Semaine 17

Editorial
Compagnons de route

Les amateurs de randonnée le savent. Dans tous les longs parcours, connaître l’itinéraire, ou, en d’autres termes, le plan d’avancée, est essentiel. Ils savent aussi que le chemin est fait d’étapes diverses et que, parfois, les réalités rencontrées sont profondément différentes. C’est dans un voyage de ce type que nous sommes aujourd’hui engagés. De fait, depuis le début de la fête de Pessa’h, nous sommes entrés sur le sentier d’un temps plus complexe qu’à l’accoutumée, comme marqué par des caractères opposés : l’Omer et son décompte ont commencé. D’une part, c’est l’époque de l’impatience qui mène de la sortie d’Egypte au Don de la Torah. Une impatience doublée d’une élévation spirituelle progressive qui fait que chaque jour est différent de celui qui l’a précédé comme de celui qui le suivra. D’autre part, c’est un temps où la joie fait l’objet d’une retenue que le caractère jubilatoire de l’attente évoquée plus haut ne laissait pas prévoir. Souvenir d’un épisode tragique de l’histoire juive, rappel des méfaits de la désunion et du manque de respect de l’autre, un trait de gravité souligne donc les jours qui passent.
Il est ainsi demandé aux hommes de vivre, dans le même temps, sur deux plans comme si l’on pouvait aller sur deux routes à la fois. De fait, dans notre vie quotidienne, il existe souvent des situations ambivalentes du même type qui résistent à l’analyse rationnelle mais auxquelles nous parvenons à donner sens. Car, d’une certaine manière, l’enjeu de la création est là : à chacun de tracer sa propre voie et de choisir avec sagesse le but qu’il s’assigne.
La période de l’Omer est, pour cette raison, une invitation au grand voyage spirituel que constitue la recherche de la perfection. Elle indique un chemin qui donne à celui qui l’emprunte les moyens de progresser, de degré en degré, jusqu’au moment indépassable du Don de la Torah et de la rencontre avec D.ieu lors de la fête de Chavouot. Ce n’est pas un temps ordinaire ni des jours anodins. Il y a là comme une palpitation d’infini dans l’existence de tous. Il revient à chacun de prendre la route qui s’ouvre. Elle nous mène jusqu’à la liberté absolue, couronnement de la Délivrance annoncée par les prophètes, que Machia’h nous apportera.
Etincelles de Machiah
Une attente juive

Un jour, à l’époque où le Tséma’h Tsédek, le troisième Rabbi de Loubavitch, était encore un jeune homme, il se trouvait avec un groupe de Hassidim. La discussion s’engagea entre les présents sur le thème: “Qui sait quand Machia’h viendra?”
Le Tséma’h Tsédek commenta: “Ce type de conversation rappelle le style du prophète non-juif, Bilaam. Celui-ci dit, à propos de la venue de Machia’h (Bamidbar 24: 17): “Je le vois mais pas maintenant: je le contemple mais il n’et pas proche”. Il décrit la Rédemption comme lointaine. En revanche, un Juif doit espérer ardemment et attendre chaque jour que Machia’h vienne ce jour-là”.
H.N
Vivre avec la Paracha
Tazria Metsora : Le rejet

