En attendant la lumière
Il existe un caractère particulier du peuple juif. Celui-ci s’exprime dans ce mode de vie si essentiel, qui a traversé les siècles, qu’il est convenu d’appeler « judaïsme » comme s’il s’agissait d’une religion monothéiste parmi les autres même si c’est leur ancêtre. Il y a là beaucoup plus qu’un ensemble de références spirituelles ou culturelles, c’est bien d’un élément à part qu’il s’agit. Reste, évidemment, à le définir.
Un verset nous met sur la voie. Définissant le peuple juif, il déclare sans détours : « C’est un peuple qui demeure solitaire… » L’histoire nous a conduits en de nombreux lieux, elle nous a fait connaître d’innombrables situations, d’un extrême à l’autre. Parfois, la sérénité régnait et les lendemains semblaient assurés. Les amis étaient nombreux et on se prenait à penser que le monde devenait meilleur. D’autres fois, l’inquiétude donnait aux jours une tonalité lourde et grise et les ombres paraissaient monter sans que l’on puisse les arrêter. Les amis devenaient alors plus rares et, sans trop oser le dire haut et fort, chacun se demandait comment allait évoluer tout ce que nous avions connu jusqu’ici.
Toujours, le verset cité a retenti, profondément enfoui dans les consciences et ressurgissant quand l’époque l’appelle au jour : « …un peuple qui demeure solitaire… » Les temps sont, par nature, changeants et les nations du monde aussi, veut nous signifier ce texte. Dans tout cela, au milieu d’interactions diverses et de tumultes orchestrés par des intervenants parfois sincères et, le plus souvent, de mauvais aloi, le peuple juif dérange. Il a traversé les millénaires avec, autour de lui et bien souvent contre lui, des guerres sans pitié, de la cruauté assumée, et lui n’a pas dévié de son chemin. Cette route qui a commencé au Sinaï et dont nous rappelions encore l’origine avec la récente fête de Chavouot. Sans oublier ni trahir, il continue avec confiance de transmettre au monde le message reçu. C’est aussi cela que ceux qui ne veulent pas l’entendre refusent en lui, ils souhaiteraient tant le faire taire, organiser sa réduction au silence par sa disparition programmée.
En des temps troublés, souvenons-nous : « c’est un peuple qui demeure solitaire… » Comme en un état d’éternité, jusqu’à ce que lumière et conscience s’étendent au monde entier.
La valeur d’un homme simple
Dans la tradition juive, l’étude de la Torah est sans doute la valeur suprême, à telle enseigne que l’érudition est considérée comme une marque évidente d’élévation spirituelle. Cette idée, d’une légitimité incontournable, ne doit toutefois pas faire oublier la valeur de l’homme simple, de celui qui s’attache à D.ieu de tout son cœur avec la plus absolue sincérité.
A ce sujet, le Tséma’h Tsédek, le troisième Rabbi de Loubavitch, dit un jour que le Machia’h se réjouirait dans la compagnie de ces Juifs simples. Alors, précisa-t-il, une pièce leur sera réservée et les plus brillants érudits les envieront. Ainsi apparaîtra la vraie grandeur de ces Juifs qui servent D.ieu à l’infini.
(d’après une lettre du précédent Rabbi de Loubavitch,
Iguerot Kodech, vol. IV, p. 148)
Chela’h
Cette Paracha évoque l’épisode des douze explorateurs envoyés par Moché en Israël. Dix d’entre eux, à l’exception de Calev et Yehochoua, font un compte-rendu qui décourage les Juifs de conquérir la terre. D.ieu décrète alors que le peuple restera encore quarante ans dans le désert et que ce sera la génération suivante qui entrera en Israël.
Des lois pour les offrandes ainsi que la Mitsva de la ‘Halla sont détaillées.
Un homme est mis à mort pour avoir publiquement profané le Chabbat.
Enfin la Mitsva des Tsitsit est donnée par D.ieu afin que nous nous souvenions d’accomplir Ses commandements.
Penser au possible
Chaque individu doit affronter des tâches et des défis. La dimension juive de la vie nous aide à y faire face et parfois se présente elle-même comme une partie du défi. Les devoirs d’étudier, de trouver un emploi, de se marier, de faire naître une famille, d’aider sa communauté, d’épauler ceux qui sont dans le besoin, sans parler des problèmes qu’affronte le Peuple juif en tant qu’entité, tout cela est guidé par les enseignements juifs. On y trouve à la fois des « fais » et des « ne fais pas ». Ils apportent tous une stabilité et pourtant quelquefois, ils paraissent rendre les choses plus compliquées.
