Jeudi & vendredi , 9 & 10 avril 2020

  • Pessa'h
Editorial

 Enfin libres !

Cette fois, nous y sommes ! Tout ‘Hamets chassé, autant du cœur que de la maison, la fête de Pessa’h est présente. Et, sur son chemin, nous rencontrons le 11 Nissan, l’anniversaire de la naissance du Rabbi. Car, entre ces dates, il y a une grande idée en commun et celle-ci porte un beau nom : la liberté. Liberté de tout un peuple acquise à Pessa’h avec la sortie d’Egypte, quand la servitude s’efface devant la Volonté Divine. Liberté de chacun qui entrouvre la porte le 11 Nissan, une date qui marque comme le commencement d’une nouvelle ère où le bonheur d’être juif devient une réalité de tous les instants.

L’époque nous le commande donc : c’est le contenu et le sens de la liberté qu’il faut ici entreprendre de mieux cerner. Car si le mot est puissant, il recouvre des idées très diverses. Comment parler de liberté si on ne sait pas ce que cela implique ? Comment se réjouir de son émergence, y compris dans le calendrier du judaïsme, si on ne sait d’elle que ce sentiment d’émerveillement qu’elle dégage immanquablement ? Et si la liberté devait d’abord être vécue au plus près pour produire son œuvre ? Et si elle devait d’abord nous ressembler pour incarner nos rêves ? De fait, l’homme libre ne peut supporter nulle contrainte, même légitime, sauf celles qu’il accepte parce qu’elles expriment profondément ce qu’il est, qu’elles sont liées à sa nature propre. Dans ce sens, dire la liberté c’est affirmer sa propre existence, la capacité à mettre en œuvre sa propre volonté dans un souci de recherche d’harmonie collective et de bonheur individuel assumés.

L’entreprise est bien ambitieuse. La célébration de Pessa’h, la date du 11 Nissan nous ouvrent ici des voies ; nous pouvons y parvenir. Avec la sortie d’Egypte, en effet, ce fut à la chute d’un tyran, le pharaon, que notre peuple assista. Un tyran chassé par l’intervention de D.ieu Qui vient chercher Son peuple, c’est un spectacle qui marque l’histoire et la pensée des hommes. Avec le 11 Nissan, c’est la tyrannie d’un temps et d’un monde oublieux, sûrs d’eux-mêmes, qui est écartée pour laisser place au choix d’hommes et de femmes. Et ceux-ci refusent les modèles que certains voudraient leur imposer. Dans ces deux cas, l’histoire s’est chargée de trancher le débat : le peuple juif est libre et il se souvient de ce qu’il est pour vivre pleinement son avenir. La liberté est donc acquise, sachons la préserver ou mieux la renforcer. Elle sera aussi un aboutissement majeur : celui du temps messianique.

Etincelles de Machiah

 « Accomplis ma volonté »

En conclusion du Séder de Pessa’h, l’Admour Hazakène avait coutume de dire :

« Maître du monde, j’ai fait Ta volonté et accomplis le Séder selon la règle. Toi aussi, à présent, accomplis ma volonté : ‘L’an prochain, à Jérusalem !’ »

(D’après Séfer HaSi’hot 5696 p.235)

Vivre avec la Paracha

 Pessa’h : l’Exode : une expérience du présent comme celle du passé

Le pain que consommèrent nos ancêtres en Égypte

Bien plus qu’une simple commémoration d’un événement passé, une fête juive est un événement que l’on expérimente et revit au niveau individuel. Chaque fête juive porte en elle un message contemporain qui s’adresse à chacun de nous, de tous temps et en tous lieux. Cela est particulièrement vrai de Pessa’h. Comme le déclarent nos Sages (Pesa’him 10 :5) : « Dans chaque génération, chaque Juif a l’obligation de se considérer comme s’il avait personnellement quitté l’Égypte. »

Et c’est là le but du Séder du soir de Pessa’h : donner à chacun l’opportunité de faire l’expérience personnelle de sa propre libération de la maison d’esclavage.

