Semaine 13

  • Chemini
Editorial
Et maintenant ?
La joie de Pourim emplit notre cœur et sa grandeur, notre esprit. Nous l’avons célébré dignement en revivant les événements qui donnèrent naissance à la fête et sauvèrent la vie des Juifs face à leurs ennemis qui, comme en d’autres temps dans l’histoire, s’étaient levés pour les détruire. L’enchaînement de Pourim et du Chabbat n’a fait que souligner davantage l’importance du moment : passer de l’allégresse à la sainteté sans oublier la première est toujours une expérience précieuse et une réussite nécessaire. Cependant, voici qu’inéluctablement ces journées de merveille se sont écoulées. Certes, nous en avons saisi et apprécié chaque minute. Cependant, même si nous l’avions voulu ardemment, nous n’aurions pas pu en retenir le passage. Revient alors la question éternelle, liée à la simple condition humaine : et maintenant ? Nous allons sans doute vers des bonheurs insoupçonnés mais en connaissons-nous le sens ou le chemin ? Il nous faut savoir vers où nous diriger, trouver de nouveaux points de repère dans ce grand voyage de l’année.
Voici qu’en perspective, nous parvenons à distinguer la fête de Pessa’h qui s’avance. Et, même si elle ne fait que poindre à l’horizon, elle est cependant déjà implicitement présente. Nous en ressentons la puissance grandir et cela porte déjà message. Les Sages l’ont dit en une forte formule : «On rapproche une libération d’une autre ; de celle de Pourim à celle de Pessa’h». Autant dire que la liberté est contagieuse et que l’une est porteuse de l’autre. Autant dire que nous volons ainsi de sommet en sommet et que nous ne pouvons nous arrêter tant l’élan est donné qui nous emporte au-delà même de ce que nous sommes. Il est vrai que les deux histoires semblent, à bien des égards, comparables. En Egypte comme en Babylonie, les Juifs ne savent pas de quoi leur avenir sera fait. Ils affrontent la plus cruelle oppression ou la plus terrible menace. Toujours, ils savent, plus ou moins consciemment, que leur salut viendra d’un niveau qui les dépasse et que c’est, avant toute chose, de confiance qu’il s’agit.
Alors que nous nous tenons entre les deux pôles de cette aventure, nous détenons la même puissance de choix que nos ancêtres. Les préparatifs de Pessa’h commencent à battre leur plein et ils ne peuvent se limiter à leur aspect matériel, même si celui-ci est évidemment incontournable. Ils doivent prendre leur pleine envergure, parvenir jusqu’à notre cœur, notre esprit et notre âme. Ils doivent faire retentir en nous le chant de la liberté gagnée à Pourim, bientôt conquise à Pessa’h. De fait, en ces temps oublieux, il est parfois facile de n’en garder qu’une version affadie ou complaisante. Mais chacun est aussi en capacité de la vivre au mieux et au plus fort. D’une certaine manière, être libre, cela dépend, ici et maintenant, d’abord de soi-même.
Etincelles de Machiah
La Techouva pour les Justes ?
Lorsque Machia’h viendra, il y aura une révélation infinie de la Divinité. Pour D.ieu, Qui est désigné ( Rachi sur Berechit 18 : 28 ) comme «le Juste du monde», cette révélation sera une forme de «Techouva». N’aura-t-il pas retenu cette Lumière, ne la donnant pas à Son peuple, pendant toutes les années de l’exil ?
(d’après Or Hatorah, Vayikra, p. 325) H.N.
Vivre avec la Paracha
Chemini

«La bienveillance et la vérité se rencontrent ; la droiture et la paix se sont embrassées» (Psaumes 85 :11)
«La bienveillance», c’est Aharon. «La vérité», c’est Moché. «La droiture», c’est Moché ; «la paix», c’est Aharon. (Midrach Rabbah.)