Pouvons-nous équilibrer toutes les demandes auxquelles nous devons faire face ? Comment les envisager ? Dans la Paracha de cette semaine, Chela’h, la Torah nous donne le récit du Peuple juif placé devant le défi de pénétrer en Terre d’Israël, la terre qui leur avait été promise par D.ieu depuis des générations. Leur tâche consistait à transformer le Canaan impur en la Terre sacrée d’Israël, le centre spirituel du Peuple juif et en dernier ressort du monde entier. Une immense tâche les attendait. Cependant, cette péripétie sert également de métaphore à la tâche qui attend chaque Juif dans sa vie de tous les jours. Nous devons changer les voies ordinaires du monde en quelque chose de saint.
Au commencement de la Paracha, D.ieu demande d’ « envoyer des gens pour explorer la Terre ». Nos Sages expliquent que cette injonction venait en réponse au fait que le Peuple juif lui-même désirait cette exploration. Il leur semblait naturel de vouloir explorer la terre et D.ieu répondit : « Envoyez [des explorateurs] ! »
En d’autres termes, explique le Rabbi, si vous avez une tâche qui vous attend, mettez tous vos efforts et votre énergie dans la recherche de la manière de l’accomplir le mieux possible. Parfois, les gens se laissent porter par le courant sans réfléchir, sans se poser de questions. Par contraste, la Paracha nous dit ici de rechercher et de penser par nous-mêmes. Alors, que se passa-t-il donc ? Pourquoi la mission des douze explorateurs se solda-t-elle par un désastre ?
Parce qu’au lieu de rechercher la meilleure manière de pénétrer en Terre d’Israël, les explorateurs déclarèrent que cette entreprise était impossible. Le message qu’ils rapportèrent était : « mission impossible… » Au lieu de dire : « nous aurons à faire face à tel ou tel problème », ils affirmèrent : « abandonnez tout le projet ! »
C’était là leur erreur. Mais elle ne doit pas être la nôtre. Nos enquêtes sur les tenants et les aboutissants de l’entreprise qui nous attend, basées sur les enseignements de la Torah, ne doivent pas aboutir à la déclaration : « mission impossible » et à l’abandon de la tâche. Si nous y portons un regard positif, sachant que D.ieu nous aide, nous verrons devant nous se dérouler le chemin qui nous mènera au succès optimal.
Il est vrai que nous devons réfléchir attentivement pour trouver l’approche qui correspond le mieux à une situation spécifique et prendre en compte chaque facteur. Mais les éléments qui nous guident à la base dans l’implication de l’action sont les instructions que nous donne D.ieu par l’intermédiaire de la chaîne des enseignements de la Torah. C’est seulement ainsi que nous pouvons affronter et surmonter, avec sagesse et ténacité, chaque défi, de la façon la plus réussie et finalement, avec la venue de Machia’h, la sainteté latente dans le monde entier se révélera.
Pour commencer : la force du commencement
C’est une caractéristique de la vie universelle : « le commencement ». Le commencement de la vie constitue le thème qui ouvre toute la Torah. Mais la Torah met également l’accent sur un « commencement » d’un genre différent. Elle évoque le fait d’établir un « commencement » durant le processus de la fabrication du pain.
Après avoir pétri la pâte, et d’habitude avant de la former en pains, une portion de la pâte en est séparée. Il s’agit du prélèvement de la ‘Halla. Cette opération nous apporte un enseignement à propos du commencement, pas seulement celui de la confection du pain mais de tout dans la vie ;
A l’époque du Temple, une quantité significative de la pâte de la ‘Halla était donnée au Cohen (prêtre). Aujourd’hui, l’on n’en prélève qu’un petit morceau (30 grammes) que l’on brûle. Les lois du prélèvement de la ‘Halla figurent dans notre Paracha : « les prémices du bol de pétrissage, vous les donnerez à D.ieu comme offrande : cela s’applique à toutes vos générations ».
Les enseignements de la ‘Hassidout révèlent une interprétation plus profonde de cette loi, basée sur une subtilité de la langue. Le terme hébraïque pour « bol de pétrissage » est « Arissa ». Mais « Arissa » possède deux sens. Cela signifie à la fois « bol de pétrissage » et « lit » ou « berceau ».
