Samedi, 9 mars 2019

  • Pekoudeï
Editorial

 La grandeur ou l’abandon

Ces semaines supplémentaires du mois d’Adar I se sont écoulés bien vite. Nous entrons maintenant dans le deuxième Adar. Les semaines passées nous étaient essentiellement utiles car elles nous laissaient comprendre que le temps de Pourim approchait. Ainsi, elles nous ont conduit à réfléchir aux indispensables préparatifs, tant spirituels que matériels, qui feront que la fête à venir sera encore plus grande et plus belle et que nous la vivrons avec toute la noblesse requise. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Pourim est une célébration qui vient de loin, pas seulement d’un point de vue temporel, et qui nous entraîne plus loin encore.

Il est juste temps de revivre par avance ces événements, l’urgence s’en fait sentir dès aujourd’hui. Lorsque le drame se noua à la cour de Perse, que les Juifs, habitués alors à une certaine tranquillité d’exil, furent brutalement menacés d’anéantissement, un homme indiqua le chemin du salut et de la victoire. C’était bien sûr Morde’haï, le chef du peuple juif en ces temps, qui devait assumer cette responsabilité. Certes, il entreprit toutes les actions utiles pour répondre à la menace et l’histoire a montré qu’il sut agir avec sagesse. Mais, tout d’abord, il manifesta, par son attitude, ce que devaient être l’esprit et le comportement de chacun. Le texte de la Méguila, du livre d’Esther, nous le dit avec netteté : « Et Morde’haï ne se courba pas ni ne se prosterna » devant Haman, l’antisémite avant la lettre. Une telle conduite en une telle période ne peut que soulever l’inquiétude. L’oppresseur était Haman, le premier des ministres de l’empereur. Il avait tout pouvoir. N’aurait-il pas été judicieux d’avoir l’échine plus souple ? Et Mordé’haï lui-même n’éprouvait-il donc aucune frayeur en défiant le tyran ? Mais c’est qu’il était le guide et l’exemple à suivre. Il n’agissait pas ainsi par orgueil ou légèreté. Il donnait à chacun la conscience nécessaire pour traverser l’histoire et laisser nos ennemis y disparaître.

 De fait, Pourim n’est pas qu’un récit du passé au long d’une histoire fertile en pérégrinations. Il présente tous les éléments qui évoquent, pour nous, des situations connues : l’exil, l’inquiétude de l’avenir, des ennemis tenaces qu’aucune morale ne retient etc. Et, inséparable du reste, cette tentation lancinante : avoir peur, plier, fuir… C’est alors que Mordé’haï intervient. Incarnation claire de la conscience et de la fidélité à soi-même, il sait voir plus loin que l’écume des choses. Il perçoit les courants profonds de l’histoire et connaît les dangers de l’abandon. Grâce à lui, par lui, au cœur de la détresse surgira la victoire. Bien des siècles sont passés depuis lors mais le message brille avec force au-dessus de nous, partout, en nous.

Etincelles de Machiah

 Juste un petit moment

Faisant référence à la venue de Machia’h, D.ieu annonce (Isaïe 24:7): « Pour un petit moment, Je t’ai abandonné mais avec une grande miséricorde Je te rassemblerai ». Le rapport établi par ce verset entre « le petit moment » d’abandon et la « grande miséricorde » doit être analysé plus attentivement.

De fait, le message est important. Ce texte signifie que, lorsque Machia’h viendra, et que la miséricorde divine sera manifeste, chacun verra que la durée totale de l’exil n’aura finalement été qu’un « petit moment ».

(d’après Séfer Hamaamarim 5700, p. 10)

Vivre avec la Paracha

 Pekoudé

L’on procède au décompte de l’or, de l’argent et du cuivre offerts par le peuple pour la fabrication du Michkan. Betsalel, Aholiav et leurs assistants fabriquent les huit habits sacerdotaux : le tablier, le pectoral, le manteau, la robe, le Tsits, le chapeau, la ceinture et les pantalons, selon les instructions communiquées par Moché dans la Paracha Tétsavé.

Le Michkan est achevé et tous ses composants sont présentés à Moché qui l’érige et l’oint avec la sainte huile d’onction. Il initie à la prêtrise Aharon et ses quatre fils. Une nuée apparaît au-dessus de Michkan, signifiant que la Présence Divine est venue y résider.