L’ouverture du Séder exprime ce concept en introduisant le récit de l’Exode par la déclaration : « Voici le pain de l’affliction ». Dans son Choul’han Arou’h, Rabbi Chnéor Zalman note :

« Ceux qui sont méticuleux veillent à dire Ha La’hma ou Ha kela’hma (« ceci est comme le pain de l’affliction »), puisque [la Matsa que nous mangeons] n’est pas le véritable pain que mangèrent nos ancêtres. »

Cependant, dans son édition de la Haggada, Rabbi Chnéor Zalman choisit les mots Hé La’hma anya (« voici le pain de l’affliction »). Cela insiste sur le fait que le Séder a pour fonction de nous émouvoir au point que nous expérimentions nous-mêmes une libération de l’esclavage, et considérions la Matsa qui est placée devant nous comme « le pain de l’affliction que mangèrent nos ancêtres en Égypte. »

Dans chaque génération, chaque Juif a l’obligation de se considérer comme s’il avait personnellement quitté l’Égypte

Bien que nous ne soyons jamais allés en Égypte et que nous n’ayons jamais vécu un véritable esclavage, la rédemption peut être réelle pour nous car, comme l’explique la pensée ‘hassidique, l’Égypte n’est pas seulement un lieu géographique mais également un état d’esprit. En fait, le mot hébreu pour « Égypte », « Mitsrayim », est pratiquement identique au mot « Meitsarim » qui signifie « étroitesse » ou « limites ». En d’autres termes, notre sortie individuelle d’Égypte implique que l’on se dépasse soi-même, que l’on s’élève au-delà de nos limites personnelles.

Chacun d’entre nous possède une âme, une étincelle de D.ieu. Et, tout comme D.ieu Lui-même, cette étincelle est infinie et illimitée. Au niveau personnel, l’Égypte symbolise ces influences et ces forces qui confinent et limitent ce potentiel spirituel.

La nature de cette Égypte individuelle varie en fonction du caractère et du degré de raffinement. L’Égypte d’une personne peut se caractériser par ses désirs égocentrés et ses penchants naturels. Pour une autre, il peut s’agir de l’emprise de l’intellect et de la raison. Il existe même « une Égypte de sainteté », un état dans lequel un individu spirituellement engagé s’empêche d’utiliser tout son potentiel pour progresser, considérant ses limites naturelles comme permanentes.

Toutes ces Égyptes confinent notre nature divine infinie. Quitter l’Égypte signifie sauter au-dessus de ces barrières et de ces limites (ainsi que de beaucoup d’autres) et permettre à notre potentiel spirituel infini de faire surface.

Une expérience personnelle de la rédemption affecte l’ensemble de notre service divin. Tant qu’une personne vit dans son Égypte personnelle, tant que le potentiel illimité de son âme ne peut s’exprimer, elle percevra l’observance de la Torah et de ses mitsvot comme extérieure à elle-même, séparée de l’essence de son être. Mais quand elle revit l’Exode et met au grand jour sa nature divine essentielle, elle développe un lien bien plus profond avec la Torah.

Vivre un exode personnel d’Égypte devient donc « le grand fondement et le pilier solide de notre Torah et de notre foi », dont l’impact s’étend bien plus loin que le temps de la célébration de Pessa’h et s’applique à chaque moment de notre vie. Quand l’on comprend ainsi l’Exode, chaque dimension de notre conduite de Juif et chaque Mitsva que nous accomplissons est un pas hors de l’Égypte et l’expression de notre potentiel Divin, une occasion de réaliser notre véritable être intérieur.

Pour souligner que l’Exode d’Égypte est une expérience qui continue, Rabbi Chnéor Zalman omet le passage « ‘Hassal Siddour Pessa’h » (« le séder de Pessa’h est conclu ») de son texte de la Haggada. De la même façon, pour marquer l’actualité incessante de la sortie d’Égypte, nous rappelons cet événement dans nos prières quotidiennes, à la fois le matin et le soir.