Selon nos Sages, ce double sens n’est pas dû au hasard. Comme tout dans la Torah, il nous apporte un enseignement. La loi du prélèvement de la ‘Halla signifie qu’au tout début de l’activité de la confection du pain, nous faisons un acte qui exprime une reconnaissance de D.ieu. Prélever la ‘Halla signifie dédier quelque chose au Divin ; et cette étape a lieu dès le commencement.
La signification double cachée dans les mots de la Torah n’évoque pas seulement le bol de pétrissage mais également le berceau, le lieu du commencement de la vie humaine. Le tout début doit se marquer par l’acte d’ « offrande à D.ieu ». Comment parvenir à dédier un enfant juif à D.ieu ? Par l’éducation juive. Chaque moment passé à enseigner à un enfant sa proximité avec D.ieu, à lui parler de la beauté de la Torah et de la vie juive tisse un lien précieux avec le passé et le futur. Ces moments passés au début de la vie aident à assurer que les années futures, les « générations » mentionnées dans le verset, seront remplies de réussite, conduisant vers un réel accomplissement. C’est là le sens général.
Une autre leçon concerne une autre sorte de « commencement » : le début de chaque jour. Les enseignements de la Torah recommandent que là aussi, nous devrions commencer par un moment où l’on se dédie à D.ieu : la prière du « Modé Ani », du Chéma, les Tefilines. C’est là la ‘Halla, donnée à D.ieu. Alors, le reste du jour, les « générations », sera heureux, sain et rempli, semblable à la chaleur du pain fraîchement cuit.
Comment se comporter devant le Kotel (Mur Occidental) à Jérusalem ?
Le Kotel est un fragment de la muraille qui entourait le Beth Hamikdach, le saint Temple de Jérusalem. Le Temple était l’endroit vers lequel les Juifs montaient en pèlerinage trois fois par an car c’est là que D.ieu a choisi de faire résider Sa Présence dans le monde et pour le monde entier. C’était le centre de la vie juive et de nombreuses Mitsvot (commandements) ne pouvaient être accomplies que là-bas (comme les sacrifices, l’offrande du Ketoret (encens), le culte de Yom Kippour etc.).
Ces pensées doivent éveiller en nous une grande nostalgie de la splendeur passée et une grande aspiration à assister à sa splendeur future avec la venue du Machia’h comme nous le demandons trois fois par jour dans nos prières : « Que ce soit Ta Volonté, Eternel notre D.ieu, que le Temple soit reconstruit ! ».
Cependant, bien que le Temple ait été détruit par les Romains il y a près de deux mille ans, nous pouvons approcher ce vestige de la muraille qui a résisté à tous les combats car D.ieu a juré qu’il ne sera jamais détruit. Cette pensée engendre en nous une grande reconnaissance envers D.ieu qui veille sur Son peuple pour qu’il survive à toutes les persécutions et qui, certainement, continue de nous protéger, individuellement et collectivement.
C’est l’endroit où chacun peut déverser son cœur et demander bonne santé, guérison, mariage, naissances, réussite et surtout la paix avec le retour des otages… C’est l’endroit où chacun se sent libéré de toutes les contingences matérielles et peut se concentrer sur sa vie spirituelle.
On a coutume de donner de la Tsedaka avant d’arriver devant le Kotel et, bien sûr, de s’habiller et de se comporter correctement. On embrasse les pierres et certains déposent entre les pierres des demandes de bénédictions écrites. On prie en ayant conscience que les Juifs du monde entier prient en direction du Kotel et on récite prières et Tehilim (Psaumes).
Selon la Hala’ha, il est strictement défendu de monter sur le Mont du Temple.
(d’après Rav Yossef Halperin – Si’hat Hachavoua N° 2003)
Interrogatoire ?
Durant toute l’année, les ‘Hassidim de Loubavitch avaient l’habitude de se recueillir auprès de la tombe du Rabbi précédent, Rabbi Yossef Yits’hak (1880-1950) au cimetière Montefiore dans le district de Queens (New York). Surtout le jour de son Yortsaït, le 10 Chevat, en janvier, en plein hiver. Nombreux étaient ceux qui avaient la coutume de jeûner et préféraient donc s’y rendre le matin. Pour ceux qui travaillaient ou avaient d’autres obligations, - comme ce fut le cas ce mercredi en 1972 - cette visite se déroulait encore plus tôt, à l’aube.
