Samedi, 12 mai 2018

  • Behar - Be’houkotaï
Editorial

 Vers le sommet

Nous l’attendons depuis plus de trente jours à présent, et avec une si grande impatience que nous avons compté le temps qui s’écoulait, tendus dans un effort incessant vers le rendez-vous annoncé : le Don de la Torah. Nous aurons, bien sûr, l’occasion de relever encore ce que ce jour apporte à chacun individuellement et à l’humanité en général. Mais, auparavant, il importe de suivre le chemin qui nous y conduit. De fait, si compter les jours est en soi essentiel, l’homme, pris dans les filets de la vie quotidienne, peut oublier que le commandement ne se limite pas à son rituel, qu’il s’étend à tous les domaines et tous les niveaux et que c’est de ces multiples façons qu’il faut le vivre. Dès lors, sur la route définie par la pratique, entreprendre la préparation qu’elle implique est le secret du Don de la Torah en notre temps pour chacun.

Il est clair que le mot d’ordre du jour tient dans cette idée si simple et si profonde à la fois : se préparer à cet événement considérable qui, au sens strict, va changer la face du monde. Car chacun peut s’interroger : comment espérer seulement parvenir à ce qui constitue un sommet spirituel alors même que nous sommes conscients de ce que nous sommes ? Souvenons-nous, dès que le peuple juif parvint au pied du mont Sinaï, Moïse montra, jour après jour, la voie que chacun devait suivre. Son enseignement accompagna l’indispensable élévation.

Les choses sont-elles différentes aujourd’hui ? Certes, plus de trois mille ans sont passés depuis lors, les conditions de vie ont bien changé et notre histoire s’est déroulée, nous entraînant d’un continent à l’autre, dans le repos ou la fureur. Pourtant, la règle posée lors du Don de la Torah garde toute sa force, n’est-elle pas éternelle ? Elle nous dit que les jours qui viennent sont d’une importance vitale. Elle nous dit qu’ils font comme une passerelle avec la Révélation attendue.

Toutes les choses précieuses ont une caractéristique commune : nul ne peut les obtenir gratuitement. Le Don de la Torah appartient à tous, d’une certaine manière il nous est déjà acquis. Mais il faut en ressentir en soi la grandeur pour que celle-ci nous imprègne et nous porte plus haut. Il reste donc quelque chose à faire. Savoir que c’est vers le grand rendez-vous avec D.ieu que nous allons, être conscient qu’il va se produire non comme une commémoration mais bien comme un événement qui traverse le temps, avec une actualité immédiate, c’est ainsi que nous y verrons le sens ultime : la Délivrance finale.

Etincelles de Machiah

 Pourquoi désirer le nouveau temps ?

« Les Sages et les prophètes n’ont pas désiré le temps de Machia’h (pour quelque raison autre que) être libre (pour se consacrer) à la Torah et sa sagesse » (Maïmonide, Michné Torah, Hil’hot Mela’him, chap.12, Hala’ha 4).

Maïmonide relève ici une idée importante. Les Sages et les prophètes authentiques ne sont pas satisfaits de leur étude et de leur connaissance dans le temps de l’exil. Bien au contraire, ils désirent et attendent avec impatience la venue de Machia’h.

Ils l’espèrent de tout leur cœur car c’est seulement alors qu’ils pourront plonger au plus profond de la Torah.

(d’après un commentaire du Rabbi de Loubavitch, Chabbat Parachat Vayéra 5743)

Vivre avec la Paracha

 Behar - Be’houkotaï

Behar

Sur le mont Sinaï, D.ieu communique à Moché les lois de l’année chabbatique : toutes les septièmes années, tout travail sur la terre doit être interrompu et ses produits rendus accessibles à tous, hommes et animaux.

Sept cycles chabbatiques sont suivis d’une cinquantième année : l’année du Jubilée au cours de laquelle tout travail de la terre cesse, tous les serviteurs liés par contrat sont libérés et tous les états ancestraux de la Terre Sainte qui ont été vendus reviennent à leurs propriétaires originels.

Behar contient également des lois supplémentaires concernant la vente de terres et les interdictions de fraude et d’usure.

