Semaine 16

Editorial
Au fil des siècles : la liberté !
Deux rendez-vous nous attendent cette semaine. Et leur proximité dans le temps les éclaire, sans nul doute, l’un l’autre. C’est ainsi que vont se suivre le 11 Nissan, date anniversaire de la naissance du Rabbi, et le 14 Nissan, la fête de Pessa’h, le jour de notre libération d’Egypte. Un tel rapprochement peut sembler étonnant. Historiquement, plusieurs millénaires séparent les deux événements. Et, rituellement, si le premier est important par le lien qu’il manifeste avec toute la sagesse et la grandeur du judaïsme, le second est incomparable par la révélation Divine dont il est porteur. Pourtant, tout se passe ici comme si un rapport profond créait une sorte d’effet de miroir entre ces deux dates et que, leurs lumières propres se répondant, elles nous éclairaient avec une puissance nouvelle.
C’est qu’il y a bien des similitudes, au sens spirituel, entre les événements marqués par ces deux dates. Le 14 Nissan, en effet, n’est pas que le jour déjà bien lointain d’une sortie d’Egypte qui concerna nos ancêtres à l’aube de la naissance du peuple juif. En d’autres termes, si, dans les termes du Talmud, «l’homme est tenu de se considérer comme lui-même sorti d’Egypte», le 14 Nissan ne peut se contenter d’être la célébration, même légitime, d’une histoire ancienne. C’est dire que cette libération est aussi la nôtre. C’est dire que le message qui nous est ainsi donné est celui de la nécessité de notre libération intérieure, de la sortie de tous ces petits exils personnels auxquels nous avons peu à peu consenti. Tant il est vrai que, bien souvent, on n’est asservi qu’autant qu’on l’accepte. Quant au 11 Nissan, il dépasse lui aussi, largement, la notion élémentaire, également légitime, d’anniversaire. Il est une date moteur qui ouvre le champ à des énergies nouvelles. Il est ce point de départ nécessaire à toutes les grandes choses. De fait, chacun est conscient de l’immense transformation connue par le judaïsme dans ces dernières dizaines d’années. Chacun sait qu’il sortit des horreurs de la deuxième guerre mondiale dans un état de désespérance qui semblait alors insurmontable. Chacun se souvient qu’en ces temps terribles où les Juifs du monde entier cherchaient des repères, le précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak, puis son successeur, le Rabbi, surent poser les bases de ce qui allait être un véritable renouveau puis en guider et en accompagner un développement qui se poursuit jusqu’à ce jour – comme une authentique et irrépressible libération.
Il n’est ainsi pas étonnant que ces libérations se fassent écho au travers des âges. C’est à nous qu’il revient de vivre l’une et l’autre ici et maintenant. Car il nous faut chasser de notre cœur et de notre esprit tous ces petits renoncements qui créent la servitude et nous engager enfin dans le chemin de l’éternelle liberté, celui du temps de Machia’h.
Etincelles de Machiah
Le mois de la Délivrance
Le Talmud (Roch Hachana 11a) enseigne : «Rabbi Eliézer dit : ‘En Nissan ils (les Juifs) ont été libérés (lors de la sortie d’Egypte) ; en Tichri ils seront libérés (lors de la venue de Machia’h)’. Rabbi Yehochoua dit : ‘En Nissan, ils ont été libérés, en Nissan ils seront libérés’ ».
Le Midrach (Chemot Rabba 15 : 11) tranche selon l’opinion de Rabbi Yehochoua, que le temps de la Délivrance est en Nissan. En effet, le mois de Nissan est une période de ‘Hessed, de bonté, tandis que celui de Tichri est une époque de Guevoura, de rigueur.
(d’après Séfer Hamaamarim 5700, p. 28) H.N.
Vivre avec la Paracha
Pessa’h : Le chemin boueux

S’Il avait ouvert la mer pour nous mais ne nous avait pas fait traverser sur une terre sèche, cela nous aurait suffi (Haggadah de Pessa’h)