Un point tournant dans l’histoire spirituelle

La signification perpétuelle de l’Exode peut être considérée selon une autre perspective. La Torah dit du Peuple Juif : « ils sont Mes serviteurs que J’ai sortis de la terre d’Égypte ; ils ne seront pas vendus comme esclaves » (Vayikra 25 : 42). La rédemption d’Égypte et l’expérience du Don de la Torah qui suivit établit l’identité du Peuple juif comme « serviteurs de D.ieu » et non comme « serviteurs de serviteurs ». Après avoir quitté l’Égypte, ils ne seraient plus jamais astreints au même genre de servitude.

Le Maharal de Prague explique que la liberté acquise par l’Exode transforma la nature essentielle de notre peuple. Par l’Exode, nous pûmes acquérir le statut d’hommes libres. En dépit des conquêtes et des soumissions à d’autres peuples qui allaient suivre, la nature fondamentale du Peuple juif n’a pas changé. Notre liberté perdure seulement parce que, dans un sens spirituel, D.ieu nous sort constamment d’Égypte. Le miracle de la rédemption n’est donc pas un événement du passé mais quelque chose qui se produit constamment dans notre vie.

L’expérience continue de la rédemption, réalisée tout au long de notre vie, est intensifiée en revivant l’Exode lors de la fête de Pessa’h.

Que la rédemption personnelle vécue par chaque individu à cette période accélère la rédemption pour tout notre peuple et conduise à l’accomplissement de l’espoir qui s’exprime à l’apogée de la Haggada lorsque nous nous écrions : « Lechana Habaa biyerouchalayim ! », (« l’an prochain à Jérusalem !»), avec la venue de Machia’h, rapidement de nos jours.

Le Coin de la Halacha

 Pourquoi lit-on un chapitre de Pirké Avot, les « Maximes de nos Pères », chaque samedi après-midi, entre Pessa’h et Chavouot ?

Entre Pessa’h et Chavouot, nous nous préparons à revivre le don de la Torah au mont Sinaï. Pirké Avot est un traité talmudique qui contient des recommandations éthiques et morales. En lisant un chapitre par Chabbat, nous pouvons raffiner notre personnalité et notre comportement, de façon à mériter de recevoir la Torah.

Dans de nombreuses communautés, on continue la lecture de ces six chapitres tout au long de l’été jusqu’au Chabbat qui précède Roch Hachana. En effet, durant l’été, certains ont tendance à se montrer moins stricts dans leur observance des Mitsvot : il convient donc de se renforcer spirituellement pour éviter tout relâchement.

Le Recit de la Semaine

 Des Matsot à tout prix

Rivka jouait avec son amie sur le balcon de sa maison. Apparemment, les deux fillettes s’amusaient bien. Mais, de fait, elles étaient en faction : c’était elles qui devaient signaler aux occupants de la maison tout mouvement suspect dans la rue autour d’elles.

On était au mois de Nissan, en 1951, dans la banlieue calme de Malahovka, à côté de Moscou. Des activités totalement illégales se déroulaient dans cette maison : illégales selon les critères de l’Union Soviétique d’alors : la cuisson de Matsot !

Le gouvernement soviétique avait déclaré la guerre à toute forme de religion : les écoles juives avaient été fermées depuis longtemps ainsi que les synagogues et les Mikvaot (bains rituels). Rabbins, professeurs, Mohalim, Cho’hatim (sacrificateurs rituels) avaient été arrêtés et envoyés purger des peines de vingt ans dans les « camps de travail » en Sibérie ou avaient été exécutés.

La loi communiste permettait au citoyen de pratiquer sa religion chez lui mais interdisait toute vie communautaire. Toute organisation de la vie religieuse était considérée comme contre-révolutionnaire. Comment serait-il possible dans ces conditions de transmettre la tradition aux générations suivantes ?