Be’houkotaï

D.ieu promet que si le Peuple d’Israël observe Ses commandements, il jouira de prospérité matérielle et résidera en paix sur sa terre. Mais Il donne également un avertissement sévère et le menace de l’exil, de la persécution et d’autres maux qui s’abattront sur lui s’il abandonne son alliance avec Lui.

Toutefois, « même quand ils seront sur la terre de leurs ennemis, Je ne les rejetterai pas, pas plus que Je ne les haïrai, ne les détruirai ou ne briserai Mon alliance avec eux. Car Je suis l’Eternel, leur D.ieu ».

La Paracha se conclut avec les lois concernant la manière de calculer la valeur des différents types d’engagements pris pour D.ieu et la Mitsva de prélever un dixième des produits agricoles et du bétail.

BEHAR

En intitulant la Paracha Behar (« sur la montagne ») plutôt que Behar Sinaï (« sur le Mont Sinaï »), la tradition juive a choisi de mettre l’accent sur le fait que la Torah ait été donnée sur une montagne plutôt que sur la montagne elle-même où se produisit cet événement.

Nous le savons, le Midrach explique que D.ieu choisit de le faire parce qu’elle était la plus basse, c’est-à-dire la plus humble, des montagnes. Mais si D.ieu désirait nous enseigner l’humilité, pourquoi ne choisit-Il pas une vallée ou tout au moins un terrain plat ?

Malgré le fait que l’importance de l’humilité et du sacrifice de soi ne puisse être minimisée, une certaine dose de fierté fait également partie intégrante du service de D.ieu. Une personne totalement effacée se sentira désemparée devant les épreuves, les doutes, le cynisme et la moquerie d’un monde qui obscurcit la Divinité. Après tout, quelle crédibilité a-t-elle pour se dresser contre eux et s’y opposer ? C’est la raison pour laquelle nous devons également être des « montagnes », nous devons savoir maîtriser l’art de nous affirmer en tant que représentants de D.ieu sur terre. Cette leçon est si importante, si fondamentale qu’elle introduit le Choul’han Arou’h, le Code de lois juives, comme pour impliquer que notre accomplissement des lois qui suivent dépend de notre intériorisation de la conscience que nous ne devons jamais ressentir de gène devant les moqueurs mais affirmer fermement notre engagement inconditionnel pour les lois de D.ieu.

Il n’en reste pas moins que l’orgueil personnel devant nos réalisations n’a aucune place dans le judaïsme. La constante conscience de la Présence Divine, requise par le judaïsme, ne nous permet en aucun cas de faire preuve d’arrogance ou de suffisance. La fierté que nous devons ressentir est la fierté de D.ieu : la reconnaissance que nous sommes investis de Sa mission. Là est la source de notre dignité et de la fierté que nous devons manifester. En fait, c’est précisément une abnégation totale de notre personne qui rend possible une véritable affirmation de soi.

C’est précisément quand nous avons complètement effacé tout sens de notre ego, que nous ne sommes plus pleins de nous-mêmes, que nous pouvons réellement nous affirmer. Nous ne sommes plus alors conscients de notre personne mais de D.ieu. Nous ne sommes plus « nous » mais D.ieu agissant à travers nous.

Le choix de la montagne pour le Don de la Torah était donc celui de la plus modeste, le Mont Sinaï, une montagne, certes, mais une montagne d’une humilité absolue.

BE’HOUKOTAÏ

Le nom de cette Paracha, Be’houkotaï, signifie « selon Mes statuts ».

Nous avons déjà évoqué le fait que ces commandements n’ont aucun sens logique et qu’aucune raison n’en est donnée. Ils s’opposent à ces autres Mitsvot : les Michpatim, « lois », accessibles à la raison humaine et qu’elle aurait pu dicter et les Eidot, cérémoniaux de souvenir, que la raison n’aurait pas nécessairement dicté mais que l’on peut comprendre et apprécier.

Mais c’est précisément en observant les ‘Houkim de la Torah que nous exprimons notre soumission totale à la volonté de D.ieu et notre désir d’accomplir Ses directives même si cela défie la face de la logique et de la raison.

Cette soumission totale à la volonté de D.ieu paraît contraster avec le contenu de cette Paracha : les récompenses et les punitions qui nous attendent selon que l’on accomplisse ou non les commandements divins.

Si l’on doit accomplir la volonté de D.ieu pour Lui et non dans notre propre intérêt, que vient apporter une description des avantages de l’obéissance ou les désavantages de la désobéissance ?