Les lignes que vous venez de lire sont extraites du chant « Dayénou » dans lequel nous énumérons, lors du Séder de Pessa’h, les quinze bienfaits que D.ieu nous dispensa quand Il nous libéra d’Egypte et nous choisit pour être Son Peuple. Nous remercions D.ieu pour chacun de Ses actes séparément, reconnaissant chacun comme unique et particulier. C’est pourquoi nous disons : “S’Il nous avait fait sortir d’Egypte mais n’avait pas puni (les Egyptiens), cela nous aurait suffi… S’Il nous avait nourri de la Manne mais ne nous avait pas donné le Chabbat, cela nous aurait suffi…” etc.
Bien des commentateurs de la Haggadah sont étonnés par ce texte : qu’est-ce que cela signifie que cela nous aurait suffi que D.ieu ouvre la mer pour nous mais ne nous fasse pas traverser sur la terre sèche ? Quel aurait été le but d’ouvrir la mer si ce ne fut pour nous permettre de la traverser et d’échapper ainsi à la poursuite des armées de Pharaon ?
De plus, les quinze actes énumérés par l’auteur de la Haggadah dans Dayénou ne constituent pas simplement une liste de miracles accomplis par D.ieu dans le processus de l’Exode (dans lequel il y en eut beaucoup d’autres), mais un développement majeur dans l’histoire Juive : l’Exode lui-même, l’ouverture de la Mer Rouge, la Manne, le Don de la Torah, l’entrée en Terre Sainte, la construction du Beth Hamikdach, ces faits ont eu un impact profond sur nos vies comme Juifs jusqu’à aujourd’hui-même. Quel est donc le véritable sens de la traversée de la Mer Rouge “sur la terre sèche” ?

La plongée sous-marine autonome
Chacun de nous habite dans deux mondes, des mondes qui sont aussi éloignés l’un de l’autre que deux mondes peuvent l’être. L’un est la partie “révélée” de notre existence : notre profession, notre famille et notre vie sociale, nos pensées et nos sentiments conscients. Mais simultanément, nous habitons un monde “caché”, un monde de penchants et de désirs subconscients, de vérités connues de manière innée et de convictions profondes qui voient rarement sinon jamais le jour.
Les enseignements cabalistiques et ‘hassidiques se référent à ces deux mondes comme la réalité de notre “terre” et de notre “mer”. Sur terre, les choses sont au grand jour, à tel point qu’elles paraissent souvent déconnectées de leur environnement et de leur source de vie (en regardant une foule d’hommes d’affaire bien habillés avançant sur les trottoirs d’une ville en pleine effervescence, on a du mal a croire qu’ils tirent leur nourriture de la terre). Dans la mer, tout est immergé et caché. Au mieux, nous pouvons apercevoir des ombres de ce qui se passe près de la surface ; de ce qui se cache sous l’eau, nous ne voyons rien du tout.
Que se passe-t-il au niveau de l’individu qui est lui aussi une création en soi ? Il existe les “mondes révélés” qui incluent les réalités matérielles et physiques de même que ces réalités spirituelles qui sont révélées et accessibles pour nous. Mais au-delà de cette “terre” réside la mer mystérieuse, les strates surnaturelles de la création.
Bien de la douleur et de la frustration dans nos vies viennent du fossé entre le côté “terre” et le côté “mer” de notre personnalité. Si seulement nous pouvions concilier notre vie révélée et notre moi inconscient ! Si seulement nous pouvions reconnaître notre véritable volonté et découvrir nos aspirations les plus profondes ; si seulement les innombrables choix que nous faisons chaque jour dans notre existence terrestre pouvaient refléter ce que nous sommes réellement et ce que nous désirons véritablement !
Ceci, explique la ‘Hassidout, est la signification spirituelle du “partage de la mer”. Quand D.ieu ouvrit la Mer Rouge, Il ouvrit également “ toutes les eaux du monde ”, depuis les mers physiques de la terre jusqu’aux mers individuelles de chaque âme, y compris la mer cosmique qui diffuse les plus profonds secrets de la Création. Selon les mots du Psalmiste : D.ieu “ transforma la mer en terre sèche ; ils traversèrent la rivière à pied ”. Ce qui d’ordinaire est submergé et inaccessible devint manifeste et tangible, et traverser les profondeurs de son âme fut comme marcher sur la terre ferme.
Après que “ les enfants d’Israël furent passés à travers la mer sur la terre ferme ”, les eaux reprirent leur cours naturel. A nouveau le monde marin fut obscurci, à nouveau le subconscient devint un lieu mystérieux et secret. Mais il y avait eu un précédent, un potentiel implanté dans nos âmes. Plus jamais la mer ne serait impénétrable, plus jamais ce qui est caché dans l’homme et ce qui est révélé ne constitueraient deux mondes séparés hermétiquement.
Avec Son ouverture des mers, D.ieu nous donna la force de pénétrer nos mers individuelles de tracer des chemins de terre sèche sur le sol des océans de nos âmes. Il nous donna ainsi la force de manifester notre moi caché dans notre vie quotidienne. Et Il transforma la mer en terre sèche, nous permettant d’aspirer à une synthèse complète entre notre essence spirituelle et notre caractère terrestre.
Le Coin de la Halacha
Quelles sont les Mitsvot essentielles du Séder ?

