Semaine 30

  • Devarim
Editorial
La Lumière vaincra !

Temps difficile que cette période de trois semaines qui s’étend entre le 17 Tamouz et le 9 Av… Comment pourrait-il en être autrement alors que l’on commémore ainsi la première brèche faite par l’ennemi dans la muraille de Jérusalem puis la destruction du premier et du second Temples, l’un par les hordes venues de Babylone et l’autre par la soldatesque romaine ? De fait, ces drames ont tant marqué notre histoire et notre conscience que des manifestations de tristesse sont l’objet de prescriptions de la Loi juive. Pourtant, au cœur même du souvenir tragique, c’est encore l’espoir qui surgit, ce sens de l’avenir et du but ultime des choses qui a toujours accompagné le peuple juif, le soutenant dans sa longue marche vers le temps de toute lumière.

Parfois, l’histoire semble avoir un aspect de déjà vu. Car voici que, justement dans ces trois semaines, de nouveau des ennemis se lèvent. Ni babyloniens ni romains, ils présentent cependant des caractéristiques similaires. Aussi peu soucieux de la vie que leurs prédécesseurs, aussi insensibles qu’eux aux malheurs d’autrui comme à la souffrance qu’ils infligent par leurs actes à ceux qui les entourent, aussi loin des idées de compassion voire de simple compréhension que les barbares d’antan, rejetant ainsi les normes de toute civilisation, ils ne se reconnaissent, et peut-être ne se réjouissent, que des tueries aveugles. Le monde le pressentait depuis longtemps sans trop vouloir y croire. A présent, il le sait et cela se passe sur notre Terre Sainte.

Faut-il, en temps de drame, redire les vérités éternelles ? Il faut, en tous cas, rappeler que, toujours, le Bien et la Lumière l’emportent sur le mal et la nuit. Ces derniers n’ont pour vocation que de disparaître et leur agitation même n’est que la marque de leur annihilation prochaine. C’est ce combat-là qui se déroule aujourd’hui sur cette Terre « sur laquelle sont posés les yeux de D.ieu du début à la fin de l’année ». Dans cette bataille, chacun est partie prenante. Aux frontières d’Israël, c’est les armes à la main que de jeunes hommes, au péril de leur vie, défendent leurs frères, leur famille. Partout dans le monde, là où vivent des communautés juives, c’est par toutes les forces de l’âme que l’on mène cette guerre imposée par la barbarie. L’étude de la Torah, l’accomplissement d’un commandement de D.ieu détiennent une puissance dont il revient à chacun de se saisir.

Du cœur de l’obscurité jaillira la Lumière, sachons en être les porteurs.
Etincelles de Machiah
La fin complète de l’exil

Lorsque Machia’h viendra, aucun Juif ne restera en exil. Le texte de la Torah (Deut. 30:3) déclare ainsi « D.ieu ramènera ta captivité », ce que Rachi commente : « De Ses mains, Il prendra concrètement chacun de son endroit, comme dit le verset ‘Et vous serez rassemblés un par un, enfants d’Israël’. »

Par ailleurs, on sait que le retour à D.ieu est le facteur qui amènera la venue de Machia’h. Il est donc clair que, de même que la Délivrance atteindra chacun individuellement, ainsi le retour sincère à D.ieu doit aussi être l’œuvre de chacun.
(D’après Likoutei Si’hot, vol. XI, p. 2)
Vivre avec la Paracha
Perdus dans la traduction

