendra en héritage, la terre de Canaan selon ses frontières. Votre côté sud commencera au désert de Zin le long d’Edom… la frontière ouest sera la mer Méditerranée… cela sera votre frontière nord : depuis la mer Méditerranée vous tournerez au mont Hor… vous tracerez pour vous comme frontière de l’est depuis ‘Hatsar-enan jusqu’à Chefam… cela sera la Terre pour vous, selon ses frontières tout autour. (Bamidbar 34 :2-12)

Yehouda est parti en exil à cause de la souffrance et la grande servitude. Il a résidé parmi les nations mais n’a pas trouvé de repos ; tous ses poursuivants l’ont traqué dans des confinements [bein hamétsarim] (Meguilat Ei’ha - Lamentations 1 :3)

A un moment ou à un autre, nous devons affronter des événements qui nous paraissent si terribles qu’ils nous menacent émotionnellement et psychologiquement. Un être aimé disparaît, à D.ieu ne plaise, un emploi que l’on croyait stable est perdu, la santé se détériore soudain. Comment concevoir ces difficultés de la vie quand tout nous apparaît obscur et que nous n’arrivons pas à voir au-delà des limites de notre propre douleur ?
Contrairement à notre expérience d’événements bouleversants, la Torah nous dit que « rien de mal ne descend d’En Haut». Cette déclaration de nos Sages implique que tout ce qui arrive possède un bien inhérent car cela vient de D.ieu, «le paroxysme du bien». Mais comment concilier les vérités de la Torah avec la réalité que nous percevons ? Même en supposant que du bien peut découler de la difficulté, si D.ieu désire réellement nous donner du bien, pourquoi ne nous envoie-t-Il pas simplement des bénédictions claires, ouvertes, sans que l’on ait besoin d’expérimenter la douleur ou la détresse ?

Les moments de souffrance
La Paracha de cette semaine, Massé, se lit toujours durant la période connue sous le nom de «bein hamétsarim», les trois semaines qui séparent le jeûne du 17 Tamouz de celui du 9 Av. Ces deux dates sont connues comme les plus tristes du calendrier juif, liées à notre exil. Le 17 Tamouz est le jour où les murs du Premier Temple subirent les premières brèches. Le 9 Av est le jour où les deux Temples furent détruits. Les Trois semaines sont donc une période de deuil où l’on ne fait pas de fêtes etc. Dans la Torah, il ne s’agit pas de coïncidences. C’est pourquoi le fait que Massé soit toujours lu durant les «Trois Semaines» indique qu’il y a là matière à réflexion. Pourtant, la Paracha Massé contient les dernières instructions de D.ieu au Peuple Juif avant son entrée en Israël, y compris la description des frontières exactes du pays alors qu’au contraire, les événements de la Torah qui se produisirent dans ces Trois Semaines causèrent l’exil du peuple en dehors de cette même terre ! Pour pouvoir résoudre cette contradiction apparente, nous devons au préalable examiner la dimension profonde de ces éléments : la Terre d’Israël et l’exil.
Ce n’est pas par hasard si de toutes les terres du monde, seule la Terre d’Israël a reçu le titre de «Terre Sainte». Selon les mots de la Torah, c’est «la terre constamment sous le regard de D.ieu… du début de l’année à la fin de l’année». Quand nous sommes dans un état de liberté spirituelle, comme ce fut le cas durant les 810 ans où existèrent le premier puis le second Temples, c’est la terre où les bénédictions de D.ieu peuvent être perçues comme telles, sans être voilées par la nature et où notre subsistance est reconnue comme émanant directement de D.ieu. C’est pourquoi, en termes spirituels, Israël représente la Divinité comme clairement manifeste dans la création.
Mais dans les autres terres, D.ieu a choisi de cacher Sa présence derrière les habits de la nature. En conséquence, nous associons notre subsistance avec le travail de nos propres mains et non avec les bénédictions divines. Par essence, c’est là l’état d’exil. «Nous ne voyons plus Tes merveilles» se lamente le Juif exilé. En réalité, rien n’a changé, le monde est toujours contrôlé par l’Architecte Divin de l’univers, c’est seulement notre perception qui a été modifiée.
Bien qu’Israël et l’exil soient des états d’être diamétralement opposés, c’est précisément la Terre d’Israël ou plus précisément ses frontières qui donnent à l’exil la possibilité d’exister. Tout comme au sens matériel, les frontières mentionnées dans la Paracha délimitent l’étendue d’Israël et permettent donc l’existence «d’autres terres», il en va de même dans le domaine spirituel : le fait que la Divinité ne soit révélée que dans un «espace» limité signifie que tous les autres espaces restent «vides» de cette révélation. En d’autres termes, le fait que la Divinité soit masquée vient du fait que Sa manifestation est limitée. Ainsi, la possibilité de l’exil, le temps où la Divinité est obscurcie (le thème des trois semaines) est le résultat direct des limites placées sur la «Terre d’Israël» (le thème de Massé).
Cette explication éclaire le lien entre la Paracha Massé et «bein hamétsarim» d’une lumière quelque peu négative : le fait que les limites d’Erets Israël permettent des tragédies comme celles qui se produisirent le 17 Tamouz et le 9 Av. Néanmoins, si nous faisons une analyse plus profonde, une perspective complètement différente s’ouvre à nous.