Le samedi 19 et le dimanche 20 avril 2008, on organise le repas du Séder pour célébrer la sortie d’Egypte. On ne pourra commencer qu’après la nuit tombée (21h 39, heure de Paris). Tous les Juifs doivent participer au Séder, hommes, femmes et enfants. Il faut :
Raconter la sortie d’Egypte
On le fait en lisant la Haggada. Il faut raconter à tous les participants et en particulier aux enfants, selon ce qu’ils peuvent comprendre. Pour éviter qu’ils ne s’endorment, on aura pris soin de les faire dormir l’après-midi et on leur fera chanter certains paragraphes de la Haggada.
Manger de la Matsa
On mange de la Matsa les deux soirs du Séder après avoir dit la bénédiction : «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al A’hilat Matsa», en plus de la bénédiction habituelle «Hamotsi». La Matsa du Séder sera «Chemoura», c’est-à-dire que, depuis la moisson, on aura surveillé que les grains de blé, et plus tard la farine, n’auront pas été en contact avec de l’eau, ce qui aurait risqué de les rendre ‘Hamets. Nombreux sont ceux qui préfèrent consommer les Matsot rondes cuites à la main (et non à la machine) comme au temps de la sortie d’Egypte. Il faut manger au moins 30 grammes de Matsa, et il est préférable de les manger en moins de quatre minutes. Il faudra manger trois fois cette quantité de Matsa : pour le «Motsi», pour le «Kore’h» (le «sandwich» aux herbes amères), et pour le «Afikoman», à la fin du repas, en souvenir du sacrifice de Pessa’h qui était mangé après le repas.
Manger des herbes amères (Maror)
On mange des herbes amères en souvenir de l’amertume de l’esclavage en Egypte. On achètera de la salade romaine qu’on nettoiera feuille par feuille devant une lumière pour être sûr qu’il n’y a pas d’insecte, après l’avoir fait tremper dans de l’eau. On prépare pour chacun des convives au moins 19 grammes de «Maror», c’est-à-dire de salade romaine avec un peu de raifort râpé, trempé dans le «Harosset» (compote de pommes, poire et noix, avec un peu de vin) après avoir prononcé la bénédiction : «Barou’h Ata Ado-naï Elo-hénou Mélè’h Haolam Achère Kidéchanou Bémitsvotav Vetsivanou Al A’hilat Maror». On consomme encore 19 grammes de Maror bien séché entouré de Matsa pour le «Sandwich de Kore’h».
Boire 4 verres de vin
On doit boire au cours du Séder au moins quatre verres de vin ou de jus de raisin cachère pour Pessa’h. Le verre doit contenir au moins 8,6 centilitres, et on doit en boire à chaque fois au moins la moitié, en une fois. Les hommes et les garçons doivent s’accouder sur le côté gauche, sur un coussin, pour manger la Matsa et boire les quatre verres de vin.