Le poids

« Voici les décomptes du Tabernacle… Tout l’or qui a été utilisé dans cette œuvre… vingt-neuf talents et sept cent trente chékels… L’argent qui a été la contribution de la communauté : cent talents et mille sept cent soixante-quinze Chékels… Et le cuivre en contribution : soixante-dix talents et deux mille quatre cents Chékels » (Chemot 38 : 21-29)

Une partie significative du livre de Chemot (treize de ses quarante chapitres) est consacrée à la description détaillée du Tabernacle construit par les Enfants d’Israël dans le désert du Sinaï. Les matériaux utilisés, quinze espèces allant de l’or au cuivre et du bois de cèdre au poil de chèvre, sont précisés, de même que les dimensions de chaque panneau mural et des couleurs de chaque tapisserie.

Car le Tabernacle était bien plus qu’une « maison de culte » ou un « centre spirituel ». C’était la réalisation du dessein divin dans la Création : D.ieu désirait avoir « un lieu de résidence dans le monde matériel ». Le Tabernacle (et donc son incarnation future sous la forme du Saint Temple de Jérusalem) représentait l’apogée des efforts humains pour bâtir un édifice pour D.ieu, à partir des matériaux de la vie concrète.

Le Tabernacle constituait un prototype, la réalisation collective du peuple du désir divin d’avoir une demeure sur terre.

Au niveau individuel, nous construisons un Sanctuaire chaque fois que nous accomplissons une Mitsva.

Une Mitsva est un acte physique qui se sert de la matière pour accomplir un commandement divin : de la peau d’animal est façonnée pour confectionner les Tefilines, de la laine pour les Tsitsit et de la farine et de l’eau pour la Matsa consommée à Pessa’h. Ces objets sont attachés, revêtus ou consommés par nos corps physiques.

(Même les Mitsvot les plus « spirituelles », comme l’étude de la Torah et la prière, sont, en dernier ressort, des actes physiques accomplis par notre cerveau, notre cœur et nos lèvres.)

Mais une Mitsva possède également un aspect spirituel : la conscience qui accompagne l’acte, l’amour et la crainte de D.ieu qui le motivent, l’engagement et la joie qui l’imprègnent.

Cependant, en se concentrant sur la description concrète du Tabernacle, la Torah met l’accent sur le fait que ce sont nos actions matérielles qui abritent la présence divine. Les atours spirituels de la Mitsva sont la « décoration intérieure » qui impartissent la beauté, la chaleur et la lumière à l’édifice construit par nos actes. Mais l’acte lui-même est l’essence de la demeure divine. C’est l’acte physique qui réalise l’objectif de D.ieu dans la Création.

(Comme l’exprime Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi, aucune réalité n’est plus spirituelle que le néant incandescent qui précéda la Création. Ainsi, si D.ieu avait voulu la « spiritualité », Il n’aurait rien créé. Le fait qu’Il créa un monde implique que Son objectif réside dans cet aspect de la Création, le plus contraire à la réalité pré Création, c’est-à-dire le monde matériel.)

Les décomptes du Tabernacle

La suprématie du matériel est également soulignée par la description que donne la Torah des « décomptes » des métaux précieux : l’or, l’argent et le cuivre, qu’offrirent en contribution les Enfants d’Israël pour la construction du Tabernacle. D’ordinaire, les comptes de cette espèce sont calculés en valeur monétaire : l’or vaut telle somme, l’argent telle somme, etc.

Mais les décomptes des contributions pour le Tabernacle étaient calculés en mesures de poids : tel nombre de talents, de Chékels, etc. d’or, d’argent et de cuivre. (Le « Chékel » biblique était une unité de poids équivalente à trois cent vingt grains d’orge ou à peu près seize grammes. Le « talent » biblique, Kikar en hébreu, pesait trois mille Chékels ou environ quarante-huit kilogrammes).

Les actes, eux-aussi, peuvent se mesurer en poids ou en valeur. Pour donner un exemple : deux personnes peuvent toutes deux donner un euro à un pauvre. L’une le donne de bon cœur, avec un sourire, avec la conscience claire qu’elle est privilégiée de pouvoir aider un prochain. La seconde personne le donne à contrecœur, ennuyée d’être obligée de se départir d’un euro.