Les concepts spirituels peuvent-ils s’exprimer dans un langage courant ou doit-on en parler sur un ton pompeux, dans des chuchotements sacrés, ou, peut-être, ne pas en parler du tout ? Pour bon nombre d’entre nous, la littérature spirituelle semble désespérément hors d’atteinte et sans relation avec notre vie quotidienne. Nous associons le concept de «textes sacrés» avec l’image de livres de prières jaunis, craquelés et écrits dans une langue archaïque ou bien avec celle de rouleaux ternis comportant des hiéroglyphes à peine décryptables. Mais l’écriture sacrée doit-elle nécessairement être si lointaine et étrangère à la réalité ? Y a-t-il quelque chose d’incongru à discuter de la divinité et de la spiritualité dans un langage terre à terre et des exemples tirés de la vraie vie ?
Quand nous parlons de D.ieu dans des termes qui résonnent familièrement pour nous, nous L’invitons dans notre vie plutôt que de Le reléguer à la périphérie de notre existence. Et pourtant l’on pourrait rétorquer que trop faire abstraction de la révérence due au sujet peut facilement conduire à la légèreté et au manque de respect pour des sujets réellement sublimes. Il faudrait maintenir une certaine distance pour préserver la sainteté du sujet. Il ne nous faut pas perdre de vue notre propre faiblesse et notre ignorance en rapport avec des sujets véritablement spirituels et divins et commencer à créer D.ieu à notre propre image.
L’étroite démarcation entre le fait de rendre D.ieu accessible à l’entendement humain et celui de L’humaniser est discutée depuis les temps talmudiques. Il arriva un jour que soixante-dix érudits furent désignés par le roi Ptolémée pour traduire la Torah en grec. Ce jour, dit le Talmud, fut «aussi néfaste pour Israël que celui où fut fabriqué le Veau d’Or, car la Torah ne pouvait être exactement traduite». Et pourtant nous découvrons dans la Torah, qu’avant la traversée du Jourdain pour entrer en Terre d’Israël, Moché expliqua la Torah en soixante-dix langues. Bien plus, au moment de la traversée du fleuve, il chargea le Peuple Juif d’écrire la Torah entière sur des pierres, en soixante-dix langues. Si la Torah avait déjà été traduite en soixante-dix langues, pourquoi sa traduction en grec devait-elle être considérée comme si dramatique ?
Par ailleurs, quelle est la relation entre la traduction de la Torah et le péché du Veau d’Or ? Notez bien que le Talmud ne fait pas la comparaison avec «le jour où le Veau d’Or fut adoré» mais avec «le jour où le Veau d’Or fut construit». Au départ, le Peuple Juif ne cherchait pas un objet à idolâtrer. Ils cherchaient seulement un maître pour remplacer Moché qu’ils croyaient, sincèrement, mort sur le Mont Sinaï. Tout comme D.ieu avait désigné Moché comme agent pour sauver les Juifs d’Egypte, ils espéraient que le Veau d’Or servirait d’intercesseur entre le Peuple et D.ieu. Ils ressentaient le besoin d’une représentation tangible pour les aider à effacer la distance entre leur existence physique et D.ieu.
Dans le Judaïsme, tout un chacun est capable et investi du rôle de construire une relation avec D.ieu sans intermédiaire. Pourquoi donc y aurait-il besoin d’un guide quel qu’il soit ? D.ieu désire que nous ayons avec Lui une relation qui s’appuie sur des termes de la vie réelle, que nous Le comprenions avec notre propre esprit et que nous L’aimions avec tout l’amour que notre cœur humain, charnel, peut ressentir. C’est la raison pour laquelle D.ieu choisit un guide, un Tsaddik qui, par sa conduite et son exemple personnels, devient une manifestation vivante de la Divinité, auquel nous pouvons nous lier et que nous pouvons émuler.
Les Juifs désiraient aller plus loin. Ils arguèrent que la Révélation de D.ieu ne doit pas se limiter au niveau humain et qu’elle peut également s’exprimer à travers le règne animal. Au Mont Sinaï, les Juifs avaient eu une perception de D.ieu descendant la montagne sur un chariot porté par des anges à quatre visages dont l’un était un veau. Ils tentèrent de saisir cette vision spirituelle dans une forme tangible.
Leur erreur résida dans leur «traduction» inepte de la vision divine dans un objet matériel. Une telle représentation ne peut être rendue sans une instruction divine explicite. Les objets matériels ne sont investis d’énergie divine que par un commandement direct de D.ieu. Un exemple clair en est donné par la construction du Tabernacle où l’énergie divine émanait de l’Arche Sainte couronnée par les Chérubins. Puisque sa construction avait été une injonction divine, elle devint un canal pour la Divinité et s’annulait totalement devant D.ieu. Mais toute tentative de notre part pour traduire la spiritualité dans une forme physique, si nous ne sommes guidés que par notre propre perception, est vouée à l’échec. Puisqu’elle ne représente, non pas la volonté divine mais notre propre conception, limitée, de la Divinité, elle résulte en fait à une séparation entre nous et D.ieu.
Quand la Torah est traduite dans un langage étranger, il existe un risque similaire que notre interprétation humaine obscurcisse le sens divin des mots. Nous comprenons donc la déclaration de nos Sages affirmant que la traduction de la Torah fut «un jour aussi néfaste que celui où fut fabriqué le Veau d’Or». En fait, quand la traduction de la Torah est enjointe par D.ieu, comme ce fut le cas sur les rives du Jourdain, aucune possibilité de distorsion ne voit le jour.
Quelle leçon peut-on tirer de ces deux événements ? L’histoire du Veau d’Or aurait-elle un pouvoir dissuasif pour nous empêcher de nous lier à D.ieu dans nos propres termes ? Il est évident que D.ieu désire que nous L’attirions dans notre monde, comme cela est rendu clair par le fait que Moché lui-même traduisit la Torah en soixante-dix langues. Le Veau d’Or ne sert que comme exemple vivant du fait que nous pouvons nous perdre quand nous basons nos interprétations sur notre propre compréhension, sans nous référer à une autorité de la Torah.
Dans notre génération, nous possédons des possibilités sans précédents pour rendre la Torah accessible, dans toutes les langues, aux individus et aux populations qu’elle n’a jamais atteints précédemment. Nous pouvons choisir de nous dérober à cette opportunité, sous prétexte de notre propre faiblesse et de la bassesse du monde en général. Nous pouvons utiliser cet élan pour communiquer les valeurs et les idéaux de la Torah dans toutes les langues et dans tous les langages. D.ieu sera réellement révélé dans ce monde lorsque tout le peuple, dans tous ses particularismes, sera capable de reconnaître Sa présence et étudier Ses enseignements.
Nos efforts dans cette direction peuvent servir à annuler les effets néfastes du Veau d’Or. L’intention originelle de rapprocher D.ieu (bien que par des moyens inadéquats) peut être replacée dans sa source juste par nos efforts intenses pour rendre la Divinité manifeste dans ce monde selon les termes soulignés par la Torah. L’une des descriptions de l’Ere messianique évoque le moment où D.ieu «rendra les peuples purs de la parole de sorte qu’ils invoqueront tous le Nom de D.ieu et Le serviront dans un but unique». Alors les jours de deuil qui commencent le 17 Tamouz et culminent le 9 Av seront transformés en jours de réjouissances et de fêtes, avec l’aide de D.ieu et la venue de Machia’h.
Le Coin de la Halacha
Qu'est-ce que le 9 Av ?