Rav Binyamin Cohen avait étudié plusieurs années au Collel à Brooklyn mais ne put se libérer tôt ce jour-là. Quand il réalisa qu’il devait encore se rendre au cimetière à Queens, peu de gens se proposèrent de l’y emmener et il fut heureux quand quelqu’un accepta de le prendre malgré tout parce qu’il devait faire des courses non loin du cimetière et reviendrait le chercher quelques instants plus tard.
Il sortit de la voiture et marcha difficilement dans la neige jusqu’à la porte du cimetière. Mais il était tard, le soleil commençait à se coucher et la porte était verrouillée avec un épais cadenas. Persuadé que la porte avait été fermée par erreur, il se mit à tambouriner et à secouer la porte en espérant que quelqu’un viendrait l’ouvrir. Désespéré et surtout saisi par le froid intense, il persistait à frapper de toutes ses forces, peut-être quelqu’un l’entendrait, bien que le cimetière semblât désert.
Tandis qu’il se tenait là transi de froid, sans même se rendre compte du temps qui passait, il réalisa soudain qu’il n’était pas seul : Rav Pin’has Hirschprung, grand-rabbin de Montréal au Canada, sommité rabbinique mondiale, se tenait là lui aussi. Tous deux se mirent alors à redoubler de coups sur la porte, espérant sans doute qu’à eux deux, ils parviendraient à la faire s’ouvrir d’elle-même en faisant sauter le cadenas.
C’est alors qu’apparut un employé du cimetière qui leur demanda ce qu’ils voulaient. Binyamin Cohen expliqua qu’ils désiraient tous deux se recueillir quelques minutes devant la tombe de leur Rabbi. Mais l’homme répondit que les horaires étaient très stricts, que le cimetière devait impérativement être fermé à 17 heures et on avait déjà dépassé cet horaire de quelques minutes. Rav Cohen supplia, insista que Rav Hirschprung s’était déplacé exprès du Canada mais l’homme était insensible : « Si vous continuez à tambouriner comme des fous ou si vous essayez encore de briser la porte ou le cadenas, j’appelle la police ! ».
Binyamin Cohen pensa que, résigné, Rav Hirschprung retournerait à sa voiture puis se rendrait à Crown Heights pour assister au Farbrenguen (réunion ‘hassidique) du Rabbi au 770 Eastern Parkway tandis que lui-même resterait coincé sur place, en attendant que celui qui l’avait amené viendrait le rechercher - alors qu’il n’aurait même pas eu l’occasion de déposer sa lettre avec sa demande de bénédictions sur le tombeau de Rabbi Yossef Yits’hak en ce jour si important.
Mais Rabbi Hirschprung ne partit pas.
Au contraire, il engagea la conversation avec Binyamin et lui demanda ce qu’il étudiait en ce moment. Sachant que Rav Hirschprung connaissait toute la Guemara par -cœur, Binyamin frissonna encore davantage en comprenant qu’il allait devoir affronter une autre épreuve, bien plus difficile : un interrogatoire en règle par cette autorité talmudique mondialement reconnue ! En plus, dans un froid glacial ! Mais il fut bien obligé de répondre : Baba Kama page 11a.
Le regard de son interlocuteur s’éclaira tandis qu’il se mit à réciter par cœur le passage en question, tout en citant de nombreux commentateurs et en expliquant les passages les plus ardus. Sans rien demander à Rav Cohen.
Lentement, Binyamin se retrouva transporté loin du cimetière enneigé et engagé dans une chaude discussion talmudique animée. Malgré la neige qui mordait ses chaussures et le vent qui menaçait de faire tomber son chapeau, la joie irradiait le visage de Rav Hirschprung tandis qu’il se laissait emporter par le feu de l’étude informelle, sans livres ni pupitre ni auditoire.
Une bonne demi-heure passa ainsi mais ce fut pour Binyamin comme quelques moments en dehors du temps, en dehors du froid. Quand l’homme qui l’avait amené réapparut pour le ramener à Brooklyn, Binyamin prit congé de Rav Hirschprung en le remerciant profusément de ce cours improvisé et si enrichissant. Et tous deux repartirent, chacun dans son véhicule.
Ce qui avait commencé comme une épreuve frustrante et avait continué comme la perspective angoissante d’un interrogatoire sur ses connaissances talmudiques était devenu pour Binyamin une leçon éternelle de bienveillance et de démonstration de la puissance de la Torah, capable de faire oublier le froid et la déception. Une leçon qui n’avait pas de prix !
Rav David Zaklikowski - Hasidic Archives - COLlive
traduit par Feiga Lubecki