La vérité et la bienveillance peuvent-elles réellement coexister? Où et comment la droiture et la paix convergent-elles ? Moché et Aharon ne représentent-il pas des réalités totalement incompatibles ?
La vérité est résolument objective alors que la bienveillance est glorieusement subjective. La paix nécessite le compromis qui est contraire à la droiture. Et pourtant, pendant quarante ans, Moché et Aharon conduisirent ensemble le Peuple Juif. La Torah (qui rapporte aisément les incidents malheureux qui eurent lieu au sein du camp des Israélites, y compris les erreurs de Moché et d’Aharon), décrit la relation entre les deux frères comme empreinte de respect mutuel et d’harmonie inaltérable. Dans la période de formation, entre la sortie d’Egypte et l’entrée en Terre Sainte, le peuple d’Israël fut guidé par un chef qui lui apporta la vérité absolue et immuable de la sagesse et de la volonté divines, et simultanément conduit par celui qui avait de la compassion pour la contradiction humaine et était le maître de la paix et des compromis, résolvant ainsi des conflits «entre l’homme et son prochain, entre le mari et sa femme».
Pour comprendre cette relation entre Moché et Aharon, il nous faut examiner l’exemple unique où leurs approches différentes entrèrent en conflit. Car la Torah relate une occasion au cours de laquelle les frères furent en désaccord, un désaccord qui mit d’abord Moché en colère mais qui le fit céder par la suite devant son frère.
C’était le 1er Nissan 2449 (1312 avant l’ère commune), deux semaines avant le premier anniversaire de la sortie d’Egypte, le jour où le Sanctuaire devait être érigé et inauguré. En fait, le Sanctuaire fonctionnait déjà depuis sept jours, mais il s’agissait-là d’une période d’ «entraînement» au cours de laquelle Aharon et ses fils avaient été initiés à la prêtrise. C’était donc en ce huitième jour qu’Aharon allait prendre son rôle de Cohen Gadol et que la Présence Divine (la Che’hina) allait résider dans le Tabernacle.
C’est alors que la tragédie frappa. Les deux fils aînés d’Aharon, Nadav et Avihou «offrirent un feu étranger devant D.ieu, que D.ieu n’avait pas ordonné. Un feu jaillit de devant D.ieu qui les consuma et ils moururent devant D.ieu» (Vayikra 10: 1-2) D.ieu ordonna que l’inauguration du Sanctuaire ne soit pas interrompue. Bien qu’Aharon et les deux fils qui lui restaient eussent le statut d’endeuillés du premier jour (onanim), qui d’ordinaire n’ont pas le droit de consommer la viande sainte des offrandes, ils reçurent l’ordre expresse de prendre part à ces offrandes particulières, apportées en l’honneur de l’inauguration.
C’est ce que firent Aharon, Eléazar et Itamar. Mais en ce jour, il y avait également une autre offrande, sans relation avec l’inauguration en soi. Il s’agissait de la chèvre apportée le premier jour de chaque mois comme offrande expiatoire. Et c’est à propos de ce sacrifice que se souleva le désaccord entre Moché et Aharon.
Moché constata que la chair de la chèvre avait été brûlée, comme le requerrait la loi pour une offrande qui, pour quelque raison que ce soit, ne pouvait être consommée. Il demanda avec colère pourquoi ce sacrifice n’avait pas été mangé comme D.ieu l’avait ordonné concernant les autres sacrifices.
Aharon expliqua qu’il avait fait une distinction entre Kodché Chaa, les offrandes commandées par D.ieu pour une occasion unique, et kodché Dorot, les sacrifices réguliers qui s’appliquent de la même façon pour toutes les générations. Si D.ieu avait ordonné quelque chose concernant l’offrande unique à l’occasion de l’inauguration, argumenta Aharon, il ne fallait pas en déduire qu’il en allait de même pour le sacrifice mensuel. Dans ce cas-là, s’appliquent les lois ordinaires concernant l’endeuillé.
Moché écouta l’argumentaire d’Aharon et reconnut qu’il avait raison. Il admit que cette distinction lui avait échappé et que la conclusion d’Aharon était juste.

Absolutisme et vicissitude
Nous voilà devant une confrontation entre la vérité et la bienveillance, entre la rectitude d’une part, et la paix de l’autre. Moché, chargé de transmettre la Torah, la vérité par excellence, ne voyait aucune raison de faire la distinction entre Kodché Chaa et Kodché Dorot, entre quelque chose qui est justifié par l’occasion unique du moment et quelque chose qui constitue une routine dans le Service de D.ieu. Ce qui est vrai et juste est toujours vrai et juste quelles que soient les circonstances.
Aharon, d’un autre côté, était le Grand Prêtre d’Israël. Il représentait l’aspiration du peuple à se rapprocher de D.ieu et à Le servir. Il comprenait que le service rendu à D.ieu est une offrande de tout ce que possède l’homme, un don de toute sa personne subjective. Il considérait qu’il existe des hauts et des bas dans la vie et que ce qui est attendu de l’individu dans ses meilleures heures, les plus inspirées, ne s’applique pas obligatoirement à ce qu’il est dans la vie de tous les jours.
De là jaillit le conflit. D’une part, se tient Moché, apportant la vérité et la volonté divines, une vérité et une sagesse qui sont immuables, comme Celui Qui les a conçues, et de l’autre, Aharon, conduisant un peuple à s’approcher de cette vérité, avec ses propres moyens humains, un esprit subjectif avec lequel chercher, un cœur mouvant avec lequel sentir et des actions sujettes aux circonstances environnantes.
Et qu’arrive-t-il ? Moché est d’accord avec Aharon ! La vérité absolue donne la légitimité aux «sous-vérités» d’un monde relatif.
Qu’arriva-t-il profondément ? Comme cette contradiction apparemment insoluble put-elle être résolue ?