Cependant, même dans ces conditions cruelles, la résistance s’organisait, des ‘Hassidim luttaient de toutes leurs forces pour accomplir des Mitsvot en enseignant la Torah dans la clandestinité la plus absolue, en procurant des objets de culte à leurs frères, en pratiquant discrètement des circoncisions, des mariages… Et, à l’approche de Pessa’h, des familles s’unissaient pour cuire les Matsot.

Nombreux étaient ceux qui habitaient à Moscou. Chaque année, ils profitaient de l’hospitalité d’un Juif habitant à Malahovka et qui était disposé à prendre le risque de prêter sa maison pour cette opération. Bien entendu, la plus grande discrétion était de mise et l’information circulait seulement de bouche à oreille.

Tout en jouant à la corde, Rivka avait remarqué une femme qui semblait errer sans but précis dans la rue. Un grand fichu recouvrait sa tête et même une partie de son visage mais on remarquait ses yeux qui semblaient chercher quelque chose, une adresse… Pour Rivka, c’était un indice suspect, suffisamment grave pour qu’elle prévienne son père. En un instant, les fillettes disparurent dans la maison. Derrière les volets soigneusement fermés, l’agitation était grande : un homme pétrissait avec agilité la farine et l’eau, d’autres aplatissaient prestement les morceaux de pâte, d’autres encore les piquaient tandis que les derniers les enfournaient, tout ceci en moins de dix-huit minutes. En effet, non seulement telle était la Hala’ha (la loi juive) mais la rapidité était aussi nécessaire pour tout cacher le plus vite possible si jamais des ennuis arrivaient.

L’arrivée en trombe des fillettes mit fin à toute cette agitation : « Dans la rue… il y a là une femme qui semble chercher quelque chose… J’ai cru la reconnaître : c’est la femme du directeur du commissariat central… ». En quelques instants, tout disparut : les Matsot, les piques, les bassines, la farine… Les ‘Hassidim se regardaient sans parler, leurs visages blancs comme la craie à l’idée d’être découverts en flagrant délit…

Des coups à la porte…

Un silence de mort régnait dans la maison.

Les coups redoublaient. Le maître de maison décida de prendre les devants. Il saisit une bourse remplie d’argent et ouvrit la porte. Effectivement, c’était bien la suspecte qui se tenait là. L’homme lui tendit l’argent sans rien dire mais elle ne le prit pas.

- Je vous en prie, supplia l’homme. Faites comme si vous n’aviez rien vu !

- Non, murmura-t-elle en hochant la tête. Je ne suis pas venue pour vous causer des ennuis !

- Alors… De quoi s’agit-il ?

- Ecoutez, chuchota-t-elle, chaque année, à cette période, mon mari ne mange rien durant huit jours ! Il me demande de lui procurer des Matsot que vous, les Juifs, vous cuisez spécialement pour ces huit jours !

Abasourdi, le maître de maison tentait de comprendre ce que cela signifiait. Elle continua :

- Les années précédentes, je les obtenais dans un autre endroit mais cette année, on m’a dit de venir dans cette rue, à cette adresse. Pouvez-vous me vendre un paquet de Matsot pour une personne ?

Tous les ‘Hassidim qui se cachaient là poussèrent un soupir de soulagement. Ainsi donc, le directeur du commissariat était juif et tenait à manger des Matsot à Pessa’h !

La femme repartit avec un paquet de Matsot. Mais l’année suivante, les ‘Hassidim s’organisèrent avec encore davantage de précautions, dans une autre maison, celle de Rav Aharon ‘Hazane : quand celui-ci avait fait construire sa maison, il avait prévu un Mikvé ainsi qu’un grand four pour la cuisson des Matsot à Pessa’h.

Les ‘Hassidim purent ainsi continuer à fournir des Matsot à de nombreux Juifs de Moscou.

Rivka Krabitsky

Si’hat Hachavoua N° 1685

Traduit par Feiga Lubecki