Des temps d’épanouissement
Bien qu’en surface le Galout apparaisse comme une punition terrible pour nos fautes, à un niveau plus profond, il s’agit de tout le contraire. Le défi de l’exil est ce qui permet aux forces les plus puissantes de notre âme de s’exprimer.
Pendant environ 2000 ans, nous avons souffert aux mains d’étrangers. Nous avons été torturés, asservis et bannis. Et pourtant, une donnée est restée inébranlable : notre foi immuable en D.ieu, Sa Torah et la Rédemption ultime. Rien de ce que le Peuple Juif qui vécut durant «l’âge d’or» de Jérusalem aurait pu faire, ne pouvait exprimer un tel engagement de l’âme. Nous seuls, qui vivons dans l’obscurité de l’exil, avons reçu le défi d’aller chercher les ressources les plus puissantes, les plus profondes de notre âme, notre moi essentiel où «Israël et D.ieu sont complètement unis». Comme l’écrit le Psalmiste : «du tréfonds de la détresse, j’ai appelé D.ieu, avec abondance D.ieu m’a répondu». Par la détresse, nous parvenons à atteindre notre fond réel, sans limites, l’étincelle de D.ieu qui est l’âme. C’est là le véritable but de l’exil : nous permettre d’accéder à nos aptitudes infinies et de les exprimer. Il en va de même pour les frontières de la terre d’Israël. Bien qu’elles présentent des limites de la manifestation de D.ieu dans le monde, c’est précisément ce voilement qui réveille le véritable potentiel de l’âme.
C’est là la leçon que nous pouvons tirer de la Paracha Massé et de la période de «bein hamétsarim». Nous ne devons pas envisager les difficultés comme une expérience totalement négative. Alors que ces situations sont souvent hors de notre contrôle, l’attitude avec laquelle nous les abordons, elle, est entre nos mains. Nous avons l’aptitude d’accepter ces défis comme ce qu’ils sont : l’occasion de grandir et de nous développer. Bien qu’il se puisse que nous ne comprenions jamais pourquoi certaines choses arrivent, elles doivent faire de nous des gens meilleurs.

Basé sur un discours du Rabbi, Motsaé Chabbat Parachat Matot Massé 5739 (1979)
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que Ahavat Israël ?

Rabbi Akiva disait : «Tu aimeras ton prochain comme toi-même (Vayikra Lévitique 19), c’est un grand principe de la Torah !»
Il convient d’aller et d’annoncer, d’expliquer - et d’agir auprès de chaque Juif - que cette Mitsva incombe à chacun; on doit expliquer que l’autre Juif est véritablement comme «soi-même, sa propre chair !» Si on explique cela en en étant soi-même profondément persuadé, alors «les paroles qui sortent du cœur pénétreront dans le cœur !» et ceux qui auront été convaincus sauront convaincre encore d’autres !
Même si on doit parfois adresser des reproches à un Juif, on doit néanmoins l’aimer «comme soi-même».
La Mitsva de «Ahavat Israël» inclut : la visite aux malades, la consolation des endeuillés, la participation aux enterrements, l’aide financière aux futurs mariés, l’hospitalité etc.
Aimer l’autre juif et lui rendre service ne doit pas être le résultat d’un calcul («Je l’aide pour qu’on m’aide plus tard quand j’en aurai moi-même besoin») mais doit s’effectuer avec une abnégation totale : tel est le «signe», la qualité d’un Juif.
«Ahavat Israël est une Mitsva qui s’applique envers tout Juif, même celui qu’on n’a jamais vu ; à plus forte raison envers celui de sa communauté !» (Rabbi Chnéour Zalman).
Il convient de déclarer – et de le penser sincèrement – chaque matin avant la prière : «Je m’engage à accomplir le commandement de ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même’».
On doit aimer chaque Juif – même le plus simple – comme on aime le plus renommé et le plus sympathique – parce qu’il est juif et que «nous avons un seul Père».
De même que le Temple a été détruit à cause de la haine gratuite, de même il sera reconstruit grâce à Ahavat Israël.