Le rejet est l’une des armes les plus puissantes de notre société pour réguler et empêcher les comportements indésirables. Enfants, nous savions que tout mauvais comportement encourait le risque d’un regard de désapprobation de la part des parents et peut-être d’un renvoi dans notre chambre. Adultes, le spectre de l’emprisonnement menace les criminels potentiels comme moyen de dissuasion de toutes sortes d’agissements illégaux. Mais jusqu’à quel point l’isolement forcé est-il efficace pour empêcher le crime, et peut-être, ce qui est encore plus important, éveiller un sentiment de regret chez le coupable ? Les chercheurs sociaux et les psychologues réévaluent cette vieille méthode pour agir face à l’acte criminel. Il est vrai que le bannissement et l’emprisonnement retirent le criminel de la société, protégeant ainsi le reste des hommes de son comportement choquant. Cependant, une fois qu’il a été séparé de la communauté, l’offenseur ne ressent que peu de motivations pour se réadapter aux normes. En l’isolant, nous le coupons de la civilisation. Notre rejet peut ne pas l’inciter à s’améliorer mais plutôt lui permettre de plonger encore plus profondément dans le monde du crime.
La Torah possède également un système d’isolement qu’elle prescrit pour certains crimes. Tsaarat était une affliction ordonnée par D.ieu et qui s’abattait sur un individu coupable d’avoir calomnié son proche. Une fois qu’il avait été déclaré impur, le lépreux était renvoyé des trois campements d’Israël et gardé complètement à l’écart du reste de la société. Sa punition correspondait à son méfait. Ses paroles calomnieuses avaient résulté en une discorde et une désunion entre les hommes. Sa punition était une séparation obligatoire de la communauté.
Et pourtant, il est important de noter le processus par lequel le lépreux était déclaré impur. Celui qui avait découvert une tache suspecte sur sa peau devait se faire examiner par un sage érudit. Si le sage déterminait que la tache avait tous les symptômes de tsaarat, il le présentait alors au Cohen qui le déclarait impur. Le Cohen pouvait être complètement ignorant de tous les détails des lois concernant tsaarat, l’individu n’était déclaré impur que lorsque le Cohen en avait prononcé le verdict. Même si le Cohen se faisait seulement l’écho de la décision du sage érudit, c’était ses paroles plutôt que l’opinion savante de l’érudit qui fixaient le statut de la personne.
Il est étonnant d’observer que la Torah appuie la déclaration d’impureté sur la parole du Cohen. Après tout, le Cohen se distinguait par son propre statut particulier de pureté. Il accomplissait les tâches les plus raffinées dans le Temple et avait l’obligation de ne pas se souiller par quelque contact que ce soit avec une impureté rituelle. Pourquoi devait-il, lui, déclarer cet homme impur ?
L’implication obligatoire du Cohen jette la lumière sur la perspective de la Torah concernant l’isolement social comme punition et dissuasion d’actions viles. La fonction du Cohen, en dehors de son service dans le Temple, était d’être celui par lequel passaient les bénédictions pour le Peuple Juif. Les Cohanim ont conservé ce rôle au cours de l’histoire juive, par la récitation de leur bénédiction à la synagogue. Avant de la commencer, les Cohanim en récitent une autre, se concluant par les mots : «…Qui nous a commandé de bénir le Peuple Juif avec amour» Si le Cohen sent qu’il manque d’amour, même à l’égard d’un seul des membres de la communauté, il est obligé de reculer et de s’abstenir de prononcer les paroles de la Birkat Cohanim (bénédiction des Cohanim). C’était donc seul le Cohen, connu comme un «homme de bonté», qui avait l’autorité de déclarer une personne impure, ce qui avait pour résultat son bannissement du campement du Peuple Juif.
