«Viens ! Installons-nous à la Bourse et je te raconterai toute l’histoire !» me dit Chmouel, qui effectue de nombreux voyages dans le cadre de son négoce de diamants.
«À l’époque, je travaillais en Guyane, en Amérique centrale et j’étais le directeur de la production de diamants de ce pays. Un jour, j’eus la surprise d’apercevoir sur l’écran de mon circuit intérieur de sécurité… un Juif orthodoxe, avec barbe, chapeau et costume sombre. Je me frottai les yeux pour être sûr que je ne rêvais pas car je n’avais jamais aperçu un seul Juif dans ce pays et à plus forte raison, quelqu’un de pratiquant.

Ce fut la première fois que je rencontrai le regretté Reb Its’hak Nemess. On pourrait vraiment écrire un livre sur la vie de cet homme qui était un négociant en timbres rares, profondément attaché aux enseignements du Rabbi. On venait de lui proposer d’imprimer des timbres pour le gouvernement guyanais. Un ‘Hassid comme Reb Nemess n’acceptait aucune tâche sans l’accord du Rabbi. À sa grande surprise, le Rabbi l’encouragea dans cette entreprise, lui donna un dollar puis un second en disant : «Certainement vous vous rendrez dans la capitale et y rencontrerez une âme juive née sur place et qui n’est jamais sortie de ce pays. Transmettez-lui ce dollar !»

Dans un aéroport, vous rencontrez des gens qui voyagent pour le tourisme, pour conclure des affaires, pour une réunion familiale. Mais dans le cas de Reb Nemess, bien que le but premier de son voyage fût la conclusion d’un contrat important, il était complètement voué à la mission que lui avait indiquée le Rabbi.
Dès son arrivée en Guyane, avant même de rencontrer ses contacts commerciaux, il se mit à rechercher des Juifs. Mais il s’avéra bien vite que ce n’était pas si facile : la consultation des annuaires téléphoniques fut vaine et tous les gens à qui il demandait des renseignements haussaient les épaules en remarquant : «Un Juif ici ? Impossible !»

Quand Reb Nemess apprit qu’il se trouvait en Guyane un Juif d’Anvers, négociant en diamants – moi – il en fut très content et c’est ainsi qu’il arriva dans mon bureau. Il me demanda immédiatement si je connaissais un Juif né en Guyane et je ne pus que confirmer ce qu’on lui avait déjà dit : «Cela fait cinq ans que je me trouve dans ce pays et je peux vous garantir qu’il n’y a aucun Juif ici !». Mais Reb Nemess était catégorique : «Si le Rabbi m’a demandé de transmettre ce dollar à un Juif né ici, je suis sûr que celui-ci existe !»

Finalement, par un extraordinaire concours de circonstances (comme certains préfèrent appeler le bon D.ieu), Reb Nemess entendit parler d’un certain Salomon. Dès qu’il eut obtenu son adresse, il se précipita chez lui mais, au premier coup d’œil, il s’arrêta sur le pas de la porte : la maison était emplie de toutes sortes de statues et emblèmes religieux incompatibles avec le judaïsme : sur les murs, sur les meubles, dressés sur le sol… Quelques statues appartenaient au Juif mais la plupart à son épouse indienne. Pour Reb Nemess, il était très difficile de rester ainsi à parler dans cette atmosphère et il suggéra à Salomon de venir discuter dans sa chambre d’hôtel. C’est là-bas qu’il lui expliqua la mission dont l’avait chargé le Rabbi : celui-ci avait perçu l’existence de Salomon et avait veillé à lui faire remettre un dollar, un billet symbole de la foi parfaite en D.ieu : «In G-d we trust» ! Les deux hommes discutèrent longuement et devinrent des amis.