La Paracha Be’houkotaï est souvent combinée avec la Paracha Behar. Comme nous le savons, pour que deux Parachiot soient lues ensemble et forment un tout, elles doivent avoir un thème commun et nous pouvons nous attendre à ce que cela se reflète dans leur nom respectif.

Mais à première vue, l’affirmation de soi qui est, comme nous l’avons vu, est le thème de Behar, apparaît l’antithèse absolue de l’abnégation totale impliquée dans le nom Be’houkotaï, une humble soumission à la Volonté Divine. Mais nous avons expliqué que la véritable affirmation de la Divinité en nous est possible après avoir dominé notre égocentrisme inné. En fait, plus nous perdons le sens de notre égo, plus nous sommes conscients de la réalité Divine et plus se manifeste notre âme Divine qui permet à D.ieu d’agir par notre intermédiaire. A cette lumière, nous comprenons que ces deux noms reflètent le même idéal.

Le sens profond du mot ‘Hok signifie « gravé ». Cela implique qu’en observant ce type de commandements, nous exprimons une véritable unité avec D.ieu, tout comme un bloc de pierre et une lettre qui y est gravée constituent la même entité.

Par ailleurs, pour graver une lettre, il faut enlever une partie du matériau, tout comme pour observer les règles de D.ieu, il faut « enlever » ou nier l’égo.

Cette perspective peut nous aider à comprendre pourquoi une Paracha nommée sur les lois irrationnelles va de pair avec la description des bienfaits que l’on peut en tirer.

Quand nous nous débarrassons de notre égo, nous considérons les promesses de la Torah non comme des encouragements à nous soumettre à la volonté de D.ieu par intérêt personnel mais comme des composants intrinsèques de l’expérience Divine. D.ieu représente le bien absolu et lorsque l’on fait abstraction de notre personne pour devenir des conduits invisibles pour la volonté Divine, il nous est permis de recevoir la Bonté de D.ieu dans sa plus grande mesure, y compris les bienfaits dont on peut jouir pour avoir obéi à Sa volonté.

Le Coin de la Halacha

 En quoi consiste l’obligation d’aimer un autre Juif ?

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Vayikra – Lévitique 19 : 18).

- On louera les bonnes actions d’un autre Juif, on veillera à protéger son argent et son honneur comme on fait attention aux siens propres. On l’aimera et on aura pitié de lui, on priera pour lui et on lui souhaitera tout le bien possible.

- Quand on aime un autre Juif, on accomplit de nombreux commandements divins : donner de l’argent aux pauvres, prêter de l’argent aux nécessiteux, s’occuper de la veuve, de l’orphelin, de la future mariée ; rendre visite aux malades et aux endeuillés, accueillir des invités, ne pas se venger et ne pas garder rancune…

- On aimera aussi celui qui ne se conduit pas selon les règles de la Torah – même si on est parfois obligé de lui adresser des remontrances. Cependant, on veillera à ne pas lui causer de honte, surtout pas en public.

- On aimera encore davantage les érudits et on cherchera à imiter leurs comportements vertueux. On les respectera de toutes les manières possibles.

- Rabbi Chnéour Zalman disait au nom de son maître, le Maguid de Mézéritch qui le tenait du Baal Chem Tov : « Aimer un autre Juif comme soi-même, c’est aussi aimer D.ieu de tout son cœur. Quand on aime un Juif, on aime D.ieu car dans chaque Juif se trouve une parcelle de D.ieu ». (Hayom Yom 12 Mena’hem Av).

(d’après Hamivtsaïm Kehil’hatam - Rav Shmuel Bistritzky)

Le Recit de la Semaine

 En veilleuse…

Il y a quelques semaines, des dizaines de milliers de personnes ont participé à la 30ème Marche des Vivants, en hommage aux millions de Juifs assassinés à Auschwitz Birkenau. Le ‘Hassid, Rav Nissan Mangel est un des plus jeunes survivants de plusieurs camps d’extermination, c’est aussi un puissant conférencier. Il a raconté ce qu’il a vécu lors de cette marche.