En termes de « poids » de l’action, sa masse physique et son impact sont égaux. Les deux euros permettront l’achat du même pain et satisferont de manière équivalente le besoin physique de celui qui l’a reçu.

Mais les deux actes diffèrent totalement en termes de « valeur », en termes du critère plus abstrait, celui de la beauté, de la rareté, etc. opposé à celui qui donne une valeur supérieure à une once d’or qu’à celle d’une once de cuivre.

Il est sûr que la « valeur » prend une signification prépondérante dans la construction d’une demeure pour D.ieu. La Torah nous indique quels objets du Tabernacle sont faits de cuivre, d’argent et ceux qui requièrent l’or le plus pur.

Mais en faisant la somme des contributions du peuple pour la résidence divine, la Torah calcule leur poids matériel plutôt que leur valeur qualitative. Car le point central dans nos efforts pour inviter D.ieu dans notre vie est ce que nous faisons. Tout le reste est d’importance secondaire.

Le Coin de la Halacha

 Les bougies de Chabbat

- On ne doit pas allumer les bougies de Chabbat après l’heure indiquée dans les calendriers juifs (c’est-à-dire 18 minutes avant l’heure du coucher du soleil selon la Hala’ha). En effet, ce ne serait plus une Mitsva (l’accomplissement de la volonté de D.ieu) mais, au contraire, une Avéra (une transgression de la sainteté du Chabbat).

- Une petite fille ou une jeune fille sera encouragée à allumer sa bougie de Chabbat même si sa mère ne le fait pas encore. Elle allumera avant sa mère afin que celle-ci puisse l’aider et surveiller qu’il n’y a pas de danger.

- Une petite fille commencera à allumer sa propre bougie de Chabbat à partir du moment où elle comprend ce que représente l’allumage des bougies et est capable de répéter la bénédiction – donc à partir de trois ans ou même avant. Il est conseillé de le faire pour la première fois un jour de Yom Tov (fête juive) – afin qu’elle puisse prononcer aussi la bénédiction de Chéhé’héyanou.

- On l’habituera à mettre une (ou plusieurs) pièce (s) à la Tsedaka avant d’allumer sa bougie. On lui expliquera aussi que l’on ne doit pas déplacer la boîte de Tsedaka une fois qu’on a allumé la bougie (on la rangera donc avant de procéder à l’allumage).

- Avant le mariage, la fille n’allume qu’une seule bougie.

- Chaque fille disposera de son propre bougeoir.

- Une fille ou femme s’efforcera de prier Min’ha avant d’allumer les bougies plutôt qu’après.

- Une fois qu’on a allumé les bougies de Chabbat, on ne peut pas manger ou boire tant qu’on n’a pas procédé au Kiddouch.

(d’après Dayan Lévi Yits’hak Raskin – Londres - Compass)

Le Recit de la Semaine

 A propos de progrès…

Rav Nissan Mangel, rescapé de la Shoah, possède des diplômes de philosophie qui en font un orateur recherché. Dans les années 60-70, il acceptait souvent des invitations à donner des conférences dans de prestigieuses universités.

Un jour, je fus contacté par le président du département de Philosophie juive de l’importante Université de New York à Manhattan. Nous avons convenu de la date et du sujet de mon intervention puis la campagne de publicité se mit en marche. Le recteur de l’université fut invité à assister ainsi que différentes personnalités d’autres religions.

Quelques semaines avant la conférence, j’entrai en Ye’hidout (entrevue privée) chez le Rabbi ; je mentionnai cette invitation. Le Rabbi me demanda si les hommes et les femmes seraient assis séparément pendant les discours et je répondis que non. Alors le Rabbi me conseilla de ne pas y aller.

En sortant de la Ye’hidout, je téléphonai au président et l’informai que, puisque j’étais un ‘Hassid du Rabbi de Loubavitch, j’avais demandé son consentement et il m’avait enjoint de ne pas m’y rendre – bien qu’au départ, j’avais accepté. Comme on l’imagine, il fut très contrarié et m’en demanda la raison. Je lui expliquai que le Rabbi s’était opposé au fait que femmes et hommes soient assis ensemble mais j’ajoutai que, s’il le désirait, je pouvais lui obtenir une entrevue avec le Rabbi pour qu’il en discute librement avec lui. Très en colère, il refusa : « Le Rabbi est un extrémiste fanatique ! Il est si démodé ! Nous avons fait d’énormes progrès en termes d’égalité et de décence ! Les femmes ne sont pas des citoyens de seconde zone et n’ont pas à être mises de côté ! Cependant, comme j’ai déjà envoyé les invitations et que le recteur va participer, pouvez-vous au moins mettre par écrit votre discours : je vous excuserai en expliquant que vous aviez un impondérable ».