La déclaration du Cohen est basée sur l’opinion de sage érudit, versé dans les myriades de lois concernant les différentes affections de la peau et leurs statuts rituels. Cependant, c’est au Cohen que reviennent les derniers mots sur les sujets d’impureté. Le cœur du Cohen, débordant d’amour pour son prochain, ne se permettra pas de faire une telle déclaration à la légère. Il est pleinement conscient de la portée de ses paroles et il n’aura de cesse que le sage érudit ne trouve une échappatoire pour éviter d’affirmer qu’un autre Juif est impur. Et si, malgré tous ces efforts, il est incapable d’éviter de prononcer ce mot : «impur», nous pouvons avoir la certitude qu’il ne s’épargnera aucun effort pour faciliter la purification du lépreux.
L’isolement et le rejet sont des moyens pratiquement inefficaces pour améliorer un comportement criminel en l’absence d’un ingrédient essentiel : l’amour. Une fois que l’individu se sent rejeté de la société, il perd sa plus grande source de motivation et d’encouragement pour mener une vie pleine et productive. Le Cohen est là pour nous enseigner que même en refusant et en condamnant un comportement inacceptable, nous ne devons jamais perdre de vue notre rôle essentiel : tendre une main aimante et encourageante à chacun des membres de la société, quel que soit son statut.
Un individu capable de prononcer une condamnation contre un autre être humain doit soigneusement examiner son propre cœur. Ceux qui manquent d’amour et de compassion sont incapables d’arriver à une conclusion vraie concernant le statut d’autrui. Ils arriveront seulement à les conduire encore plus loin dans leurs attitudes de critique acharnée. En fait, celui qui n’a pas les qualifications requises pour déclarer l’impureté de quiconque et le fait cependant, se rend lui-même coupable de calomnie, l’offense même qui encourt la punition de tsaarat.
L’isolement est le sort d’une espèce d’hommes, ceux qui sont incapables de tolérer et d’accepter les autres. Ceux qui sont incapables d’aller vers chaque membre de la communauté devraient s’arrêter sur eux-mêmes et essayer de faire naître dans leur propre cœur un sentiment de clémence, d’éviter de faire souffrir les autres avec les piqûres de leur amertume et de leurs condamnations.
Il n’y a pas de mots pour dire à quel point nous pouvons avoir de l’impact et de l’influence sur toute la société quand nous gardons nos cœurs ouverts à tous avec bonté et compassion. Le Cohen, un homme de bonté, nous guide pour atteindre ce niveau extraordinaire de sensibilité. C’est cette forme d’amour inconditionnel qui effacera la cause première de notre long exil. Car l’exil est un état de conflit et de disharmonie où nous nous sentons coupés émotionnellement les uns des autres et même de notre moi intérieur. Quand nous tentons, en toute conscience, d’éveiller en nous-mêmes un véritable sentiment d’acceptation et d’amour pour tous les individus, nous nous libérons nous-mêmes et la société du piège de l’isolement et du détachement.
Ainsi, la prochaine fois que vous rencontrerez quelque forme d’imperfection que ce soit chez un autre être humain, ne vous détournez pas. A la manière du Cohen, regardez derrière la tache superficielle, dans l’âme. Votre œil bienveillant et votre âme aimante accompliront bien plus que des condamnations sévères. Ces petits gestes d’unité et d’acceptation ont la force de changer le paysage de notre société qui, d’une jungle corrompue, deviendra un lieu où la paix, la sérénité et l’harmonie régneront.
Le Coin de la Halacha
Pourquoi lit-on Pirké Avot, les «Maximes des Pères», chaque samedi après-midi, entre Pessa’h et Chavouot ?