J’ai été interviewé par un reporter d’une des plus grandes chaînes de télévision polonaises. Il avait été convenu que la conversation se déroulerait en anglais et serait traduite simultanément en polonais, avec des sous-titres. Ce fut assez long et, à la fin, le modérateur posa une dernière question :

- Rav Mangel, pensez-vous que le judaïsme a un avenir en Pologne ?

- Le Talmud, répliquai-je, raconte qu’une matrone romaine posa un jour la question suivante aux Sages d’Israël : « Votre religion croit dans la résurrection des morts. Cela peut se comprendre pour des morts récents dont le corps n’est pas encore décomposé. Mais comment cela est-il possible pour des personnes qui ont vécu il y a longtemps et même il y a des milliers d’années ? ». Les Sages répondirent : « Il existe un os en haut de la colonne vertébrale (qu’on appelle Louz) et qui ne se décompose jamais, ni dans le feu, ni dans l’acide. Et c’est à partir de cet os Louz que les corps reviendront à la vie !

Et c’est à partir de cela que je vais répondre à votre question.

La cheminée du crématorium mesurait au moins 14 mètres de haut. Je l’ai vue ! Parfois le feu était si puissant que ce n’était pas de la fumée ou des cendres qui sortaient de cette cheminée mais des flammes – ce qui est un indicateur du degré de chaleur incroyable qui régnait dans cet enfer. Cependant, à la fin de la journée, quand nous devions déblayer les cendres, il subsistait de petits os et nul ne pouvait comprendre comment ils avaient pu résister à la puissance du feu. Quand après la guerre, j’ai pu étudier le Talmud, j’ai compris de quel os nos Sages parlaient.

Avant la guerre, il y avait environ trois millions de Juifs en Pologne. Après la Shoah, on n’en comptait plus que sept mille. Cela signifie qu’environ 98 % ont disparu.

Parmi les 2 % restants, la plupart d’entre eux ont peur de s’identifier en tant que Juifs car ils craignent l’antisémitisme. Mais ce petit os, lui, ne peut pas être détruit. 70 ans plus tard, le judaïsme renait en Pologne, donc oui, la résurrection des morts est possible !

Alors si vous me demandez quel est l’avenir des Juifs en Pologne, je vous réponds qu’il refleurira ! J’en suis persuadé ! Nos Sages l’ont affirmé !

Le lendemain, une journaliste d’un prestigieux magazine voulut m’interviewer elle aussi. Au cours de la conversation, elle laissa échapper quelques expressions hébraïques et je lui demandai si elle était juive. Elle répondit que non mais qu’elle s’était déjà rendue en Israël et avait enregistré quelques mots.

Alors que l’interview prenait fin, le journaliste de la veille arriva et me demanda de répéter devant cette dame la réponse que je lui avais adressée la veille. Bien qu’il fût tard et que je m’écroulai de fatigue, je répétais mes paroles.

Tous deux me remercièrent très courtoisement.

L’homme me ramena là où je devais aller et, en route, murmura : « Monsieur le rabbin, je dois vous avouer qu’après vous avoir rencontré hier, j’ai dû rester assis cinq bonnes minutes tant j’étais secoué par des émotions contradictoires ! Je suis l’enfant de ces Juifs qui ont caché leur identité. Personne ne la connaît dans mon travail et tous mes collègues juifs cachent eux aussi leur ascendance. Mais ce que vous m’avez dit hier a allumé une flamme dans mon cœur, à partir de ce petit os Louz que vous avez évoqué. J’ai décidé d’annoncer à tout le monde que je suis juif et que, dorénavant je vivrai pleinement mon judaïsme. La dame qui vous a interviewé est juive également ; elle a été baptisée dans son enfance et c’est pourquoi elle vous a honnêtement répondu qu’à son avis, elle n’était pas juive. C’est pourquoi je tenais à ce qu’elle vous entende parler de cet os qui ne meurt jamais pour qu’elle aussi comprenne que juive elle est et que juive elle restera. Je sais qu’elle inclura votre réponse dans son article et, comme elle est honnête, elle déclarera elle aussi qu’elle est juive de naissance !

Nous pouvons espérer que des milliers de nos frères et sœurs vous verront à la télévision ou liront l’article qu’elle publiera. Et eux aussi seront certainement inspirés par vos paroles. Merci Rav Mangel !

Rav Avtzon – Shmais News Service

Traduit par Feiga Lubecki