J’étais un peu gêné par cet imbroglio mais je rédigeai mon texte puis le lui apportai et il lui plut beaucoup. Il insista pour que je reconsidère ma décision parce que ma présence aurait un impact certain sur les participants et cela contribuerait sans doute à l’avancement de certains projets liés à la communauté juive. Je le remerciai pour ses compliments mais ajoutai qu’en tant que ‘Hassid, je ne pouvais pas envisager de désobéir au Rabbi. Par contre, s’il le souhaitait, il pourrait lui-même lui poser la question.

A ma grande surprise, cette fois-ci il accepta et je lui obtins une entrevue. Ensemble, nous sommes entrés dans le bureau du Rabbi mais quand il vit le Rabbi, il fut comme pétrifié et je dus littéralement le soutenir pour marcher et s’asseoir en face de la table. Finalement, il parvint à demander au Rabbi que je participe à la conférence car de nombreuses personnalités y seraient présentes et que cela serait très bénéfique… Le Rabbi demanda :

- Quel devrait être le sujet de la conférence de Rav Mangel ?

- La philosophie juive.

- Je propose que, pour vos participants, il serait plus judicieux d’évoquer les Sept Lois Noa’hides, reprit le Rabbi.

- Ah non, s’écria le président ! Ce sont des concepts si démodés ! La société a accompli d’énormes progrès depuis cette époque préhistorique ! Nous sommes bien au-delà de tout cela !

- Vous savez sans doute, continua calmement le Rabbi, que dans la société actuelle, les gens mangent des crabes et des écrevisses. Vous êtes-vous jamais demandé comment on les préparait ? On prend un poisson vivant et on le jette dans une casserole d’eau bouillante pour le cuire vivant ! N’est-ce pas un acte particulièrement barbare et cruel ? C’est cela qu’on appelle le progrès ?

Visiblement choqué, le président ne savait que répondre et quitta la pièce respectueusement.

Une fois que nous fûmes dehors, il me confia :

« J’ai rencontré de nombreuses personnalités, des ministres et des hommes de religion. Mais jamais je ne me suis senti aussi paralysé par ce genre de peur respectueuse ! Bon, le Rabbi est un homme pratiquant donc j’assume qu’il n’a jamais mangé ces crustacés. Mais moi qui ne suis pas pratiquant, j’en mange et j’ose avouer que je les apprécie. Jamais je n’avais réfléchi à la manière dont ces animaux étaient cuits mais maintenant je constate qu’il a raison ! C’est effectivement une méthode de cuisson barbare et ceci démontre combien nous sommes aveuglés quand nous pensons fièrement avoir accompli des progrès… Je regrette de l’avoir qualifié de fanatique et démodé et d’avoir estimé que notre civilisation était avancée…

Bien évidemment, conclut Rav Mangel, le Rabbi souhaitait aider ce Juif à faire Techouva, à considérer la Torah d’un autre point de vue. C’est pourquoi il me recommanda de ne pas donner cette conférence, afin que le président entre en Ye’hidout et écoute ses idées. De fait, juste après cet incident, le Rabbi me bénit pour connaître le succès lors de mes prochains discours à l’université ».

Je publie ce récit pour qu’on reconsidère ce que nous appelons le progrès et la culture : certaines lois modernes votées dans des états dits civilisés ne sont en fait que des assassinats et des infractions barbares. Les voies de la Torah sont douces et inspirantes tandis qu’un autre chemin mène vers l’exact contraire et se révèle souvent, finalement amer pour l’humanité. Ne nous laissons pas berner par des mots tels que « civilisation », « progrès » ou autre « ouverture d’esprit » et sachons garder notre bon sens, celui de la Torah.

Rav Chalom Dov Ber Avtzon

Traduit par Feiga Lubecki