Entre Pessa’h et Chavouot, nous nous préparons à revivre le don de la Torah au mont Sinaï. Pirké Avot est un traité talmudique qui contient des recommandations éthiques et morales. Grâce à ces paroles de nos Sages, nous pouvons raffiner notre personnalité et notre comportement, de façon à mériter de recevoir la Torah.
Dans de nombreuses communautés, on continue la lecture de ces six chapitres tout au long de l’été jusqu’au Chabbat qui précède Roch Hachana. En effet, durant l’été, certains ont tendance à se montrer moins stricts dans leur observance des Mitsvot : il convient donc de se renforcer spirituellement pour éviter tout relâchement.

F. L.
De Recit de la Semaine
Le dilemme du banquier

Chmouel Straus était banquier à Karlsruhe, ville allemande située sur le Rhin, non loin de Strasbourg. Chmouel gagnait assez d’argent pour les besoins de sa famille et utilisait tout son temps libre pour s’occuper de ses enfants, contribuer aux causes charitables de sa communauté et étudier les livres de Torah dans la vaste pièce qui lui servait de bibliothèque. Toujours conscient de la présence de D.ieu, Chmouel était honnête et charitable.
Au début, il avait dirigé une petite banque que lui avait confiée son beau-père. Avec l’autorisation du gouvernement, il s’était établi comme changeur d’argent et investisseur avisé pour ses clients. Dans son manteau, il avait fait coudre deux grandes poches : une pour les papiers, factures et reçus – et l’autre pour les pièces et billets de banque de l’étranger.
Un vendredi matin, avant de se rendre à la Brit Mila (circoncision) du fils d’un de ses amis, il décida de revêtir son manteau de Chabbat dans lequel il transféra donc argent et documents importants. Après la cérémonie et le repas, il se rendit à son bureau comme d’habitude et vaqua à ses occupations quotidiennes, procédant au change de monnaies étrangères et remplissant des formulaires.
L’après-midi, il ferma boutique afin de participer aux préparatifs du Chabbat à la maison. Au moment où son épouse alluma les bougies, il remit son manteau et partit vers la synagogue pour accueillir le Chabbat.
Pour Chmouel, Chabbat était véritablement un havre de paix : il pouvait prendre son temps et prier avec ferveur ; il étudiait sans être dérangé et passait de longs moments à discuter tranquillement avec son épouse, ses enfants et ses invités. Ce Chabbat ne serait pas différent et, sur le chemin du retour, Chmouel réfléchissait aux paroles de Torah qu’il prononcerait lors du repas. A un moment donné, il s’assit sur un banc pour mettre de l’ordre dans les idées qu’il développerait à table et, soudain, réalisa que les poches de son manteau étaient pleines !
Or il est interdit, Chabbat, de porter quoi que ce soit (dans ses mains, dans ses poches…) du domaine public au domaine privé et vice versa. Pétrifié, Chmouel réalisait qu’il ne pouvait absolument pas rapporter argent et documents à la maison. Il suait à grosses gouttes : non, il ne supportait pas l’idée d’utiliser par la suite de l’argent ou des papiers qu’il aurait portés le Chabbat.
Seul dans la rue déserte, il pensa alors à la joie qu’il éprouverait d’avoir agi correctement : il déboutonna son manteau et le tint à l’envers, faisant ainsi tomber par terre – sans les toucher directement – tous les objets qui se trouvaient dans ses poches : argent, reconnaissances de dettes, factures, reçus… Par terre ! Il se sentit soulagé bien qu’il réalisait que son avenir était en jeu. Il serait obligé de s’endetter durant de longues années peut-être mais sa foi en D.ieu était intacte. Il savait qu’il avait bien agi.
Ce Chabbat fut pour lui particulièrement joyeux. Chmouel était heureux d’avoir passé victorieusement une épreuve difficile. Sa famille s’étonnait de cette joie si profonde tandis que les invités étaient galvanisés par cette gaieté bien réelle.
La journée de Chabbat s’écoula, le soleil se couchait et les étoiles apparurent dans le ciel. Il était temps de réciter la Havdala, la cérémonie de clôture du Chabbat, avec une coupe de vin, des épices odoriférantes et la bougie tressée. Ce n’est qu’après ce rituel achevé que Chmouel raconta à sa famille ce qui lui était arrivé et comment il avait réagi. Il ne cacha pas la triste réalité : la vie serait dure maintenant et l’épreuve de la pauvreté ne devrait pas amoindrir leur pratique religieuse et leur confiance en D.ieu. Sa femme l’écouta attentivement : elle approuvait la façon dont il avait réagi et était prête à en assumer les conséquences. Tout ceci était certainement pour le bien.
Le même soir, Chmouel décida de reprendre le chemin qu’il avait effectué la veille : peut-être retrouverait-il quelques papiers – sans importance pour un passant mais si précieux pour lui. En approchant du banc, il n’en crut pas ses yeux : tout était resté à la même place, aussi bien l’argent que les documents !
Quand il rentra chez lui, il les montra fièrement à sa famille qui poussa un soupir de soulagement.
Quelques jours plus tard, le Ministre des Finances de la région de Baden entendit parler de la banque Straus et de son excellente réputation d’honnêteté. Il confia à Chmouel une importante somme d’argent qui lui permit de réaliser des investissements d’envergure, ce qui attira encore d’autres clients. La banque Straus se développa alors de façon exceptionnelle.
Les enfants de Chmouel ont vendu la banque Straus en 1938 quand ils réussirent à fuir l’Allemagne nazie et ils s’installèrent en Californie.
L’héritage de Chmouel continue à Jérusalem, où la cour Straus abrite un centre d’études talmudiques.

David Zaklikowski
www.chabad.org
traduit par Feiga Lubecki