Reb Nemess n’était pas spécialement un bon orateur, ses paroles ne suivaient pas particulièrement un ordre logique et il ne rayonnait pas d’un charisme indéniable. Mais il avait une force incroyable : il était sincèrement convaincu de tout ce qu’il disait. Plus d’une fois, quand il parvenait à persuader un Juif de mettre les Téfilines tous les jours, il lui offrait ses propres Téfilines ! Combien de paires de Téfilines de Reb Nemess dans le monde ont changé la vie de familles entières !
Le Chabbat suivant, Reb Nemess invita ce Juif à passer toute la journée avec lui à l’hôtel : ce fut la première fois que Salomon écouta le Kiddouch, savoura des ‘Hallot et dégusta du gefilte fish. Petit à petit, l’âme de Salomon s’éveilla au judaïsme et, un jour, il annonça fièrement à Reb Nemess : «Vous pouvez entrer chez moi, j’ai détruit toutes les statues de ma maison !». En entendant cela, Reb Nemess fut si content qu’il prit de sa valise une grande photo du Rabbi qu’il lui tendit : «Maintenant vous pouvez l’accrocher au mur de votre salle à manger !». Ce Juif commença alors à respecter Chabbat, à mettre les Téfilines chaque jour et même à rendre sa cuisine cachère ! Reb Nemess lui racontait tout ce que disait le Rabbi et combien le Rabbi encourageait chacun à se préparer spirituellement à la venue du Machia’h. Il en parlait avec un enthousiasme vraiment contagieux.

Quand il revint trois mois plus tard en Guyane, Reb Nemess demanda à me voir de toute urgence. Il dansait presque de joie dans mon bureau quand il m’annonça tous les progrès que faisait Salomon. J’étais stupéfait par les résultats obtenus grâce au Rabbi, grâce à l’entêtement de son ‘Hassid : Salomon avait reçu de Reb Nemess des «Matsot Chmourot» pour Pessa’h et, petit à petit, se mettait à observer toutes les Mitsvot.

Reb Nemess continuait à garder le contact avec Salomon. Un jour, alors qu’il lui rendait visite, il était justement sorti et sa compagne le reçut : «Je suis désespérée, lui dit-elle, je ne sais comment vous le dire mais mon mari m’inquiète ! Vous pensez qu’il est un homme pieux mais sachez que ce n’est que de la poudre aux yeux. J’ai découvert sous son lit une valise : elle contient des vêtements neufs impeccables, un passeport et de l’argent américain ! Apparemment, il a trouvé une autre femme avec laquelle il a l’intention de partir aux Etats-Unis… !»

Reb Nemess s’empressa de demander à Salomon, dès qu’il le revit, la signification de cette valise mystérieuse. Étonné celui-ci répliqua : «C’est vous-même qui m’avez avisé que le Rabbi parlait sans cesse de Machia’h et insistait pour qu’on se prépare sincèrement à sa venue ! Vous-même vous m’avez raconté comment le ‘Hafets Haïm avait préparé un costume neuf à côté de son lit pour être prêt à accueillir Machia’h ! N’est-il pas évident que je devais agir de même, préparer passeport, visa, argent et costume pour la venue de Machia’h ?»

Reb Nemess continua à envoyer à ce Juif des livres sur le judaïsme et des objets de culte. 

Un jour, on lui annonça le décès de Salomon qui avait demandé à être enterré seulement selon les directives de Reb Nemess : il fut donc inhumé dans un cimetière juif du Venezuela. Sur sa pierre tombale, on fit graver les mots suivants : «Le Juif oublié qui n’a pas été oublié».

À nous de réfléchir : ce Juif de Guyane ne manquait de rien : richesse, honneurs, santé… Mais il avait accepté avec une simplicité confondante tout ce qu’un ‘Hassid du Rabbi lui avait enseigné. Machia’h arrive, lui avait-on dit et il avait déjà préparé sa valise avec un costume neuf. Et nous, où en sommes-nous ?

Reb Shabtai Slavaticki, Anvers (Belgique)
Kfar Chabad
Traduit par Feiga Lubecki