Le 9 Av commémore de tristes dates de l'histoire juive, comme l'épisode des explorateurs (Nombres 13), de nombreux pogromes, et en particulier la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains.
Les garçons, à partir de 13 ans et les filles à partir de 12 ans doivent jeûner depuis la veille (cette année mercredi soir 2 août 2006 à 21h 10, horaire de Paris) jusqu'au soir (cette année jeudi soir 3 août 2006 à 22h 22). En cas de maladie ou de faiblesse, on consultera un rabbin compétent à propos du jeûne. On ne se lave pas, sauf les doigts le matin, ou pour des raisons d'hygiène. On ne met pas de chaussures en cuir : c’est la raison pour laquelle on ne prononce pas le matin la bénédiction «Chéassa Li Kol Tsorki», («Qui a comblé tous mes besoins»). On n'étudie pas la Torah, (sauf certains passages de Jérémie par exemple).
Jusqu'au milieu de la journée de mardi (environ 13h 30, 14h) on ne s'assoit pas sur une chaise mais seulement sur un petit tabouret, en signe de deuil. On évite de dire bonjour, sauf aux personnes qui ont oublié qu'on ne se salue pas le 9 Av.
Mercredi soir, on lit les Lamentations de Jérémie (Meguilat E'hah). Jeudi matin, on fait la prière sans Talit ni Téfilines, et on lit les «Kinot» et encore une fois le livre des Lamentations. Jeudi après-midi, on met Talit et Téfilines pour la prière de Min'ha et on rajoute le passage «Na'hem» («Console les endeuillés de Sion») dans la bénédiction : «Boné Yerouchalayim». On assiste à un Siyoum (conclusion de l’étude) du traité talmudique «Moèd Katane» ou on l’écoute à la radio juive à 14h 30. Jeudi soir, on se lave les mains rituellement sans bénédiction. On remet des chaussures normales avant de manger. On pourra faire lessive, couture et repassage et manger de la viande à partir du vendredi 4 août au matin en l’honneur du Chabbat.
Les sept Chabbats qui suivent le 9 Av sont appelés des Chabbats de consolation.