Les points de contact
Ce qui se passa fut que Moché gagna une compréhension plus profonde de la nature de la vérité.
Quand nous observons et discutons de notre propre réalité, décidément subjective, nous utilisons aisément des termes de la famille du mot «vrai». Nous parlons de nos «véritables» sentiments et de nos «véritables» désirs. Nous proclamons comprendre «vraiment» quelque chose ou avoir découvert des faits «véridiques» dans certaines circonstances. Mais si nous définissons la «vérité» comme une réalité absolue et immuable, il semblerait que ce terme ne puisse être appliqué qu’à la vérité absolue du Divin. Utiliser ce terme dans notre réalité très changeante ne serait-il pas rien de plus qu’un mensonge à nous-mêmes ?
La ‘Hassidout répond par la négative. Le prophète Yirmiyahou déclare : «D.ieu est la vérité» mais les Maîtres de la ‘Hassidout comprennent ces paroles comme signifiant que non seulement D.ieu est l’essence de la vérité mais qu’Il est également la source de tout ce qui est défini comme «vrai» dans notre monde. Sa vérité est absolue ; toutes les autres «vérités» sont relatives et n’ont d’autres réalités que celles qu’Il choisit de leur attribuer. Mais c’est Lui qui créée ces réalités subjectives. C’est ainsi que si nous observons des vérités relatives dans Sa création, elles constituent l’expression (bien qu’imparfaite) de Sa vérité absolue, comme elle se manifeste dans les limites des mondes «nombreux» et des réalités qu’Il a créés.
En d’autres termes, quand un homme donne «tout», son maximum, il atteint un absolu personnel, quelque chose qui, dans le contexte de son monde subjectif, personnel est vrai. Et toutes les vérités, incluant de telles vérités subjectives, sont l’expression d’une vérité plus profonde qui en est la source et en donne la force : la vérité de leur Créateur. C’est ainsi que la vérité personnelle entre en contact avec la vérité de D.ieu.
C’est là l’héritage joint de Moché et d’Aharon : nous devons aspirer à la vérité, guidés par les directives de la Torah, en utilisant les talents et les ressources qui nous ont été attribués. Nul n’a besoin d’être perturbé, dans sa quête, par les limites de sa compréhension, par la subjectivité de ses sentiments, et la relativité de ses actions. Si nos efforts sont véritables, même «véritables» seulement dans le contexte de notre existence relative, alors «Moché» concèdera à «Aharon» que sa vérité est une partie de l’absolue Vérité à laquelle nous aspirons.
Le Coin de la Halacha
Qu’est-ce que la Matsa Chmourah ?

En hébreu, «Chmourah» signifie «gardée» et ce terme décrit parfaitement ce qu’est cette Matsa. La farine utilisée pour sa fabrication est gardée, protégée de tout contact avec de l’eau, depuis le moment de la moisson. En effet, si elle venait à être mouillée, elle pourrait lever et devenir impropre à la consommation pendant Pessa’h.
Ces Matsot sont rondes, pétries à la main et ressemblent à celles que les enfants d’Israël consommèrent lorsqu’ils quittèrent l’Egypte. Elles sont cuites en moins de dix-huit minutes sous stricte surveillance rabbinique, afin de s’assurer qu’elles ne puissent en aucune façon augmenter de volume et devenir levain pendant la fabrication. La Matsa Chmourah doit être utilisée pendant les deux nuits du Séder, c’est-à-dire samedi soir 19 avril et dimanche soir 20 avril 2008, en particulier pour les trois Matsot posées sur le plateau. Certains ont la coutume d’en consommer pendant toute la fête.
Il n’est pas nécessaire d’avoir terminé son ménage de Pessa’h pour acheter les Matsot ; il suffira de les stocker à l’abri de tout ‘Hamets.