F. L. (d’après le Rabbi)
De Recit de la Semaine
Kaddich avec Oprah

Le téléphone sonna dans ma chambre d’hôtel à New York. On était en 1995 et j’étais dans l’année de deuil pour mon père, David Marcovitch, que son mérite nous protège. J’habite à Toronto mais, comme je suis producteur de cinéma, je voyage beaucoup.
Durant les onze mois où je dus réciter le Kaddich (que les orphelins disent lors des trois offices de la journée), j’eus l’occasion de visiter de nombreuses synagogues, de San Francisco à Halifax. Une fois, lors d’une escale à Detroit, on me donna l’adresse d’une vieille synagogue : il y avait là neuf octogénaires. Comme j’arrivai inopinément et qu’il leur manquait justement un dixième pour compléter le Minyane, ils m’accueillirent vraiment comme le Machia’h !
Mais ce coup de téléphone à New York fut le début d’un processus qui allait me mener au Kaddich le plus mémorable de cette année.
Je venais de terminer un documentaire appelé «La vente des Innocents». Le film avait déjà gagné un Emmy (l’équivalent d’un Oscar) et avait attiré l’attention de Oprah Winfrey, la présentatrice de télévision la plus célèbre du monde. Le producteur à l’autre bout du fil me demanda si je voulais bien prendre l’avion pour Chicago et être interviewé avec mes collègues le surlendemain dans l’émission d’Oprah.
J’étais ravi. Ce genre d’offres n’arrive pas tous les jours. C’était le rêve de tout producteur : une publicité immédiate, la célébrité assurée et la promotion du film instantanée.
- J’aimerais vous répondre positivement mais ce n’est pas possible !
- Et pourquoi pas ? demanda la productrice, Lisa, étonnée (personne n’est jamais «trop occupé» pour refuser d’apparaître dans l’émission d’Oprah).
- J’ai un problème.
- Quel problème ? demanda Lisa.
- C’est compliqué.
- Néanmoins, essayez de m’expliquer !
C’est ainsi que j’expliquai à cette productrice non-juive, habituée aux caprices des stars, l’obligation de réciter Kaddich pendant un an au sein d’un Minyane, dix Juifs en prière. D’habitude, quand je l’explique, les gens ne comprennent pas vraiment. Je leur dis que j’ai besoin d’un Minyane et ils m’amènent devant une synagogue… vide. Mais là, il s’agissait d’Oprah : essayons donc.
- Je suis juif ; mon père est décédé. Dans notre religion il m’incombe de réciter trois fois par jour une certaine prière appelée le Kaddich qui est, de fait, une glorification du Nom de D.ieu. Pour cela, j’ai besoin d’un «quorum» ce qu’on appelle un Minyane, dix hommes juifs. Je ne peux pas laisser passer ce rite. Si je prends l’avion pour Chicago, je devrai me rendre dans une synagogue avant l’émission d’Oprah.
- J’ai compris ! Vous avez besoin d’un Minyane pour le Kaddich. Dix hommes juifs. Pour l’office du matin ! Je m’en occupe !
- Ce n’est pas si simple ! Même si vous trouvez une synagogue, elle ne disposera peut-être pas d’un Minyane tôt le matin ! Peut-être la communauté juive vous donnera l’adresse d’une synagogue qui est fermée… ce qui ne me conviendra pas !
Lisa se montra patiente : «Je vous envoie les informations sur votre billet par fax à l’hôtel. Une limousine vous attendra à la sortie de l’aéroport à Chicago et vous conduira là où vous trouverez un Minyane. Vous pourrez réciter le Kaddich pour votre père !»
La suite se passa comme une opération militaire. Le lendemain, le billet arriva. J’atterris à Chicago, la limousine m’attendait. Le chauffeur m’amena à l’hôtel et précisa : «Je reviendrai demain matin à six heures et demi. Votre Minyane commence à sept heures. Je vous reprendrai à huit heures et vous serez dans l’émission d’Oprah à huit heures et demi !»
La chambre d’hôtel était somptueuse. Je dormais comme un bébé. A six heures et demi, j’entrai dans la limousine. Il y avait un journal sur le siège. J’arrivai devant un bâtiment dans lequel, m’indiqua le chauffeur, se trouvait un Minyane Loubavitch. Quand j’entrai, sans que j’aie besoin de me présenter, le rabbin m’interpella : «Ah, c’est vous le producteur qui doit réciter le Kaddich ! On m’a averti de la part d’Oprah que j’avais intérêt à avoir un Minyane !»
Nous avons bien ri l’un et l’autre.
Lisa et Oprah m’avaient vraiment impressionné. Et j’étais sûr que mon père lui aussi devait trouver cela très amusant.
Après la prière, mon chauffeur m’amena à l’émission d’Oprah. Je fus accueilli par Lisa, une afro-américaine d’environ trente ans. Elle n’y alla pas par quatre chemins.
- Vous avez eu Minyane ?
- Oh oui ! Merci de tout cœur !
- C’était correct ? Vous avez pu réciter le Kaddich ?
- Absolument ! Cela ne pouvait pas être plus réussi !
Soulagée elle aussi, elle me jeta un regard, sans doute le genre de regard d’un chirurgien de renommée internationale quand il sort de la salle d’opérations. Ou peut-être celui d’un général après un raid militaire couronné de succès. Quelques chose du genre : «Rien n’est jamais compliqué quand on le veut vraiment !»
J’apparus dans l’émission d’Oprah.
C’est une professionnelle hors pair. J’ai eu mes cinq minutes de gloire.
Mais tout ce dont je me souviens, c’est qu’elle a tout fait pour que je puisse réciter le Kaddich !

David Marcovitch
Chabad Magazine