F. L.
De Recit de la Semaine
Même les souris…

Hillel gérait une taverne qu’il louait à un riche propriétaire terrien en Russie. Ses clients, - les paysans locaux - appréciaient ses services et son honnêteté. Seul un des paysans ressentait une jalousie tenace envers le tenancier juif. Stefan qui était presque toujours ivre en voulait à Hillel qui refusait de lui servir davantage de vodka quand il était évident qu’il avait atteint une limite à ne pas dépasser.
Stefan jura qu’il se vengerait du Juif : il trouverait bien un moyen de l’impliquer dans un crime. Il décida de dénoncer aux autorités une prétendue fraude sur les taxes perçues sur la vente de la vodka… Pour prouver ses dires, il engagea les services d’autres paysans, antisémites comme lui, qui accepteraient de témoigner sous serment qu’Hillel leur avait vendu de l’alcool illégalement.
On ordonna une enquête. Les faux témoins prêtèrent serment et jurèrent qu’ils avaient vu, de leurs yeux, la fraude. Le juge qui était tout aussi antisémite, profita de cette occasion pour condamner tous les Juifs, bien connus – n’est-ce pas – pour leur malhonnêteté et leur esprit de combine : il décréta la peine la plus lourde sur ce pauvre Hillel.
Bien entendu, celui-ci s’éleva avec indignation contre ces accusations mensongères. Les larmes aux yeux, il déclara qu’il était victime d’un complot. De nombreux clients se présentèrent spontanément pour prendre sa défense et attester de son honnêteté proverbiale. Même le riche propriétaire vint confirmer que jamais «son Juif» ne l’avait trompé. Les enquêteurs sentaient qu’Hillel ne pouvait effectivement pas être coupable mais ils ne pouvaient pas ignorer le faux témoignage de Stefan et ses acolytes. L’affaire traîna en longueur, dura près d’un an et pendant ce temps, Hillel s’inquiéta, se renferma et, le cœur brisé, restait reclus à la maison en train de réciter des Téhilim (Psaumes).
Sa femme, Dvora Léa, voyant qu’il était de plus en plus découragé, décida qu’il n’y avait qu’une solution. Le père de Dvora Léa avait été un ‘Hassid de Rabbi Mena’hem Mendel de Loubavitch, le Tséma’h Tsédek : elle suggéra donc à son mari de se rendre à Loubavitch pour obtenir conseil et bénédiction auprès du Rabbi.
Hillel ne venait pas d’une famille ‘hassidique et n’avait aucune envie de se rendre auprès d’un Rabbi. Cependant, la date du verdict approchait et il décida d’écouter sa femme.
A Loubavitch, Hillel remarqua que de nombreuses personnes attendaient depuis des jours le privilège de pouvoir parler au Rabbi, tant de personnes qu’il se découragea… Mais après avoir expliqué au secrétaire l’urgence de sa situation, il obtint néanmoins un rendez-vous pour le lendemain.
En entrant dans le bureau, Hillel se mit à pleurer tandis qu’il décrivait sa peine, le terrible complot qui l’accusait. Le Rabbi l’écouta patiemment puis le réconforta : «Ne pleure pas, Hillel. D.ieu viendra certainement à ton aide. Dans ce monde, toute créature a une mission bien particulière. Même les souris sont parfois bénéfiques. Rentre chez toi et place ta confiance en D.ieu !»
Hillel quitta Loubavitch, rassuré bien qu’il n’ait pas vraiment compris ce que le Rabbi avait voulu dire. Son épouse était également perplexe mais elle était sûre que D.ieu accomplirait la promesse du Tsaddik.
A l’approche du verdict, Hillel et Dvora Léa se rendirent au tribunal qui était rempli de curieux. Hillel s’assit sur le banc des accusés. Pâle, il récitait des Psaumes avec tant de ferveur qu’il en vint à oublier tout ce qui l’entourait.
On fit entrer Stefan. Il répéta ses fausses allégations mais quand l’avocat lui posa des questions précises, il s’empêtra dans ses mensonges. Cela ne l’inquiéta pas outre mesure puisqu’il savait pouvoir compter sur ses amis. Mais aucun d’entre eux ne se présenta à la barre des témoins : malades ? fatigués ? peureux…
L’affaire tournait à l’avantage d’Hillel mais le procureur ne baissait pas les bras. Il demanda qu’on apporte les documents originaux : le juge envoya le clerc les chercher dans les archives. Toute l’assistance attendait avec impatience son retour mais, quand il réapparut, il avait les mains vides. Il murmura quelque chose à l’oreille du juge qui hurla : «Rapportez ici ce qu’il en reste !»
«Mais, Votre Honneur ! répondit l’homme gêné : il ne reste plus rien ! Les souris ont mangé tout le dossier !»
«C’est impossible, cria le juge. Rapportez-moi tout le tiroir !»
Le clerc revint quelques minutes plus tard, portant un grand tiroir rempli de bouts de papier inutilisables.
Bien que tous les autres dossiers dans le tiroir fussent en bon état, le dossier d’Hillel avait été complètement dévoré par les souris.
Hillel, absorbé par sa lecture des Psaumes, n’avait aucune idée de ce qui s’était passé autour de lui et fut surpris quand ses amis se précipitèrent vers lui en lui souhaitant chaleureusement Mazal Tov. Quand il comprit que les charges avaient été abandonnées – de quelle façon miraculeuse ! – Il remercia D.ieu de l’avoir sauvé de ce terrible complot. Lors de leur retour à la maison, son épouse lui raconta tout ce qui s’était passé dans le tribunal et ce n’est qu’à ce moment-là qu’Hillel comprit les paroles prophétiques du Rabbi Tséma’h Tsédek.

Traduit par Feiga Lubecki