F. L.
De Recit de la Semaine
Tout dépend de quel point de vue…

L’autre soir, il n’est arrivé quelque chose de merveilleux mais, au départ, c’était loin d’être positif. Je rentrai en voiture chez moi après une longue journée de travail. Au bout de quelques kilomètres, ma voiture commença à s’essouffler puis s’arrêta complètement. Heureusement, j’avais tout de même réussi à la garer dans une petite rue calme. Que faire maintenant ?
«Aïe ! Peut-être, est-ce le moteur ; peut-être faudra-t-il le changer ; à moins que ce ne soit le réservoir ; peut-être faudra-t-il que j’achète carrément une nouvelle voiture. Et mon banquier ne sera vraiment pas d’accord ! Oh non ! Ce n’est pas le moment !»
Je téléphonai à mon mari pour lui demander le numéro de la carte pour le service de réparation : «Tu sais, lui dis-je, je crois que la voiture est hors service!»
Le réparateur arriva, entra dans la voiture, tenta de la faire démarrer sans succès.
«Madame ! Je crois que vous êtes en panne d’essence !» Panne d’essence ! Et je n’y avais même pas pensé !
Je rappelai mon mari immédiatement : «Bonne nouvelle ! criai-je. D.ieu merci ! Je suis en panne d’essence !»
Puis je réfléchis à ce que je venais de dire. Si, dès que la voiture avait commencé à ralentir, j’avais pensé à vérifier le niveau du réservoir, j’aurais réagi tout à fait différemment, quelque chose comme : «Que je suis stupide ! J’aurais dû faire le plein avant ! etc…» Mais comme j’avais dû imaginer bien pire que cela, une panne d’essence était la meilleure nouvelle du monde ! Mais ce fut encore plus extraordinaire.
Mon mari revenait d’une course et, de fait, se trouvait à cinq minutes de mon point de chute. Il vint donc me dépanner et nous avons décidé de dîner au restaurant, juste comme cela, sans avoir à célébrer un anniversaire, une délicieuse oasis de retrouvailles au milieu d’une semaine bien chargée.
Cela me rappelle une histoire ‘hassidique bien connue : un jour, les deux célèbres frères, Rabbi Zuché d’Anipoli et Rabbi Elimélé’h de Lizensk, voyageaient avec un groupe de mendiants quand, dans une auberge, l’un des vagabonds fut accusé de vol. La justice était assez expéditive à cette époque et tout le groupe fut jeté en prison, dans une cellule surpeuplée et peu respectueuse des règles élémentaires d’hygiène.
Quand arriva le moment de la prière de Min’ha, Rabbi Zuché remarqua que son frère pleurait et lui en demanda la raison.
Pour toute réponse, Rabbi Elimélé’h désigna le seau destiné aux besoins des prisonniers, qui dégageait une odeur nauséabonde:
- Tu sais bien que, selon la Hala’ha, il est interdit de prier dans un endroit pareil. Ce sera donc la première fois de ma vie que je ne pourrai pas prier Min’ha !»
- Et pourquoi cela te rend-il triste ?
- Que veux-tu dire ? Ne comprends-tu pas combien cela me fait de la peine ?
- En ne priant pas dans cette cellule, tu accomplis aussi une Mitsva, un commandement de D.ieu ! Le même D.ieu qui nous demande de prier Min’ha nous ordonne également de ne pas le faire dans ces circonstances ! Effectivement, ce n’est pas le type de relation à D.ieu auquel tu es habitué et qui te plaît mais tu devrais être heureux de pouvoir Lui obéir autrement !
Cette logique réconforta Rabbi Elimélé’h. Le fait que cet horrible seau lui donnait l’occasion de servir D.ieu différemment le mit dans une telle extase qu’il se mit à danser.
Les deux frères se tenaient par la main et dansaient en chantant joyeusement à cette perspective de se lier ainsi à D.ieu. Les prisonniers non juifs qui étaient détenus avec eux les regardèrent, intrigués, puis se laissèrent entraîner par leur enthousiasme. En un instant, des dizaines d’hommes se retrouvèrent en train de danser, de sauter et de frapper des mains en chantant. Les gardiens, alarmés par ce bruit soudain, accoururent et demandèrent quelle était la cause de cette «animation» inhabituelle.
- Nous n’en savons rien, répliqua l’un des détenus. Ces deux Juifs discutaient à propos du seau dans le coin et, tout à coup, ils se sont mis à chanter et danser !
- Ah bon ? ricana un gardien. C’est le seau qui les rend si heureux ? Je vais leur faire comprendre où ils se trouvent et ils arrêteront de danser en prison !
Le gardien, tout heureux de sa bonne idée, enleva le seau et, effectivement, tout s’arrêta.
Rabbi Zuché se tourna alors vers son frère et remarqua : «Maintenant, Elimélé’h peut commencer sa prière !»
Quel rapport avec ma panne d’essence, direz-vous ? Mais c’est évident ! J’ai réalisé que l’art d’être heureux ne dépend que du point de vue auquel on se place. Nous n’avons pas toujours le choix des situations mais nous avons toujours la possibilité de choisir d’être heureux. Les circonstances ne sont peut-être pas satisfaisantes mais nous pouvons toujours choisir de nous lier à D.ieu – et avec joie !

Rav Ekman Shagalov
traduite par Feiga Lubecki