F. L.
De Recit de la Semaine
Kobe, Brooklyn et… Kobe

«Mon petit-fils a dirigé un «Séder» communautaire ! A Kobe ! Pour cent cinquante personnes ! Kobe au Japon ! Mon petit-fils !»
C’était il y a quelques années de retour à Brooklyn, j’avais rencontré un des piliers de la communauté de Crown Heights, le quartier Loubavitch de New York. Cet homme - Reb Shimon – était un des plus anciens bouchers cachères des environs. Il était né en Pologne.
Dès qu’il m’avait aperçu dans la grande synagogue du 770 Eastern Parkway, il m’avait attrapé, tout excité, pour me raconter l’exploit accompli par son petit-fils, trois mois plus tôt.
Je dois avouer que j’étais moins impressionné que lui. Je comprends qu’il soit fier de son petit-fils. Je trouve incroyable qu’il se trouve cent cinquante Juifs à Kobe au Japon. Et j’admire ces tous jeunes gens qui, au lieu de profiter des vacances pour se reposer chez leurs parents et apprécier un Pessa’h sur un plateau, se rendent aux quatre coins du monde pour trouver des Juifs et leur permettre de célébrer la fête – quelles que soient les difficultés matérielles… Mais… Loubavitch fait cela depuis tant d’années !
Le fils de Reb Shimon s’est installé en Afrique du Sud : il y est l’un des émissaires les plus dynamiques du Rabbi de Loubavitch.
Je souris de façons aussi convaincante que possible, un sourire qui doit exprimer toute mon admiration ; oui, je me suis forcé à paraître impressionné alors qu’au fond de moi, je me disais que j’entendrai sûrement beaucoup d’autres comptes–rendus de ce genre.
Mais il me rattrapa tandis que je m’apprêtai à saluer d’autres amis et connaissances : «Vous ne comprenez pas ! J’y étais ! Au Japon ! Pendant la guerre ! Je suis un «Shangaïer» !»
Dans le jargon Loubavitch, un Shangaïer est un étudiant d’une des grandes Yechivot polonaises à qui un diplomate japonais, un Juste des Nations, Sugihara avait accordé un visa pour le Japon. Grâce à Sugihara, des milliers de Juifs – surtout des étudiants de Yechiva – ont pu s’enfuir vers l’est. Ainsi ils échappèrent à la folie barbare des troupes allemandes et traversèrent l’immensité de la Russie, jusqu’à arriver à Kobe, avant d’être déportés vers Shanghaï où ils demeurèrent – souvent dans des conditions précaires – jusqu’à la fin de la guerre.
Dans le salon de Reb Shimon, des dizaines de photos de famille garnissent les murs : mariages, Bar Mitsva, portraits des enfants, des petits-enfants, diplômes rabbiniques et attestations diverses. En observant les photos, vous pouvez noter les subtils changements de la mode ‘hassidique (si on peut utiliser ces deux mots ensemble !) aux Etats-Unis.
Mais il n’y a qu’une seule photo en noir et blanc : un jeune homme et une jeune femme en tenue de mariée, debout devant un bâtiment en ruines. Tous deux portent l’étoile jaune avec le mot Juif écrit en lettres gothiques. «C’est ma sœur, le jour de son mariage» m’avait-il expliqué il y a de cela bien des années. «Dans le ghetto de Varsovie… C’est la seule photo qui me reste de toute ma famille : je suis le seul survivant !»
Je me souviens de cette remarque poignante et mon sourire se fige.
Il insiste : «Vous comprenez ? Il y a cinquante ans, je me trouvais à Kobe et je n’avais rien, je n’avais personne. Maintenant mon petit-fils passe Pessa’h à Kobe ! J’ai entendu une fois un commentaire qui m’a frappé : Moché (Moïse) a demandé à D.ieu : «Montre-moi Ta face !» et D.ieu lui répondit : «Je te montrerai Mon dos mais Mon visage, tu ne pourras pas le voir !» Le ‘Hatam Sofer (qui vécut à Presbourg il y a environ deux cents ans) explique : «Tu ne verras pas Mon visage» : si tu regardes devant, au présent, tu ne Me verras pas. Mais Je te montrerai Mon dos : en regardant en arrière, tu verras que J’étais là à tout instant. Il y a cinquante ans, je ne voyais rien ni personne, mais maintenant…»
La vie ne se lit pas comme un livre de philosophie, même s’il nous arrive des événements extraordinaires, inspirants et impressionnants. Il faut juste parfois continuer à vivre et, peut-être, plus tard on comprendra. Entre le défi et la réponse, il y a parfois un vide. A nous de le remplir par la foi, la croyance en un D.ieu que nous ne voyons pas face à face. A nous de le remplir de Torah, de Mitsvot et de bonnes actions.
Il avait perdu toute sa famille dans les ghettos et les camps. Reb Shimon était arrivé dans un pays étranger, s’était marié, avait fondé une grande famille et s’était rendu utile dans la communauté. Il n’avait pas trouvé de réponse satisfaisante à la question lancinante : pourquoi ? Pourquoi tant de souffrances et d’épreuves ? Il n’a toujours pas de réponse. Mais il a un élément de réponse : son petit-fils a dirigé un Séder communautaire à Kobe ! Pour cent cinquante personnes !

Rav Shimon Posner – Rancho Mirage, Californie
chabad.org.magazine
traduit par Feiga Lubecki